EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 7 JUIN 2023
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M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport de notre collègue Sylvie Robert sur la proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l'accès au cinéma dans les outre-mer, déposée par Catherine Conconne.
Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé jeudi prochain, le 15 juin, à 10 h 30, en premier point de l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Sylvie Robert, rapporteure. - Cette proposition de loi poursuit, comme son titre l'indique, un objectif louable et pleinement légitime de pérennisation de l'exploitation cinématographique en outre-mer.
Pour autant, elle illustre un sujet qui nous est familier, celui de la nécessaire adaptation de notre droit aux spécificités ultramarines, qui sont nombreuses et méritent toute notre attention. Au travers de la question du prix de la place de cinéma, c'est notre capacité à agir pour l'égalité réelle et les droits culturels qui est testée.
J'essaierai de résumer simplement l'objet de l'article unique de la proposition de loi dont je suis rapporteure, mais également signataire.
Il y a deux semaines, nos collègues Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi ont présenté un rapport complet sur la filière cinématographique. Il traduisait une vision pleine d'espoir du secteur, et traçait des perspectives dans lesquelles nous pouvons nous inscrire.
Dans ce rapport, le mécanisme de répartition du prix du billet est exposé de manière précise. Deux taxes sont appliquées : la TVA, au taux de 5,5 % ; la taxe sur le prix des entrées, la fameuse taxe spéciale additionnelle (TSA), au taux de 10,72 %. Le reste constitue ce que l'on appelle la « base film ». Elle fait l'objet d'une répartition entre, d'un côté, l'exploitant de la salle et, de l'autre, le distributeur, chargé de distribuer les oeuvres dans les différentes salles, mais aussi de rétribuer toute la chaîne de la création : producteurs, ayants droit, etc.
Le code du cinéma et de l'image animée fixe des bornes à cette répartition. Ainsi, la part du distributeur, ou taux de location, est obligatoirement comprise entre 25 % et 50 % de la base film. Symétriquement, celle de l'exploitant est comprise entre 50 % et 75 %. En réalité, le taux de location évolue en fonction du film et de la semaine de projection. Il est en moyenne de 47,1 %.
Les cinémas ultramarins obéissent cependant à des règles différentes.
Tout d'abord, la fiscalité y est plus avantageuse. Le taux de TVA n'est que de 2,1 %, contre 5,5 % pour la métropole. Pour des raisons historiques que j'ai développées dans le rapport, le taux de la taxe sur les billets y est limité à 5 %, contre 10,72 % en métropole. Ainsi, la base film est plus importante, car moins frappée par la fiscalité, d'autant plus que le prix du billet est plus élevé : 7,83 euros en moyenne, contre 7,3 euros en métropole.
Ensuite, le taux de location des films n'est pas de 47,1 %, mais limité à 35 %, là encore pour des raisons historiques. En effet, pendant très longtemps, les distributeurs n'ont pas exercé directement leur activité en outre-mer, mais ont délégué cette fonction à des sous-distributeurs locaux, en général liés aux exploitants. Ces derniers prélevaient ainsi la moitié du taux de location, soit 17,5 % environ, une même part de 17,5 % revenant au distributeur.
La base film est donc plus élevée en outre-mer qu'en métropole en raison de la fiscalité et d'un prix du billet plus élevé. En revanche, les distributeurs ne percevaient in fine que 17,5 % de la base film, contre près de 50 % en métropole.
Cette situation dérogatoire paraît justifiée, tant les charges qui pèsent sur les établissements ultramarins sont importantes : normes antisismiques, sécurité, coût de construction.
Cependant, à partir de 2022, les parties prenantes ont acté que ce mécanisme de délégation avait atteint ses limites. Les distributeurs ont souhaité reprendre directement la main sur l'outre-mer. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a mené à l'automne dernier une campagne de médiation pour trouver une solution qui ne mettrait pas en péril l'exploitation cinématographique en outre-mer.
Hélas, cette médiation a échoué, et les distributeurs ont fait part de leur volonté d'appliquer en outre-mer un même taux de location, proche de 50 %. Notons au passage que cela les conduirait à passer d'un taux de 17,5 % à un taux supérieur de près de trente points, qui s'appliquerait à une base film plus élevée.
La présente proposition de loi vise à modifier le code du cinéma pour fixer un taux maximal de location à 35 % en outre-mer, contre 50 % en métropole, pour permettre la poursuite de l'exploitation. Sous des abords techniques, la question est en réalité simple. Faute d'accord entre les distributeurs et les exploitants, nous sommes contraints de passer par un vecteur législatif pour amener un peu d'équilibre dans des relations qui menacent de conduire à une véritable hémorragie de l'exploitation cinématographique en outre-mer.
La position que je vous propose me semble équilibrée. Les distributeurs capteraient maintenant directement l'intégralité du taux de location, ce qui constituerait une nette amélioration. Quant aux exploitants, ils pourraient continuer à exercer leur profession et offrir à nos compatriotes d'outre-mer ce grand loisir populaire qu'est le cinéma.
Il existe cependant un risque, que je ne peux vous cacher : celui d'une volonté des distributeurs de moins diffuser les oeuvres en outre-mer. J'ai pu m'en entretenir avec eux et, si je comprends leur position, en réalité largement de principe, je déplore fortement que les négociations menées à l'automne n'aient pas abouti sur des bases qui auraient pu être différentes, et dont le cinéma serait sorti vainqueur.
Il est important de réaffirmer clairement notre attachement aux droits culturels partout sur le territoire, et ce mécanisme en fait partie. Je formule le souhait que la proposition de loi permette d'instaurer les conditions d'un dialogue plus apaisé entre les parties.
Je vous invite donc à adopter tel quel l'article unique de la proposition de loi.
Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions visant à encadrer le taux de location dans les cinémas d'outre-mer.
Il en est ainsi décidé.
M. Pierre-Antoine Levi. - Merci pour votre présentation. Je regrette que nous devions légiférer ; une bonne négociation entre distributeurs et producteurs aurait permis d'éviter cela.
Le taux de location est la part du revenu généré par chaque billet vendu qui revient au distributeur. Historiquement, ce taux était de 35 % dans les outre-mer où il est appliqué de manière forfaitaire. Les distributeurs les plus importants souhaitent un alignement des taux de location sur ceux de l'Hexagone, plus proches du plafond de 50 % fixé par le code du cinéma et de l'image animée.
Cette augmentation serait insoutenable pour les exploitants ultramarins et pourrait aboutir à la fragilisation extrême du secteur, ainsi qu'à la fermeture d'établissements, laissant certains territoires dépourvus de salles de cinéma.
La proposition de loi vise à plafonner à 35 % le taux de location. Cette mesure permettrait d'assurer la pérennité des établissements et l'accès au cinéma pour les ultramarins. Sur le principe, nous y sommes favorables.
M. Jérémy Bacchi. - Il est important que la diffusion des films soit la plus large possible en outre-mer. Le cinéma est un art populaire, et tous nos concitoyens, quel que soit le territoire sur lequel ils vivent - y compris les territoires ruraux et les outre-mer -, doivent pouvoir accéder à une offre diversifiée.
Je regrette qu'un accord n'ait pu être possible entre les exploitants et les distributeurs. Passer par une proposition de loi est déjà un aveu d'échec. J'entends la menace que font peser les distributeurs. Même si on peut comprendre leurs difficultés, il me semble qu'ils n'emploient pas la meilleure manière pour engager le débat...
J'aimerais avoir des éléments chiffrés permettant d'évaluer le danger d'une augmentation du taux de location à l'avenir.
Notre groupe réserve sa position sur ce texte.
Mme Monique de Marco. - Je remercie la rapporteure de cette proposition de loi très technique.
On peut regretter que la négociation ait échoué, et nous comprenons les risques inhérents à ce texte, qui n'a pas été approuvé par les distributeurs. Néanmoins, nous souhaitons préserver l'activité culturelle qu'est le cinéma en outre-mer : nous voterons donc cette proposition de loi.
Mme Sylvie Robert, rapporteure. - On ne peut que regretter que la médiation ait échoué. La proposition de loi doit servir à faire bouger les choses, qui ne doivent pas rester en l'état.
Le ministre des outre-mer, qui sera au banc, est favorable au texte. La position de blocage de principe n'est pas un bon signal. Les distributeurs vont déjà obtenir plus, et le taux de 35 % correspond à la moyenne : je ne vois donc pas quels arguments ils pourraient avancer. J'espère que la raison reviendra, et que les distributeurs comprendront que cette mesure sert leurs intérêts, comme ceux des exploitants, afin que les populations des outre-mer puissent continuer à voir des films dans les cinémas. Car c'est bien d'une question d'égalité territoriale qu'il s'agit.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.
Proposition de loi n° 506 (2022-2023) visant
à assurer la pérennité
des établissements de
spectacles cinématographiques
et l'accès au cinéma dans
les outre-mer