EXAMEN EN COMMISSION
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M. François Bonhomme, rapporteur. - La proposition de loi déposée par la présidente Catherine Deroche vient répondre aux attentes légitimes et anciennes des maires de territoires ruraux qui souhaitent accueillir un casino. Il s'agit plus précisément de Saumur et d'Arnac-Pompadour qui disposent d'équipements équestres ancestraux nécessitant de trouver rapidement des financements pour assurer leur pérennité.
En effet, depuis plusieurs années, l'État se désengage progressivement de la filière équestre laissant, bien souvent, les collectivités territoriales seules pour entretenir et financer les activités et les infrastructures de cette filière. Or ces équipements et les événements équins font à la fois partie du patrimoine de ces territoires et sont des atouts pour attirer les touristes.
Je rappelle que l'ouverture d'un casino municipal est par principe prohibée. En effet, depuis près de deux siècles, l'État encadre de manière très stricte les jeux d'argent et de hasard. Le principe général d'interdiction des jeux de hasard est issu de la loi du 21 mars 1836 portant prohibition des loteries. La violation de cette interdiction est d'ailleurs punie de trois ans d'emprisonnement et de 90 000 euros d'amende.
Cette interdiction est justifiée par des motifs d'intérêt général : la prévention des « risques d'atteinte à l'ordre public et à l'ordre social, notamment en matière de protection de la santé et des mineurs ».
Cependant, l'exploitation des casinos fait partie des exceptions anciennes au principe de prohibition. Son étendue a peu évolué au cours des dernières années. Depuis la loi du 15 juin 1907, l'ouverture de casinos est autorisée dans les sites thermaux. La loi du 5 mai 1987 a permis l'installation de machines à sous. Ces dispositions ont depuis été insérées dans le code de la sécurité intérieure.
Actuellement, les seules catégories de communes qui peuvent accueillir un casino de manière dérogatoire sont listées limitativement à l'article L. 321-1 du code de la sécurité intérieure. Il s'agit principalement des communes classées stations balnéaires, thermales, climatiques, de tourisme ou des villes principales d'agglomérations de plus de 500 000 habitants dotées d'établissements culturels spécifiques.
Par ailleurs, une particularité existe, depuis plus d'un siècle, pour la ville de Paris puisqu'il est interdit d'y exploiter un casino à moins de 100 kilomètres, exception faite pour la commune d'Enghien-les-Bains. Toutefois, jusqu'à la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, les cercles de jeux étaient autorisés à Paris. Depuis le 1er janvier 2018, la capitale expérimente l'exploitation de sept « clubs de jeux », expérimentation qui prendra fin le 31 décembre 2024.
En pratique, l'ouverture d'un casino municipal nécessite une double autorisation, à la fois municipale et ministérielle.
En premier lieu, le conseil municipal doit donner son autorisation à l'implantation d'un casino dans la commune, sous réserve de rentrer dans les critères légaux prévus à l'article L. 321-1 du code de la sécurité intérieure.
Outre le principe de l'installation d'un casino dans la commune, la délibération du conseil municipal doit également porter sur le contrat de délégation de service public qui va lier la société commerciale souhaitant exploiter le casino et la commune. Ce contrat doit comprendre un cahier des charges reprenant les obligations qui seront imposées au futur casinotier. Une des particularités de cette délégation de service public, qui ne peut excéder une durée de vingt ans, réside notamment dans les différents prélèvements opérés au bénéfice des communes sur le produit brut des jeux (PBJ) des casinos qu'elles accueillent.
D'une part, la commune bénéficie d'un revenu fiscal direct représentant entre zéro et 15 % du PBJ, ce taux étant négocié et fixé par le cahier des charges qui accompagne le contrat de délégation de service public. D'autre part, elle perçoit un reversement de 10 % du prélèvement opéré par l'État sur le PBJ. En outre, il est prévu une « participation-redevance spectacle » qui vise à financer l'organisation d'événements culturels ou artistiques au sein de la commune.
En second lieu, le ministère de l'intérieur doit délivrer une autorisation d'exploitation.
La société commerciale qui entend exploiter un casino doit présenter une demande d'autorisation d'exploitation au préfet du département d'implantation de l'établissement de jeux. Une enquête administrative est alors diligentée par les services du ministère de l'intérieur. Le préfet de département sollicité rend un avis qu'il transmet à son ministre de tutelle. La commission consultative des jeux de cercles et de casinos est ensuite saisie pour rendre un avis obligatoire, qui ne lie pas le ministre de l'intérieur dans sa décision d'autoriser ou non l'implantation du casino.
Le texte proposé comprend un article unique. Il vise à introduire une sixième hypothèse de dérogation au principe d'interdiction générale des jeux d'argent et de hasard qui serait fondée sur l'existence d'une infrastructure équestre et des événements hippiques organisés au sein de la commune.
Les auteurs du texte que j'ai entendus soulignent que les dérogations actuelles ne profitent qu'à certaines zones géographiques déjà dynamiques sur le plan touristique - bords de mer et territoires urbanisés -, alors que les territoires ruraux ne disposent pas des mêmes atouts. Ces derniers pourraient ainsi utilement bénéficier de l'ouverture de casinos pour accroître leur attrait touristique et leurs ressources financières. Les auteurs font également valoir que les communes disposant d'une activité équestre importante sont déjà en lien avec l'univers du jeu et des paris, de sorte que l'ouverture d'un casino viendrait compléter une offre touristique, liée aux jeux d'argent et de hasard, déjà existante.
Le critère proposé par le texte est double
en ce qu'il implique, pour la commune, de disposer sur son territoire de
« sites historiques du cadre noir et des haras
nationaux », d'une part, et d'avoir organisé
« au moins pendant cinq années avant le
1er janvier 2023, au moins dix événements
hippiques au rayonnement national ou international par an »,
d'autre part.
Seules deux communes seraient concernées par cette
nouvelle dérogation : Arnac-Pompadour et Saumur.
Les maires de ces deux communes m'ont fait part de manière précise des retombées de l'implantation d'un casino dans leur territoire. Saumur espère, par exemple, voir arriver entre 1,5 à 1,6 million de touristes par an d'ici à 2026, contre 1,3 million actuellement. Cette commune table également sur la création de 100 emplois directs ou indirects et des recettes fiscales annuelles de l'ordre de 1 à 1,5 million d'euros.
En outre, tant Saumur qu'Arnac-Pompadour ont mis en avant l'importance de l'arrivée d'un casino dans leur commune dans le but de financer l'activité équestre présente sur leur territoire ou à proximité. C'est le cas de l'hippodrome de Verrie, exploité pour les activités hippiques de Saumur, qui nécessite des investissements que l'État n'entend pas réaliser. Le maire d'Arnac-Pompadour estime, lui aussi, que les revenus dégagés par l'arrivée d'un casino permettraient d'assurer la « sauvegarde de l'attraction touristique équestre » compte tenu du désengagement financier de l'État dans ce domaine.
Ainsi, à l'issue de mes travaux et des différentes auditions menées, il m'apparaît nécessaire de permettre à cette proposition de loi de prospérer.
Cependant, il convient au préalable de renforcer l'opérationnalité du dispositif en ciblant mieux les communes susceptibles d'en bénéficier. En effet, il me semble pertinent de permettre aux communes disposant d'une activité équestre pluriséculaire d'accueillir un casino dans leur territoire.
En premier lieu, la proposition de loi prévoit une condition cumulative tenant à l'existence du site historique du Cadre noir et d'un haras national sur le territoire d'une même commune. Or cette condition n'est, dans les faits, remplie ni par Saumur ni par Arnac-Pompadour puisque la première accueille uniquement le site historique du Cadre noir et la seconde un haras national.
Je vous propose donc d'étendre le champ de la proposition de loi aux communes qui accueillent le site historique du Cadre noir ou un haras national. D'emblée, je tiens à vous rassurer en précisant que cette extension serait toutefois limitée dans la mesure où les haras nationaux sont, à ce jour, au nombre de treize selon les informations publiées par l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE). Je précise que cet établissement public est toujours propriétaire de trois d'entre eux, les dix autres haras ayant été acquis par des collectivités territoriales.
En second lieu, si Saumur et Arnac-Pompadour organisent annuellement de nombreux événements équestres, les événements dits hippiques - notion relative aux seules courses hippiques - ont lieu dans les hippodromes se trouvant sur le territoire de communes voisines. Dès lors, je vous propose de retenir le terme « équestre » qui renvoie à l'ensemble des activités relatives au monde du cheval et de l'équitation.
Néanmoins, afin de maintenir un lien étroit entre la commune, les activités hippiques et équestres et les paris sportifs qui y sont associés, il m'apparaît pertinent de retenir comme critère d'implantation la présence dans la commune du siège d'une société de courses hippiques, qui est une association à but non lucratif en charge d'organiser les courses dans un hippodrome.
Voilà le sens de l'amendement que j'entends soumettre à votre appréciation.
Avant de conclure mon intervention, je tiens à souligner que si je suis favorable à cette proposition de loi, c'est notamment eu égard à l'urgence de répondre aux difficultés actuelles de financement des activités et infrastructures équestres des communes de Saumur et d'Arnac-Pompadour. Il s'agit en effet d'une situation particulière que la proposition de loi entend régler. L'amendement que je vous propose vise également à assurer une égalité de traitement avec les communes disposant d'infrastructures similaires, sans toutefois déséquilibrer la filière des casinos sur l'ensemble du territoire en permettant l'ouverture de tels établissements dans toute la France.
Pour autant, il ressort de l'ensemble des auditions que j'ai menées qu'il est nécessaire d'envisager une réflexion plus globale sur les critères permettant l'installation d'un casino dans une commune. La fin de l'expérimentation relative aux clubs de jeux parisiens, prévue le 31 décembre 2024, doit permettre d'opérer une clarification et une remise à plat générale des règles gouvernant l'installation des casinos en France, dans le cadre d'un véhicule législatif adapté.
Enfin, je tiens à souligner que j'ai régulièrement échangé avec les auteurs de la proposition de loi en vue de l'élaboration de l'amendement que je vous soumets. Je les remercie chaleureusement pour leur disponibilité et la qualité de nos échanges pour formuler des pistes de solution équilibrées et consensuelles dans l'intérêt de nos communes.
Mme Nathalie Goulet. - L'intérêt général de ce texte est réduit aux acquêts... L'ouverture de casinos pose problème en cas de mauvaise évaluation des conséquences qu'elle entraîne. Je vous fais part d'un avis très sincère, mon département ayant à la fois un haras national et un casino. Dans d'autres départements, par exemple, la Haute-Savoie, l'ouverture d'un troisième casino a déstabilisé les deux premiers.
Je m'abstiendrai sur ce texte, qui vise seulement à régler un problème ponctuel.
Mme Cécile Cukierman. - Personne n'est dupe : il existe une appétence, parfois excessive, d'un certain nombre d'élus pour l'ouverture d'un casino pour compenser les baisses de dotations. Il faudrait mener une réflexion d'ensemble sur les règles d'implantation des casinos. La proposition de loi, qui prévoit d'ouvrir des casinos dans deux communes, ne répond pas à cet objectif.
J'ai entendu les propos du rapporteur sur les inégalités territoriales entre les communes, mais Saumur reçoit une dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de sept millions d'euros pour 26 000 habitants.
Notre groupe s'abstiendra sur ce texte.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'approche des élections sénatoriales développe la créativité des élus.
M. Loïc Hervé. - Pas à Paris !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mon cher collègue, ce n'est pas l'objet de notre discussion, mais je peux vous rappeler les raisons pour lesquelles Paris n'a pas de casino...
M. Mathieu Darnaud. - Mais il y a des cercles de jeux !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Notre groupe ne fait pas preuve d'un grand enthousiasme sur ce texte, mais l'encadrement qu'il prévoyait permettait de limiter l'ouverture de casinos à deux villes. L'amendement du rapporteur déstabilise le dispositif : quelles sont les communes concernées ?
Nous voterons contre la proposition de loi si la commission intègre l'amendement du rapporteur dans le texte.
M. Patrick Kanner. - Il est osé d'utiliser le casino comme antidote pour lutter contre la perte de moyens financiers ! J'ai travaillé sur la création d'un casino à Lille, une ville frontalière et touristique qui est au coeur d'une agglomération de 1,2 million d'habitants. Pierre Mauroy avait fait évoluer la législation pour rendre cette création possible, ce qui avait permis à d'autres grandes villes de faire de même. Ces ouvertures sont souvent très loin de répondre aux objectifs financiers imaginés par les villes concernées, car les casinotiers reversent aujourd'hui beaucoup moins d'argent qu'avant.
Nous considérons que l'amendement du rapporteur aggrave le texte. Si la filière équestre peut justifier la création de casinos, alors pourquoi ne pas permettre qu'il en aille de même dans les villes ayant un grand zoo, une équipe de Ligue 1, ou qui organise un championnat du monde de pêche aux canards ? On tire l'élastique très loin !
M. Éric Kerrouche. - Je vis dans une zone touristique dans laquelle la demande de casino a toujours été forte, mais ce texte nous montre que la dérogation tue la dérogation...
On peut comprendre la demande des deux communes concernées, qui cherchent à assurer leur développement touristique et économique. Mais il ne faudrait pas que les casinos deviennent les centres commerciaux du passé. Le nombre d'emplois promis est largement surévalué par rapport à la réalité. Les attentes des élus sont souvent déçues, sachant que l'économie des casinos est moins florissante qu'avant.
Autant on peut comprendre la demande initiale des communes concernées, autant on a du mal à appréhender la portée de l'amendement du rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Madame Goulet, le risque de déstabilisation existe certes dans ce genre d'opération. Pour les jeux de hasard et d'argent, c'est l'Autorité nationale des jeux qui a la main, sauf pour les casinos, qui relèvent du ministère de l'intérieur, via le service central des jeux, d'une part, et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, d'autre part. L'implantation des casinos est donc maîtrisée.
Un rapport de la Cour des comptes avait fait état d'une situation stabilisée des casinos depuis une vingtaine d'années. Leur nombre s'élève à 203, répartis géographiquement essentiellement dans les grandes villes et sur le littoral.
Mon amendement élargit le champ de la proposition de loi, car le critère cumulatif - haras national et Cadre noir - ne permettait pas de respecter l'intention des auteurs du texte. J'ai donc prévu un critère alternatif pour rendre le dispositif opérationnel.
La liste des sites potentiellement concernés est disponible sur le site Internet de l'Institut français du cheval et de l'équitation : il s'agit des haras de Saint-Lô, de Lamballe, du Pin, d'Hennebont, du Lion d'Angers, de la Roche-sur-Yon, de Pompadour, de Villeneuve-sur-Lot, d'Aurillac, de Pau-Gelos, d'Uzès, de Rosières-aux-Salines et de Cluny. Les communes concernées sont confrontées à un désengagement régulier de la filière des haras nationaux, qui ne leur permet plus d'entretenir les infrastructures.
Monsieur Kanner, le rapport de la Cour des comptes montre que le casino dont les ressources financières sont les plus élevées dans notre pays est celui de Lille, avec 42 millions d'euros par an. Mais il existe aussi de petits casinos, dont les recettes annuelles sont de l'ordre de 100 000 à 140 000 euros. Les situations sont donc très diverses.
Par ailleurs, je rappelle que les casinos sont historiquement liés aux paris hippiques sportifs.
Madame de La Gontrie, la loi sur le statut de Paris de 2017 a prévu l'expérimentation de sept cercles de jeux à Paris jusqu'au 31 décembre 2024.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas parlé de Paris !
M. François Bonhomme, rapporteur. - Le ministre avait alors évoqué la possibilité, à l'issue de cette expérimentation, de faire une remise à plat du dispositif.
M. Alain Richard. - Le financement de la filière équestre est assuré en partie par un reversement du produit du pari mutuel urbain (PMU). Le système paraissait équilibré : pourquoi la recette n'est-elle aujourd'hui plus suffisante ?
M. François Bonhomme, rapporteur. - Les haras ne sont plus financés par le PMU.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi inclut les dispositions relatives aux dérogations à la prohibition des jeux d'argent et de hasard qui permettent l'implantation d'un casino sur le territoire de certaines communes.
Il en est ainsi décidé.
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM- 1 rectifié bis vise à permettre l'ouverture de casinos dans les communes classées communes historiques dans un département frontalier.
Je suis défavorable à cet amendement, dont l'adoption pourrait conduire à déséquilibrer la filière des casinos. Par ailleurs, le critère retenu ne paraît pas pertinent.
L'amendement COM-1 rectifié bis n'est pas adopté.
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM- 2 prévoit un critère alternatif, et non cumulatif, pour respecter l'intention poursuivie par les auteurs du texte.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
Mme JOSEPH |
1 rect. bis |
Ouverture de casinos dans les communes classées communes historiques dans un département frontalier. |
Rejeté |
M. BONHOMME, rapporteur |
2 |
Ouverture de casinos dans les communes dotées du site historique du Cadre noir ou d'un haras national. |
Adopté |