- L'ESSENTIEL
- EXAMEN DES ARTICLES
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3, DU
RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTIONS
ÉCRITES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 477
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2023
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur
la proposition de loi relative
à la
maîtrise de l'organisation
algorithmique du travail,
Par Mme Cathy APOURCEAU-POLY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
770 (2021-2022) et 478 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
La proposition de loi propose d'encadrer le recours aux algorithmes dans l'organisation du travail en renforçant la responsabilité des employeurs et la protection des salariés. Elle introduit une distinction entre les opérateurs de mise en relation et les plateformes d'emploi qui exercent un contrôle sur les éléments essentiels de la relation qui les lient avec les travailleurs.
La commission ne l'a pas adoptée.
*
* *
I. LA GESTION ALGORITHMIQUE DU TRAVAIL, UNE RÉALITÉ DÉJÀ PRÉSENTE ET PORTEUSE DE RISQUES
A. UN NOUVEAU MODÈLE D'ORGANISATION DU TRAVAIL INTRODUIT PAR LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES
L'apparition des plateformes numériques n'a pas seulement entraîné une rupture technologique en permettant à une multitude d'acteurs d'être mis en relation en temps réel via une application. Elle a aussi initié un bouleversement des relations de travail du fait du recours à des algorithmes pour organiser le travail humain.
Ces plateformes sont organisées selon des modèles très divers, notamment au regard de la relation qu'elles entretiennent avec les travailleurs et avec leurs clients. Dans les secteurs de la mobilité - conduite de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) et livraison de marchandises -, les travailleurs, formellement indépendants, sont soumis à un degré élevé de contrôle et à une nouvelle forme de dépendance : s'ils peuvent choisir à quel moment ils se connectent ou non à l'application, ils sont en réalité privés d'autonomie dans la réalisation de leur prestation.
Ces travailleurs, souvent précaires et contraints de recourir à ces formes d'emploi, cumulent les fragilités : bas revenus, protection sociale incomplète et exposition aux risques professionnels. Ils sont de surcroît mis en compétition permanente par les algorithmes.
Le Bureau international du travail (BIT) distingue cinq éléments constitutifs du « management algorithmique » : la surveillance constante, l'évaluation permanente des performances, l'application automatique des décisions sans intervention humaine, l'interaction des travailleurs avec un système et la faible transparence des algorithmes.
B. UNE « PLATEFORMISATION » QUI CONCERNE L'ENSEMBLE DE L'ÉCONOMIE
Ce modèle n'est plus concentré dans quelques secteurs mais a vocation à se généraliser à l'ensemble du monde du travail. En effet, les algorithmes sont déjà de plus en plus utilisés pour gérer les ressources humaines au sein des entreprises. L'intelligence artificielle (IA) peut ainsi intervenir dans les processus de recrutement, la gestion des évolutions de carrière ou l'évaluation des salariés.
Si elle permet des gains de productivité, cette gestion algorithmique du travail est porteuse de risques pour les travailleurs : surveillance abusive et généralisée, perte d'autonomie, discriminations, risques psycho-sociaux1(*). Elle tend à déresponsabiliser les employeurs et à priver les acteurs du dialogue social de leur rôle en matière de détermination des conditions de travail.
Les risques sont d'autant plus importants que le fonctionnement des algorithmes peut échapper aux employeurs eux-mêmes, qui ont souvent recours à des solutions technologiques développées en externe.
Dans son rapport du 29 septembre 2021 sur « l'uberisation de la société »2(*), Pascal Savoldelli a ainsi préconisé d'engager une réflexion pour adapter le droit du travail aux spécificités du management algorithmique et à ses conséquences sur les conditions de travail.
II. ADAPTER LE DROIT DU TRAVAIL POUR LIMITER LES DÉRIVES ET LES BIAIS LIÉS À L'USAGE D'ALGORITHMES
A. RESPONSABILISER LES EMPLOYEURS ET PROTÉGER LES SALARIÉS FACE À L'UTILISATION DES ALGORITHMES
Si les algorithmes constituent une aide considérable pour améliorer l'organisation des entreprises et exonérer les travailleurs de tâches parfois répétitives et contraignantes, ils doivent être encadrés et contrôlés lorsqu'ils sont utilisés à des fins d'organisation du travail.
D'une part, les travailleurs doivent être informés de l'utilisation de ces outils et avoir accès à leurs modalités de fonctionnement, dès lors qu'ils affectent leurs conditions de travail. D'autre part, l'utilisation d'algorithmes doit être considérée comme un simple outil d'aide à la décision de l'employeur qui doit demeurer entièrement responsable des décisions qu'il prend dans l'entreprise.
L'utilisation d'algorithmes doit être considérée comme un simple outil d'aide à la décision de l'employeur qui doit demeurer entièrement responsable des décisions qu'il prend.
À cette fin, l'article 1er de la proposition de loi inscrit les décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques parmi les décisions relevant de leur pouvoir de direction. Il prévoit de renforcer l'accessibilité du contenu des décisions et d'informer le salarié des motivations des décisions le concernant. Il permet au salarié de demander qu'une nouvelle décision soit prise par un être humain à la suite d'un recours contre une décision résultant de l'utilisation d'algorithmes.
B. ASSURER LA RESPECT DU PRINCIPE DE NON-DISCRIMINATION DANS L'UTILISATION DES ALGORITHMES
Ayant pour but d'opérer des tris de données et de proposer des recommandations en fonction d'un ensemble de données, les algorithmes peuvent conduire à des discriminations des travailleurs contraires à la loi. Les discriminations induites par l'usage des algorithmes peuvent résulter des critères fixés dès la construction de l'algorithme mais aussi du traitement des données opéré par l'algorithme pour formuler un tri ou une recommandation.
Une telle situation peut notamment se produire en matière de recrutement : en 2017, l'entreprise Amazon a dû renoncer à l'utilisation d'un algorithme pour le recrutement de salariés, car il induisait une discrimination à l'embauche en privilégiant les hommes aux femmes. Le logiciel s'appuyait sur une base de données recensant les curriculum vitae reçus par l'entreprise depuis dix ans. Cette base comprenant une grande majorité de curriculum vitae d'hommes, l'algorithme en a déduit que les candidats masculins étaient préférables et rejetait les candidatures féminines3(*).
Face à de tels risques, il est nécessaire que l'employeur soit responsable des outils technologiques sur lesquels il s'appuie pour le recrutement ou la gestion des salariés dans l'entreprise.
La protection des travailleurs contre toutes les formes de discriminations au travail ne saurait être affaiblie par l'utilisation d'outils technologiques pour l'organisation des entreprises.
En conséquence l'article 2 de la proposition de loi pose le principe selon lequel, en cas de litige portant sur une discrimination au travail, l'employeur doit apporter la preuve que les outils qu'il utilise ne sont pas source de discriminations. À cette fin, il étend la procédure contentieuse sur les discriminations au travail aux litiges portant sur les décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques.
III. METTRE EN LUMIÈRE LA SUBORDINATION DES TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES
A. L'ABSENCE DE RÉPONSE SATISFAISANTE À L' « UBERISATION »
Bien qu'elles se présentent comme de simples intermédiaires, mettant en relation des travailleurs indépendants avec des clients, certaines plateformes jouent un rôle essentiel dans l'organisation des prestations qu'elles proposent. C'est notamment le cas des plateformes exerçant dans les secteurs de la mobilité. Les travailleurs recourant à ces plateformes ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de leur prestation ni de définir les conditions de sa réalisation : ceux-ci sont déterminés par un algorithme dont ils ne connaissent pas les paramètres.
L'ambiguïté de la qualification des travailleurs des plateformes donne lieu à un contentieux abondant, auquel la réponse des juridictions n'est pas univoque. Plusieurs décisions de la Cour de cassation ont penché dans le sens de la requalification en salariés de livreurs à vélo ou de chauffeurs de VTC (Take Eat Easy, 28 novembre 2018 ; Uber, 4 mars 2020). Toutefois, les plateformes modifiant régulièrement leurs algorithmes et leurs conditions d'utilisation, ces décisions n'apportent pas de réponse définitive à la question du statut de ces travailleurs, ce qui permet à ces acteurs d'échapper à un plus large mouvement de requalification.
À défaut de leur reconnaître le statut de salarié, le législateur a progressivement octroyé, depuis 2016, des droits spécifiques aux travailleurs de plateformes en prévoyant que, lorsqu'une plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service et fixe son prix, elle a une « responsabilité sociale » à l'égard des travailleurs indépendants recourant à ses services.
En particulier, la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et les ordonnances du 21 avril 2021 et du 6 avril 2022 ont posé le cadre d'un dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes dans les secteurs de la mobilité.
Nombre de travailleurs des plateformes de VTC et de livraison appelés à élire leurs représentants en 2022 |
Revenu minimum par course négocié par les chauffeurs de VTC4(*) |
des travailleurs de plateformes de l'UE gagnent moins que le salaire horaire net du pays dans lequel ils travaillent5(*) |
Les sujets négociés dans ce cadre, qu'il s'agisse de la rémunération des travailleurs ou du contrôle des algorithmes, sont essentiels. Toutefois, les droits spécifiques qui ont été progressivement accordés à ces travailleurs ont avant tout eu pour effet de les enfermer dans un statut d'indépendant « amélioré » et de conforter le modèle des plateformes, lequel repose sur le contournement du droit du travail et le dumping social. Or, le statut d'indépendant n'est pas adapté à la situation des travailleurs précaires, qu'ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, et ne correspond pas à la réalité des relations entre ces travailleurs et les plateformes.
B. LA PROPOSITION DE QUALIFIER JURIDIQUEMENT LES PLATEFORMES ALLANT AU-DELÀ DE LA MISE EN RELATION
Afin de conforter le mouvement jurisprudentiel en faveur de la requalification de certains travailleurs de plateformes, l'article 3 vise à introduire une distinction entre, d'une part, les véritables opérateurs de mise en relation et, d'autre part, les plateformes d'emploi qui exercent un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation qui les lient avec les travailleurs. En conséquence, un travailleur opérant en lien avec une telle plateforme devrait relever, sous le contrôle du juge, d'une relation de travail salarié et non du régime de la responsabilité sociale des plateformes. Il pourrait ainsi prétendre au bénéfice d'une rémunération horaire minimale, d'un encadrement des ruptures ainsi que d'une protection sociale appropriée.
Réunie le mercredi 29 mars 2023 sous la présidence de Catherine Deroche, la commission n'a pas adopté la proposition de loi, considérant qu'elle n'apporte pas de garanties supplémentaires aux travailleurs et qu'il est prématuré de légiférer alors que des travaux sont en cours au niveau européen. La discussion en séance publique portera sur le texte déposé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article
premier
Encadrement de la décision de l'employeur exprimée par
des moyens technologiques
Cet article propose de faire des décisions affectant les travailleurs et prises au moyen d'outils technologiques ou de traitement automatisé des décisions relevant du pouvoir de direction de l'employeur, dont le contenu et les règles doivent être accessibles aux travailleurs et susceptibles de recours afin d'obtenir de l'employeur qu'une nouvelle décision soit prise sans traitement automatisé.
La commission n'a pas adopté cet article.
I - Le dispositif proposé
Le présent article crée deux nouveaux articles L. 1223-3-1 et L. 1223-3-2 au sein du code du travail.
L'article L. 1223-3-1 prévoit tout d'abord que relèvent du pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur les décisions qu'il prend par des moyens technologiques et qui affectent les travailleurs. Il dispose ainsi que « toute décision, ensemble de décisions ou système d'aide à la décision exprimé partiellement ou totalement par des moyens technologiques ou traitements automatisés dans le cadre d'un service organisé et produisant des impacts sur les comportements, les choix ou les situations juridiques des travailleurs relève du pouvoir de direction et du pouvoir de contrôle de l'employeur ».
Cet article définit, dans son deuxième alinéa, ces décisions comme étant « les processus ayant pour objet de choisir entre plusieurs actions ou abstentions à l'égard d'une ou plusieurs personnes concernées ».
Il pose enfin, en son troisième alinéa, le principe selon lequel « aucune sanction disciplinaire ne saurait être prononcée par l'employeur par application automatique d'un résultat obtenu par algorithme ».
Le pouvoir de direction de l'employeur
La notion de pouvoir de direction de l'employeur ne figure pas dans le code du travail, sa définition et son étendue résultant d'une construction jurisprudentielle.
Le pouvoir de direction de l'employeur correspond au pouvoir de diriger son entreprise, d'édicter un règlement intérieur, de contrôler et surveiller l'activité des salariés, de les sanctionner en cas de manquement professionnel.
Il résulte du lien de subordination et de la liberté d'entreprendre et permet à l'employeur de gérer seul l'entreprise et ses salariés. À ce titre, c'est lui qui embauche, qui négocie les rémunérations, qui affecte les salariés à leur poste, qui détermine et modifie seul les conditions de travail, qui contrôle le travail effectué par les salariés, donne des ordres, impose la date des congés payés, surveille les salariés, etc6(*).
Le pouvoir de direction de l'employeur est limité par les règles posées par le code du travail (dialogue social obligatoire en entreprise, procédures de licenciement, etc.) et par les droits et obligations posées dans le contrat de travail qui lient l'employeur et le salarié. Le pouvoir de direction de l'employeur lui permet ainsi d'ajuster les conditions de travail du salarié dans la mesure où ces ajustements ne constituent pas une modification du contrat de travail. La modification des horaires de travail du salarié peut ainsi constituer une simple modification des conditions de travail du salarié relevant du pouvoir de direction de l'employeur (Cass, Soc, 16 mai 2000, n° 97-42256 ; Cass, Soc, 2 avril 2014, n° 13-11060) alors que le passage d'un horaire continu à un horaire discontinu ou d'un horaire de jour à un horaire de nuit entraîne la modification du contrat de travail (Cass, Soc, 18 déc. 2000, n° 98-42885 ; Cass, Soc, 5 juin 2001 n° 98-44782) qui doit être acceptée par le salarié.
Parmi les prérogatives de l'employeur figure le pouvoir de sanction, qui comprend toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération7(*). En matière disciplinaire, l'employeur est tenu de respecter un ensemble de garanties procédurales. Le code du travail prévoit qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui8(*). Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié. La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé9(*). Les décisions de sanction ou de licenciement sont susceptibles de recours devant le conseil de prud'hommes10(*).
L'article L. 1223-3-2 prévoit que le contenu d'une décision qui entre dans le champ de la définition posée par l'article L. 1223-3-1, faisant grief, est accessible pour les personnes concernées et accompagnée au besoin d'une explication rédigée dans un langage simple et clair.
Il est précisé que « les décisions individuelles en constituent la simple exécution ».
En son deuxième alinéa, l'article L. 1223-3-2 prévoit qu'il est communiqué au travailleur concerné, à sa demande, l'état des critères employés pour produire la décision individuelle qui lui est opposée, de manière qu'il puisse vérifier que la décision-cadre entendue au sens de l'article L. 1222-3-1 lui a été appliquée sans erreur.
Il est précisé, au troisième alinéa, que la décision est accompagnée d'une motivation individuelle pouvant être elle-même produite par des moyens technologiques ou traitements automatisés.
L'information des salariés sur les outils utilisés par l'employeur pour le recrutement et la gestion des ressources humaines dans le droit actuel (extraits du code du travail)
Article L. 1221-8
Le candidat à un emploi est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard.
Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d'aide au recrutement ou d'évaluation des candidats à un emploi doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie.
Article L. 1221-9
Aucune information concernant personnellement un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.
Article L. 1222-3
Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelle mises en oeuvre à son égard.
Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie.
Article L. 1222-4
Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.
Le quatrième alinéa crée un régime de recours contre ces décisions de l'employeur. Il prévoit que, après avoir pris connaissance de la décision et de la motivation qui l'accompagne, la personne concernée a le droit de former un recours. Aux termes de cet alinéa, la personne est alors invitée par l'employeur à présenter des observations écrites en soutien de sa cause. Ensuite, une nouvelle décision motivée doit être prise par un être humain, qui remplace entièrement la première. Il est enfin précisé que « les motivations de la décision humaine ne peuvent s'appuyer sur les résultats du traitement automatisé opaque ».
Règlement général sur la protection des données (RGPD)11(*)
Article 22
Décision individuelle automatisée, y compris le profilage12(*)
1. La personne concernée a le droit de ne pas faire l'objet d'une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l'affectant de manière significative de façon similaire.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas lorsque la décision :
a) est nécessaire à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat entre la personne concernée et un responsable du traitement ;
b) est autorisée par le droit de l'Union ou le droit de l'État membre auquel le responsable du traitement est soumis et qui prévoit également des mesures appropriées pour la sauvegarde des droits et libertés et des intérêts légitimes de la personne concernée ; ou
c) est fondée sur le consentement explicite de la personne concernée.
3. Dans les cas visés au paragraphe 2, points a) et c), le responsable du traitement met en oeuvre des mesures appropriées pour la sauvegarde des droits et libertés et des intérêts légitimes de la personne concernée, au moins du droit de la personne concernée d'obtenir une intervention humaine de la part du responsable du traitement, d'exprimer son point de vue et de contester la décision.
4. Les décisions visées au paragraphe 2 ne peuvent être fondées sur les catégories particulières de données à caractère personnel visées à l'article 9, paragraphe 1, à moins que l'article 9, paragraphe 2, point a) ou g), ne s'applique et que des mesures appropriées pour la sauvegarde des droits et libertés et des intérêts légitimes de la personne concernée ne soient en place.
Le dernier alinéa définit ce qu'est une décision opaque en prévoyant que « une décision au sens du même article L. 1222-3-1 est considérée comme opaque lorsque le travailleur est privé d'une description exhaustive des règles qui lui sont appliquées, que ce soit par choix ou en conséquence des techniques employées, de la technologie ou du traitement automatisé ».
II - La position de la commission
Pour le recrutement de salariés, l'organisation du travail et la gestion des ressources humaines, les entreprises tendent à recourir de manière croissante à des algorithmes permettant d'opérer de façon automatisée des tris et des sélections de données et de proposer des décisions à leur utilisateur.
La rapporteure considère que si ces outils constituent une aide considérable pour améliorer l'organisation des entreprises et exonérer les travailleurs de tâches parfois répétitives et contraignantes, ils doivent être encadrés et contrôlés lorsqu'ils sont utilisés à des fins d'organisation du travail.
En effet, l'utilisation des algorithmes pour la gestion des ressources humaines tend à éloigner l'employeur du salarié, générant des incompréhensions et, parfois, des discriminations contraires à la loi. Elle présente le risque de déresponsabiliser les employeurs et d'écarter les acteurs du dialogue social de l'organisation de l'entreprise et de la détermination des conditions de travail.
La nécessité de contrôler l'utilisation des algorithmes comme outil de management et d'organisation du travail emporte plusieurs types de conséquences. D'une part, les travailleurs doivent être informés de l'utilisation de ces outils et avoir accès à leurs modalités de fonctionnement, dès lors qu'ils affectent leurs conditions de travail. D'autre part, l'utilisation d'algorithmes doit être considérée comme un simple outil d'aide à la décision de l'employeur qui doit demeurer entièrement responsable des décisions qu'il prend dans l'entreprise.
Dès lors, la rapporteure soutient le dispositif proposé en ce qu'il inscrit les décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques parmi les décisions relevant de leur pouvoir de direction. Les dispositions visant à garantir aux salariés l'accessibilité du contenu des décisions, à connaître les motivations des décisions les concernant et à pouvoir demander qu'une nouvelle décision soit prise par un être humain à la suite d'un recours sont de nature à encadrer le management algorithmique et à prévenir ses potentielles dérives. Elles intègrent ainsi le recours aux algorithmes aux règles qui régissent les relations entre employeurs et salariés, afin de préserver la protection des travailleurs face aux nouvelles modalités de management.
La commission a considéré que le dispositif proposé n'apportait pas de garanties supplémentaires aux travailleurs car l'employeur est déjà responsable des décisions qu'il prend même lorsqu'il a recours à des moyens technologiques.
La commission a supprimé cet article.
Article 2
Lutte
contre les discriminations résultant des décisions des employeurs
prises à l'aide de moyens technologiques
Cet article propose que les décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques ou par un traitement automatisé soient soumises aux règles de procédure contentieuse applicables en matière de discriminations au travail, faisant peser la charge de la preuve sur le défendeur.
La commission n'a pas adopté cet article
I - Le dispositif proposé
A. Le principe de non-discrimination en droit du travail
L'article L. 1132-1 du code du travail pose le principe de non-discrimination en droit du travail.
Cet article dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte.
Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations
Article 1er
Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.
Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.
La discrimination inclut :
1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;
2° Le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2.
Article 4
Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Le fait que la victime ait seulement poursuivi l'objectif de démontrer l'existence d'un agissement ou d'une injonction discriminatoire n'exclut pas, en cas de préjudice causé à cette personne, la responsabilité de la partie défenderesse.
Le présent article ne s'applique pas devant les juridictions pénales.
Aux termes de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives aux discriminations en droit du travail, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En conséquence, en matière de discrimination, la charge de la preuve pèse sur le défendeur, le demandeur n'ayant qu'à présenter des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination.
Le présent article entend rendre ce régime applicable aux décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques, définies à l'article 1er de la présente proposition de loi.
B. L'extension de la procédure contentieuse sur les discriminations au travail aux litiges portant sur les décisions des employeurs prise à l'aide de moyens technologiques
À cette fin, le présent article propose de créer un article L. 1134-1-1 au sein du code du travail qui prévoit que lorsque survient un litige faisant suite à une décision de l'employeur au sens de l'article L. 1222-3-1, créé par l'article 1er de la proposition de loi, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Il précise qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
II - La position de la commission
L'utilisation d'outils de traitement automatisé de données à des fins de recrutement ou de gestion des ressources humaines peut être source de discriminations au sein des entreprises. Les algorithmes ayant pour but d'opérer des sélections ou des tris de données, de proposer des recommandations en fonction d'un ensemble de possibilités ou de données, ils peuvent conduire à des discriminations des travailleurs contraires à la loi.
Les discriminations induites par l'usage des algorithmes peuvent résulter des critères fixés dès la construction de l'algorithme mais aussi du traitement des données opéré par l'algorithme pour formuler un tri ou une recommandation.
Une telle situation peut notamment se produire en matière de recrutement : en 2017, l'entreprise Amazon a dû renoncer à l'utilisation d'un algorithme pour le recrutement de salariés, cet algorithme induisant une discrimination à l'embauche en privilégiant les hommes aux femmes. Le logiciel s'appuyait sur une base de données recensant les curriculum vitae reçus par l'entreprise depuis dix ans. Cette base comprenant une grande majorité de curriculum vitae d'hommes, l'algorithme en a déduit que les candidats masculins étaient préférables et rejetait les candidatures féminines13(*).
Face à de tels risques, il est nécessaire que l'employeur soit responsable des outils technologiques sur lesquels il s'appuie pour le recrutement ou la gestion des salariés dans l'entreprise. Or, la plupart des entreprises utilisent des logiciels qu'elles achètent à des prestataires externes, sans connaître leur fonctionnement. Les algorithmes utilisés peuvent alors être sources de discriminations à l'insu même de l'employeur.
La rapporteure considère que la protection des travailleurs contre toutes les formes de discriminations au travail ne saurait être affaiblie par l'utilisation d'outils technologiques dans l'organisation des entreprises. Il est donc nécessaire de poser le principe selon lequel, en cas de litige portant sur une discrimination au travail, l'employeur doit apporter la preuve que les outils qu'il utilise ne sont pas source de discriminations. C'est pourquoi elle soutient le dispositif proposé par le présent article.
La commission a considéré que le dispositif proposé était satisfait par le droit en vigueur, la procédure relative au contentieux des discriminations au travail pouvant s'appliquer aux recours contre les décisions des employeurs prises à l'aide d'outils technologiques.
La commission a supprimé cet article.
Article
3
Qualification juridique des opérateurs de plateforme
Cet article propose d'introduire une distinction entre les plateformes de mise en relation et les plateformes d'emploi.
La commission n'a pas adopté cet article.
I - Le dispositif proposé : une clarification de la définition légale des plateformes visant à préciser le statut des travailleurs
A. Des travailleurs dont la qualification est problématique
1. Des travailleurs présumés indépendants
L'article 242 bis du code général des impôts définit l'opérateur de plateforme comme une entreprise qui « met en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service ».
Par ailleurs, l'article L. 111-7 du code de la consommation qualifie d'opérateur de plateforme en ligne « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur : 1° Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service ». Ces opérateurs sont notamment tenus de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur le service qu'ils proposent.
Ainsi, toutes les plateformes n'ont pas pour objet la fourniture d'un service reposant sur une prestation effectuée par des travailleurs. Certaines sont basées sur le partage (comme Blablacar), d'autres sur la vente de biens ou de services par des particuliers (Le Bon Coin, Airbnb).
En revanche, d'autres plateformes ont pour objet de mettre en relation des travailleurs indépendants et des clients, entreprises ou particuliers. Elles exercent dans des secteurs variés : transport de personnes (Uber, Bolt), livraison de marchandises (Deliveroo, Uber Eats, Stuart), services à la personne (Helpling), emplois étudiants (StaffMe), métiers qualifiés du numérique (Malt) ou « micro-travail » (Amazon Mechanical Turk). Elles sont aussi organisées selon des modèles très divers, notamment au regard de la relation qu'elles entretiennent avec leurs partenaires ou contributeurs et avec leurs clients14(*).
Ces plateformes ont cependant pour point commun d'être en relation avec des travailleurs indépendants exerçant souvent sous le régime de la micro-entreprise. En vertu de l'article L. 8221-6 du code du travail, ceux-ci sont présumés ne pas être liés par un contrat de travail avec le donneur d'ordre, qu'il s'agisse de l'entreprise cliente ou de la plateforme elle-même.
Ce statut d'indépendant prive les travailleurs ayant recours aux plateformes des garanties attachées au salariat, notamment le salaire minimum, les garanties en matière de temps de travail et de droit au repos, le droit de participer à la détermination de leurs conditions de travail par l'intermédiaire de leurs représentants, l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, l'encadrement de la rupture de la relation de travail ou le droit à l'assurance chômage.
Il en résulte que, dans des activités non qualifiées comme la livraison à vélo, les travailleurs se trouvent dans une situation très précaire et cumulent les fragilités : bas revenus, protection sociale incomplète, isolement et exposition aux risques professionnels.
2. La valse-hésitation du juge de la requalification
Bien qu'elles se présentent comme de simples intermédiaires, les plateformes jouent parfois un rôle essentiel dans l'organisation des prestations qu'elles proposent. C'est notamment le cas des plateformes exerçant dans les secteurs de la mobilité : conduite de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et livraison de marchandises en véhicule à deux ou trois roues. Les travailleurs recourant à ces plateformes ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de leur prestation, qui est déterminé par un algorithme dont ils ne connaissent pas les paramètres, ni de définir les conditions de sa réalisation.
Or, la présomption d'indépendance des travailleurs n'est pas irréfragable : il appartient au juge de requalifier en relation salariée une activité économique lorsqu'il s'avère qu'il existe entre le donneur d'ordres et le travailleur un lien de subordination juridique, caractérisé par « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »15(*).
Pour apprécier l'existence d'un lien de subordination, le juge examine des éléments de fait : d'une part, l'autorité et le contrôle exercés par le donneur d'ordres et, d'autre part, les conditions matérielles d'exercice de l'activité (lieux de travail, horaires, fourniture de matériel...). Le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé peut constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
L'ambiguïté de la qualification des travailleurs des plateformes a donné lieu à un contentieux abondant, auquel la réponse des juridictions n'est pas univoque.
Un mouvement jurisprudentiel en faveur de la requalification dont la portée n'est pas absolue
Plusieurs décisions emblématiques de la Cour de cassation ont tranché dans le sens de la requalification en salariés de livreurs à vélo ou de chauffeurs de VTC. Dans un arrêt du 28 novembre 2018, faisant application de sa jurisprudence classique, elle a requalifié en contrat de travail la relation entre un livreur travaillant sur la plateforme de livraison de repas Take Eat Easy, aujourd'hui disparue, en retenant, d'une part, l'existence d'un système de géolocalisation permettant la comptabilisation du nombre de kilomètres parcourus et, d'autre part, l'existence d'un pouvoir de sanction. Dans un arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société Uber contre un arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait requalifié sa relation avec un de ses chauffeurs. Les juges de la cour d'appel avaient estimé que le statut de travailleur indépendant du chauffeur était « fictif » dans la mesure où la société Uber lui adressait des directives, en contrôlait l'exécution et avait exercé un pouvoir de sanction.
Le 25 janvier 2023, la Cour de cassation a annulé un arrêt de la cour d'appel de Lyon et reconnu à nouveau l'existence d'un lien de subordination entre Uber et l'un de ses chauffeurs, constatant l'existence d'un pouvoir de direction, de contrôle de l'exécution de la prestation ainsi que d'un pouvoir de sanction de la plateforme à l'égard du travailleur16(*).
Dans le champ de la lutte contre le travail dissimulé, la plateforme Deliveroo a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris, le 1er septembre 2022, à régler à l'Urssaf plus de 9,6 millions d'euros d'arriérés de cotisations et contributions sociales pour l'emploi en Île-de-France de 2 286 livreurs en tant que travailleurs indépendants entre avril 2015 et septembre 2016.
Toutefois, ces décisions n'ont pas de portée plus générale que les circonstances de l'espèce. Intervenant avec plusieurs années de décalage par rapport aux faits, elles laissent le temps aux plateformes de modifier leurs algorithmes et leurs conditions d'utilisation afin d'échapper à un plus large mouvement de requalification. De ce fait, de nombreux jugements rendus par les conseils de prud'hommes et les arrêts rendus par les cours d'appel continuent à rejeter les demandes de requalification de travailleurs de plateformes. Le 5 avril 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé, concernant une plateforme de « micro-tâches », que « n'exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination le particulier qui accepte, par l'intermédiaire d'une plate-forme numérique gérée par une société, d'exécuter des missions [...] dès lors qu'il est libre d'abandonner en cours d'exécution les missions proposées, qu'il ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l'exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l'exécution de ses directives et d'en sanctionner les manquements »17(*).
La chambre sociale a elle-même jugé, le 13 avril 2022, que l'arrêt de la cour d'appel de Lyon reconnaissant un lien de subordination entre la plateforme LeCab et un chauffeur de VTC était fondé sur « des motifs insuffisants à caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement » par la plateforme18(*).
La question du statut des travailleurs de plateformes reste donc irrésolue. Le même débat se pose dans l'ensemble des pays européens, même si les réponses peuvent différer (cf. encadré ci-dessous). Au niveau de l'Union européenne, une proposition de directive de la Commission européenne donne actuellement lieu à une négociation sur la reconnaissance d'une présomption réfragable de salariat pour certains de ces travailleurs19(*).
En Espagne, une loi prévoyant une présomption de salariat pour les livreurs à vélo
En Espagne, le décret-loi royal 9/2021 de mars 2021, dit « loi Riders », est entré en vigueur en août 2021. S'appliquant aux 60 000 livreurs à domicile à deux roues, ce texte apporte deux garanties nouvelles : une présomption de salariat pour les livreurs qui effectuent leur travail pour une entreprise gérée par un algorithme ou sur une plateforme numérique, et un droit d'accès des travailleurs à l'algorithme.
Les plateformes ont répondu à cette évolution législative de plusieurs manières : si Deliveroo a quitté le marché espagnol, Uber Eats a choisi de sous-traiter en employant ses livreurs via des sociétés intermédiaires. De nouveaux acteurs sont également entrés sur le marché en se pliant à la nouvelle législation20(*).
3. La construction progressive d'un statut alternatif
a) La reconnaissance d'une responsabilité sociale des plateformes
A défaut de leur reconnaître le statut de salarié, le législateur a progressivement octroyé, depuis 2016, des droits spécifiques aux travailleurs de plateformes.
La loi du 8 août 2016, dite loi « El Khomri »21(*), a introduit dans la septième partie du code du travail, relative aux formes particulières d'emploi bénéficiant de certaines des protections du salariat, un nouveau titre applicable aux « travailleurs indépendants recourant, pour l'exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique » relevant de l'article 242 bis du code général des impôts22(*).
Ces dispositions prévoient que, lorsqu'une plateforme « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix », elle a une « responsabilité sociale » à l'égard des travailleurs indépendants recourant à ses services23(*).
Cette responsabilité sociale se traduit par la prise en charge par la plateforme des cotisations d'assurance volontaire contre le risque d'accident du travail24(*), de la contribution formation professionnelle ainsi que des frais d'accompagnement à la validation des acquis de l'expérience (VAE)25(*). Le travailleur ne peut toutefois bénéficier de ces prises en charge que s'il a réalisé sur la plateforme un chiffre d'affaires au moins égal à 13 % du plafond annuel de la sécurité sociale26(*).
La loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM)27(*) a complété ces dispositions en prévoyant notamment l'abondement du compte personnel de formation (CPF) des travailleurs par les plateformes sur lesquelles ils réalisent un chiffre d'affaires supérieur à un seuil déterminé28(*). Toutefois, les conditions de cet abondement n'ont toujours pas été précisées par décret.
Cette loi a également prévu un droit d'accès des travailleurs aux données personnelles relatives à leur activité sur les plateformes29(*).
b) La construction d'un statut spécifique pour les travailleurs des plateformes de mobilité
La LOM du 24 décembre 2019 a introduit dans le code du travail des dispositions spécifiques à deux secteurs :
- la conduite de voiture de transport avec chauffeur (VTC) ;
- la livraison de marchandises en véhicule à deux ou trois roues.
Cette loi a notamment prévu la possibilité pour les plateformes d'établir une charte déterminant les conditions et modalités d'exercice de leur responsabilité sociale30(*). Une telle charte a vocation à préciser, dans le respect des dispositions législatives applicables, les droits et obligations des travailleurs indépendants en relation avec chaque plateforme. Il est précisé que l'existence d'une telle charte, si elle est homologuée par l'autorité administrative, « ne [peut] caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs ». Toutefois, le fait pour une plateforme d'édicter une charte et d'en respecter le contenu ne saurait faire obstacle à une requalification en contrat de travail de sa relation avec un travailleur indépendant si le juge constate l'existence d'un lien de subordination31(*).
Cette loi a également introduit dans le code des transports de nouveaux droits pour les travailleurs des secteurs des VTC et de la livraison :
- le droit de se voir communiquer par la plateforme, avant chaque prestation, la distance couverte et le prix garanti, ainsi que celui de refuser une proposition de prestation32(*) ;
- le libre choix des plages horaires d'activité et des périodes d'inactivité33(*).
Elle oblige également les plateformes à publier des indicateurs liés à l'activité et aux revenus des travailleurs34(*). Cette obligation, précisée par un décret en Conseil d'État, est en vigueur depuis le 1er mars 202235(*).
L'ordonnance du 6 avril 202236(*) a complété ces dispositions afin de renforcer l'autonomie des travailleurs des plateformes de mobilité.
Elle a en particulier précisé que, pour l'exécution de leurs prestations, les travailleurs :
- ne peuvent se voir imposer l'utilisation d'un matériel ou d'un équipement déterminé, sous réserve des obligations légales et réglementaires en matière notamment de santé, de sécurité et de préservation de l'environnement ;
- ont le droit de recourir, simultanément, à plusieurs plateformes de mise en relation ou de commercialiser, sans intermédiaire, les services de transport qu'ils exécutent ;
- déterminent librement leur itinéraire au regard notamment des conditions de circulation, de l'itinéraire proposé par la plateforme et le cas échéant du choix du client.
Il est précisé que l'exercice de ces droits ne peut, sauf abus, engager la responsabilité contractuelle des travailleurs, constituer un motif de suspension ou de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les pénalisant dans l'exercice de leur activité. En revanche, ces dispositions ne font pas obstacle au recours à une application dédiée mise à disposition par la plateforme37(*).
c) La définition du cadre d'un dialogue social entre plateformes et travailleurs indépendants
La loi « El Khomri » du 8 août 2016 avait reconnu aux travailleurs de plateformes un embryon de droits collectifs. Elle avait ainsi inscrit dans le code du travail une forme de droit de grève pour les travailleurs indépendants ayant recours à une plateforme. Les « mouvements de refus concerté » de fournir leurs services en vue de défendre leurs revendications professionnelles ne peuvent ainsi être un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes ni justifier des mesures les pénalisant dans l'exercice de leur activité38(*).
De même, et bien qu'il s'agisse d'une liberté fondamentale, le législateur avait souhaité affirmer le droit pour ces travailleurs de constituer une organisation syndicale39(*).
Par la suite, la LOM du 24 décembre 2019 a habilité le Gouvernement à déterminer par ordonnance les modalités de représentation des travailleurs de plateformes, ouvrant la voie à la création inédite d'un dialogue social impliquant des travailleurs indépendants.
Sur ce fondement, l'ordonnance du 21 avril 2021 a défini les conditions de la représentation, au niveau sectoriel, des travailleurs de plateformes opérant dans les secteurs de la conduite de VTC et de la livraison40(*). Sur le modèle de la représentativité des organisations syndicales de salariés, la représentativité des organisations représentant les travailleurs est ainsi établie d'après une série de critères cumulatifs, notamment celui de l'audience, appréciée au regard des suffrages exprimés dans le cadre d'une élection41(*).
Ce scrutin sera organisé tous les quatre ans par un établissement public de régulation créé par cette ordonnance, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE)42(*). Sont électeurs les travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique qui justifient d'une ancienneté de trois mois d'exercice de leur activité dans le secteur économique considéré43(*).
Prise sur l'habilitation de la loi du 7 février 202244(*), l'ordonnance du 6 avril 2022 a complété la mise en place d'un dialogue social de secteur en prévoyant les modalités de représentation de ces plateformes, en définissant les règles de la négociation d'accords collectifs au sein de chaque secteur et en complétant les missions de l'ARPE45(*).
La représentativité des organisations de plateformes
Comme pour les organisations d'employeurs, la représentativité des organisations professionnelles de plateformes au niveau d'un secteur donné est déterminée au regard de critères cumulatifs46(*).
Le plus déterminant est celui de l'audience, mesurée tous les quatre ans, qui s'apprécie en tenant compte :
- à hauteur de 30 %, du nombre de travailleurs des plateformes adhérentes à l'organisation candidate rapporté au nombre total de travailleurs des plateformes adhérentes aux organisations candidates du secteur remplissant des conditions d'ancienneté et de nombre de prestations réalisées ;
- à hauteur de 70 %, du montant des revenus d'activité générés par les plateformes adhérentes à l'organisation candidate, rapporté au montant total des revenus générés par les plateformes adhérentes à l'ensemble des organisations candidates du secteur.
Les règles de la négociation d'accords de secteur
Pour être valide, un accord collectif de secteur doit être signé par au moins une organisation professionnelle de plateformes reconnue représentative et par une ou plusieurs organisations de travailleurs reconnues représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur des organisations reconnues représentatives et ne doit avoir rencontré l'opposition d'une ou plusieurs organisations représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés par ces mêmes organisations47(*).
À la manière d'un accord de branche étendu, les stipulations d'un tel accord de secteur peuvent être rendues obligatoires pour toutes les plateformes et leurs travailleurs compris dans son champ d'application par décision d'homologation prise par l'ARPE au nom de l'État. Pour pouvoir être homologués, l'accord ne doit pas faire l'objet de l'opposition écrite et motivée d'une ou de plusieurs organisations professionnelles de plateformes reconnues représentatives dont le poids au niveau du secteur est de plus de 50 %48(*).
L'ordonnance du 6 avril 2022 a également prévu des négociations obligatoires au niveau de chaque secteur. En particulier, une négociation doit être engagée au moins une fois par an sur un ou plusieurs des thèmes suivants :
- les modalités de détermination des revenus des travailleurs, y compris le prix de leur prestation de service ;
- les conditions d'exercice de l'activité professionnelle des travailleurs, et notamment l'encadrement de leur temps d'activité ainsi que les effets des algorithmes et des changements les affectant sur les modalités d'accomplissement des prestations ;
- la prévention des risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité ainsi que les dommages causés à des tiers ;
- les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels49(*).
Une négociation peut également être engagée au niveau de chaque secteur sur tout autre thème relatif aux conditions de travail et d'exercice de l'activité, notamment les modalités d'échanges d'informations entre la plateforme et les travailleurs sur l'organisation de leurs relations commerciales, les modalités de contrôle par la plateforme de l'activité du travailleur indépendant et de la réalisation de la prestation lui incombant, les circonstances pouvant conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur indépendant ainsi que les garanties dont l'intéressé bénéficie dans ce cas, ou encore la protection sociale complémentaire50(*).
d) La négociation de droits nouveaux pour les travailleurs de plateformes
Le premier scrutin pour désigner les représentants des quelque 120 000 travailleurs des plateformes de livraison et de VTC a été organisé du 9 au 16 mai 2022. Par dérogation, les organisations devaient recueillir au moins 5 % des suffrages exprimés pour être reconnues représentatives (ce seuil étant fixé à 8 % pour les mesures de l'audience ultérieures).
La participation des travailleurs à ce processus électoral a été très faible : seuls 1,83 % des livreurs et 3,91 % des chauffeurs VTC ont participé au scrutin. Les résultats sont retracés dans le tableau ci-après51(*).
Le prochain scrutin aura lieu, par dérogation, en 2024, puis les élections auront lieu tous les quatre ans.
Résultats de la mesure de l'audience de 2022 dans les secteurs de la conduite de VTC et la livraison de marchandises
Secteur |
Organisations reconnues représentatives |
Poids relatif |
Conduite de VTC |
Association des VTC de France (AVF) |
42,81 % |
UNION-Indépendants |
11,51 % |
|
Association des Chauffeurs Indépendants Lyonnais (ACIL) |
11,44 % |
|
Force Ouvrière (FO) |
9,19 % |
|
Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE) |
8,98 % |
|
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) |
8,84 % |
|
Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) |
7,23 % |
|
Livraison de marchandises |
Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE) |
33,97 % |
Confédération générale du travail (CGT) |
32,58 % |
|
UNION-Indépendants |
26,66 % |
|
Fédération SUD commerces et Services (SUD-Commerces) |
6,79 % |
S'agissant de la représentation des plateformes :
- une organisation, l'Association de plateformes d'indépendants (API), a été reconnue représentative dans le secteur de la livraison de marchandises ;
- deux organisations, l'API et la Fédération française du transport de personnes sur réservation (FFTPR), ont été reconnues représentatives dans le secteur de la conduite de VTC. Leur poids est, respectivement, de 60,53 % et de 39,47 %. Seule l'API dispose donc d'un droit d'opposition à l'homologation d'un accord.
Les acteurs ainsi reconnus représentatifs ont engagé, dans le cadre de l'ARPE, des négociations qui ont déjà abouti à de premiers accords.
Dans le secteur de la conduite de VTC, un accord a ainsi été conclu le 18 janvier 2023 afin de fixer un revenu minimal par course. Il stipule que chaque prestation, quelle que soit sa durée ou la distance parcourue, donne lieu au versement par la plateforme d'un revenu d'activité qui ne peut être inférieur à 7,65 euros52(*). Cet accord a été rendu obligatoire pour toutes les plateformes et leurs travailleurs indépendants compris dans son champ d'application par décision d'homologation de l'ARPE du 17 mars 202353(*).
Dans ce cadre, des négociations sont en cours sur la mise en place d'une procédure claire concernant les déconnexions et la limitation des décisions de rupture ou de suspension prises par des algorithmes.
B. La proposition de distinguer les plateformes d'emploi des plateformes de mise en relation
L'article 3 de la proposition de loi a pour objectif de conforter le mouvement jurisprudentiel en faveur de la requalification de certains travailleurs de plateformes en introduisant une distinction entre les opérateurs de plateforme.
Le I modifie ainsi l'article L. 111-7 du code de la consommation afin de définir une nouvelle catégorie d'opérateur de plateforme en ligne reposant sur « un emploi », « lorsque le service repose sur une ou des prestations effectuées par des travailleurs et dont les éléments essentiels sont économiquement et juridiquement encadrés et contrôlés de manière unilatérale, notamment par des moyens technologiques ou traitement automatisés ». De telles plateformes ne seraient plus considérées comme des plateformes de mise en relation.
Le II tend à compléter l'article L. 7342-1 du code du travail, relatif à la responsabilité sociale des plateformes, afin de préciser qu'une plateforme n'est plus considérée comme opérateur de mise en relation « dès lors qu'elle exerce un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation de travail qui la lie avec le travailleur effectuant cette prestation, notamment par des moyens technologiques ou des traitement automatisés ».
En conséquence, un travailleur opérant en lien avec une telle plateforme devrait relever d'une relation de travail salarié et non du régime de la responsabilité sociale des plateformes.
La situation des travailleurs de plateformes « sans-papiers »
La précarisation des conditions de travail sur les plateformes de livraison de repas s'est accompagnée d'un recours croissant à des travailleurs étrangers, souvent « sans-papiers », par ces plateformes, notamment pour répondre à la hausse de la demande lors de l'épidémie de covid-19.
Dans ce contexte, les plateformes auraient accepté des milliers de livreurs dotés de titres de séjour permettant uniquement de circuler en Italie. Toutefois, à la suite de la signature en mars 2022 d'une charte relative à la lutte contre la fraude et la sous-traitance irrégulière par les plateformes de livraison, ces dernières ont massivement déconnecté des livreurs utilisant de tels titres de séjour.
En outre, les travailleurs de plateformes « sans-papiers » ne peuvent pas, faute de bulletins de salaire à leur nom, bénéficier des dispositions de la circulaire du 29 novembre 2012, dite « circulaire Valls », permettant la régularisation par le travail. Cette circulaire permet d'apprécier favorablement des demandes exceptionnelles de titre de séjour pour des étrangers justifiant d'une ancienneté au travail de huit mois, attestée par des bulletins de salaire.
Depuis septembre 2022, trois organisations de livreurs (le CLAP54(*), la CNT-SO55(*) et SUD-Commerces) demandent donc au ministre de l'Intérieur l'actualisation de la circulaire Valls de manière à inclure les factures et preuves de paiement émises par les plateformes dans la liste des pièces pouvant attester d'une activité professionnelle en France.
Afin de lutter contre le phénomène de sous-traitance à des étrangers en situation irrégulière, le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, déposé au Sénat le 1er février 2023, prévoyait dans son article 5 de conditionner l'accès au statut d'entrepreneur individuel à la détention d'un titre de séjour pour les étrangers ressortissants de pays non membres de l'Union européenne. La commission des lois du Sénat a supprimé cet article, considérant qu'il ne remplissait pas les objectifs poursuivis et comportait d'importants risques d'effets de bord56(*).
II - La position de la commission : le rejet de l'article contre l'avis de la rapporteure
La situation des travailleurs de plateformes est le résultat le plus visible de l'influence des algorithmes sur le monde du travail.
La rapporteure considère que les avancées obtenues dans le cadre du dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes ne sont pas négligeables et que les sujets négociés dans ce cadre, qu'il s'agisse de la rémunération des travailleurs ou du contrôle des algorithmes, sont essentiels. Toutefois, elle observe que les droits spécifiques qui ont été progressivement accordés à ces travailleurs ont avant tout eu pour effet de les enfermer dans un statut d'indépendant « amélioré » et de conforter le modèle des plateformes, lequel repose sur le contournement du droit du travail et le dumping social. Or, l'indépendance n'est pas adaptée à la situation des travailleurs précaires, qu'ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, et ne correspond pas à la réalité des relations entre ces travailleurs et les plateformes.
Afin que ces travailleurs bénéficient d'une rémunération horaire minimale, incluant les temps d'attente et les temps d'approche, ainsi que d'une protection sociale appropriée, il paraît possible de tendre, sur le modèle espagnol, vers une présomption de salariat. La rapporteure estime que cet article permet de progresser en ce sens, sans toutefois imposer le statut de salarié aux travailleurs qui désireraient conserver un statut d'indépendant.
La commission considère toutefois qu'il convient de dépasser le débat sur la qualification des travailleurs de plateformes et de poursuivre l'amélioration concrète des protections dont bénéficient ces travailleurs, en tenant compte des négociations en cours au niveau de l'Union européenne sur l'encadrement de leurs conditions d'emploi.
La commission a supprimé cet article.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 29 mars 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 770, 2021-2022) relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport de notre collègue Cathy Apourceau-Poly et du texte de la commission sur la proposition de loi de M. Pascal Savoldelli relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail.
Ce texte est inscrit à l'ordre du jour au sein de l'espace réservé du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) le jeudi 6 avril prochain.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - La proposition de loi de notre collègue Pascal Savoldelli aborde une réalité déjà bien présente et pourtant ignorée de notre droit du travail : l'utilisation de l'intelligence artificielle pour l'organisation du travail et la gestion de la main d'oeuvre.
Notre commission s'est déjà penchée à plusieurs reprises sur la situation des travailleurs qui ont recours, pour l'exercice de leur activité, à des plateformes numériques. L'apparition de ces plateformes n'a pas seulement entraîné une rupture technologique en permettant à une multitude d'acteurs d'être mis en relation en temps réel par l'intermédiaire d'une application. Elle a aussi initié un bouleversement des relations de travail du fait du recours à des algorithmes pour organiser le travail humain.
Ces plateformes sont organisées selon des modèles très divers, notamment au regard de la relation qu'elles entretiennent avec les travailleurs et avec leurs clients. Dans certains secteurs, notamment ceux de la conduite de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) et de la livraison de marchandises en véhicule à deux roues, les travailleurs, quoique formellement indépendants, sont soumis à un degré élevé de contrôle et à une nouvelle forme de dépendance. Même s'ils peuvent choisir de se connecter ou non à l'application et à quel moment ils le font, ils sont en réalité privés d'autonomie dans la réalisation de leur prestation.
Ces travailleurs, souvent précaires et contraints de recourir à ces formes d'emploi, cumulent les fragilités : de faibles revenus, une protection sociale incomplète, une absence de garanties en matière de temps de travail et de droit au repos, une forte exposition aux risques professionnels... Isolés, ils sont de surcroît mis en compétition permanente par les algorithmes. Ces derniers apparaissent dès lors comme des « boîtes noires » sur lesquelles les travailleurs n'ont aucune prise ni aucune visibilité.
Le Bureau international du travail distingue cinq éléments constitutifs du management algorithmique : la surveillance constante, l'évaluation permanente des performances, l'application automatique des décisions sans intervention humaine, l'interaction des travailleurs avec un système et la faible transparence des algorithmes.
Ce modèle n'est plus concentré dans quelques secteurs : cette « plateformisation » a vocation à se généraliser à l'ensemble du monde du travail. En effet, les algorithmes sont déjà de plus en plus utilisés pour gérer les ressources humaines au sein des entreprises. L'intelligence artificielle peut ainsi intervenir dans les processus de recrutement, la gestion des évolutions de carrière ou l'évaluation des salariés. Des logiciels sont par exemple proposés aux entreprises pour analyser et comparer les comportements des candidats à un poste lors des entretiens de recrutement.
Si elle permet des gains de productivité, cette gestion algorithmique du travail est porteuse de risques pour les travailleurs : un risque de surveillance abusive et généralisée, rendue possible par le déploiement de puissants outils de collecte et de traitement des données ; un risque de perte d'autonomie, lorsque les travailleurs voient leur travail déterminé par des processus informatiques qu'ils ne maîtrisent pas ; un risque de discriminations accrues du fait de l'opacité des critères de décision des algorithmes, ceux-ci reproduisant et amplifiant, malgré une apparente neutralité, les préjugés et les biais déjà présents dans le monde du travail ; des risques psychosociaux découlant du sentiment d'aliénation qui peut gagner les travailleurs.
En outre, cette gestion algorithmique tend à déresponsabiliser les employeurs et à priver les acteurs du dialogue social de leur rôle en matière de détermination des conditions de travail.
Les risques sont d'autant plus importants que le fonctionnement des algorithmes peut échapper aux employeurs eux-mêmes, qui ont souvent recours à des solutions technologiques développées en externe.
Dans son rapport d'information du 29 septembre 2021 sur l'ubérisation de la société, Pascal Savoldelli a considéré qu'un algorithme n'était pas seulement une suite d'opérations permettant de traiter des volumes importants de données, mais bien une « chaîne de responsabilité humaine » : quel que soit son degré d'automatisation, la gestion algorithmique engage la responsabilité de personnes auxquelles il devrait être possible de se référer. Il a ainsi préconisé de lancer une réflexion pour adapter le droit du travail aux spécificités du management algorithmique et à ses conséquences sur les conditions de travail.
La proposition de loi que nous examinons a pour objet de donner corps à cette conviction et de prévoir des solutions pour reprendre le contrôle de l'intelligence artificielle au travail.
Certes, les algorithmes constituent une aide considérable pour améliorer l'organisation des entreprises et exonérer les travailleurs de tâches parfois répétitives et contraignantes. Lorsqu'ils sont utilisés à des fins d'organisation du travail, ils devraient toutefois être encadrés et contrôlés.
D'une part, les travailleurs devraient être informés de l'utilisation de ces outils et avoir accès à leurs modalités de fonctionnement, dès lors qu'ils affectent leurs conditions de travail.
D'autre part, l'utilisation d'algorithmes devrait être considérée comme un simple outil d'aide à la décision de l'employeur, qui doit demeurer entièrement responsable des décisions qu'il prend dans l'entreprise.
À cette fin, l'article 1er de la proposition de loi inscrit les décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques parmi celles relevant de leur pouvoir de direction. Il prévoit de renforcer l'accessibilité du contenu des décisions et d'informer le salarié des motivations des décisions le concernant. Il permet au salarié de demander qu'une nouvelle décision soit prise par un être humain à la suite d'un recours contre une décision résultant de l'utilisation d'algorithmes.
Par ailleurs, l'article 2 vise à assurer le respect du principe de non-discrimination dans l'utilisation des algorithmes.
En effet, les algorithmes ayant pour but d'opérer des tris de données et de proposer des recommandations en fonction d'un ensemble de données, ils peuvent conduire à des discriminations des travailleurs contraires à la loi. Les discriminations induites par l'usage des algorithmes peuvent résulter des critères fixés dès la construction de l'algorithme, mais aussi du traitement des données opéré par l'algorithme pour formuler un tri ou une recommandation.
Une telle situation peut notamment se produire en matière de recrutement : en 2017, l'entreprise Amazon a dû renoncer à l'utilisation d'un algorithme pour le recrutement de salariés, car il induisait une discrimination à l'embauche en privilégiant les hommes aux femmes. Le logiciel s'appuyait sur une base de données recensant les curriculum vitae (CV) reçus par l'entreprise depuis dix ans. Cette base comprenant une grande majorité de CV d'hommes, l'algorithme en a déduit que les candidats masculins étaient préférables et rejetait les candidatures féminines.
Face à de tels risques, il est nécessaire que l'employeur soit responsable des outils technologiques sur lesquels il s'appuie pour le recrutement ou la gestion des salariés dans l'entreprise. La protection des travailleurs contre toutes les formes de discriminations au travail ne saurait être affaiblie par l'utilisation d'outils technologiques pour l'organisation des entreprises.
En conséquence, l'article 2 de la proposition de loi pose le principe selon lequel, en cas de litige portant sur une discrimination au travail, l'employeur doit apporter la preuve que les outils qu'il utilise ne sont pas source de discriminations. À cette fin, il étend la procédure contentieuse sur les discriminations au travail aux litiges portant sur les décisions des employeurs prises à l'aide de moyens technologiques.
La proposition de loi s'attache enfin à mettre en lumière la situation des travailleurs de plateformes, qui est le résultat le plus visible de l'influence des algorithmes sur le monde du travail.
Bien qu'elles se présentent comme de simples intermédiaires, mettant en relation des travailleurs indépendants avec des clients, certaines plateformes jouent un rôle essentiel dans l'organisation des prestations qu'elles proposent. C'est notamment le cas des plateformes exerçant dans les secteurs de la mobilité. Les travailleurs recourant à ces plateformes ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de leur prestation ni de définir les conditions de sa réalisation : ceux-ci sont déterminés par un algorithme dont ils ne connaissent pas les paramètres.
La question de la qualification juridique des travailleurs des plateformes est une question d'ordre public social. L'ambiguïté de leur situation donne lieu à un contentieux abondant, auquel la réponse des juridictions n'est pas univoque.
Plusieurs décisions de la Cour de cassation ont penché dans le sens de la requalification en salariés de livreurs à vélo ou de chauffeurs de VTC : les plus retentissantes sont celles du 28 novembre 2018 concernant l'ancienne plateforme de livraison Take Eat Easy et du 4 mars 2020 concernant Uber. Toutefois, ces décisions n'ont pas de portée plus générale que les circonstances de l'espèce. Intervenant avec plusieurs années de décalage par rapport aux faits, elles laissent le temps aux plateformes de modifier leurs algorithmes et leurs conditions d'utilisation afin d'échapper à un plus large mouvement de requalification.
À défaut de leur reconnaître le statut de salarié, le législateur a progressivement octroyé, depuis 2016, des droits spécifiques aux travailleurs de plateformes en prévoyant que, lorsqu'une plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service et fixe son prix, elle a une responsabilité sociale à l'égard des travailleurs indépendants recourant à ses services.
En particulier, la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et les ordonnances du 21 avril 2021 et du 6 avril 2022 ont posé le cadre d'un dialogue social d'un nouveau genre entre travailleurs indépendants et plateformes dans les secteurs de la mobilité.
Les premières avancées obtenues dans le cadre de ce dialogue social, notamment la fixation d'un tarif minimal par course pour les chauffeurs VTC, ne sont pas négligeables et les sujets négociés dans ce cadre, qu'il s'agisse de la rémunération des travailleurs ou du contrôle des algorithmes, sont essentiels.
Toutefois, les droits spécifiques qui ont été progressivement accordés à ces travailleurs ont surtout eu pour effet de les enfermer dans un statut d'indépendant amélioré et de conforter le modèle des plateformes, lequel repose sur le contournement du droit du travail et le dumping social.
Ces réponses à l'« uberisation » ne sont donc pas à la hauteur : le statut d'indépendant n'est pas adapté à la situation des travailleurs précaires, qu'ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, et ne correspond pas à la réalité des relations entre ces travailleurs et les plateformes.
Si le même débat existe dans toute l'Europe, d'autres pays y ont apporté des réponses plus audacieuses. En Espagne, la loi Riders, entrée en vigueur en août 2021, apporte deux garanties nouvelles : une présomption de salariat pour les livreurs à deux roues qui effectuent leur travail via une plateforme numérique et un droit d'accès des travailleurs à l'algorithme.
Au niveau de l'Union européenne, une proposition de directive sur la reconnaissance d'une présomption irréfragable de salariat pour certains de ces travailleurs est en cours de négociation.
Pour que ces travailleurs puissent bénéficier d'une rémunération horaire minimale, d'un encadrement des ruptures, ainsi que d'une protection sociale appropriée, il semble donc possible de faciliter, pour ceux qui le souhaitent - j'y insiste -, la reconnaissance de leur lien de subordination avec les plateformes.
Afin de conforter la dynamique jurisprudentielle en faveur de la requalification de certains travailleurs de plateformes, l'article 3 de la présente proposition de loi vise à introduire une distinction entre, d'une part, les véritables opérateurs de mise en relation et, d'autre part, les plateformes d'emploi qui exercent un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation, qui les lient aux travailleurs.
En conséquence, un travailleur opérant en lien avec une telle plateforme devrait relever, sous le contrôle du juge, d'une relation de travail salarié et non du régime de la responsabilité sociale des plateformes.
Face à l'opacité du management algorithmique, ce texte esquisse un droit des travailleurs à une intervention humaine. Il vise à améliorer la transparence de nouveaux modes d'organisation du travail, ainsi qu'à responsabiliser les employeurs. Il offre enfin un moyen d'action aux travailleurs ubérisés, qui sont les plus exposés aux dangers liés aux algorithmes.
C'est pourquoi je demande à la commission de bien vouloir l'adopter.
Pour finir, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé à ce stade, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives au régime juridique des décisions prises par les employeurs à l'égard des salariés à l'aide de moyens technologiques ou de systèmes de traitement automatisé de données, à la procédure applicable aux litiges fondés sur la méconnaissance par un employeur des dispositions relatives aux discriminations au travail, et à la qualification juridique des opérateurs de plateforme.
Mme Frédérique Puissat. - Il est intéressant d'aborder la question des plateformes numériques sous un angle un peu différent. Je rappelle qu'il s'agit d'un secteur très disparate, dans la mesure où la nature des plateformes elle-même est très variée et où l'approche des usagers, qu'ils soient clients ou professionnels, fluctue beaucoup.
La présente proposition de loi nous permet de réfléchir à cet enjeu algorithmique, qui est à la fois très particulier et pas entièrement nouveau, puisqu'il existe depuis que les sciences mathématiques existent. Ce qui est inédit, en réalité, c'est l'existence d'un intermédiaire, la plateforme digitale, et l'importance qu'ont prise les algorithmes dans notre société.
Autre remarque, les enjeux algorithmiques ont trait à de très nombreux domaines et ne concernent pas que le monde du travail. Ainsi, j'écoutais l'autre jour un chercheur, qui affirmait avoir développé un programme permettant d'évaluer, trois à quatre ans à l'avance, le risque de survenue du cancer du sein chez les patientes.
Aujourd'hui, il nous appartient de répondre à plusieurs questions fondamentales : les algorithmes font-ils la loi ? Leur présence suffit-elle à requalifier en contrat de travail le lien actuel entre travailleurs indépendants et plateformes de mise en relation ?
Ce dernier sujet a déjà été abordé et ne fait pas consensus aujourd'hui, d'autant que les acteurs eux-mêmes, les travailleurs indépendants, sont partagés, certains voulant rester sous ce statut, d'autres non.
C'est pourquoi la requalification globale prévue par le texte conviendra peut-être à une majorité d'entre vous, mes chers collègues des groupes de l'opposition sénatoriale. La majorité sénatoriale défendra, pour sa part, comme elle le fait depuis toujours, une position plus nuancée sur le sujet, un peu différente de celle de Mme la rapporteure.
Mme Pascale Gruny. - Je considère que cette proposition de loi arrive, hélas, un peu trop tôt, car une proposition de directive européenne sur le statut de ces travailleurs est en cours de discussion et pourrait aboutir dans quelques mois lors de la présidence espagnole de l'Union européenne. Il serait dommage de voter un texte qui pourrait entrer en contradiction avec cette directive, voire être caduc d'ici quelques semaines.
Je signale par ailleurs que le débat sur les risques de surveillance par les algorithmes n'est pas nouveau. La même question s'était posée - certains s'en souviennent -lorsqu'il s'est agi de placer des GPS dans les camions pour contrôler les chauffeurs routiers.
Mme Corinne Féret. - Nous avons déjà beaucoup travaillé sur ce sujet, qui est pleinement d'actualité, avec Monique Lubin et Olivier Jacquin.
Selon une étude récente, l'intelligence artificielle menace non seulement des emplois de première ligne, pour reprendre l'expression consacrée, mais également de nombreux emplois de cadres. Il est donc nécessaire de légiférer. Notre groupe soutiendra cette proposition de loi.
M. Philippe Mouiller. - Cette proposition de loi sera l'occasion de débattre en séance publique d'un véritable sujet, qui soulève beaucoup de questions sur l'évolution du travail en général et sur la situation des salariés en particulier. Nous partageons les inquiétudes que vous avez soulevées.
En revanche, les dispositions de cette proposition de loi ne tendent pas, selon moi, à améliorer le cadre existant. Dans le droit actuel, l'algorithme n'exonère pas l'employeur de sa responsabilité - ce point est pourtant l'objet de l'article 1er. Le principe de non-discrimination, abordé dans l'article 2, est déjà inscrit dans le droit et il s'applique aux décisions algorithmiques - un certain nombre de juges ont été saisis dans ce domaine.
Au travers de l'article 3, il s'agit de requalifier le statut de certains travailleurs de plateforme en salariés. Or le juge intervient déjà en la matière. D'ailleurs, je crains que la rédaction de l'article 3 ne limite les pouvoirs du juge, en excluant un certain nombre de travailleurs de plateformes.
À mon sens, il s'agit d'un bon sujet, mais la proposition de loi ne répond pas aux problèmes soulevés ; au contraire, je crains qu'elle ne tende à créer une difficulté juridique. Aussi, le groupe Les Républicains émet un avis défavorable, tout en saluant l'initiative de nos collègues du groupe CRCE de soulever un tel débat.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je remercie Cathy Apourceau-Poly d'avoir permis, au travers de ses constats, de clarifier la situation des travailleurs des plateformes. Pour autant, la classification instaurée par l'article 3 est-elle opportune ?
Nous nous abstiendrons, même si chacun votera selon son choix en séance.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Ce sujet est l'occasion de réfléchir tous ensemble sur une question d'actualité.
Madame Gruny, nous avons déposé ce texte dans notre niche parlementaire non pas hier, mais voilà quelque temps ; nous savons que, depuis, une réflexion similaire a été menée à l'échelle européenne et notre proposition de loi n'est pas incompatible avec ses orientations. D'ailleurs, nous savons que la mise en application des directives prend beaucoup de temps à l'échelle nationale. Nous souhaitions mettre en évidence des sujets bien précis.
Madame Puissat, le développement de l'intelligence artificielle conduit à une prise de décisions sans intervention humaine. Nombre d'algorithmes sont achetés par les entreprises ; certaines ne les réadaptent pas à leurs services - cela me fait penser aux 248 éditeurs de fiches de paye, dont les modèles étaient presque tous différents, que nous avions découverts, avec René-Paul Savary, lors de notre mission d'information sur l'unification du recouvrement social ; d'autres entreprises font apparaître, par l'utilisation qu'ils en font, des biais potentiellement discriminatoires dans ces algorithmes, comme cela a été le cas chez Amazon.
L'article 3 n'a pas pour objet de requalifier les travailleurs de plateformes en salariés. En revanche, il pourrait éclairer le juge dans son analyse du faisceau d'indices permettant de conclure à la présence d'un lien de subordination.
Ces trois articles ne tendent pas à refonder le système des algorithmes. D'ailleurs, ces derniers ne sont pas l'apanage des plateformes. Ils sont utilisés dans la vie de tous les jours. Les algorithmes font partie de la vie quotidienne des travailleurs et pas seulement chez Amazon.
En ce qui concerne l'article 3, il ne vise pas de secteur particulier, mais des modes d'organisation. Il précise que les plateformes qui exercent un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation ne peuvent pas être considérées abusivement comme des plateformes de mise en relation.
Je remercie Corinne Féret pour ses propos. Le sujet est en effet d'actualité et c'est la raison pour laquelle nous l'avions inscrit il y a déjà plusieurs mois dans un espace réservé au groupe CRCE.
MM. Vanlerenberghe et Mouiller considèrent que le texte n'apporte pas grand-chose. Nous souhaitions néanmoins pouvoir débattre sur les algorithmes, qui font désormais partie de notre vie quotidienne. J'ai bien compris que cette proposition de loi ne serait pas votée, mais elle a le mérite de poser le problème et d'ouvrir le débat sur un sujet dont les enjeux sont en effet bien plus larges que ceux que traite le texte. La réflexion sur l'intelligence artificielle doit aussi se poursuivre à l'échelle de l'Union européenne.
M. Alain Milon. - J'ai écouté avec attention la rapporteure et ceux qui se sont exprimés. Pour moi, l'intelligence artificielle doit libérer l'homme du travail ; or il semble que pour l'instant elle asservisse de nombreux travailleurs. Par manque d'information, je préfère m'abstenir sur ce texte.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles 1er, 2 et 3
Les articles 1er, 2 et 3 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au septième alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3, DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 57(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie58(*).
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte59(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial60(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 29 mars 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 770 (2021-2022) relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail.
Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives :
- au régime juridique des décisions prises par les employeurs à l'égard des salariés à l'aide de moyens technologiques ou de systèmes de traitement automatisé de données ;
- à la procédure applicable aux litiges fondés sur la méconnaissance par un employeur des dispositions relatives aux discriminations au travail ;
- à la qualification juridique des opérateurs de plateforme.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES
· Direction générale du travail (DGT)
Nina Prunier, cheffe du bureau des relations individuelles du travail
Élodie Boceno, adjointe à la cheffe du bureau des relations individuelles du travail
· Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)
Anne-Marie Nicot, chargée de mission
Élisabeth Leblanc, chargée de mission
Vincent Mandinaud, chargé de mission
· #Leplusimportant
Mathias Dufour, président
Florian Forestier, directeur des études
Jérémie Giniaux-Kats, avocat à la Cour, directeur du pôle Management algorithmique
Christophe Gauthier, coordinateur du collectif Guildeur
· Confédération générale du travail (CGT)
Ludovic Rioux, secrétaire général du Syndicat des livreurs
· Union-Indépendants CFDT
Thomas Aonzo, président
· Fédération SUD-Commerces et Services
Laurent Degousée, référent plateformes
· Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (Fnae)
Grégoire Leclercq, président
· Antonio Casilli, enseignant-chercheur, Telecom Paris, Institut Polytechnique de Paris
· Emmanuel Netter, professeur de droit privé, Université d'Avignon
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
· Défenseur des droits
· Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil)
· Confédération française démocratique du travail (CFDT)
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-770.html
* 1 Cf. « Reprendre le contrôle de l'IA au travail : 24 propositions pour promouvoir un management algorithmique responsable » - Livre blanc, #Leplusimportant, février 2022.
* 2 Rapport d'information n° 867 (2020-2021) de M. Pascal Savoldelli, fait au nom de la mission d'information sur « l'uberisation de la société », déposé le 29 septembre 2021.
* 3 « Quand le logiciel de recrutement d'Amazon discrimine les femmes », Les Échos, 13 octobre 2018.
* 4 Accord du 18 janvier 2023 créant un revenu minimal par course dans le secteur des plateformes VTC.
* 5 Source : Commission européenne.
* 6 L. Fin-Langer, Fiches de Droit du travail, 2019, Ellipses.
* 7 Art. L. 1331-1 du code du travail.
* 8 Art. L. 1332-1 du code du travail.
* 9 Art. L. 1332-2 du code du travail.
* 10 Art. L. 1411-1 à L. 1411-6 du code du travail.
* 11 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.
* 12 Le profilage est défini à l'article 4 du RGPD. Il s'agit d'un traitement utilisant les données personnelles d'un individu en vue d'analyser et de prédire son comportement, comme par exemple déterminer ses performances au travail, sa situation financière, sa santé, ses préférences ou ses habitudes de vie.
* 13 « Quand le logiciel de recrutement d'Amazon discrimine les femmes », Les Échos, 13 octobre 2018.
* 14 Pour plus de précisions, voit le rapport d'information n° 452 (2019-2020) de M. Michel Forissier, Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 20 mai 2020, et le rapport d'information n° 867 (2020-2021) de M. Pascal Savoldelli, fait au nom de la mission d'information sur « l'uberisation de la société », déposé le 29 septembre 2021.
* 15 Cour de cassation, Chambre sociale, 13 novembre 1996, 94-13.187 (« Société Générale »).
* 16 Cour de cassation, Chambre sociale, 25 janvier 2023, n° 21-11.273.
* 17 Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 avril 2022, n° 20-81.775.
* 18 Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 avril 2022, n° 20-14.870.
* 19 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.
* 20 Cf. rapport d'information n° 27 (2022-2023) de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 5 octobre 2022, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.
* 21 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
* 22 Art. L. 7341-1 et suivants du code du travail.
* 23 Art. L. 7342-1 du code du travail.
* 24 Art. L. 7342-2 du code du travail.
* 25 Art. L. 7342-3 du code du travail.
* 26 Art. D. 7342-1 du code de la sécurité sociale.
* 27 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.
* 28 Art. L. 7342-3 (al. 3) du code du travail.
* 29 Art. L. 7342-7 du code du travail.
* 30 Art. L. 7342-9 du code du travail.
* 31 Cf. Conseil constitutionnel, décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019.
* 32 Art. L. 1326-2 du code des transports.
* 33 Art. L. 1326-4 du code des transports.
* 34 Art. L. 1326-3 du code des transports.
* 35 Décret n° 2021-501 du 22 avril 2021 relatif aux indicateurs d'activité des travailleurs ayant recours à des plateformes de mise en relation par voie électronique.
* 36 Ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l'autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi.
* 37 Art. L. 1326-4 du code des transports.
* 38 Art. L. 7342-5 du code du travail.
* 39 Art. L. 7342-6 du code du travail.
* 40 Ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation.
* 41 Art. L. 7343-3 du code du travail.
* 42 Art. L. 7343-5 du code du travail.
* 43 Art. L. 7343-7 du code du travail.
* 44 Loi n° 2022-139 du 7 février 2022 ratifiant l'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.
* 45 Ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l'autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi.
* 46 Art. L. 7343-22 du code du travail.
* 47 Art. L. 7343-29 du code du travail.
* 48 Art. L. 7343-49 du code du travail.
* 49 Art. L. 7343-36 du code du travail.
* 50 Art. L. 7343-37 du code du travail.
* 51 Cf. arrêté du 24 juin 2022 fixant la liste des organisations reconnues représentatives au niveau national pour le secteur des activités de livraison de marchandises au moyen d'un véhicule à deux ou trois roues motorisé ou non et arrêté du 24 juin 2022 fixant la liste des organisations reconnues représentatives au niveau national pour le secteur de conduite d'une voiture de transport avec chauffeur (VTC).
* 52 Le revenu d'activité pris en compte est le prix effectivement reçu par le chauffeur (toute taxe comprise, s'il y a lieu) au titre d'une course, déduction faite des frais de commission (exprimés hors taxe), lorsque la plateforme en prélève. Les primes le cas échéant versées par la plateforme au travailleur sont également intégrées dans le revenu d'activité. Les pourboires versés au travailleur par l'utilisateur final n'y sont pas intégrés.
* 53 Décision du 17 mars 2023 relative à l'homologation de l'accord du 18 janvier 2023 relatif au revenu minimal par course dans le secteur des plateformes VTC.
* 54 Collectif des livreurs autonomes de Paris.
* 55 Confédération Nationale des Travailleurs - Solidarité ouvrière.
* 56 Alors qu'il devait être examiné en séance publique à partir du mardi 28 mars 2023, ce texte a été retiré le 22 mars de l'ordre du jour du Sénat.
* 57 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 58 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 59 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 60 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.