TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITIONS
M. Pierre
Moscovici,
président du Haut Conseil des finances
Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons M. Pierre Moscovici, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), pour nous présenter l'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.
Il est accompagné de M. Éric Dubois, rapporteur général du HCFP, ainsi que de membres de l'équipe du secrétariat permanent du HCFP : Mme Axelle Lacan, M. Emmanuel Jessua et Mme Caroline Lebrun. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques . - Merci de votre invitation. J'ai toujours grand plaisir à venir devant vous.
Le HCFP est saisi en application de l'article 61 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances modifiée, pour donner ses éclairages sur trois points du PLFRSS : les prévisions macroéconomiques sur lesquelles il repose, le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, et la cohérence de son article liminaire au regard des orientations pluriannuelles définies dans le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP). Cela fait partie de nos attributions, même si à ce stade, la LPFP n'a pas été votée...
La saisine du Gouvernement, particulièrement étroite, ne porte que sur l'incidence de la réforme sur les finances publiques pour la seule année 2023. Au-delà ne nous ont été transmises que des informations très partielles en termes d'horizon - 2026 - ; en termes de champ - les comptes des seuls régimes de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), et non de l'ensemble des administrations publiques - et en termes d'explications sur le chiffrage des différents dispositifs.
Le Haut Conseil n'a pas été en mesure d'évaluer l'incidence de la réforme à moyen terme sur les finances publiques, alors que c'est un sujet décisif. Ce prisme annuel est regrettable au vu des conséquences d'une telle réforme sur le moyen et long terme et de la nécessité de l'expertise indépendante qu'offre le HCFP.
Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2023 nous semble toujours optimiste, même si les dernières informations économiques montrent pour l'instant une résilience plus forte que prévue de l'économie française - ce dont je me réjouis.
La réforme des retraites aura un impact très faible sur les finances publiques en 2023. Le HCFP n'a pas pu estimer sérieusement les conséquences à moyen terme sur les finances publiques, faute de disposer d'informations suffisantes.
Je commencerai par analyser la prévision macroéconomique. Le Gouvernement n'a pas modifié son scénario macroéconomique par rapport à celui de septembre dernier sur lequel reposaient les projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Pour 2023, le Gouvernement continue de prévoir un rythme de croissance du PIB de 1 %. Le HCFP avait alors estimé que cette prévision était un peu élevée, et fondée sur plusieurs hypothèses fragiles. Selon les informations conjoncturelles récentes, la croissance s'est essoufflée à la fin de l'année 2022 en raison de l'impact de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt sur la demande des ménages et les entreprises.
La prévision de 1 % du Gouvernement supposerait une accélération de l'activité durant l'année. Cette hypothèse ne peut être exclue, en raison de la résilience observée : l'emploi demeure dynamique, le risque de rupture des approvisionnements en électricité et en gaz paraît limité pour les prochains mois, les tensions sur les prix de l'énergie s'atténuent depuis l'été, et le ralentissement de l'économie allemande et de la zone euro apparaît moins prononcé qu'anticipé depuis l'automne - l'Allemagne devrait éviter une récession en 2023.
Néanmoins, cette hypothèse est optimiste. L'environnement international demeure défavorable en 2023, alors que le durcissement des politiques monétaires devrait se poursuivre, ainsi que Mme Lagarde l'a annoncé il y a deux jours pour la zone euro. Cela freinera la demande au cours des prochains trimestres. L'investissement pourrait pâtir de la hausse, plus forte qu'anticipée, des taux d'intérêt dans la zone euro dans un contexte d'incertitude élevée.
De fait, malgré des nouvelles moins mauvaises, la
prévision de croissance du Gouvernement se situe au-dessus de l'ensemble
des prévisions des instituts de conjoncture français et
internationaux ainsi que du consensus des économistes, qui, en janvier,
anticipait une croissance de 0,2 % en 2023
- 0,3 % selon la
Banque de France.
Cette prévision de croissance reste donc élevée, et justifiée par le Gouvernement par la résilience de l'économie française au troisième trimestre 2022 et par l'acquis de croissance pour 2023. Cependant, elle sous-estime les facteurs de freinage de l'activité, notamment le niveau élevé de l'inflation et le durcissement des politiques monétaires. Le Gouvernement prévoit toujours pour 2023 une hausse de l'indice des prix à la consommation de 4,2 % en moyenne annuelle, après une progression de 5,2 % en 2022. Les prévisions d'inflation restent dépendantes de l'évolution des prix énergétiques, difficile à anticiper. La fin de la remise sur les carburants au 31 décembre 2022, la revalorisation de 15 % en moyenne des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité sont des facteurs de hausse à court terme, alors que les baisses récentes des prix des marchés du gaz et du pétrole ont un effet inverse.
Le reflux anticipé de l'inflation par le Gouvernement semble néanmoins rapide. Cette prévision d'inflation pour 2023 est inférieure à la moyenne du consensus des économistes, qui est de 4,8 %. Elle suppose un net infléchissement par rapport aux tendances récentes. Or l'indexation du Smic et les hausses de salaire déjà négociées, ainsi que la hausse des prix de production et d'importation des produits alimentaires et manufacturés devraient continuer à soutenir l'inflation en 2023, selon les responsables de la grande distribution. Le HCFP considère donc que cette prévision d'inflation du Gouvernement pour 2023 est un peu faible.
Le Gouvernement a maintenu sa prévision d'une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 5 % en 2023. Sa prévision de croissance du salaire moyen nous semble faible, en lien avec la sous-estimation des perspectives de l'inflation. Il n'y a certes pas d'indexation entre les deux, mais inflation et masse salariale sont tout de même liées. Si l'inflation était plus élevée, on pourrait anticiper des hausses de salaire un peu plus élevées. Le HCFP estime donc que la prévision de masse salariale pour 2023 est un peu basse.
Le HCFP est chargé d'évaluer le réalisme des recettes et des dépenses du PLFRSS et de veiller à la cohérence du texte avec des orientations pluriannuelles des finances publiques. La loi organique ne permet pas au HCFP de se prononcer, car le projet de LPFP n'a pas été adopté. J'insiste lourdement : la France ne peut pas se passer d'une LPFP. C'est une obligation juridique, organique, européenne, et, surtout, un instrument de pilotage indispensable des finances publiques.
L'érosion progression des finances publiques françaises au sein de la zone euro et les investissements publics massifs nécessitent de redresser nos comptes publics. C'est atteignable sans austérité : l'effort doit être piloté sur plusieurs années pour être réaliste et pour préserver le potentiel de croissance de l'économie.
Je le redis : nous avons besoin de cette programmation pluriannuelle. J'appelle toutes les parties prenantes à adopter une telle loi dès que possible. Sans être alarmiste, son absence pose de nombreux problèmes juridiques, politiques, de pilotage, dont il serait dangereux de sous-estimer l'importance. L'absence de ce texte n'est pas anecdotique : elle est grave.
Sur le réalisme des dépenses et des recettes présentées dans le PLFRSS, le Gouvernement ne nous a transmis que les impacts de la réforme pour 2023. Les conséquences du PLFRSS sont faibles, avec un coût estimé par le Gouvernement de 0,4 milliard d'euros, soit une estimation réaliste. Ce coût résulte des économies réalisées par le décalage de trois mois du départ en retraite d'environ 50 000 personnes fin 2023, des recettes fiscales et des cotisations sociales supplémentaires liées à leur maintien dans l'emploi durant ces trois mois, et des dépenses supplémentaires entraînées par la réforme : hausse du minimum contributif - dont les conditions précises restent à déterminer -, mesures sur la pénibilité et l'usure professionnelle, mesures en faveur des transitions emploi-retraite. Mais les dépenses progressent plus vite que les recettes.
Le solde est prévu à 5 points de PIB en 2023. En septembre, le HCFP avait estimé que le déficit de 2023 risquait d'être plus dégradé que prévu, en raison d'une croissance plus faible. À ce jour, ce risque est contrebalancé par la baisse récente des prix de gros du gaz et de l'électricité, qui pourrait alléger le coût de l'ensemble du dispositif de soutien aux ménages et aux entreprises. Nous corrigeons notre appréciation au vu des bonnes nouvelles récentes.
Le HCFP n'a pas reçu d'informations suffisantes sur les impacts de plus long terme sur les finances publiques. Tout au plus avons-nous reçu l'annexe au PLFRSS portant sur 2023-2026. C'est regrettable. Comment le comprendre, alors que nos finances publiques ont plus que jamais besoin d'une gouvernance transparente et d'une expertise indépendante ? Je rappelle que le Haut Conseil a été créé par la loi organique de 2012.
Malgré ces manques, nous faisons un diagnostic non négligeable : la réforme des retraites ne devrait pas améliorer la trajectoire de dette présentée par le Gouvernement dans le projet de LPFP en septembre. Elle ne témoigne d'aucune ambition supplémentaire dans l'effort de redressement des finances publiques, alors que, selon l'avis rendu par le HCFP en septembre, la trajectoire présentée par le projet de LPFP était peu ambitieuse. En effet, l'inflexion envisagée était limitée et tardive : la dette amorçait sa décrue en 2027, alors que les hypothèses de croissance étaient optimistes. Cette trajectoire impliquait déjà une réforme des retraites. Les déficits des régimes de base de la sécurité sociale et du FSV entre 2023 et 2026 sont désormais un peu plus élevés que dans le PLFSS 2023. Les dépenses de retraite progressent, dans le PLFRSS, plus rapidement que prévu en septembre, en raison de l'intégration de mesures non encore envisagées, qui dégradent légèrement les comptes publics.
Il ne revient pas au président du HCFP de déterminer le contenu d'une réforme des retraites, son calendrier, les modalités d'accompagnement et de compensation. C'est la responsabilité du Gouvernement et du Parlement, en lien avec les partenaires sociaux. Mais, en France, le statu quo ne permettrait pas de garantir la soutenabilité de nos finances publiques. Celles-ci ont connu une dégradation sur une longue période, et il manque des marges de manoeuvre nécessaires pour faire face aux chocs et aux investissements publics dont le pays a besoin. Je ne jouerai pas les Cassandre, mais nous devons financer une montagne d'investissements et un mur de dette. Si les deux se font face, cela ne convient pas. Il faut organiser un système de vases communicants et retrouver des marges de manoeuvre sur la dette pour financer les investissements. Sans quoi, je ne sais pas comment nous ferons...
En 2001, la France est entrée dans la zone euro avec un ratio de dette dans la moyenne européenne, équivalent à celui de l'Allemagne : 58 points de PIB. Vingt ans plus tard, notre position relative s'est nettement dégradée. La dette de la Belgique, auparavant très élevée, a augmenté d'un point ; celle de l'Allemagne, de 10 points ; celle de l'Italie, de 41 points ; celle de la France, de 55 points ! Or cette dette n'est plus gratuite. Nous sommes sortis de l'ère des taux d'intérêt négatifs. Le taux d'intérêt à dix ans a retrouvé son niveau de 2012. Alors que la charge de la dette représentait 30 milliards d'euros en 2020, 35 milliards d'euros en 2021, le Gouvernement l'estime à 44 milliards d'euros en 2023. Cependant, la hausse des taux et l'inflation ne sont pas encore stoppés. Je le dis depuis des décennies : il n'y a pas de dépenses plus stériles ni plus stupides que la charge de la dette. Tout euro pour rembourser la dette manque pour n'importe quelle politique publique utile.
La France fait face à des besoins d'investissements publics majeurs dès aujourd'hui : elle doit rénover son système de santé, son système scolaire, financer ses dépenses militaires, produire des biens essentiels, investir dans la recherche et développement pour se maintenir dans la compétition mondiale - nous sommes en train de décrocher dans de nombreux secteurs, comme la santé. Nous devons investir dans les infrastructures pour nous adapter au changement climatique et réduire nos émissions de CO 2 . Si l'on passe son temps à rembourser la dette, comment investir ? L'état et la dynamique de nos dépenses publiques ne nous permettent pas de répondre à ces défis.
Réformer les retraites fait partie de l'effort collectif à entreprendre, mais cela ne suffira pas : la France doit améliorer ses comptes publics dans tous les secteurs, en recherchant la qualité de la dépense publique. Ce n'est pas chose facile, mais de nombreux pays ont réussi à réaliser ces revues de dépenses, et le ministre des finances a annoncé un tel exercice, nécessaire. La Cour des comptes et le HCFP participeront à ces Assises des finances publiques. Mais cela suppose une gouvernance, une raison d'être, un calendrier, une méthode, des objectifs clairs : cet exercice doit être continu et profond, et non une grand-messe.
Les défis actuels nous poussent à l'ambition et au sérieux budgétaire. Il y a quelques mois, le Royaume-Uni a connu des tensions inattendues sur sa dette : il faut donc agir dès aujourd'hui ! Sinon, nous nous exposons au risque qu'un jour arrive un accident, et qu'il faille couper drastiquement dans les dépenses ou relever fortement les impôts. Or il ne faut faire ni l'un ni l'autre, dans l'intérêt de notre pays. Anticipons et traitons maintenant le sujet de la dette et améliorons la qualité de notre dépense publique. Une réforme des retraites - à vous d'en déterminer le contenu - en fait partie.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci de ce tableau réaliste de nos finances publiques.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Merci pour ces propos très clairs, et qui rejoignent les éléments, parfois insuffisants, dont nous disposons. Nous sommes au pied du mur !
Nous aurions souhaité que le Gouvernement propose un PLFRSS en 2020, 2021 ou 2022, alors que nous devions décider de dépenses énormes. C'est paradoxal d'en examiner un désormais, alors que la trajectoire des finances sociales n'est que peu modifiée depuis notre vote de cet automne.
Le HCFP considère que la prévision de croissance du Gouvernement est optimiste. Le mouvement social lié à la réforme des retraites ne figure pas parmi les facteurs de risques, bien que les annonces de grèves et de blocages risquent de plomber l'économie. Ces grèves auront-elles un impact économique important ?
Comment le HCFP apprécie-t-il le caractère réaliste de la trajectoire financière pluriannuelle de la branche vieillesse, au vu de la réforme proposée ?
Existe-t-il une marge pour ajouter, en cours de navette parlementaire, quelques mesures « généreuses » ou d'atténuation de la réforme, afin d'obtenir un équilibre ?
À la frontière de vos compétences de Premier président de la Cour des comptes, estimez-vous opportun de jouer sur le levier de la solidarité interbranches, en particulier avec la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), pour boucler le financement de la réforme, ou considérez-vous que c'est un dévoiement ?
Je m'inquiète de la réaction des Français par rapport à la réforme. Il y a, certes, une montagne d'investissements, mais aussi des dépenses et une forte dette, que nous laisserons à nos enfants ; nous devons en être conscients.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Merci pour ce rapport très intéressant. La trajectoire du Gouvernement est fondée sur un scénario à 1 % de croissance et 4,5 % de chômage. On estime le déficit en 2070 à 13 ou 14 milliards d'euros. Mais avec un taux de chômage à 7 %, il se creusera à 19 milliards d'euros. Cette trajectoire est-elle la bonne ?
Même si le régime des retraites est équilibré en 2070 grâce à la réforme, il y aura encore des déficits importants, y compris pour le régime général. Est-ce inquiétant ? Il est prévu de prendre des mesures d'équilibre régulièrement. Alors que le taux de natalité baisse de plus en plus, que le nombre de cotisants diminue par rapport au nombre de retraités, que la durée de la retraite est de plus en plus longue, le système par répartition peut-il être remis en cause ?
Selon l'Agirc-Arrco, un autre élément n'a pas été pris en compte pour 2023 : plusieurs personnes en surcote vont vouloir liquider plus rapidement que prévu leur retraite, compte tenu des incertitudes de la réforme depuis trois mois. Le nombre de dossiers de liquidation est bien plus important que les années précédentes : cela aura un impact financier qui risque d'annuler les effets de la réforme dès 2023.
M. Pierre Moscovici . - Je suis ici en tant que président du HCFP, et non au titre de la Cour des comptes. Je pourrai revenir pour vous présenter le titre relatif aux finances publiques dans le rapport public annuel que je rendrai au Président de la République et au Parlement le 15 mars prochain, mais je m'en tiendrai ce matin à cette compétence limitée.
Nous disposons de très peu d'éléments. Les dispositions du PLFRSS réduisent le déficit de 13 milliards d'euros en 2030, et pas au-delà ; le déficit public se réduirait donc de 0,4 point de PIB, toutes choses égales par ailleurs à cet horizon. Les informations transmises au HCFP ne lui ont pas permis d'évaluer l'incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques, notamment sur les dépenses publiques. Le Gouvernement ne nous a pas précisé le nombre de personnes devant décaler leur départ ni le montant de leur retraite - a fortiori , il ne prévoit pas ceux qui anticipent...
En outre, le chiffrage du Gouvernement ne prend en compte que les effets mécaniques des mesures prévues ; il ne tient pas compte des dépenses supplémentaires annoncées sur l'invalidité, l'indemnité journalière, les indemnités chômage, l'allocation aux adultes handicapées (AAH) qui devraient découler du maintien, sur le marché du travail, de salariés âgés. À l'inverse, il ne mentionne pas le surcroît de recettes dû à la hausse du taux d'emploi aux âges élevés et au surcroît de production en résultant. Le gain dégagé par la réforme des retraites ne suffira pas, à lui seul, à restaurer des marges de manoeuvre suffisantes.
Ce n'est pas notre métier de mesurer l'impact des grèves, mais, en général, l'impact est peu élevé à court terme sur les finances publiques. Par exemple, les coûts du conflit du 1995 - le plus dur - se sont élevés à 0,1 point de PIB, ce qui est assez négligeable. Cet effet de court terme est souvent rattrapé ensuite. Depuis 1995, ces coûts ont tendance à se réduire et les mouvements sociaux s'organisent autrement. S'il y en a, ces effets sont très limités économiquement.
Enfin, je n'ai pas assez d'informations pour répondre pertinemment sur les marges de manoeuvre dont nous disposons.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Nous regrettons également le caractère incomplet des éléments transmis par le Gouvernement, qui ne permettent pas d'évaluer l'impact à moyen terme de la réforme. Nous naviguons à vue.
Vous êtes certes tenu à évaluer les impacts de la réforme sur le système des retraites, mais vous n'avez pas élargi l'étude en mesurant notamment les dépenses supplémentaires sur le chômage ou le revenu de solidarité active (RSA) induites par la réforme - le Conseil d'orientation des retraites (COR) indique que le report de l'âge légal de 62 ans à 64 ans implique une hausse de 3,9 milliards d'euros des dépenses des prestations hors retraites. Même si cela ne relevait pas de la commande qui vous a été passée, il s'agit là d'un point aveugle de votre rapport.
Vous estimez que le départ à la retraite de 50 000 personnes sera décalé cette année, nonobstant ce que vous avez indiqué concernant les personnes qui ne surcotisent plus, le mécanisme des surcotes étant écrasé par cette réforme. Vous avez calculé les recettes induites par les cotisations de ces 50 000 personnes, mais, parmi ces personnes, combien sont en emploi ? Combien sont au chômage ? Combien sont en inactivité, ni en emploi ni en retraite ?
M. Bernard Jomier . - Vous avez longuement insisté sur la nécessité d'avoir une loi de programmation des finances publiques, mais cette loi est politique. Nous avons tenté de débattre avec le Gouvernement de la structure de la dépense publique, qui a augmenté et demande des investissements lourds. Or la part relative au financement de nos services publics s'est réduite, y compris pour des fonctions régaliennes comme la justice, qui sont en grande difficulté, ainsi que les installations ferroviaires, par exemple, alors que les transferts vers les entreprises et les ménages ont très fortement augmenté. Nous avons tenté d'ouvrir ce débat lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Le Conseil d'analyse économique lui-même souligne que, si certains transferts vers les entreprises sont utiles pour l'emploi, d'autres sont inefficaces. Pourtant, il n'est pas possible de mener ce débat, et le Gouvernement ferme la porte à toute évolution en la matière. Vous en conviendrez, il est difficile pour des assemblées politiques d'approuver des lois de programmation des finances publiques sans discuter de la structure de la dépense publique.
Par ailleurs, si les dépenses pour la compétitivité ont été importantes ces vingt dernières années, notamment en ce qui concerne les exonérations en direction des entreprises, on constate que le commerce extérieur ne se porte pas mieux et que la réindustrialisation du pays demeure très faible, alors que les impacts climatiques de cette politique ne peuvent pas être ignorés, sans même parler de ses conséquences en matière de souveraineté. Faut-il poursuivre dans cette direction ?
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Vous indiquiez que les finances publiques avaient besoin de transparence ; je suis d'accord, mais nous en sommes encore très loin... Les 2 milliards d'euros annuels d'exonérations de cotisations retraite dont bénéficient les employeurs ne devraient-ils pas être au moins compensés par l'État ?
Ma seconde question porte sur la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). La revalorisation des pensions minimales à 1 200 euros bruts affectera les collectivités, qui devront payer 800 millions d'euros supplémentaires en raison de cette réforme, sans que l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires soit compensée. Ne faudrait-il pas un mécanisme de compensation par l'État de ces dépenses des collectivités territoriales ?
Mme Monique Lubin . - Cette réforme est présentée comme la « mère des réformes ». Vous venez de confirmer que, malgré les éléments insuffisants en votre possession, les effets de cette réforme seront minimes, et loin d'être suffisants pour faire baisser à eux seuls le niveau de la dette. Vous insistez sur la nécessité de maîtriser la dette, ce dont personne ne disconvient, mais, lorsque l'on parle de réduire la dette, on cite immédiatement la baisse des dépenses. Vous précisez qu'il ne serait opportun ni d'abaisser les dépenses de manière draconienne ni d'augmenter les impôts ; les marges de manoeuvre semblent donc réduites. Pensez-vous que les baisses d'impôts, considérables ces cinq dernières années, doivent durer éternellement ?
M. Pierre Moscovici . - Mes réponses concernant la structure des recettes et des dépenses sociales ou les compensations aux collectivités sont limitées non seulement par mes compétences d'aujourd'hui - j'interviens en tant que président du HCFP -, mais plus encore par la nature étroite des informations dont je dispose. En 2023, selon une estimation qui nous semble réaliste, la réforme aura un coût de 400 millions d'euros.
Vous m'interrogez sur le chômage supplémentaire parmi les personnes de 60 ou de 61 ans qui ne sont pas à la retraite. En 2018 - l'étude date un peu -, France Stratégie a estimé que la moitié de ces personnes étaient en activité, 10 % au chômage, et un tiers inactives. On estime que, en 2023, 50 000 personnes décaleront leur départ du fait de la réforme. Sans réforme, ces personnes seraient parties dès leurs 62 ans cette année, à partir d'octobre. Ce chiffre représente le quart des 200 000 personnes qui partent chaque année en retraite dès l'âge légal atteint, sur un peu plus de 700 000 départs annuels. Là encore, cette estimation est réaliste, mais nous ne disposons pas d'informations supplémentaires, et il s'agit d'un calcul fait sur un coin de table.
Notre avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques a été critique : nous estimions que la trajectoire retenue par le Gouvernement n'était pas assez ambitieuse, et que ses hypothèses de croissance étaient trop optimistes. Néanmoins, il est impératif de disposer d'une loi de programmation des finances publiques au regard de nos règles internes : le Haut Conseil, par exemple, doit travailler sur des écarts par rapport à des objectifs fixés par la programmation des finances publiques. Nous sommes un élément du bloc de constitutionnalité, et, sans loi de programmation, les choses peuvent devenir « gazeuses ». Nous ne sommes pas à l'abri d'un processus de finances publiques mal éclairé, peu transparent et discontinu. Il y a un vrai risque juridique, comme chacun le sait, et il n'est pas prudent de le sous-estimer.
Dans une autre vie, j'étais commissaire à Bruxelles en charge des finances publiques. Par chance, il n'y a pas, en ce moment, de règle de finances publiques européenne opérationnelle. Mais cela est conjoncturel, et des règles seront rétablies, car, sans règle, pas de boussole : la Commission européenne a besoin d'une programmation des finances publiques pour fonder ses décisions. Elle pourrait, à un moment donné, estimer que cet élément est fondamental pour obtenir un certain nombre de financements européens.
Sur un plan formel, il est important d'insister : l'absence de loi de programmation des finances publiques n'est pas une bricole : elle constitue un problème substantiel.
Monsieur Jomier, vous alliez plus loin. En effet, il y a un paradoxe français : nous avons le plus haut niveau de dépense publique de l'Union européenne après le Danemark, avec un taux de 58 % du PIB, et, pourtant, les Français perçoivent une dégradation de certains services publics. Avant l'élection présidentielle, en décembre 2021, la Cour des comptes avait publié une série de notes structurelles démontrant un certain nombre de défaillances. Par exemple, la politique du logement française est deux fois plus coûteuse que la moyenne européenne, mais n'est pas jugée comme plus performante, y compris par rapport à son objectif central de délivrer des logements sociaux. Je ne plaide pas pour diviser par deux les dépenses de ce domaine, mais il y a problème d'efficacité. Deuxième exemple, notre système d'éducation est puissant, massif et coûteux, mais il se dégrade, comme le prouvent les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa). Là encore, cela prouve qu'il y a un problème d'efficacité de la dépense publique.
France Stratégie considère que les transferts vers les entreprises ont un effet plutôt positif sur la compétitivité. Il est absolument nécessaire de faire la revue et de soulever le capot des dépenses publiques, d'investir dans ce qui marche, et d'économiser et de maîtriser la dépense sur ce qui ne fonctionne pas. Je n'ai pas toutes les réponses. La Cour des comptes participera à cet exercice. C'est indispensable, sous peine de subir un paradoxe coûteux, nos compatriotes se plaignant d'un excès de dépenses financé par des prélèvements - l'un d'entre vous a parlé de ras-le-bol fiscal -, alors que les services publics sont perçus comme peu fonctionnels. Il faut donc améliorer la qualité de la dépense publique. Quelles que soient les préférences politiques, chacun doit participer à cet objectif : personne ne peut se satisfaire d'un haut niveau de dépense et d'une faible qualité de prestations. Si, de surcroît, l'endettement est massif, et que l'on ne peut financer ni l'existant ni l'avenir, on se retrouve pris dans un noeud gordien singulier...
La question des baisses d'impôts a été posée. J'ai déjà dit, en septembre, en tant que Premier président de la Cour des comptes, puis en tant que président du HCFP, que, si l'on doit maîtriser nos finances publiques, donc réduire nos déficits et notre dette, il n'y a que trois voies : muscler notre croissance - les taux de croissance seront limités ces prochaines années, et nous ne sommes pas à l'aube d'années extraordinaires -, maîtriser les dépenses, agir sur les recettes. Or nous constatons l'existence d'un plafond de consentement à l'impôt pour tous chez nos concitoyens, quelle que soit leur classe sociale. Le message de la Cour des comptes est que, en l'état, avec une croissance faible et des dépenses qui continuent d'augmenter, nous n'avons pas les marges de manoeuvre pour faire des baisses d'impôt sèches, c'est-à-dire non compensées par d'autres hausses d'impôt ou une maîtrise des dépenses. Le Gouvernement a ainsi choisi d'étaler certaines décisions, car des baisses d'impôt sèches auraient eu pour seul effet de creuser le déficit.
Un travail en profondeur sur la qualité de la dépense publique est absolument impératif pour réduire l'écart entre la perception d'une dégradation des services publics malgré les dépenses publiques très élevées, et des prélèvements obligatoires très pesants.
M. Philippe Mouiller . - J'ai le sentiment de retrouver le même discours que vous teniez il y a quelques mois, lors de votre audition sur le PLFSS : même s'il y a des éléments nouveaux de réforme, la situation semble assez équivalente, avec les mêmes interrogations sur la pertinence des taux de croissance envisagés et le volume des dépenses.
Votre rôle est limité aujourd'hui à l'analyse de la situation en 2023, ce qui crée une certaine frustration pour nous. Vous évoquez des principes généraux. Ma question est simple : en lien avec ces réformes des retraites, l'augmentation du temps de travail est-elle un levier essentiel pour éventuellement contrecarrer le scénario étroit évoqué ?
M. Olivier Henno . - Vous avez précisé que vos propos étaient calibrés par votre compétence de président du HCFP. Nous avons besoin d'éclairage et de transparence sur les dépenses publiques. Vous m'avez convaincu : l'absence de loi de programmation des finances publiques représente un risque juridique, mais aussi politique et démocratique.
Nos niveaux de dette et de prélèvement sont élevés, mais les services publics sont perçus comme peu efficaces. Nos concitoyens ne peuvent pas l'accepter : à tous les niveaux, dans les classes populaires et les classes moyennes, ils se demandent où va l'argent. Cette question paraît basique et simple, mais elle nous interpelle.
Vous avez indiqué que, depuis 2000, la dette a progressé de 55 points pour la France et de 41 points pour l'Italie. Cette loi de programmation nous permettrait-elle de disposer d'éléments comparatifs sur la structure de nos dépenses, des transferts et des investissements, pour comparer notre situation avec celle de nos voisins européens ? En tant que rapporteur pour la branche famille, je suis étonné du manque de parangonnage concernant les politiques familiales en Europe, alors que la natalité est en berne.
M. Daniel Chasseing . - Vous nous avez rappelé que, si la dette de la France, rapportée au PIB, était identique à celle de l'Allemagne en 2000, elle a depuis augmenté de 55 points, alors que des efforts importants étaient faits dans d'autres pays pour la maîtriser.
La charge de la dette augmente : de 30 milliards d'euros en 2020, elle va bientôt passer à 40 ou 50 milliards. On gagnait en empruntant, mais tout a changé avec la guerre en Ukraine et l'inflation.
Nos dépenses publiques générales doivent être maîtrisées et plus efficaces. Mais le Président de la République indique qu'il faut augmenter le budget des armées, de la santé, de l'éducation, peut-être à raison. Que reste-t-il à maîtriser et à orienter dans les dépenses ? Ne faudrait-il pas disposer de davantage de recettes, par exemple en réindustrialisant, comme l'Allemagne l'a fait en 2000 ?
Cette réforme ne va pas rapporter énormément, mais il est toujours bon d'équilibrer le budget de la sécurité sociale. Ne faut-il pas une loi de programmation pour la réindustrialisation du pays, pour augmenter nos recettes et nous permettre de progressivement rembourser notre dette, afin que nous n'allions pas complètement dans le mur ?
Mme Florence Lassarade . - Ma question porte sur un détail, qui montre que l'État ferait mieux de faire de la pédagogie que de la démagogie : le cumul emploi-retraite des médecins était limité par le fait que les médecins devaient continuer à payer leur cotisation retraite. Nous avons finalement décidé de les exonérer de cette cotisation, mais la caisse de retraite des médecins paie la différence, et, en conséquence, n'augmente pas les pensions des médecins.
Le coût de l'opération est nul pour l'État, mais, du point de vue de la confiance dans le système et de l'adhésion des médecins à cette réforme des retraites, l'effet est catastrophique. Cela sera-t-il pareil à d'autres niveaux ?
Mme Frédérique Puissat . - Une loi de programmation des finances publiques est nécessaire ; nous en sommes convaincus. Pour qu'elle soit acceptable, elle doit s'inscrire dans le temps. Mais, si cette réforme est la « mère des réformes », comment expliquez-vous le caractère incomplet des éléments transmis, qui ne nous permettent pas de faire le travail de pédagogie nécessaire ?
M. Pierre Moscovici . - Je n'ai pas répondu sur cette expression de « mère des réformes » : cette réforme ne suffira pas à équilibrer nos finances publiques. Si c'est une mère, elle aura des enfants, et ce ne sera pas la dernière réforme.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Il y en a tous les cinq ans !
M. Pierre Moscovici . - Dans les calculs rendus publics, on sait qu'il y aura d'autres exercices à reprendre après 2030.
Premièrement, il est évident que la durée de travail est un facteur de croissance : le travail, le capital, l'innovation sont des facteurs de croissance. Mais il est également évident que l'arbitrage entre temps de travail, temps de loisir et temps de la vie est un choix profondément politique.
Deuxièmement, si l'on considère que cette réforme des retraites est une prémisse nécessaire pour réformer un système qui n'est pas finançable en l'état, ce qui correspond à la position de la Cour des comptes, il n'y a que trois leviers : l'augmentation des cotisations, la dégradation des pensions, l'augmentation de la durée de travail.
Nous nous sommes prononcés à plusieurs reprises sur la nécessité d'allonger la durée du temps de travail. Je ne me prononcerai pas sur les modalités de la réforme, qu'il vous revient de définir, en lien avec le Gouvernement et les partenaires sociaux. Nous sommes une institution experte qui délivre des avis importants, mais nous ne sommes pas à votre place. En 2001, lors du passage à l'euro - j'étais alors ministre des affaires européennes -, on parlait de l'Allemagne comme de « l'homme malade de l'Europe ». Les temps ont changé si l'on regarde les performances de notre commerce extérieur, de notre industrie, de nos finances publiques. Si les présidents de la République et les formations dominantes ont changé, les choses ne changent pas, ce qui devrait nous inciter à mener une réflexion collective sur ces sujets.
J'ai été ministre des finances en pleine crise financière. La charge de la dette était alors le deuxième budget de l'État. Je n'avais aucune marge de manoeuvre ! Nous nous approchons d'une situation similaire. Le budget de la défense, qui représente 41 milliards d'euros - 50 milliards avec les pensions -, sera sans doute réévalué dans la loi de programmation militaire, pour laquelle il faudra trouver des moyens de financement.
Je le redis, la charge de la dette pourrait atteindre 44 milliards d'euros : c'est la dépense publique la plus stupide, la plus inerte, la plus improductive, la plus inefficace et la plus absurde ! Chaque euro que nous consacrons à rembourser la dette est un euro en moins pour le travail, la justice, la sécurité, l'écologie, l'éducation, la recherche... Certains semblent avoir une préférence pour la dette, mais cela n'a pas de sens : cette dépense publique stérilise tout.
Nous sommes sortis de la période des taux d'intérêt négatifs, et nous entrons dans celle où la charge de la dette augmente en raison du poids des obligations indexées sur l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt, qui va continuer, comme l'a annoncé Mme Lagarde il y a encore deux jours. D'où la nécessité de disposer d'une loi de programmation des finances publiques. La question est juridique, car il ne s'agit pas d'une simple formalité : à un moment donné, on est rattrapé par la patrouille ! Mais le sujet est également politique et démocratique : il faut éclairer nos concitoyens sur la structure des dépenses et des recettes. C'est la mission du Gouvernement, mais la Cour des comptes contribue aussi, par ses rapports, à apporter un certain nombre d'éclairages et d'informations.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
M. Olivier Dussopt,
ministre du travail, du plein
emploi et de l'insertion
Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons cet après-midi M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Monsieur le Ministre, pour notre première audition relative à la réforme des retraites, nous entendions ce matin M. Moscovici sur l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Nous avons pu déplorer ensemble le caractère restreint du champ de cet avis, dans la mesure où les informations transmises par le Gouvernement n'ont pas permis au Haut Conseil d'exposer les effets de la réforme dans leur globalité.
Forte de ce « retour d'expérience », je forme le voeu que nos rapporteurs soient en mesure, le 1 er mars prochain, de livrer à la commission les éléments dont elle aura besoin pour se prononcer ; ce n'est pas parce que cette réforme s'inspire du désormais fameux amendement Savary que nos exigences s'en trouvent amoindries.
M. Olivier Dussopt, ministre. - Avant tout, je tiens à revenir brièvement sur la méthode retenue par le Gouvernement.
Cette réforme vient après quatre années de débat et quatre mois de concertation. L'ensemble des partenaires sociaux et les représentants de tous les groupes politiques des deux assemblées ont été reçus au ministère du travail comme à Matignon. Cette concertation a été fructueuse : nous avons certes constaté un certain nombre de désaccords, mais nous avons aussi construit des convergences, qu'il s'agisse des carrières longues ou de la pénibilité.
De telles convergences n'emportent évidemment pas l'adhésion à la réforme dans sa globalité. Mais l'ensemble des partenaires sociaux ont participé à ces concertations du début jusqu'à la fin. En outre, ces réunions ont permis d'avancer sur un certain nombre de sujets et d'apporter au texte, dès sa présentation, un certain nombre d'améliorations qui sont le fruit de travaux ou de demandes des parlementaires.
Premièrement, nous mettons fin à certaines injustices héritées du passé, en particulier dans le cadre des travaux d'utilité collective (TUC). Entre le milieu des années 1980 et le tout début des années 1990, plusieurs centaines de milliers de personnes, qui demandent aujourd'hui la liquidation de leurs droits, constatent que les périodes de travail accomplies à ce titre n'ont pas été comptabilisées. Nous allons également mettre un terme aux anomalies que présentent d'autres types de contrats qui n'étaient pas assujettis à cotisations.
Deuxièmement, nous avons prévu la revalorisation des pensions les plus faibles pour les retraités disposant d'une carrière complète. La retraite minimale sera garantie à hauteur de 85 % du Smic, non seulement pour les nouveaux retraités, mais aussi pour les retraités actuels. Selon nos estimations, 1,8 des 17 millions de retraités que compte notre pays sont concernés.
Troisièmement, nous avons modifié ou complété un certain nombre de dispositions relatives aux retraites agricoles, adoptées dans le cadre des deux propositions de loi Chassaigne. À ce titre, le Parlement a voté, pour les exploitants, la garantie d'une retraite minimum à 85 % du Smic pour une carrière complète. Malheureusement, un certain nombre d'entre eux doivent cesser leur activité de manière anticipée, du fait d'incapacités et d'inaptitudes physiques dues à la pénibilité de leur métier : ils sont donc privés de cette retraite minimum, que nous élargissons aux retraités ayant fait valoir leurs droits à pension pour ces motifs. Ce sont ainsi 45 000 nouvelles personnes qui bénéficieront des garanties Chassaigne. Nous aurons également à travailler sur la proposition de loi de M. Dive, transposant au régime agricole le système des vingt-cinq meilleures années applicable au régime général.
J'en suis convaincu : les débats nous permettront d'améliorer encore ce texte, notamment pour ouvrir des pensions de réversion aux enfants en situation de handicap qui perdent leurs parents. Je sais que la Haute Assemblée est particulièrement attentive à ce sujet.
J'en viens aux principales caractéristiques de la réforme que nous présentons.
Tout d'abord, il s'agit d'une réforme d'équilibre, qui répond à la situation décrite par le Conseil d'orientation des retraites (COR), à savoir un déficit structurel, prolongé et accru d'année en année.
À la page 11 de son rapport, le COR précise que, quels que soient la convention et le scénario retenus, le système est déficitaire sur les vingt-cinq prochaines années. Selon l'hypothèse centrale retenue par le conseil, le déficit atteint 1,8 milliard d'euros dès 2023, puis se creuse à 12,4 milliards d'euros en 2017 et à 25 milliards d'euros en 2040.
Notre attachement commun au système par répartition doit nous conduire à prendre les décisions les plus responsables pour assurer l'équilibre : ignorer la dégradation du solde, c'est prendre le risque de condamner le système par répartition. En effet, il n'y a pas que les dépenses qui comptent ; il y a aussi les recettes.
Nous voulons léguer aux générations futures un véritable système de protection. Dans ce cadre, un certain nombre d'options peuvent être discutées. Toutefois, la diminution du niveau des pensions est inconcevable à nos yeux et la hausse des prélèvements obligatoires serait contradictoire avec tout ce que nous faisons depuis plus de cinq ans pour la compétitivité, le marché du travail et le pouvoir d'achat des Français. Nous ne pouvons pas non plus laisser la dette filer au cours des dix prochaines années - cela représenterait 150 milliards d'euros d'endettement supplémentaire -, d'autant que notre pays est déjà lourdement endetté et que l'on assiste à la remontée des taux obligataires.
Voilà pourquoi nous devons collectivement travailler un peu plus longtemps : l'âge légal sera relevé progressivement de trois mois par an à compter du 1 er septembre prochain, pour atteindre 63 ans et 3 mois à la fin du quinquennat et 64 ans en 2030. S'y ajoute une accélération de la mise en oeuvre de la réforme dite « Touraine », à raison d'un trimestre par an, pour atteindre la durée de cotisation de quarante-trois ans à la fin du quinquennat.
Ces mesures ne surprendront pas le Sénat : elles rejoignent un amendement adopté chaque année par la Haute Assemblée lors de l'examen du PLFSS.
En parallèle, nous maintenons à 67 ans l'âge de suppression de la décote. Cet âge peut paraître élevé. Toutefois, je rappelle que, chaque fois que l'âge de départ à la retraite a été relevé, l'âge d'annulation de la décote a été relevé en conséquence. En le maintenant à 67 ans, nous réduisons la période d'application de la décote et nous protégeons les assurés les plus fragiles, notamment les femmes ; beaucoup de celles et ceux qui vont aujourd'hui jusqu'à 67 ans ont connu des carrières plus hachées que la moyenne.
Cet effort, que nous demandons à tous - salariés, indépendants, fonctionnaires et assurés de régimes spéciaux -, permettra de dégager quelque 18 milliards d'euros de marges de manoeuvre en 2030. Ces crédits seront dédiés pour les deux tiers au retour à l'équilibre et pour un tiers au financement de mesures de justice et de progrès.
Il s'agit bel et bien d'une réforme de justice.
Le principe retenu est bien de travailler plus longtemps ; mais il ne s'appliquera pas à tous et pas de la même manière pour les uns et les autres.
Premièrement, nous voulons mieux prendre en compte les carrières les plus longues en améliorant le dispositif en vigueur depuis 2003, afin de le rendre plus juste et plus lisible. Lorsque l'âge légal de départ sera de 64 ans, à l'horizon 2030, il restera à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans, dans des conditions facilitées par rapport à aujourd'hui, puisque nous réduirons la condition de durée d'assurance exigée ; il sera de 60 ans pour ceux qui ont commencé entre 16 et 18 ans - c'est un nouveau palier que nous créons, en cohérence avec notre soutien à l'apprentissage ; et il sera de 62 ans pour ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans.
En outre, le dispositif protégera mieux les femmes, en prenant en compte les périodes de congé parental pour le calcul de la durée d'assurance.
Ce ne sont pas là des mesures anecdotiques ou marginales, mais des améliorations substantielles. Le seul dispositif permettant d'inclure des trimestres de congé parental pour cotiser au titre de l'assurance vieillesse concerne 1,9 million de femmes chaque année.
Pour la sincérité de nos débats, je précise que vous ne trouverez pas trace desdites mesures dans ce PLFRSS, et pour cause : elles sont de nature réglementaire. Néanmoins, le tableau d'équilibre financier en traduit le coût et, partant, l'engagement du Gouvernement.
Deuxièmement, les personnes invalides, en situation d'inaptitude ou d'incapacité permanente pourront toujours partir à 62 ans avec une retraite à taux plein, ce qui permettra de maintenir le nombre de départs anticipés au même niveau qu'aujourd'hui. De même, les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant donné lieu à un taux d'incapacité supérieur ou égal à 20 % pourront partir de manière automatique, sans l'avis médical supplémentaire exigé actuellement. Nous faciliterons aussi les conditions de départ pour les personnes présentant un taux d'incapacité supérieur à 10 % et inférieur à 20 %.
Les travailleurs en situation de handicap pourront toujours prendre leur retraite à partir de 55 ans - ils font aujourd'hui l'objet de deux conditions cumulatives ; nous ferons en sorte qu'un seul des deux critères soit exigé à l'avenir - et les travailleurs exposés à l'amiante conserveront la possibilité de partir à 50 ans.
Ainsi, nous facilitons l'accès aux systèmes de protection pour bon nombre de salariés et, globalement, l'augmentation du temps de travail ne sera pas de deux ans, mais d'un peu plus de six mois. Pour les 20 % de retraités percevant les pensions les plus faibles, le décalage sera même plutôt de l'ordre d'un trimestre.
Toujours au nom de la justice, nous devons donner plus de place au travail des seniors : c'est une condition du plein emploi et de la réussite de la réforme.
Si la formation et l'accompagnement de l'emploi des seniors ne relèvent pas de ce texte, c'est le cas des dispositions facilitant les transitions.
Nous simplifions l'accès à la retraite progressive, deux ans avant l'âge légal de départ, dispositif que nous ouvrons à la fonction publique. Nous facilitons l'accès au cumul emploi-retraite en le rendant contributif : aujourd'hui, un retraité qui occupe un emploi cotise pour l'assurance vieillesse sans pour autant en tirer de droits. Ainsi, nous autoriserons une seconde liquidation, qui permettra une revalorisation du niveau des retraites, qu'il s'agisse du régime de base ou des régimes complémentaires.
Nous allons créer un index seniors, que nous entendons appliquer à toutes les entreprises de plus de 300 salariés. Nous prévoyions un dispositif de sanctions financières, comparable à celui de l'index de l'égalité professionnelle femmes-hommes, pour les entreprises qui refuseraient cette obligation de publicité. À l'issue des discussions avec les représentants des employeurs et avec les syndicats, qui ont considéré cet index comme un outil intéressant, une obligation renforcée de dialogue social a semblé plus pertinente qu'une sanction financière en cas de non-respect d'objectifs sur la base des indicateurs et des évolutions connues. L'emploi des seniors a donc été réinscrit parmi les items de la gestion des emplois et des parcours professionnels, faisant l'objet d'une obligation de négociation triennale.
Il s'agit également d'une réforme de progrès.
Tout d'abord, nous entendons mieux prévenir l'usure professionnelle et, à cette fin, améliorer la prise en compte de la pénibilité.
Nous voulons faciliter et renforcer les droits acquis au titre du compte professionnel de prévention (C2P). Nous allons ainsi abaisser de 120 à 100 le nombre de nuits travaillées par an pour obtenir des points. Nous allons mieux protéger les travailleurs dits « poly-exposés ». Non seulement les points du C2P sont déplafonnés, mais ils pourront être utilisés pour financer un congé de reconversion. Grâce à ce dispositif, un salarié pourra arrêter son activité en restant rémunéré pour suivre une formation qualifiante lui permettant d'envisager une reconversion. Cette réorientation est souvent le meilleur moyen de prévenir la pénibilité et les conséquences de l'usure.
Nous voulons aussi travailler sur les trois critères ergonomiques dont nous avons constaté, en 2017, combien ils étaient difficiles à appliquer de manière individuelle, en particulier dans les petites entreprises : le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques.
Nous souhaitons que les branches professionnelles négocient des accords de prévention de l'usure professionnelle sur la base d'une notification par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) des métiers qui sont, potentiellement, les plus exposés à la pénibilité. Cette branche sait le faire, en étudiant les taux d'accidentologie et la prévalence des maladies professionnelles, ou encore en s'appuyant sur un certain nombre de travaux, comme l'enquête Surveillance médicale et risques professionnels (Sumer). Ces accords de prévention pourront être cofinancés par la branche à hauteur de 1 milliard d'euros pendant le quinquennat, soit à un rythme cinq fois supérieur à ce que nous connaissons aujourd'hui.
Ces métiers feront l'objet d'un suivi médical renforcé articulé autour de la visite médicale professionnelle à 45 ans, adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, et d'une nouvelle visite obligatoire à 61 ans. Ainsi, ceux qui souffrent des conséquences de l'usure professionnelle seront sûrs de pouvoir bénéficier d'un départ anticipé.
Le chiffre de 100 000 départs anticipés pour problèmes physiques n'est pas acceptable. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de mesures de réparation ; il faut avant tout accéder à la retraite en bonne santé. C'est pourquoi la prévention reste l'une de nos priorités.
Cela étant, nous allons aussi faire en sorte que ce suivi médical renforcé permette des départs anticipés sous l'angle de la réparation : si efficaces soient-ils, les dispositifs de prévention ne pourront jamais concerner tout le monde. En outre, un certain nombre de travailleurs sont d'ores et déjà exposés à cette usure.
L'augmentation de la pension minimale traduit un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne. Nous entendons garantir une pension minimale représentant 85 % du Smic pour une carrière entièrement cotisée à hauteur du Smic. Concrètement, nous allons revaloriser le minimum de pension de 100 euros par mois à compter du 1 er septembre 2023 ; il atteindra 1 200 euros par mois pour une carrière complète, ce qui passe par une revalorisation du minimum contributif majoré et du minimum contributif de base.
Pour que cette garantie soit pérenne, nous prévoyons une indexation sur le Smic du minimum de pension à la liquidation. Nous savons que 200 000 retraités par an, soit un quart des départs à la retraite, bénéficieront, grâce à cette réforme, d'une revalorisation. J'y insiste, cette dernière s'appliquera aussi aux retraites actuelles, ce qui représente 1,8 million de personnes.
Il s'agit, enfin, d'une réforme d'équité.
Améliorer la solidarité entre générations, c'est aller au bout de la promesse d'équité du régime par répartition. Voilà pourquoi nous entendons fermer certains régimes spéciaux de retraite, qui nous paraissent désormais archaïques ou source d'injustices.
Nous fermerons donc les régimes spéciaux de retraite de la RATP, des industries électriques et gazières, des clercs et employés de notaires, de la Banque de France et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Nous le ferons en respectant le contrat social : ces régimes seront uniquement fermés pour les personnes embauchées à compter du 1 er septembre 2023.
L'équité commande de demander à l'ensemble des actifs de travailler un peu plus longtemps : les entreprises salariant des personnels relevant des régimes spéciaux devront donc ouvrir très rapidement des négociations pour créer des périodes de convergence, comme après la réforme de 2010, et ainsi relever de deux ans l'âge de départ à la retraite.
Quant aux indépendants, ils doivent avoir les mêmes droits que les salariés pour un même montant de prélèvement. C'est pourquoi, parallèlement à l'examen de ce texte, nous engagerons la réforme de l'assiette sociale, pour la concrétiser dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Nous veillerons à ce que les indépendants réalisant une carrière complète bénéficient pleinement de la garantie de retraite minimale.
Enfin, cette réforme nous permet de mettre un terme à quelques irritants. Ainsi, nous proposons de mettre fin au processus d'unification du recouvrement entre l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), l'Agirc-Arrco et la Caisse des dépôts et consignations.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Il y a cinq ans que la majorité sénatoriale s'entend répondre, y compris de la part des ministres, que ce n'est pas le moment de mener cette réforme des retraites.
Nous ne sommes pas dogmatiques. C'est la réalité des budgets et la réalité démographique qui nous conduisent à dresser ce constat : nous ne pouvons pas maintenir tel quel le système de retraites par répartition. Or nous voulons préserver ce modèle qui nous est cher.
Tout d'abord, vous fondez la trajectoire de retour à l'équilibre du système de retraites à l'horizon 2030 sur un taux de chômage à 4,5 %. Certes, le chômage est en baisse, mais cette projection n'est-elle pas trop optimiste ? Ne faudrait-il pas examiner en détail d'autres scénarios ?
Ensuite, pouvez-vous détailler les mécanismes de solidarité interbranches prévus par le Gouvernement ? Ont-ils vocation à être renforcés lors de l'examen du texte ?
Vous prévoyez un fonds d'investissement dédié à la prévention de l'usure professionnelle financé par la branche AT-MP et doté de 1 milliard d'euros au cours du quinquennat. S'agit-il de dépenses nouvelles ou certaines dépenses de prévention existantes sont-elles réorientées vers le fonds ? Les agents chimiques dangereux seront-ils pris en compte à ce titre ?
Enfin, pourquoi reporter au PLFSS pour 2024 la refonte de l'assiette sociale des travailleurs indépendants ? Pouvez-vous confirmer que l'ensemble de ces assurés, y compris les non-salariés agricoles, seront concernés par cette mesure ?
M. René-Paul Savary , rapporteur pour l'assurance vieillesse . - Merci, Monsieur le Ministre, d'avoir rejoint les propositions de la majorité sénatoriale, même si nous avions privilégié un calendrier un peu plus modéré. En outre, nous souhaitons disposer d'éléments d'évaluation plus précis que le document de présentation de la réforme.
Les micro-entrepreneurs relevant du régime général bénéficieront du minimum contributif, contrairement, semble-t-il, aux allocataires de la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav). Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Par ailleurs, allez-vous faire contribuer les régimes complémentaires au titre du minimum contributif ?
Pour ce qui concerne l'usure professionnelle, la visite médicale prévue à 61 ans est tout à fait intéressante ; peut-être même pourrait-elle intervenir plus tôt. Prévoyez-vous également une visite médicale ou sociale pour les personnes qui ne sont pas dans l'emploi ?
Prévoyez-vous un projet de loi « travail » pour définir un certain nombre de mesures en faveur de l'emploi des seniors, parallèlement à ce texte qui est de nature budgétaire ?
Pour ce qui concerne les carrières longues, les personnes ayant commencé à cotiser entre 16 et 18 ans devront atteindre quarante-quatre années de cotisation à compter de la génération 1965 : il me semble difficile d'expliquer aux personnes concernées qu'elles devront travailler plus longtemps que les autres. Pourquoi les y contraindre ?
Avec cette réforme, vous annoncez qu'il ne sera plus nécessaire de finir dans un emploi relevant de la catégorie active pour bénéficier de ses avantages ; or il nous semble que c'est déjà le cas. C'est la réponse que nous apportent un certain nombre de caisses, de même que les centres de gestion de la fonction publique territoriale.
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances. - La réforme est censée s'appliquer au 1 er septembre prochain : pour certaines collectivités territoriales et certaines entreprises, une entrée en vigueur si rapide pose problème. Le tuilage entre le futur retraité et son remplaçant exige parfois d'anticiper le départ d'un an ; ce choix risque de compliquer l'organisation de beaucoup de structures. De même, les enseignants ne peuvent pas partir en cours d'année.
Le coût d'une cotisation vieillesse déplafonnée, envisagée par le passé, par exemple jusqu'à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (Pass), a-t-il fait l'objet d'évaluations ?
En outre, pouvez-vous nous confirmer que la revalorisation des retraites minimales concerne les polypensionnés ?
Pour ce qui concerne les régimes spéciaux, peut-on envisager des conventions de compensation avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) pour que les cotisations des nouveaux entrants permettent de financer les pensions, sur le modèle de ce qui a été fait pour la SNCF ? Que va devenir le solde de la caisse de retraite de la Banque de France, qui représente tout de même un peu plus de 15 milliards d'euros ?
En matière de droits familiaux, prévoyez-vous d'aller plus loin pour, à tout le moins, ne pas dissuader les femmes d'avoir des enfants ? Pour rétablir l'équilibre du système de retraites par répartition, il faut inverser la courbe, actuellement décroissante, du nombre d'actifs. Envisagez-vous des actions complémentaires ? Dans cet esprit, le fonds de réserve des retraites devrait être sanctuarisé ; c'est le moyen de se prémunir de futurs chocs démographiques, comme celui que l'on connaît aujourd'hui.
Enfin, depuis cinq ans, je suis particulièrement vigilante à la retraite des élus, en particulier des élus percevant des indemnités inférieures à la moitié du plafond mensuel de la sécurité sociale, à savoir 1 833 euros. Depuis 2013, ceux qui perçoivent des indemnités supérieures à la moitié du plafond relèvent de toutes les cotisations et ont des droits à la retraite pleins et entiers ; les autres n'acquittent que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Ils cotisent à l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec), et non à la retraite de base. Or nombre de maires et d'adjoints réduisent leur activité professionnelle pour exercer ces fonctions et, lorsqu'ils font valoir leurs droits à la retraite, ils ne peuvent même pas racheter de trimestres. J'espère que la réforme mettra fin à cette injustice.
M. Olivier Dussopt, ministre. - Madame la rapporteure générale, nous prévoyons un retour à l'équilibre en 2030 en retenant l'hypothèse de productivité dite « centrale ». Un taux de chômage à 4,5 % est effectivement optimiste et, pour l'atteindre, nous devrons poursuivre des politiques d'emploi très actives. Il nous a semblé difficile de retenir un scénario plus pessimiste, impliquant des mesures paramétriques plus rapides et plus amples, à nos yeux difficiles à mettre en oeuvre.
J'en viens à la solidarité interbranches. La branche AT-MP a la caractéristique d'être particulièrement excédentaire. À l'horizon 2026, cet excédent est estimé à 3,3 milliards d'euros, une fois retranché le transfert à la branche maladie traditionnellement adopté dans le cadre des PLFSS.
Si 200 millions d'euros sont dépensés en faveur du fonds de prévention de l'usure professionnelle, il restera 3,1 milliards d'euros ; et si nous réduisons de 1 milliard d'euros les cotisations AT-MP des employeurs, l'excédent restera de l'ordre de 2 milliards d'euros, ce qui est raisonnable et même confortable. Cette réduction de cotisations serait compensée par une hausse de 0,12 point de la cotisation Cnav des employeurs, représentant elle aussi 1 milliard d'euros ; la mesure serait donc neutre pour les employeurs, mais elle permettrait de dégager des recettes pour la Cnav.
Les risques ergonomiques sont la priorité des accords de prévention de l'usure professionnelle. Bien sûr, l'exposition aux agents chimiques ne doit pas être sous-estimée. Pour nous, cette question relève plus de la sécurité que de la pénibilité, ce qui suppose avant tout des normes d'interdiction, mais je reste tout à fait ouvert au débat sur ce point.
Si la refonte de l'assiette de cotisations sociales des indépendants ne figure pas dans ce texte, c'est parce qu'elle n'aura pas d'effet sur les comptes sociaux de 2023. En outre, elle exige un travail technique que nous ne pouvions pas mener dans les délais qui nous étaient imposés.
Nous travaillons actuellement avec les partenaires sociaux, en particulier les employeurs les plus impliqués dans la gestion du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), pour que les meilleures protections soient assurées. Ces sujets ne sont pas de nature législative, mais réglementaire. Ils supposent un certain nombre d'autorisations ministérielles. Quant aux salariés agricoles, ils bénéficieront pleinement des mesures décidées au titre du régime général.
Monsieur Savary, pour éclairer les débats et ouvrir un certain nombre de discussions, nous avons tenu à fournir le rapport d'évaluation que vous évoquez. De plus, nous avons l'obligation d'assortir chaque mesure d'une fiche d'impact ; c'est le cas pour tout PLFSS. Le secrétariat général du Gouvernement est censé avoir transmis ces documents aux deux assemblées ; je vais m'assurer qu'ils ont bien été communiqués au Sénat.
La garantie de la retraite minimale à 85 % du Smic ne s'applique pas aux micro-entrepreneurs relevant de la Cipav ni aux professions libérales. Ces régimes particuliers n'ont jamais instauré de minimum de pension : il est difficile de relever un minimum qui n'existe pas. C'est peut-être un point à travailler avec eux.
Les régimes complémentaires ne seront pas mis à contribution directement : nous procédons par augmentation du minimum contributif.
Je vous le confirme, d'ici à l'été prochain, nous proposerons au Parlement un texte relatif au travail et à l'emploi. Nous y traiterons non seulement de l'emploi et de la formation des seniors, mais aussi de la mise en oeuvre de France Travail, de l'accompagnement amélioré et renforcé des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ou encore de la formation professionnelle pour compléter l'ouvrage autant que nécessaire.
Au sujet des catégories actives, nous avons raison tous les deux. Certains cadres d'emploi de la fonction publique territoriale et certains corps de l'État sont soumis à la clause d'achèvement, d'autres non. En la supprimant, nous permettrons à tout agent public travaillant dans une catégorie active de finir sa carrière dans un emploi dit « sédentaire » sans perdre ses droits au départ anticipé.
La réforme Touraine de 2013 a porté la durée de cotisation de quarante-deux à quarantetrois ans ; nous en accélérons la mise en oeuvre. Actuellement, pour bénéficier du départ à 58 ans, il faut non seulement avoir travaillé cinq trimestres avant 16 ans, mais aussi présenter une durée de cotisation égale à la durée minimale obligatoire augmentée de deux ans. Nous ramenons cette durée à un an, y compris pour tenir compte de la mise en oeuvre progressive de la réforme Touraine.
En réalité, notre réforme réduit l'écart entre la durée de cotisation minimum pour une pension à taux plein et la durée de cotisation effective des différents actifs : cet écart a pu atteindre huit ans par le passé, notamment avant la reconnaissance des carrières longues, en 2003.
Du reste, la durée d'affiliation au régime permettant de bénéficier d'une pension à taux plein n'a jamais été un plafond, c'est un minimum, un plancher. Dans le système actuel, sur les 800 000 départs par an, 180 000 sont le fait d'assurés ayant plus de trimestres que nécessaire pour avoir une retraite à taux plein. Nous réduisons fortement l'écart entre ceux qui ont commencé à travailler tôt et ceux qui ont commencé plus tard.
Madame Vermeillet, le délai de six mois pour la mise en oeuvre de la réforme est classique pour les réformes des retraites. Cela permet d'atteindre nos objectifs d'équilibre de la réforme ; le relèvement de trois mois de l'âge permettant d'ouvrir les droits n'est pas la seule mesure qui entrera en vigueur le 1 er septembre prochain : la disposition concernant le minimum de pension, pour le stock comme pour le flux, celle qui concerne les carrières longues et toutes les mesures de progrès, de justice, le seront également.
Sur le déplafonnement des cotisations, nous ne souhaitons pas aller au-delà de ce qui existe - 2,3 % de plus que le plafond de la sécurité sociale -, parce que cette mesure s'inscrit bien dans un système universel d'acquisition de points mais fonctionne moins bien dans un système fondé sur la validation de trimestres.
Les polypensionnés seront éligibles au minimum de pension, je vous le confirme. J'ai toutefois une incertitude sur ceux dont une partie de la carrière relève de la Cipav ; je regarderai ce point de plus près.
Pour les régimes spéciaux, il n'y a aucun risque de soutenabilité financière. Les flux à organiser seront précisés dans le PLFSS pour 2024. Les régimes spéciaux et autonomes conserveront la pleine possession de leurs réserves, car le fait de ne pas être inclus dans un système universel ne pose pas la question de la mutualisation des réserves.
Enfin, sur les droits familiaux, nous avons prévu la création d'une assurance vieillesse pour les aidants, ainsi que la prise en compte des trimestres cotisés au titre de l'assurance vieillesse du parent au foyer, l'AVPF, pour l'éligibilité au départ anticipé pour carrière longue ou au minium de pension. Il y a des attentes sur certains aspects de la pension de réversion, et le Sénat et l'Assemblée nationale souhaitent majoritairement une harmonisation des droits. La maternité permet de valider quatre trimestres dans le régime général mais seulement deux dans la fonction publique. Cela pouvait s'expliquer quand les carrières de la fonction publique étaient plus linéaires que celles du privé, mais cela se justifie moins aujourd'hui. Ces trimestres de maternité étaient liés à des interruptions d'activité ; aujourd'hui, il peut y avoir cumul de validation de trimestres pendant la même période du fait des systèmes d'indemnisation des périodes de congé maternité. Il y a un travail long et complet à faire sur le sujet. Nous avons saisi le COR sur cette question.
Nous ne toucherons pas au fonds de réserve, qui est très bas, autour de 5 milliards d'euros.
Sur les élus, des dispositions ont été prises. Une lettre ministérielle de mars 2022 a réglé quelques situations mais il faut continuer d'y travailler. Nous étudions la question des rachats de trimestres non cotisés du fait de l'exercice de mandats pour réparer cette inégalité de traitement importante.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Je vous remercie de vos bilans d'étape et de la masse d'informations que vous nous fournissez. Le groupe Union Centriste est d'accord sur la nécessité d'engager cette réforme. Les études du COR sont claires : si l'on ne fait rien, le cumul des déficits nous conduira à une dette abyssale de plusieurs centaines de milliards d'euros en 2050. On ne peut pas ne pas réagir.
J'aimerais des précisions sur les mesures sociales que vous envisagez.
Pour la retraite minimale, vous parlez de 1 200 euros brut, par référence à 85 % du Smic net, qui s'élève à 1 150 euros. Pourriez-vous détailler ce point ?
Pour les carrières longues, ne pourrait-on pas imaginer que tous ceux qui ont travaillé avant l'âge de 20 ans puissent partir après quarante-trois années de cotisation ?
Pour la pénibilité, les trois critères « ergonomiques » qui seront ré-instaurés ouvriront-ils des droits nouveaux, comptabilisés en points, dans le compte professionnel de la prévention (C2P) ? Puisque l'on déplafonne, ne pourrait-on pas imaginer que les 10 points supplémentaires au-dessus de 100 donnent droit à des trimestres pour un départ anticipé ?
Il faut encore travailler sur la question de l'emploi des seniors. Pour ma part, je suis plutôt favorable à des incitations, à des primes, qu'à des sanctions, car, sans cela, les effets seront plus incertains. Vous évoquez la création de 300 000 emplois à l'horizon de 2030 et vous indiquez que 100 000 emplois rapportent 1 milliard d'euros. Je m'étonne que cela ne soit pas comptabilisé dans les recettes du projet.
Pour les droits familiaux et conjugaux, il faut harmoniser les règles entre privé et public, c'est une question de justice.
J'ai une question sur les dépenses : comment allons-nous amender le texte malgré les règles de recevabilité de l'article 40 de la Constitution ? Il vous faudra faire preuve d'ouverture d'esprit. Vous dites vouloir construire la loi avec le Parlement ; comment vous y prendrez-vous ?
Pour ce qui concerne les recettes, il faut prévoir une « clause » de revoyure en 2027. Les bases du financement sont difficiles à déterminer avec précision. Les scénarios peuvent varier en fonction de la productivité, du taux de chômage, de la croissance, etc . Il faudra donc vérifier, en 2027, où nous en serons rendus. Vous visez l'équilibre en 2030 ; il faudrait vérifier en amont si la trajectoire est respectée et si, nous nous trouvions au-dessus d'icelle, on pourrait envisager de reporter, voire d'abandonner l'application de l'horizon de 64 ans.
Pour finir, je souhaite vous suggérer quelques pistes de recettes supplémentaires. Vous avez fermé la porte à l'augmentation du taux de cotisation employeur, mais 1 % de cotisation pour 30 millions de cotisants rapporte 9 milliards d'euros, donc une augmentation d'un tiers de point représente déjà 3 milliards d'euros ! Le rendement est considérable et le coût est faible : ce tiers de point représente 100 euros par salarié par an ! Pour une entreprise de 10 salariés, c'est 1 000 euros par an, autant dire trois fois rien !
Par ailleurs, vous envisagez de transférer des recettes de cotisations de la branche AT-MP vers la branche vieillesse, mais le transfert annuel de 1 milliard d'euros de la branche AT-MP vers la branche maladie pourrait aussi être réorienté vers la branche vieillesse. Au reste, la fraude à l'assurance maladie est si élevée qu'elle pourrait facilement compenser ce milliard d'euros.
Mme Monique Lubin . - Je ne détaillerai pas tout ce que m'inspire ce projet de loi, nous le ferons en séance publique.
Pourquoi n'avoir pas déposé un véritable projet de loi sur les retraites ? Vous évoquez toutes sortes de mesures d'accompagnement, mais soit elles seront prises par décret - or les décrets, soit ne sont pas pris, soit réservent de mauvaises surprises -, soit elles feront l'objet d'un projet de loi supplémentaire. Cela étant dit, je vous pose la question, mais je sais pourquoi vous passez par un projet de loi de financement de la sécurité sociale : pour des raisons de politique politicienne. Je le déplore...
J'en viens aux questions de fond. Le fait de reculer l'âge de départ à 64 ans entraînera mécaniquement des économies de surcote. Envisagez-vous d'améliorer le système de décote, notamment pour les femmes ?
La loi Touraine a permis aux anciens apprentis de valider leurs trimestres d'apprentissage pour la retraite à partir de 2014. Pourrait-on envisager d'étendre cette mesure aux années antérieures ?
Vous allez comptabiliser pour la retraite les trimestres travaillés dans le cadre de travaux d'utilité collective (TUC), je m'en réjouis. Dans quelles conditions ?
J'aborde la question des bonifications pour enfant. Les femmes bénéficient de 8 trimestres par enfant. Cela leur permet de toucher une retraite à taux plein en partant avant l'âge légal. Pour les femmes qui devront travailler davantage, ces trimestres supplémentaires n'auront plus d'utilité. Quelle compensation, quel soutien à la maternité, envisagez-vous ?
Je ne comprends pas bien d'où vient le montant de 1 200 euros de minimum de pension. Je pensais qu'il s'agissait de 85 % du Smic, en prenant en compte retraite de base et complémentaire, mais on parle maintenant de minimum contributif. Pourriez-vous m'expliquer ce point ?
Mme Mélanie Vogel . - Ma première question porte sur le montant de 1 200 euros, censé rehausser le niveau des petites retraites. D'abord, il s'agit en réalité non pas de 1 200 euros mais de 1 193 euros ; surtout, beaucoup de personnes ciblées par cette mesure ne toucheront pas, en réalité, une pension de ce niveau. Pouvez-vous nous préciser combien de personnes, parmi celles qui sont ciblées, toucheront réellement, in fine , une retraite de 1 200 euros ?
L'étude d'impact montre que les femmes seront en moyenne plus touchées par l'augmentation de la durée de cotisation. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que cela ne creusait pas les inégalités mais que cela rétablissait au contraire l'équité. Est-ce à dire que les femmes bénéficient aujourd'hui d'un avantage indu concernant leur durée de cotisation, sachant que leur pension est en moyenne inférieure de 40 % à celle des hommes ?
Enfin, je suis d'accord avec vous sur l'exposition aux substances chimiques dangereuses : je préférerais, moi aussi, que tout le monde soit en bonne santé. Mais le Gouvernement a-t-il prévu des mesures visant à éviter l'exposition des salariés à ces substances, afin de rendre ce critère obsolète ?
Mme Corinne Féret . - Dans le débat sur le projet de loi, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aura beaucoup à dire sur cette réforme injuste, brutale et inutile.
Je veux vous interroger, monsieur le ministre, sur la pénibilité. Les cotisations vieillesse employeur doivent être augmentées par votre réforme et cette augmentation doit être compensée par la baisse des cotisations de la branche AT-MP, qui bénéficie d'un excédent important. Mais cet excédent est aussi lié à la sous-déclaration des AT-MP, dont le traitement est alors financé par la branche maladie. Ces sous-déclarations, en forte hausse, représentent entre 1,2 milliard et 2 milliards d'euros par an. La branche AT-MP reverse, en compensation, un montant à l'assurance maladie, mais en se fondant sur l'estimation basse, alors qu'il faudrait s'appuyer sur l'estimation haute. Cet excédent est donc à nuancer.
D'ailleurs, plusieurs groupes ont demandé, lors de l'examen du PLFSS pour 2023, une augmentation des crédits affectés à la prévention des risques professionnels, à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et à l'indemnisation des victimes de l'amiante, du chlordécone et même du covid. Voilà à quoi cet excédent devrait être affecté : à des besoins réels.
Le Gouvernement se propose, dites-vous, de faire plus et mieux en faveur des carrières pénibles, mais, en 2017, le gouvernement de M. Macron s'est précipité pour retirer du compte pénibilité quatre critères sur dix, et non des moindres : je pense notamment au port de charges lourdes et à l'exposition aux vibrations. Ces quatre critères seront-ils réintégrés ?
Vous proposez donc la création d'un fonds de 1 milliard d'euros pour accompagner la prise en compte de la pénibilité, mais l'excédent de la branche AT-MP est surestimé, le transfert à la branche assurance maladie est sous-estimé et il devrait y avoir plus d'actions de sensibilisation pour que les AT-MP soient tous déclarés.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous affirmez que la réforme rapportera 18 milliards d'euros dont 12 milliards - deux tiers - devant financer le rétablissement des comptes des retraites et 6 milliards - un tiers - devant financer les mesures de compensation. Mais il y a un point aveugle dans votre analyse : où sont passés les 3,9 milliards d'euros de dépenses supplémentaires que votre réforme va entraîner, selon le COR ? Selon moi, le tiers du surcroît de recettes destiné aux « améliorations » ne vient que compenser des dépenses induites dans d'autres branches, de chômage ou de revenu de solidarité active.
Votre réforme est non pas « rapide », comme le disait Mme Vermeillet, mais brutale. En effet, sur qui pèseront ces économies ? Sur les 55-61 ans. Or que font ces personnes ? La moitié d'entre elles est en emploi, mais un quart n'est ni en emploi ni en retraite : elles sont soit au RSA, soit en inactivité, soit au chômage. Ces personnes ne bénéficieront pas de toutes vos mesures en faveur des seniors, pour eux, la prolongation de la durée de cotisation allonge la durée du sas de précarité, car leur taux de retour à l'emploi est catastrophique, autour de 30 %.
Soit dit en passant, le gain de 6 milliards d'euros consacrés à l'amélioration représente juste ce que les travailleurs paient pour l'amélioration de leur système, mais un acteur a disparu : l'employeur. Les salariés travailleront donc plus pour se payer le peu d'améliorations que vous consentez.
Le transfert de la branche AT-MP à la branche vieillesse est-il si neutre pour l'employeur ? En effet, les cotisations vieillesse font l'objet de larges exonérations patronales contrairement aux cotisations AT-MP.
Vous convoquez souvent la compétitivité pour justifier votre réforme - je crois surtout que vous souhaitez défendre la profitabilité des entreprises - mais vous justifiez aussi le refus d'augmenter les cotisations par la défense du pouvoir d'achat. Je vous en conjure : cessez de parler au nom des salariés ! Si vous leur demandez ce qu'ils veulent, vous constaterez que 59 % des Français préfèrent une augmentation des cotisations à l'allongement brutal de la durée de cotisation que vous proposez. De manière générale, trois personnes sur quatre sont contre la baisse des prélèvements obligatoires s'ils sont associés à une baisse des droits sociaux. Les Français préfèrent que les gains de productivité soient consacrés à un accroissement du temps libre qu'à leur pouvoir d'achat.
Mme Annick Jacquemet . - Je suis régulièrement interpellée sur les différences de traitement, entre privé et public, relatives aux pensions de réversion. Dans le privé, le taux de réversion est plus avantageux, mais, si le défunt exerçait dans le privé, la pension de réversion est soumise à des conditions d'âge et de ressources qui n'existent pas dans le public. Cela suscite un grand sentiment d'injustice. Qu'est-ce qui est prévu pour aménager ces règles ? Pourrait-on atténuer l'effet de seuil au moyen d'un pourcentage ?
M. Olivier Dussopt, ministre. - Monsieur Vanlerenberghe, la pension minimale à l'issue d'une carrière complète cotisée au Smic sera bien fixée à près de 1 200 euros brut, ce qui correspond à 85 % du Smic net à fin 2023. Le montant exact dépendra du montant du Smic année après année. Le seul prélèvement qui s'appliquera sur cette pension sera la CSG. On ne peut pas déterminer, individu par individu, le taux de CSG appliqué, car celui-ci dépend du niveau de ressources du foyer fiscal et non du niveau de la retraite. On peut imaginer que les titulaires de la pension minimale appartiendront plutôt aux foyers assujettis aux taux les plus faibles, mais il peut y avoir des exceptions.
Sur la durée de cotisation, j'ai répondu à votre question précédemment : nous sommes dans une logique de rapprochement maximal des durées de cotisation effectives des assurés, afin que la durée minimale pour accéder à la retraite à taux plein ne soit pas exagérément allongée. La suppression de telle ou telle condition coûterait rapidement plusieurs centaines de millions d'euros.
Vous m'interrogez sur le lien entre la prise en compte des trois nouveaux critères ergonomiques, par la signature d'accords de branche sur la prévention, et le suivi médical permettant des départs anticipés. En effet, le dispositif est organisé autour de la prévention et du suivi médical. Si nous faisions un lien entre ces trois critères ergonomiques et le C2P, cela reviendrait à dire que l'exposition à ces trois risques serait source d'acquisition de points au titre du C2P, ce qui donnerait droit à un départ anticipé sans avis médical. Nous n'avons pas su résoudre ce point de désaccord avec les organisations syndicales réformistes : notre dispositif permet des départs anticipés, donc une forme de réparation, comme l'utilisation des points C2P, en tenant compte de l'effectivité de l'exposition à ces trois critères ergonomiques.
Prenons un exemple, celui du métier de menuisier, qui est concerné par la pénibilité. Quand on l'exerce sur une charpente, dans des chantiers extérieurs, dans le froid ou la chaleur, avec de la manipulation directe, les notions de port de charges lourdes, d'exposition aux vibrations et de postures pénibles sont évidentes et exigent réparation. En revanche, si on l'exerce dans un atelier, avec une température contrôlée et sur une machine à commande numérique, le degré de pénibilité est très différent. Le suivi médical renforcé et individuel permettra de tenir compte de la pénibilité effective. De même, être aide-soignant dans un établissement doté de matériel de transport des malades n'expose pas à la même pénibilité que le fait de travailler dans un établissement sans équipements de ce type. Le suivi médical permet d'apporter une réponse différenciée selon les expériences.
Je vous le confirme aussi, la maquette financière de la réforme intègre bien les recettes liées aux emplois créés dans les recettes de la Cnav.
Sur votre proposition de « clause » de revoyure, le Gouvernement souhaite adopter une trajectoire de relèvement de l'âge permettant d'assurer l'équilibre à l'horizon de 2030. Cela étant dit, le Parlement peut tout à fait prévoir des mécanismes de suivi de l'application de la loi, quel que soit d'ailleurs l'avis du Gouvernement ; pour ma part, j'y suis favorable.
L'application de l'article 40 de la Constitution ne relève pas du Gouvernement. En outre, elle ne dépend non pas de la nature du texte mais de la nature des amendements. Vous me demandez de faire preuve d'ouverture d'esprit ; en effet, certains amendements exigeront une telle ouverture d'esprit. J'ai indiqué hier à l'Assemblée nationale que nous étions ouverts à des systèmes permettant de faciliter le rachat de trimestres pour études longues ou pour les stages. Cette déclaration publique faite au nom du Gouvernement a vocation à lever par anticipation le risque d'irrecevabilité au titre de l'article 40.
Mme Lubin m'a interrogé sur la nature du texte. Si nous avons opté pour un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, c'est que la quasi-totalité des dispositions présentées ont un impact - dépenses ou recettes - sur les comptes sociaux.
Vous demandez l'aménagement de la décote ; elle est déjà aménagée par les mesures que nous proposons. Maintenir l'âge de suppression de la décote à 67 ans, soit trois ans après le nouvel âge d'ouverture des droits, est une première : chaque relèvement de l'âge de départ s'était accompagné d'un relèvement de l'âge de suppression de la décote. Ainsi la décote, qui peut à l'heure actuelle atteindre 25 %, sera-t-elle limitée à 15 %. Voilà un premier aménagement, peut-être insuffisant à vos yeux ; c'est une mesure de protection de celles et ceux qui n'ont pas une carrière complète.
Nous aurons l'occasion de revenir sur la question des trimestres d'apprentissage ; je vois d'ores et déjà deux questions dans votre intervention, madame la sénatrice.
Premièrement, les trimestres d'apprentissage réalisés avant 2014 - à cette date, les rémunérations afférentes ont été relevées de sorte que chaque trimestre d'apprentissage puisse être validé comme un trimestre de retraite - pourront-ils être pris en compte ? Soit les apprentis auront cotisé à hauteur de 150 heures par trimestre au niveau du Smic de l'époque - cela nécessite de reconstituer les carrières -, soit, possibilité peut-être moins attrayante, on pourrait envisager d'autoriser et de faciliter le rachat de trimestres réalisés au titre de l'apprentissage lorsque ceux-ci n'ont pas donné lieu à cotisations ou à des cotisations sur des niveaux de rémunération très bas, comme cela a pu être le cas voilà fort longtemps.
La bonification pour enfant est actuellement de quatre trimestres supplémentaires dans le régime général contre deux dans la fonction publique. Je suis très ouvert à ce qu'une réflexion soit menée sur les droits familiaux de manière générale, y compris sur les pensions de réversion, madame Jacquemet - en la matière, treize régimes coexistent, et autant d'injustices et d'inégalités. Nous avons saisi le COR de cette question.
Concernant le niveau minimum de pension, comme je l'ai dit à M. Savary, il ne s'agit pas d'une allocation ou d'une garantie différentielle, mais d'un relèvement du minimum contributif. Nous faisons le choix de relever de 75 euros le minimum contributif majoré, accessible à tout assuré ayant cotisé 120 trimestres, c'est-à-dire trente ans, et de 25 euros le minimum contributif de base. C'est ce mixte qui permet de couvrir le plus de monde possible, et notamment les carrières hachées : des personnes qui ont connu une carrière incomplète auront accès à tout ou partie de cette revalorisation.
Pour les carrières complètes, la hausse serait de 100 euros, ce qui permet de passer d'environ 1 063 euros actuellement à 1 170 euros immédiatement et, selon nos prévisions, 1 193 euros en septembre ; 7 euros, madame Vogel, nous savons que cela compte. Vous aurez d'ailleurs noté que je prends toujours la précaution d'évoquer une retraite minimale de « près » de 1 200 euros, car je sais pertinemment que le chiffre est plutôt de 1 193 euros.
Mme Monique Lubin . - Il y a donc deux dispositifs ?
M. Olivier Dussopt, ministre. - Non, il n'y en a qu'un, articulé autour du minimum contributif, le Mico majoré étant revalorisé de 75 euros brut pour une carrière complète cotisée au niveau du Smic et le Mico de base, plus facilement accessible, de 25 euros brut, ce qui permet d'augmenter les pensions de personnes dont les carrières sont très incomplètes, en deçà des 120 trimestres validés. C'est ainsi que l'on obtient 1 200 euros brut.
Le système que nous proposons permet de revaloriser la
petite pension de 200 000 nouveaux assurés par an,
c'est-à-dire un départ sur quatre, pour un montant qui va varier
de 25 ou 30 euros jusqu'à 100 euros
- je ne
dispose pas, à l'instant où je vous parle, d'un chiffre tout
à fait précis.
Mme Vogel m'a demandé si je considérais que les trimestres validés au titre de la maternité provoquaient un avantage indu. Un débat très apaisé peut et doit avoir lieu sur l'harmonisation des droits familiaux. Ma réponse est qu'il n'y a pas, en la matière, d'avantage indu, mais une situation que l'on peut décrire sans qu'il soit question pour autant de la remettre en cause : la validation de quatre trimestres supplémentaires accordés aux femmes au titre de la maternité était pensée pour compenser les trimestres non travaillés du fait de l'arrêt d'activité, donc de cotisation, le temps d'élever un enfant pendant une année. Actuellement, une femme indemnisée par l'assurance maladie pendant son congé maternité a en définitive la possibilité, pendant l'année de naissance de l'enfant, de valider quatre trimestres en cotisant comme toute personne en activité, auxquels s'ajoutent quatre trimestres de majoration pour maternité, et même, le cas échéant, quatre trimestres supplémentaires au titre de l'éducation de l'enfant, qui peuvent être répartis librement entre les parents - à défaut de répartition volontaire avant les 4 ans de l'enfant, ils sont attribués automatiquement à la mère.
Ainsi s'explique la différence d'âge effectif de départ : à carrière identique, nous constatons que les femmes partent en retraite plus jeunes que les hommes. La réforme que nous portons, par l'effet conjugué du relèvement de l'âge de départ - je souscris à la démonstration de Mme Vogel sur ce point - et de la mise en oeuvre de la réforme de 2013, c'est-à-dire de l'augmentation de la durée de cotisation, va entraîner un rapprochement des âges effectifs de départ respectifs des femmes et des hommes : de six mois, la différence devrait passer à deux mois à l'horizon 2030. C'est ce qui m'a amené à dire que les femmes ne travailleraient pas plus tard ni plus longtemps que les hommes à l'issue de cette réforme.
Cette réforme a aussi des effets sur les pensions. Concernant la génération 1972, par exemple, nous estimons que le niveau moyen de revalorisation des pensions tournera autour de 650 euros par an ; 30 % des femmes assurées bénéficieront d'une revalorisation de leur pension du fait de la réforme. C'est justice compte tenu de l'écart actuel entre les pensions des femmes et celles des hommes.
Quelques mots sur les risques chimiques : j'aurai l'occasion d'évoquer avec Mme Vogel les valeurs limites d'exposition professionnelle définies par l'Union européenne, laquelle pose un cadre particulièrement protecteur, vers lequel nous convergeons.
Je réponds à Mme Féret sur le swap de cotisations entre la branche accidents du travail et maladies professionnelles et la branche vieillesse. À l'heure actuelle, la branche AT-MP consacre environ 40 millions d'euros par an à la prévention de la pénibilité ; le fonds que nous allons déployer est doté de 1 milliard d'euros sur le quinquennat, soit 200 à 250 millions d'euros par an : le changement d'échelle, en la matière, est incontestable, d'autant qu'il faut y ajouter la mobilisation, dans le cadre du PLFRSS, d'une enveloppe de 500 millions d'euros sur le quinquennat - 100 millions d'euros par an - pour financer un fonds de prévention de la pénibilité des carrières des soignants, ciblant les métiers des aides-soignants et des infirmiers.
Mes collègues chargés de ces sujets vont ouvrir une discussion avec les employeurs territoriaux afin d'imaginer un fonds permettant de prévenir l'usure professionnelle dans la fonction publique territoriale, notamment pour les fonctionnaires de catégorie C, parmi lesquels on observe un nombre de départs anticipés pour incapacité ou inaptitude particulièrement important. L'action de prévention de la pénibilité ne s'arrête donc pas à 1 milliard d'euros.
Tout cela ne remet pas du tout en cause le fonctionnement de la branche AT-MP. Je ne partage d'ailleurs pas l'inquiétude qui s'est exprimée quant à la minoration des transferts vers la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Nos prévisions, 3,3 milliards d'euros d'excédents en 2026, sont calculées après les transferts de 1 milliard ou 1,2 milliard d'euros - cela dépend des années - votés en PLFSS. Ces 3,3 milliards d'euros peuvent évidemment absorber 200 millions d'euros par an de prévention de la pénibilité ; et si nous en prélevons 1 milliard d'euros, il reste encore 2 milliards, sur 17 milliards d'euros gérés par la branche AT-MP.
Si nous ne faisons rien de ce que nous prévoyons, la branche AT-MP sera excédentaire à hauteur de 20 % de ses recettes annuelles, excédent pour le moins inutile : du point de vue de la protection sociale, mieux vaut mobiliser ces fonds.
Madame Poncet Monge, je tiens à vous rassurer : nous connaissons bien les dépenses induites, puisque tous les chiffres que vous avez évoqués viennent des services du ministère du travail, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) pour ce qui concerne le chômage, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) pour ce qui concerne la maladie.
Au chapitre des mesures d'accompagnement que j'ai évoquées, la disposition consistant à maintenir l'âge de départ à taux plein sans décote à 62 ans pour les personnes qui partent pour incapacité ou inaptitude et à 55 ans pour les travailleurs handicapés nous permet d'éviter l'effet de transfert que vous évoquez. Dans toutes les réformes précédentes - c'était le cas en 2010 -, le relèvement de l'âge d'ouverture des droits s'était accompagné d'un relèvement de l'âge de départ sans décote pour ces catégories de population dites fragiles. Ne pas le faire évite précisément l'effet induit sur les autres branches tel que constaté dans le bilan de l'application de la réforme de 2010. Notre maquette intègre donc d'ores et déjà cette difficulté relative aux effets de transferts vers l'assurance chômage et l'assurance maladie.
Je précise également que nous avons tenu compte de l'existence d'allègements de cotisations Cnav : à cet égard, la réforme sera neutre pour les employeurs.
Pour conclure, madame Jacquemet, la totalité de votre propos concernant les pensions de réversion est juste ; un travail très approfondi est indispensable sur ce sujet. Je forme le voeu que le débat parlementaire nous permette d'améliorer la prise en compte de situations peu fréquentes mais très injustes ; je pense notamment à la possibilité d'attribuer une pension de réversion aux orphelins, en particulier aux orphelins handicapés, qui se trouvent souvent dans une situation dramatique. Il doit être possible, sur ce genre de questions, de construire des consensus sans attendre ce travail plus global sur les droits familiaux.
Mme Catherine Deroche , présidente. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de répondre précisément à toutes ces questions complexes. Nous vous donnons rendez-vous lors de l'examen du texte au Sénat.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
M. Renaud Villard, directeur,
et Mme Pascale
Breuil, directrice statistiques, prospective et recherche,
de la Caisse
nationale d'assurance vieillesse
Réunie le mercredi 1 er février 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de M. Renaud Villard, directeur, et Mme Pascale Breuil, directrice statistiques, prospective et recherche, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons à présent M. Renaud Villard, directeur, et Mme Pascale Breuil, directrice statistiques, prospective et recherche, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.
M. Renaud Villard, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse . - Je vais apporter des réponses au questionnaire écrit que vous m'avez envoyé. Tout d'abord, nous estimons le solde de la branche vieillesse pour 2022, non encore consolidé, à - 1,8 milliard d'euros, contre - 1,1 milliard d'euros en 2021.
Pour mesurer l'incidence de la double mesure paramétrique de l'accélération de la réforme dite Touraine et du report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, je vous propose une référence à 2032, année des 64 ans de la génération née en 1968. Ses effets devraient aboutir à une amélioration du solde du régime général de 5,9 milliards d'euros, en euros 2020 : 4,4 milliards d'euros de moindres prestations et 1,5 milliard d'euros de cotisations supplémentaires. Le déficit serait donc de 5 milliards d'euros au lieu de 10,8 milliards d'euros actuellement projetés pour 2032. Je n'ai pas intégré, dans ce calcul, les autres mesures de recettes prévues par la réforme, dont les nouvelles cotisations destinées à la branche vieillesse.
Ensuite, les mesures paramétriques entraîneront, pour la pension moyenne des générations actuellement proches de la retraite, une hausse de 1,5 %, celle-ci étant plus forte pour les petites retraites. On atteint 2 % à moyen terme, pour les générations 1970 et au-delà, avec là encore une hausse plus marquée pour les trois premiers déciles, les plus modestes.
Les départs anticipés sont ainsi ventilés pour 2022 : parmi l'ensemble des départs à la retraite, 18 % ont été anticipés au titre d'une carrière longue ; 0,4 % au titre d'une incapacité permanente ; 0,4 % au titre d'un handicap et 0,3 % au titre de la pénibilité - ces derniers continuent de monter en charge.
Par ailleurs, l'extension du départ anticipé pour incapacité permanente, prévue dans le projet de loi, aboutirait à 1 700 départs annuels supplémentaires, soit une hausse de 50 %. En revanche, nous n'avons pas encore mesuré l'impact de l'élargissement des critères de pénibilité et des plafonds. Enfin, la prise en compte des trimestres validés au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) pour le bénéfice d'une retraite anticipée pour carrière longue concernerait 2 000 à 3 000 femmes par an.
Comme vous le savez, le PLFRSS relève le minimum contributif (Mico) en deux étapes : une première augmentation de 100 euros pour les nouveaux retraités, et la seconde sous la forme d'une prestation différentielle de 100 euros pour les retraités actuels. Pour les premiers, le coût serait de 500 millions d'euros en 2030, et il continuerait d'augmenter ensuite. Tout compris, à l'horizon 2030, on atteint au total 1,3 milliard d'euros, le gros du coût portant sur le stock. Actuellement, 34 % des retraités, soit 4,8 millions de personnes, bénéficient du minimum contributif, pour un montant moyen de 112 euros, auxquels s'ajouteront les 100 euros que je viens de mentionner, au prorata de la durée d'assurance cotisée.
J'en viens aux trimestres réputés cotisés pour la carrière longue : ils ne sont pas pris en compte pour ce minimum contributif sauf, après réforme, pour les trimestres accordés au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et de l'assurance vieillesse des aidants (AVA).
S'agissant de l'articulation entre les 1 200 euros et l'augmentation du minimum contributif, le montant, théorique, de la pension globale perçue à l'issue d'une carrière intégralement effectuée au Smic est actuellement de 1 103 euros bruts. Les 100 euros supplémentaires permettent donc bien d'atteindre 1 200 euros.
Les effets du relèvement, de 39 000 euros à 100 000 euros, du seuil de récupération sur succession de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), c'est-à-dire le minimum vieillesse, sont difficiles à mesurer. Quoiqu'il en soit, en 2022, nous avons collecté 117 millions d'euros à ce titre. Augmenter le seuil réduira sans doute le volume des récupérations de façon significative.
Au total, 1,8 million de personnes bénéficient de trimestres au titre de l'AVPF, tandis que l'AVA, telle qu'elle est instaurée par le PLFRSS, concernerait 100 000 personnes par an.
Vous m'avez interrogé sur les travaux d'utilité collective (TUC) et sur les contrats aidés. Ceux-ci n'apportent pas de droits à retraite, et ces contrats, non traçables, reposent sur une déclaration de l'assuré. Le Gouvernement, dans son étude d'impact, estime le coût de leur prise en compte pour la durée de cotisation à 400 millions d'euros. Il se base, pour cela, sur l'hypothèse d'un taux de recours de 10 %, qui me semble prudente. En effet, une partie des bénéficiaires dispose déjà de tous ses trimestres, et une autre est déjà à la retraite. Nous sommes toutefois susceptibles de le dépasser - j'y suis prêt, en tant que gestionnaire.
J'en viens aux assurés qui se trouvent au chômage lorsqu'ils liquident leurs droits à la retraite - ils étaient 11 % en 2020. L'emploi des seniors relevant du régime général est dans une situation paradoxale : nous sommes au-dessus de la moyenne européenne pour les personnes âgées de 55 à 59 ans, et très en dessous pour les 60 à 64 ans. Cela s'explique à la fois par un manque d'investissement - qu'il faudra combler - dans l'emploi des seniors et par l'effet d'éviction des 62 ans. Ainsi, l'âge l'égal explique en grande partie ces performances relatives. On l'a vérifié avec le report, en 2010, de l'âge légal de 60 à 62 ans, qui a mécaniquement augmenté l'emploi des seniors.
Pas moins de 22 000 assurés bénéficient de la retraite progressive, dispositif relativement confidentiel rapporté aux 850 000 retraites liquidées par an et aux 15 millions de de retraités qui dépendent de nous. Le passage de 60 à 62 ans de l'âge d'ouverture de ce dispositif n'aurait pas d'incidence sur le taux de recours. En revanche, celui-ci pourrait augmenter significativement avec l'inversion de la charge de la preuve prévue par le PLFRSS : le passage à temps partiel associé à la retraite progressive serait opposable à l'employeur, qui devrait faire la preuve de son incapacité à intégrer un travailleur senior à temps partiel.
Ensuite, je vous indique que 580 000 personnes bénéficient aujourd'hui du cumul emploi-retraite, un doublement en dix ans. Le PLFRSS prévoit que ce cumul sera créateur de droits. L'impact final est estimé à 0,3 milliard d'euros.
Enfin, l'effet de l'affiliation au régime général des salariés anciennement affiliés aux régimes spéciaux devrait être relativement transparent, car il s'agit de l'arrivée de nouveaux cotisants, qui s'ouvriront des droits. En revanche, le ratio démographique des régimes spéciaux sera largement dégradé, en raison de la baisse du nombre de leurs cotisants. Une compensation est envisageable, comme c'est déjà le cas pour le régime spécial de la SNCF de la part de la Cnav et de l'Agirc-Arrco. Il me semble toutefois préférable que, si compensation il y a, celle-ci soit déterminée selon un adossement statistique, et non comptable. En effet, le législateur, pour les régimes des industries électriques et gazières (IEG), avait choisi un adossement comptable, dont la conséquence aujourd'hui est de nous faire recalculer une pension fictive pour tous les retraités pour la comparer à celle qu'ils auraient perçue dans le cadre du régime spécial, ce qui aboutit à un double travail. Pour le SNCF, le législateur a prévu un report statistique, tout aussi robuste et plus simple à évaluer.
- Présidence de Mme Chantal Deseyne, vice-présidente -
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - La réforme des retraites est un élément important du collectif. Or, chacun attend une réponse individuelle selon son sort. Comment justifiez-vous le titre du rapport Pour nos retraites : justice, équilibre, progrès ? Ces mots reviennent souvent dans les manifestations contre une réforme jugée parfois injuste et brutale : quel est le sens de la réforme ?
Je vais donc vous demander des précisions sur la situation financière de la branche vieillesse. N'est-elle pas seulement en train de traverser une mauvaise passe, comme on l'entend parfois ? En quoi sa trajectoire est-elle inquiétante ?
Par ailleurs, les éléments paramétriques proposés assurent-ils, à long terme, la soutenabilité du système de retraites et, en particulier, du régime général ?
Alors que la Cnav va intégrer les nouveaux salariés des régimes spéciaux, y est-elle techniquement prête ? Cela s'est-il bien passé pour la SNCF ? Cela modifie-t-il le mode de rémunération des entreprises concernées ?
Par ailleurs, nous sommes régulièrement interrogés par des femmes qui, ayant eu des enfants et disposant du nombre de trimestres requis pour l'obtention du taux plein, seront obligées de travailler davantage en raison de l'« écrasement » des trimestres de majoration de durée d'assurance accordés au titre de la naissance et de l'éducation des enfants. Elles ont le sentiment d'être les victimes de ce projet de réforme.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Certaines personnes, arrivant à quarante-trois annuités, alors qu'elles ont commencé à travailler à vingt ans sans pour autant relever d'une carrière longue, vont devoir attendre l'âge légal une année de plus. Ne pensez-vous pas qu'une surcote, établie non en fonction de la durée d'assurance et de l'âge légal, mais uniquement de la durée d'assurance, adoucirait le report de l'âge légal pour les personnes concernées ? Pourriez-vous nous préciser les conséquences financières d'un tel ajustement ?
Les régimes complémentaires seront-ils associés au financement de la revalorisation des minima de pensions ?
Enfin, combien de personnes bénéficieront-elles effectivement d'une pension globale de 1 200 euros bruts ?
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances . - Vous avez présenté les effets des mesures paramétriques sur le solde global de la branche vieillesse, mais n'avez que peu parlé des autres recettes susceptibles de lui être affectées. Avez-vous des estimations ?
Les éventuelles compensations versées aux régimes spéciaux pourraient-elles se mettre en oeuvre pour un régime, comme celui de la RATP, qui s'ouvre à la concurrence ? Je pense aussi aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, car il y a un débat sur la hausse du taux de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Enfin, sur le cumul emploi retraite, vous avez mentionné un impact de 0,3 milliard d'euros de pensions supplémentaires. Ce montant est-il net des cotisations versées dans le cadre de ce dispositif ?
M. Renaud Villard . - Il ne m'appartient pas de justifier l'étude d'impact. Cela étant, le solde financier du régime général se détériore. (M. Renaud Villard présente un graphique.) Comme vous le voyez, la pente de la courbe s'apparente à une piste rouge, voire noire. Nos chiffres sont ceux du Conseil d'orientation des retraites (COR), il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre nous : les faits sont têtus, et la perspective du solde est très dégradée. À l'horizon 2032, la réforme entraîne à la fois des dépenses réduites et des financements nouveaux, mais aussi certaines dépenses nouvelles.
Nos chiffres convergent avec ceux de l'étude d'impact, car ces derniers ont largement été produits par les équipes de Pascale Breuil. Sans prendre position sur la réforme, madame la rapporteure générale, oui, le déficit du régime général, et celui de son agrégat avec le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), est bel et bien croissant. Cette réponse est aussi celle du COR.
L'effet de l'intégration de quelques dizaines de milliers de nouveaux cotisants est relativement simple à gérer, car nous en avons déjà 22 millions. L'intégration du régime de la SNCF s'est d'ailleurs faite sans difficulté. Toutefois, les régimes spéciaux conserveront une identité propre, notamment pour la branche maladie : il faudra donc construire des échanges en gestion, notamment pour les trimestres validés au titre de la maladie et de la maternité. Nous menons déjà de tels échanges avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) pour le régime général.
Ensuite, sur les trimestres accordés aux femmes ayant eu des enfants, je rappelle qu'il y a trois types d'avantages liés à la maternité : le congé maternité, le congé parental, c'est-à-dire l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), et la majoration de durée d'assurance. Celle-ci correspond à huit trimestres supplémentaires pour chaque enfant. Le congé maternité est, aujourd'hui, transparent en matière de retraite. En effet, il est recevable en durée d'assurance comme en durée cotisée et, depuis 2010, permet le report au compte des 25 meilleures années d'un salaire égal au Smic.
L'AVPF est transparente en matière de durée d'assurance, mais elle n'est prise en compte ni pour les carrières longues ni pour le minimum contributif. Le PLFRSS prévoit de prendre en compte une partie de ces trimestres de congé parental - ceux pendant lesquels la mère interrompt son activité pour s'occuper de ses enfants, c'est-à-dire l'essentiel des cas - dans le cadre de ces deux dispositifs.
Enfin, la majoration de durée d'assurance s'apparente à un bonus quelque peu hors sol, sur l'ensemble de la carrière, de huit trimestres par enfant. Effectivement, ce bonus n'est pas pris en compte pour les carrières longues, et le PLFRSS ne modifie pas cet état de fait. Ainsi, une mère de trois enfants bénéficie de six années d'assurance supplémentaires, c'est-à-dire qu'elle peut théoriquement atteindre la durée requise pour ce taux plein à 56 ans aujourd'hui et 58 ans demain. De ce fait, les femmes partent globalement plus tôt que les hommes : la réforme n'a pas d'effet sur cet état de fait. La retraite moyenne des femmes augmentera du reste davantage que celle des hommes.
En revanche, leur âge moyen de départ à la retraite tend à se rapprocher de celui des hommes. Cela résulte, non du PLFRSS, mais de l'allongement de la durée de travail des femmes. En 2021, deux courbes se sont croisées, celle de la durée d'assurance des femmes et celle de la durée d'assurance des hommes. Jusqu'en 2021, cette dernière était plus longue. Ainsi, l'âge moyen de départ à la retraite des femmes se rapproche de celui des hommes, parce que leurs carrières se rapprochent aussi, sur le plan de la durée d'assurance.
Le chiffrage de la surcote évoquée par M. Savary est simple : une année de surcote est neutre pour un régime de retraite. Par exemple, une année de surcote de 5 % pour un départ à la retraite à 64 ans équivaut à faire partir la personne à 63 ans - de même pour une surcote de 10 % pour un départ à 64 ans au lieu de 62 ans. Il s'agit d'un calcul actuariel : partir 64 ans revient à bénéficier, en moyenne, de 22 ans de retraite au lieu de 24.
Vous soulevez la question de l'articulation entre retraite de base et retraite complémentaire. La loi de 2003 fixait l'objectif, politique, mais non normatif, d'une pension globale égale à 85 % du Smic pour une carrière complète au Smic. Depuis, on a décroché de 100 euros. Or, une retraite se compose d'une pension de base et d'une pension complémentaire, cette dernière étant gérée par les partenaires sociaux. Le PLFRSS prévoit d'augmenter de 100 euros le minimum contributif, et donc de faire reposer sur la seule pension de base la compensation de ce décrochage, pourtant dû en partie à la pension complémentaire. Cela s'explique parce que le législateur n'est pas décisionnaire en ce qui concerne le régime complémentaire, mais cet effort pose un problème de financement.
Quant au seuil de 1 200 euros, 1,8 million de personnes bénéficieront du coup de pouce de 100 euros.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Parmi eux, quels sont ceux qui toucheront effectivement 1 200 euros bruts ?
M. Renaud Villard . - Je n'ai pas la main sur les paramètres de la retraite complémentaire. Le projet de loi prévoit une revalorisation de 100 euros, proratisée en fonction de la durée d'assurance validée et cotisée. Ainsi, certains resteront en deçà des 1 200 euros, même avec la revalorisation, parce que le taux de cotisation de retraite complémentaire varie d'une entreprise à l'autre. C'est pourquoi la loi de 2003 avait fondé l'objectif de 85 % du Smic sur un cas type. Le PLFRSS ajoute 100 euros sur la seule retraite de base pour le flux et pour le stock : l'objectif politique de 2003 devient donc un impératif normatif en indexant le Mico sur le Smic. En revanche, le dispositif légal ne porte que sur la retraite de base : si, demain, les retraites complémentaires décrochent, on reculera à nouveau. Le PLFRSS, qui ne peut s'appliquer à elles, s'appuie donc uniquement sur ce qui relève du législateur.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - À combien estimez-vous le nombre d'assurés qui bénéficieront précisément de 100 euros d'augmentation ? En effet, vous avez mentionné 1,8 million de bénéficiaires au total, mais la revalorisation sera proratisée pour beaucoup d'entre eux.
M. Renaud Villard . - Parmi ces bénéficiaires, on dénombre 1,1 million de femmes, soit 61 % du total, et 700 000 hommes, soit 39 %. L'augmentation moyenne sera de 70 euros. En revanche, je n'ai pas la ventilation fine. Le PLFRSS donne jusqu'à septembre 2024 pour l'achever. La raison en est que nous ne disposons pas des données relatives aux trimestres cotisés pour les pensions liquidées avant la création du Mico majoré, en 2004. Le droit de la retraite était plus simple en 1990 qu'en 2023, donc énormément de données sont encore indisponibles. De nombreuses personnes sont parties à la retraite durant les années 1990 : elles ont travaillé durant les années 1950, avant même les cartes perforées. Reconstituer leurs carrières et leurs cotisations représente beaucoup de travail, et c'est pourquoi nous n'avons qu'un chiffrage global. En effet, c'est la première fois qu'une mesure touche tous les retraités en fonction de leur carrière, qu'il faudra donc partiellement reconstituer.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur le stock de retraités ?
M. Renaud Villard . - Pour le stock de 1,8 million de bénéficiaires, on atteint 680 euros supplémentaires par an en moyenne, soit 760 euros pour les femmes et 540 euros pour les hommes.
La compensation des régimes spéciaux relèvera certainement du cas par cas, selon le profil des régimes. Par exemple, celui de la RATP est déjà largement compensé par l'impôt, et il n'appartiendra donc pas à la Cnav de faire jouer la compensation démographique. Il faudra une concertation technique avec les régimes. Vous avez toutefois raison, il ne faudra pas fausser l'ouverture à la concurrence.
Sur les agents publics, la hausse du taux de cotisation employeur à la CNRACL est sans incidence sur le régime général.
Enfin, le 0,3 milliard d'euros que j'ai mentionné ne correspond qu'aux dépenses nouvelles. Cependant, les cotisations associées existent déjà et sont perçues : il s'agit donc bien d'une dépense supplémentaire pour notre régime de retraite. En effet, jusqu'alors, ces cotisations, dites de solidarité, n'apportaient aucun droit.
Mme Sylvie Vermeillet . - À quelle hauteur s'élèvent les autres ressources qui seront affectées à la branche vieillesse ?
M. Renaud Villard . - Le transfert de cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) s'élève à 1 milliard d'euros.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Plutôt 800 millions d'euros, ce qui n'est pas assez !
M. Renaud Villard . - Nous vous transmettrons l'ensemble des éléments, mais nous n'avons pas intégré les attributions de ressources supplémentaires, car cela ne relève pas du pilotage du régime.
Mme Monique Lubin . - Vous disiez qu'il n'y avait pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre la Cnav et le COR, mais celui-ci faisait état d'un excédent de 3 milliards d'euros en 2022, contre 1,8 milliard d'euros de déficit selon vous. D'où cette différence vient-elle ?
Ensuite, vous êtes le directeur de la Cnav : si
vous relevez 5,8 milliards d'euros d'amélioration pour 2032,
il faut mettre ce montant en rapport avec les dépenses
supplémentaires ne relevant pas de la Cnav
- je pense aux
aides sociales.
Enfin, vous qualifiez le solde futur hors réforme d'« extrêmement dégradé » là où le COR écrit, noir sur blanc, que la trajectoire n'est pas en danger.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Il s'agit de la trajectoire des dépenses, pas du solde...
Mme Monique Lubin . - Certains parlent de solde, d'autres de part des dépenses de retraite dans le PIB... même avec les mêmes chiffres, les interprétations divergent parfois.
Pouvez-vous chiffrer l'impact de l'intégration des trimestres attribués aux femmes au titre, non du congé parental, mais de la naissance et de l'éducation des enfants ? Quel serait l'effet d'octroyer aux femmes le bénéfice de ces trimestres pour prendre leur retraite à 62 ans, plutôt que d'attendre deux ans de plus ? En effet, avec un départ à 64 ans, ce « service rendu à la nation » ne leur sert plus à grand-chose...
Vous avez, par ailleurs, mentionné les TUC : beaucoup de personnes nous ont saisis à ce sujet. Comment cette mesure sera-t-elle concrétisée ?
Enfin, on parle toujours de coûts et de dépenses, mais non de recettes nouvelles. Vous a-t-on demandé de chiffrer d'éventuelles augmentations de cotisations patronales ? Jean-Marie Vanlerenberghe a, lors de l'audition d'Olivier Dussopt, avancé quelques chiffres intéressants à ce sujet.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Si j'ai bien compris, la mesure de revalorisation du Mico est totalement à la charge du régime de base pour ce qui concerne le stock. Pour ce qui est du flux en revanche, il faut bien tenir compte, dans le calcul, de la retraite complémentaire, si l'on veut connaître le nombre de personnes concernées.
Le groupe d'experts sur le Smic indique que 6 % des personnes touchant moins de 1,1 fois le Smic font une carrière complète. La réforme dégrade leur situation.
Si le coût global que représentent les générations qui sont aux portes de la retraite a été calculé, c'est bien que l'on connaît la distribution des bénéficiaires de la revalorisation du Mico ! Or par deux fois, nous avons posé la question de la distribution sans obtenir de réponse.
Autant nous nous félicitons de la mesure relative au stock - il s'agit d'un rattrapage -, autant nous nous demandons ce qui garantit que la revalorisation du Mico assurerait aux futurs retraités une pension au moins égale à 85 % du Smic, ce qui remet en cause l'importance de cette mesure sociale de la loi que nous allons voter.
Mme Catherine Procaccia . - En voilà une bonne nouvelle ! (Sourires.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Je voulais dire : du projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer, si tant est que nous en ayons le temps, vu les délais impartis.
Par ailleurs, vous faites vôtre l'effet « horizon ». Mais l'augmentation du taux d'activité n'est pas liée uniquement à la modification de l'âge d'ouverture des droits. Le taux d'activité a été gonflé également par la durée de cotisation requise pour le taux plein. N'oublions pas non plus l'arrivée massive de femmes sur le marché du travail. Ne serait-ce que par l'effet générationnel, le taux d'activité entre 60 et 63 ans a été mécaniquement poussé. Tout le monde parle de l'effet « horizon », mais personne n'explique comment il a été scientifiquement calculé.
Le taux d'invalidité des Français à 60, 61 ou 62 ans est plus fort que chez nos voisins européens. La situation est peut-être meilleure en France à 60 ans, mais elle se dégrade ensuite. En matière d'espérance de vie en bonne santé, nous accusons ainsi dix ans d'écart avec la Suède.
M. Olivier Henno . - Quand la fusée part de biais, il n'est pas simple de la faire arriver à bon port. Une bonne partie des Français doute de l'urgence et de la nécessité de la réforme. Par certaines de ses affirmations, le COR est en partie responsable.
À nous de faire preuve de pédagogie et de montrer que la réforme contient de nombreux éléments de justice. Dans l'opinion s'est répandue l'idée qu'elle serait difficile pour un certain nombre de femmes, qui devraient travailler jusqu'à 67 ans pour prétendre à une retraite à taux plein.
Quel serait le coût en termes de surcote éventuelle - des amendements sur la question ont été déposés à l'Assemblée nationale - des trimestres validés et des trimestres cotisés ? En effet, dans une carrière en pointillés, il peut arriver que des trimestres soient validés, sans avoir été cotisés.
Plus on aborde la question sous l'angle de la solidarité, plus les économies ou les moindres dépenses escomptées diminuent. Or disons-le, l'équilibre du régime est l'objectif majeur. Oui aux mesures de solidarité, à condition que la réforme contribue à l'équilibre du régime !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Je précise à Monique Lubin que, dans le rapport du COR, à la page 11, il est question non pas du solde du système de retraite, mais de ses dépenses en part du PIB, qui seraient sous contrôle. Cela suggère une baisse - certes relative - du niveau des pensions par rapport au revenu d'activité moyen.
Mme Monique Lubin . - C'est le sujet !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - J'estime que ce passage, dont tous les opposants à la réforme s'emparent, est de nature à biaiser complètement notre regard.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Ce n'est pas un problème de dépenses, mais de ressources !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - C'est un problème de ressources, mais aussi de dépenses. Nous sommes dans un système par répartition. Par définition, il faut donc en priorité des cotisations. On peut discuter, ensuite, de la manière dont les mesures de solidarité sont financées (contribution sociale généralisée, impôts, etc .).
Monsieur le directeur, quel serait le rendement d'une augmentation des cotisations de 0,33 %, soit 100 euros en moyenne seulement par an et par salarié ? Quel serait ensuite le coût, pour le système de retraite, des bonifications pour enfant en cas d'allongement de la durée de cotisation à quarante-trois annuités ? Ces mesures - bonification de seize trimestres pour deux enfants, vingt-quatre pour trois enfants - ont inévitablement un coût, puisqu'elles supposent une retraite sans décote et à taux plein.
Il en est de même des carrières longues. Je ne comprends pas les hésitations entre quarante-trois ans et quarante-quatre ans. La Première ministre a pourtant annoncé que personne ne partirait à la retraite, sauf voeu contraire, après avoir travaillé plus de quarante-trois ans. Quel serait le coût de l'ouverture du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue dès quarante-trois annuités aux assurés ayant commencé à travailler avant 18 ans ?
Enfin, question subsidiaire, quel sera le coût, pour les collectivités locales, de l'augmentation des cotisations à la CNRACL ?
Mme Pascale Breuil, directrice statistiques, prospective et recherche de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Le régime général est un régime de retraite parmi les autres. C'est le plus grand d'entre eux, mais il ne représente que 40 % des dépenses de retraite.
Mme Monique Lubin . - C'est important !
Mme Pascale Breuil. - Par ailleurs, si je peux vous dire que nous verserons cette année 150 milliards d'euros aux bénéficiaires du régime général, je ne saurais vous répondre sur les questions relatives aux cotisations, qui sont gérées par nos collègues de l'Urssaf caisse nationale.
M. Renaud Villard . - Veuillez m'excuser, madame Lubin, d'avoir employé un adjectif péjoratif en évoquant le solde de la branche retraite. Lorsqu'un déficit tutoie, voire dépasse, les 10 %, cela constitue pour moi une alerte. C'était un jugement de valeur de ma part et je le regrette.
En ce qui concerne les majorations de durée d'assurance au titre de la naissance et de l'éducation des enfants, qui deviendraient inutiles, elles le sont en réalité déjà, et massivement. L'Assemblée nationale s'est d'ailleurs saisie à deux reprises, me semble-t-il, d'un rapport sur le thème : « Comment rendre utile ce qui est inutile ? »
Ces majorations visent uniquement à permettre aux femmes de ne pas attendre 67 ans pour bénéficier automatiquement du taux plein. Or il est possible d'atteindre le taux plein d'une autre façon, par la durée d'assurance par exemple. Il s'agit non pas de trimestres qui doivent être absolument valorisés, mais en quelque sorte de trimestres de garantie.
J'ai bien pris soin de le préciser : la maternité et le congé parental rentrent dans le calcul de la pension de retraite « normale ». Nous parlons ici de majorations - deux ans par enfant - qui permettent uniquement de bénéficier du taux plein avant 67 ans.
Mme Monique Lubin . - C'est une façon de voir les choses. Il y a aussi des femmes qui y perdront. C'est à elles que je pense.
M. Renaud Villard . - Un certain nombre de femmes, qui ont eu beaucoup d'enfants, se retrouvent avec des « super durées d'assurance ».
Par ailleurs, nous comptons aujourd'hui sept âges de départ à la retraite : âge légal, handicap, carrières longues, invalidité ou inaptitude, Aspa, taux plein et réversion. Sur ces sept âges de départ, deux seulement sont concernés par le PLFRSS. En réalité, beaucoup de sujets dont on parle ne se posent pas. L'âge de départ pour inaptitude, par exemple, demeure inchangé, à 62 ans.
Avec ce PLFRSS, l'âge légal est modifié pour les déciles 3 à 9 et très peu pour les personnes les plus modestes. L'effet financier est en outre majeur pour les déciles 2 à 5 - jusqu'à 1,5 Smic - et assez infinitésimal sur les autres. Finalement, les « perdants » de la réforme n'appartiennent qu'à une seule catégorie, celle des « surcoteurs ». Pour cinq catégories sur sept, la réforme est transparente.
Enfin, plus d'un million de personnes sont concernées par les TUC. En signant leur contrat d'engagement, elles ont eu sincèrement l'impression que l'État cotisait pour elles, même si des dispositions discrètes stipulaient le contraire. Il y a là une forme d'engagement moral juridique à corriger la situation.
Le projet de loi prévoit d'accorder un trimestre par 50 jours de TUC, la difficulté étant de retrouver les personnes concernées.
M. Xavier Iacovelli . - Cela ne concerne que le stock de retraités ?
M. Renaud Villard . - Oui. Nous parlons ici des premiers contrats aidés, conclus dans les années 1980 et 1990. Depuis, l'ensemble des contrats aidés ouvrent des droits à retraite. Si l'on parle de formation professionnelle, alors il est possible de valider des trimestres à ce titre.
Le minimum contributif ne vise pas ceux qui ont cotisé au Smic. Il a deux étages : le premier bénéficie à ceux qui ont une petite retraite et le taux plein ; le second, le minimum contributif majoré, ceux qui ont une petite retraite en ayant effectué une carrière complète cotisée, qu'ils aient travaillé au Smic ou non. Cela peut concerner des gens qui ont travaillé vingt ans pour un demi-Smic et vingt ans pour deux Smic, ou encore bien d'autres profils, très divers. Cela explique l'effet assez puissant de la mesure prévue pour le stock, mais surtout pour le flux.
Les gros gagnants de la réforme, financièrement, sont les travailleurs modestes des déciles 2 et 3, dont la pension augmentera en moyenne de 7 %. L'impact de la mesure sur le flux sera très progressif, mais net : on estime que 200 000 personnes par an seront gagnantes, dont 130 000 femmes. Tous ne vont pas recevoir 100 euros de plus, mais on veut garantir qu'une pension aujourd'hui fixée à 750 euros passe à 850 euros, auxquels s'ajoute la retraite complémentaire.
Je ne crois pas du tout à l'effet horizon ! Le décalage mécanique du marché de l'emploi postulé dans cette construction intellectuelle n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des effets structurels, des politiques des employeurs, ou encore les effets de la réglementation. En 2010, le législateur craignait un afflux de chômeurs parmi les personnes âgées de 60 à 62 ans, mais tel n'a pas été le cas : le taux de chômage des personnes partant à la retraite n'a pas vraiment changé, il a même diminué avec l'amélioration du marché de l'emploi.
Quant à la différence entre trimestres cotisés et trimestres validés, jusqu'aux années 1980, il n'y en avait pas. Depuis lors, beaucoup de dispositifs favorables liés à l'effort contributif ont été mis en place, pour les carrières longues ou le calcul des minima de pension. Aujourd'hui, il n'y a toujours pas de différence pour le minimum « de base », mais il y en a beaucoup au titre de ces majorations.
Enfin, concernant les bonifications pour enfants, offrir deux ans de bonus par enfant aurait un coût colossal. En effet, 82 % des femmes auraient ce bonus : 40 % des assurés verraient leur âge légal de retraite abaissé en moyenne de quatre ans et toutes les mères de trois enfants partiraient à 58 ans... Cela se chiffrerait en dizaines de milliards d'euros !
Mme Pascale Breuil. - Quant à l'hypothèse d'une hausse des cotisations, vous trouverez dans l'étude d'impact l'effet que cela aurait. Dans le scénario retenu par le Gouvernement, avec un taux de chômage de 4,5 %, pour réduire le déficit prévu, il faudrait une hausse de 442 euros par an en moyenne par personne, soit 0,8 à 0,9 point.
Mme Chantal Deseyne , présidente . - Nous vous remercions de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
M. Christophe Rolin,
directeur général
de la caisse de retraites du personnel de la RATP
Réunie le mercredi 1 er février 2023, sous la présidence de Mme Chantal Deseyne, vice-présidente, la commission procède à l'audition de M. Christophe Rolin, directeur général de la caisse de retraites du personnel de la RATP.
Mme Chantal Deseyne , présidente . - Nous entendons à présent M. Christophe Rolin, directeur général de la caisse de retraites du personnel de la RATP (CRPRATP), sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.
M. Christophe Rolin, directeur général de la caisse de retraites du personnel de la RATP. - La caisse que je dirige est de bien moindre taille que la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), dont vous venez d'entendre le directeur : elle a quelques dizaines de milliers de salariés, nous n'en avons que 40, signe de notre efficience... Notre caisse a été créée en 2006, elle est indépendante de la RATP et placée sous la tutelle des ministères du budget et des affaires sociales. Jusqu'en 2006, les retraites étaient gérées directement par l'entreprise. Nous versons environ 1,2 milliard d'euros de prestations, en croissance régulière ; nous comptons 52 000 pensionnés et 42 000 salariés cotisant au régime spécial.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Quelles sont les spécificités du régime de retraite des personnels de la RATP par rapport aux régimes obligatoires de base ? Quelle sera l'incidence de la fermeture aux nouveaux entrants de ce régime sur sa trajectoire financière et à quelle échéance son extinction devrait-elle intervenir ? Le versement par le régime général d'une compensation de la perte de cotisations induite par cette fermeture est-il envisagé ?
M. Christophe Rolin. - Le régime de la RATP est assez proche de celui de la fonction publique, avec quelques spécificités qui le rapprochent du régime général.
Tout d'abord, notre régime se caractérise par une prise en compte importante de la pénibilité, et ce depuis 1945. C'est le régime qui distingue le mieux entre service sédentaire et service actif ; 90 % du personnel relève de ce dernier. Le service actif se décompose lui-même en plusieurs catégories en fonction de la pénibilité des métiers. De nombreux mécanismes ont été mis en place, depuis longtemps, pour faire bénéficier les agents de droits spécifiques, qui trouvent leur expression dans des abaissements d'âge de départ ou des majorations des durées de service, à due proportion de la pénibilité de leur métier.
Ces calculs se font de manière assez fine : un agent peut changer de catégorie ou de sous-catégorie de pénibilité à l'échelle d'un mois, voire d'une semaine : chaque période est prise en compte spécifiquement dans le calcul des droits.
Notre régime se distingue aussi par une assez forte individualisation des droits. Le critère générationnel est très peu pertinent dans ce régime. Chaque salarié, en fonction de son appartenance à tel ou tel tableau, en fonction des périodes passées dans telle ou telle catégorie, peut largement prévoir et individualiser sa pension, même si elle est basée sur les six derniers mois. Chaque salarié peut assez facilement définir le moment et les conditions de son départ en retraite, ainsi que le montant de sa pension. Nous avons à cette fin développé un simulateur, véritable outil de pré-liquidation.
S'agissant de la trajectoire financière, je n'ai pas d'élément à vous apporter, car cela doit être décidé dans le cadre des lois de finances à venir. Je reprendrai simplement un chiffre figurant dans l'étude d'impact : il y a actuellement entre 1 500 et 2 000 embauches sous statut à la RATP, ce qui représente de 20 à 25 millions d'euros de cotisations par an, qui ne seront plus perçues si ces recrutements se font au régime général. Je rappelle que la CRPRATP verse un peu de moins de 1,3 milliard d'euros de prestations, dont 780 millions d'euros subventionnés par l'État.
Je ne dispose pas d'éléments supplémentaires pour ce qui est de la troisième question concernant la garantie donnée par le Gouvernement d'une compensation de la perte de cotisation. Les modalités restent à définir, soit par une majoration de la subvention de l'État, soit dans le cadre d'un transfert des régimes qui seront récipiendaires, c'est-à-dire le régime général et l'Agirc-Arrco.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Quelle échéance est-elle prévue pour l'extinction du régime, concrètement à la fin des pensions de réversion ?
M. Christophe Rolin. - Pour vous donner un ordre d'idée, j'ai à l'esprit les cas d'une veuve qui bénéficie d'une pension de réversion depuis 1947 et d'un retraité qui perçoit une pension de réforme depuis 1952. On serait donc plus proche des 80 ans que des 40 ans.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - L'extension du dispositif de retraite anticipée s'appliquera-t-elle à votre régime ? Combien d'assurés exercent-ils actuellement en cumul emploi-retraite ?
M. Christophe Rolin. - Le dispositif de retraite anticipée de carrière longue s'applique, mais est peu utilisé : il concerne actuellement 152 personnes. Cela peut s'expliquer par la possibilité de partir tôt à la retraite.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Les gens qui pouvaient partir à 52 ans ne le pourront-ils désormais qu'à 54 ans et ceux qui pouvaient le faire à 57 ans n'en faire de même qu'à 59 ?
M. Christophe Rolin. -
En
réalité, ceux qui peuvent partir à
52 ans
- le tableau B - ne le font en moyenne
qu'à plus de 56 ans, et ceux qui peuvent le faire à
57 ans - le tableau A - le font à 57 ans et demi.
L'âge de départ augmente chaque année d'un trimestre et
environ 85 % des salariés de la RATP ne partent que lorsqu'ils
n'ont plus de décote.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Le décalage de l'âge légal ne changerait donc pas grand-chose ?
M. Christophe Rolin. - En effet, je ne le crois pas, d'autant que la réforme Touraine n'a pas encore produit tous ses effets sur notre régime. Cela pourrait en revanche affecter les montants des pensions, qui ne seront plus calculées sur 168 trimestres, mais sur 172.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Le cumul emploi-retraite est-il utilisé par beaucoup de personnes ?
M. Christophe Rolin. -
Il y en avait
assez peu jusqu'à présent, entre 500 et 600 par an, mais nous
sommes passés l'an dernier à 1 477, soit une
multiplication par trois, ce qui peut s'expliquer par le fait que de plus en
plus de salariés ne partent pas en retraite au taux maximum, mais qu'ils
le font relativement jeunes et peuvent facilement reprendre une
activité
- y compris dans l'entreprise, sous le statut du
régime général.
Actuellement, près de 5 000 salariés de la RATP sont contractuels et relèvent du régime général ; ils représentent plus du tiers du recrutement annuel.
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances . - Comment l'ouverture à la concurrence se mêle-t-elle à cette réforme ? Quelle est votre estimation du coût du déséquilibre démographique et de celui des droits spécifiques ? Par ailleurs, nous venons d'auditionner le directeur de la Cnav, qui ne semble pas envisager de compenser les pertes de cotisations liées à la fermeture du régime RATP. Comment envisagez-vous l'avenir de la CRPRATP ? Comment comptez-vous compenser la perte de 20 à 25 millions d'euros par an que vous avez évoquée ?
M. Christophe Rolin. - L'ouverture à la concurrence est un sujet très important. Si elle a été prévue par la loi d'orientation des mobilités (LOM) au 1 er janvier 2025, les décrets d'application n'ont pas été pris. Parmi les presque 43 000 salariés du régime, plus de 40 % vont quitter l'entreprise d'ici à cette date, soit pour des filiales de la RATP, soit pour des organismes qui auront remporté les marchés. Ceux-ci vont perdre leur statut, mais pas leur droit à la retraite au régime spécial.
La CRPRATP devra donc gérer, si j'en crois la LOM, quelque 20 000 personnes, réparties dans diverses entreprises relevant du secteur privé et du régime général, en leur garantissant les mêmes droits que s'ils étaient restés dans le régime. C'est un enjeu complexe, à la fois technique et financier : comment récupérer les cotisations et gérer les droits de ces salariés ?
Il est évident que le manque à gagner des cotisations qui ne seront plus perçues en 2023 dégradera fortement les comptes du régime. Pour le moment, nous faisons des prévisions sur les bases existantes. L'année dernière, la subvention de l'État était de 780 millions d'euros. Dans quatre ans, selon les estimations qui ont été faites en septembre - et qui devront être revalorisées -, à régime constant, le besoin de financement sera de 960 millions d'euros, et même plus si on retranche les cotisations actuellement perçues. L'État s'est engagé à compenser, selon des modalités qui seront déterminées par les prochaines lois de finances : cela peut passer par une majoration de la subvention actuelle, ou par un reversement de la Cnav, ce qui serait somme toute logique compte tenu du maintien des droits aux régimes spéciaux des personnes qui cotiseront auprès de celle-ci.
En ce qui concerne les droits spécifiques, je n'ai pas eu de demande ; la Cour des comptes a abordé le sujet il y a quelques années, concluant à la difficulté de chiffrer ceux-ci.
S'agissant du devenir de la CRPRATP, je ne sais pas si elle existera toujours dans 80 ans pour gérer les droits des derniers retraités, mais je conclurai en soulignant deux choses : cet organisme est actuellement très efficient, avec des coûts de gestion de 0,4 %, et la qualité du service est très bonne, selon tous les indicateurs dont nous disposons. Quel que soit le gestionnaire futur, ces éléments devront rester en ligne de mire.
Mme Chantal Deseyne , présidente . - Nous vous remercions de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
M. Nicolas Mitjavile,
directeur de la Caisse
nationale des industries électriques et gazières
Réunie le mercredi 8 février 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de M. Nicolas Mitjavile, directeur de la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons ce matin M. Nicolas Mitjavile, directeur de la Caisse nationale des industries électriques et gazières sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.
L'objectif de cette audition est de présenter les impacts du projet de loi sur la caisse des électriciens et gaziers.
M. Nicolas Mitjavile, directeur de la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG). - Merci pour votre accueil ; je connais la qualité et le sérieux de vos travaux.
Parmi les régimes spéciaux, ou statutaires, le nôtre est de taille moyenne, loin derrière les différents régimes de la fonction publique et proche de celui de la SNCF : nous comptons environ 200 000 pensionnés et 150 000 affiliés. Nos engagements financiers avoisinent 200 milliards d'euros.
Surtout, ce régime bénéficie d'un adossement financier au régime général, mis en place au début des années 2000 ; l'État avait l'intention de l'étendre aux autres régimes spéciaux, mais ne l'a finalement pas fait. Cet adossement, très précieux, a permis de déconsolider l'essentiel de cette charge des comptes des seules entreprises alors concernées, EDF et Gaz de France, dans la perspective de leur introduction en bourse. Vous évaluez régulièrement la neutralité de notre régime au regard des comptes de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et de l'Agirc-Arrco ; à chaque fois, vous avez constaté cette neutralité, obtenue notamment grâce à la soulte de 7 milliards d'euros offerte par les employeurs de la branche lors de la mise en place de l'adossement. Cette neutralité découle également de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA), qui couvre les droits passés, jusqu'en 2004, du secteur régulé. Cette contribution est neutre pour le consommateur ; on a simplement transféré une part du tarif vers cette taxe.
Notre régime est équilibré, depuis sa création, de par la loi, et il continuera de l'être si cette réforme entre en vigueur.
Enfin, notre régime est pleinement autonome dans sa gestion. Le nerf de la guerre, en matière de régimes de retraite, c'est l'informatique : nous sommes sur ce point complètement autonomes.
Au-delà, la qualité de la gestion du régime est universellement reconnue : en témoignent la grande satisfaction de nos pensionnés, mais aussi les différents audits comptables et les contrôles effectués par les corps d'inspection de l'État, qui se sont toujours montrés très élogieux.
Le nombre d'employeurs concernés par ce régime a augmenté ; au-delà d'EDF et Engie, on en compte environ 160, contre 130 lors de la création de la caisse. Aux entreprises locales de distribution se sont ajoutées de nouvelles entreprises actives dans le domaine des énergies renouvelables.
Un enjeu crucial pour le régime est l'attractivité du secteur. L'Assemblée nationale a récemment créé une commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Ses auditions ont montré que le secteur est aujourd'hui moins attractif qu'il y a une vingtaine d'années ; on pouvait alors embaucher les meilleurs diplômés ; aujourd'hui c'est beaucoup plus difficile. Le régime de retraite joue un rôle en la matière, mais il n'est qu'un des éléments de la couverture sociale, qui varie suivant les employeurs et est souvent moins protectrice que dans le secteur bancaire, ou encore que chez TotalEnergies pour ne citer que quelques exemples.
Les mesures de convergence présentes dans toutes les réformes des retraites depuis 1993 font que, si les nouveaux entrants conservent un avantage fidélisant avec ce régime spécifique, cet avantage est désormais assez limité. D'ailleurs, les départs sans anticipation se font exactement au même âge que dans le régime général : 62,9 ans. L'âge moyen de départ à la retraite, en comptant les départs anticipés, s'établit à 60,4 ans, un peu plus tôt que dans le régime général, mais cela est aussi dû à un décalage dans le calendrier d'application de diverses réformes.
La gestion des nouveaux entrants après la réforme, au vu de la présence d'une « clause du grand-père », risque de poser des problèmes d'intendance. En matière de ressources humaines, il ne sera pas toujours aisé d'expliquer aux nouveaux que leur statut sera moins avantageux que celui de leurs collègues accomplissant les mêmes tâches. Ce ne sera pas simple non plus en matière informatique : l'entrée en vigueur dès septembre 2023 prévue dans le projet de loi est même impossible ; les informaticiens nous disent qu'ils ne pourraient en aucun cas être prêts à cette échéance ! Je veux vous alerter quant à ce risque de « catastrophe industrielle », dont les coûts pourraient être importants.
Enfin, le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, ne dit rien de l'avenir de l'adossement financier de notre régime au régime général. Le système actuel est solide, il le restera jusqu'à son extinction. Je n'ai donc qu'une prière à vous adresser : préservez ce système d'adossement ! Les problèmes financiers sont déjà largement résolus grâce au travail intelligent accompli il y a une vingtaine d'années.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale. - Quelle est la situation financière du régime des industries électriques et gazières (IEG) au 31 décembre 2022 ? Quelles sont ses spécificités par rapport aux autres régimes obligatoires de base ? Quelle incidence le report à 64 ans de l'âge d'ouverture des droits à compter de la génération 1968 et l'accélération de l'allongement de la durée d'assurance requise pour l'obtention du taux plein auront-ils sur la trajectoire financière du régime ?
M. Nicolas Mitjavile
. - Notre
régime doit être à l'équilibre, conformément
aux termes de la loi. C'est d'ailleurs le cas pour
l'année 2022
- les comptes seront prochainement
arrêtés.
Grâce à la contribution tarifaire d'acheminement, nous disposons d'un excédent de trésorerie de 700 millions d'euros en 2022 ; 600 millions d'euros sont gérés par l'Urssaf Caisse nationale et nous conservons 100 millions d'euros pour gérer les variations de trésorerie. Contrairement à ce que je lis parfois, nous n'avons pas de réserve cachée.
Le report à 64 ans de l'âge d'ouverture des droits touchera les agents au statut, dont la pension est calculée sur les six derniers mois de salaire. Dans les faits, notre taux de remplacement est très proche de celui du régime général et de celui de la fonction publique, car les primes ne sont pas prises en compte. Le report sera plus coûteux pour notre régime, car nos bénéficiaires ne peuvent prétendre à des plans de préretraite.
En ce qui concerne l'équilibre du régime sur le long terme, la sortie des nouveaux entrants et le traitement du stock de droits acquis ne nous inquiètent pas si l'adossement est maintenu. Nous sommes sereins sur la gestion de ce régime tant à court terme qu'à long terme.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Quel serait l'effet des ajustements paramétriques proposés sur la pension moyenne ?
M. Nicolas Mitjavile . - Celle-ci devrait augmenter puisque le salaire sera plus important après le report à 64 ans.
Au sujet de la durée d'assurance moyenne, les agents pourront décider soit de continuer à travailler afin d'éviter la décote soit de partir plus tôt - dans ce cas, ils bénéficieront d'une pension moins importante. Il est très difficile d'anticiper les décisions des personnes.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Quelle part du total des départs en retraite ont représenté en 2022 les départs anticipés pour carrière longue ?
M. Nicolas Mitjavile . - Cela représente environ 5 % du total, soit 4 000 départs.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Qu'en est-il des départs anticipés pour handicap et incapacité permanente ?
M. Nicolas Mitjavile . - Les départs anticipés pour handicap comptent pour 0,5 % et ceux pour incapacité permanente 5 %.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Quelle incidence sur le nombre de départs anticipés au cours des prochaines années auraient le report à 62 ans de l'âge de départ anticipé pour incapacité permanente et l'extension de ce dispositif aux salariés justifiant d'un taux d'incapacité permanente compris entre 10 et 19 % et de 5 à 17 années d'exposition à des facteurs de pénibilité ?
M. Nicolas Mitjavile . - Le régime spécial propose une anticipation spécifique au titre du taux d'incapacité permanente, avec un abaissement de l'âge d'ouverture des droits de trois ou de six mois. Le report à 64 ans entraînera mécaniquement un recul de l'âge de départ pour ces salariés.
M. Hervé Duchaigne, directeur comptable et financier de la CNIEG . - Il y aura en effet un décalage dans le temps : les gens partiront plus tard en retraite.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - La modification des facteurs de pénibilité aura-t-elle une influence ?
M. Hervé Duchaigne. - Nous avons nos propres spécificités. Les nouveaux entrants seront affiliés au régime général, tandis que les agents statutaires auront leur propre système, mais tous seront affectés par la réforme et ce décalage dans le temps.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Ce sont donc deux catégories très différentes. Les dispositions relatives à l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et à l'assurance vieillesse des aidants (AVA) seront-elles appliquées aux nouveaux entrants ?
M. Nicolas Mitjavile . - L'AVPF et AVA s'appliquent aussi aux salariés des IEG ; durant cette période, leur contrat de travail est suspendu et ils relèvent du régime général.
M. Hervé Duchaigne. - Notre dispositif de branche concernant la pénibilité est performant : le départ en retraite est possible à 57 ans. Depuis 2009, des jours acquis au titre de la pénibilité peuvent être versés au compte épargne retraite.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Le régime garantit-il une pension minimale ?
M. Hervé Duchaigne. - Les pensions minimales s'élèvent à 930 euros pour 15 ans d'activité, 1047 euros pour 30 ans et 1163,55 euros pour 35 ans.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - La retraite progressive touchera-t-elle de nombreux agents ?
M. Hervé Duchaigne. - Il est difficile de le prévoir, mais nous estimons que celle-ci sera peu utilisée.
M. Nicolas Mitjavile . - C'est une avancée pour le régime.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Absolument. Par ailleurs, le cumul emploi-retraite concerne-t-il beaucoup d'agents ?
M. Hervé Duchaigne. - Notre régime ne suit pas directement les bénéficiaires de ces dispositions. Nous effectuons des contrôles au moment où les personnes atteignent l'âge légal de départ à la retraite pour nous assurer que celles-ci respectent les plafonds et qu'elles remplissent les conditions. Si le projet de loi est adopté, les personnes qui activeront ce dispositif cotiseront au titre de leur nouvelle activité : il reviendra à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) d'effectuer les vérifications nécessaires.
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances . - Quel est le montant de la pension moyenne ? Les agents bénéficient-ils de primes de fin de carrière ? Certaines personnes deviennent-elles contractuelles après être parties en retraite de manière anticipée ? Quel est le montant total de la contribution publique versée au régime via la taxe spéciale ?
M. Nicolas Mitjavile . - Le cumul emploi-retraite est un phénomène très marginal.
Nous vous transmettrons par écrit des informations détaillées sur le montant de la pension moyenne et sur les primes de fin de carrière.
M. Hervé Duchaigne . - La contribution tarifaire instaurée en 2005 dans le cadre de la réforme du financement correspond à une fraction de la facture que les consommateurs payaient : c'est une part de la facturation qui est isolée. Aujourd'hui, la collecte de la contribution tarifaire représente environ 1,7 milliard d'euros, qui ne servent pas seulement à financer les retraites : une partie de l'enveloppe finance les prestations, une autre la soulte - 400 millions d'euros en 2023 - reversée au régime général, versée sur vingt annuités jusqu'en 2024 ; quant aux excédents de trésorerie, ils ne sont en aucune façon une « cagnotte » : ils restent sur notre compte bancaire, cette somme étant mise à disposition de l'Urssaf Caisse nationale.
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances . - Quel est le montant de vos coûts de gestion ?
M. Hervé Duchaigne. - Je n'ai pas en tête le coût unitaire, mais notre budget de fonctionnement annuel est de moins de 30 millions d'euros.
Mme Laurence Cohen . - Vous avez dit que votre régime était équilibré et qu'il donnait, à juste titre, entière satisfaction aux pensionnés. On présente souvent les régimes spéciaux, dont le vôtre, comme des régimes privilégiés. Ma famille politique préfère les appeler des régimes pionniers : nous plaidons pour que le régime général suive leur exemple plutôt que de tirer les droits vers le bas.
Les conditions d'ouverture des droits sont fixées très précisément dans votre régime. J'ai visité récemment un site gazier dans le Val-de-Marne ; si l'âge moyen des départs anticipés est de 58 ans, cela concerne 20 % des agents, essentiellement les services actifs, qui subissent, tout au long de leur carrière, pénibilité, astreintes, travail de nuit, charges lourdes, exposition à des substances chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR).
Une réforme, de surcroît, est passée par là, en 2010 : depuis la réforme Woerth, il faut avoir travaillé au moins dix-sept ans dans l'industrie électrique et gazière pour bénéficier d'un départ anticipé. Il faut faire le lien avec l'attractivité des métiers : les personnes que j'ai rencontrées m'ont dit leur fatigue ; un report de l'âge de départ pourrait remettre en cause leur volonté de demeurer dans leur entreprise.
M. Philippe Mouiller . - En miroir de l'intervention de Mme Cohen, je voudrais revenir sur l'équilibre des caisses, qui est assuré par une taxe prélevée sur la facture d'électricité. Cette contribution tarifaire d'acheminement est-elle calculée au regard des besoins de la caisse ou son montant est-il figé ?
Par ailleurs, la remise en cause d'un certain nombre d'éléments relatifs à la pénibilité pose des difficultés ; reste qu'en parallèle vous conservez le compte épargne jours retraite, dont la branche peut modifier les règles d'attribution. N'y a-t-il pas là un moyen de compenser, par un outil que vous maîtrisez, ce que vous décrivez comme une perte importante, et ainsi d'atténuer l'effet de la réforme ?
J'approuve ce que vous avez dit sur la perte d'attractivité du métier.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous avez parlé de la pénibilité, qui relève d'un dispositif de branche ; à l'avenir, compte tenu de la faible prise en compte de la pénibilité dans la loi générale, ces dispositifs de branche vont devoir être renforcés. Le vôtre permet aujourd'hui de partir à 57 ans. La réforme va-t-elle porter cet âge de départ à 59 ans ? Comment votre dispositif de branche s'articule-t-il avec la loi générale ?
J'aimerais des précisions sur les éléments de pénibilité. La prise en compte des astreintes, du travail de nuit, des charges lourdes - celles-ci avaient été exclues et font leur retour, bien que de manière très altérée - ne pose pas de problème particulier.
Mais quid de l'exposition aux CMR, que votre branche prend en compte ? C'est précisément le genre de pénibilité que le patronat dit habituellement impossible à prendre en compte par les employeurs, au motif qu'il ne s'agirait pas d'un critère objectivable. Comment faites-vous ?
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Vous avez dit que le régime était équilibré, et même excédentaire.
Le régime spécial va disparaître ; nous l'appelons pour notre part, comme l'a dit Laurence Cohen, régime pionnier. Vous avez souligné que ce métier était moins attractif qu'auparavant, que vous aviez davantage de difficultés à recruter. Cette perte d'attractivité me semble en partie imputable à la casse progressive du service public par les gouvernements successifs.
Votre branche compte 156 entreprises ; comment feront les salariés lors des négociations annuelles, puisque deux régimes coexisteront, le régime actuel et le régime général ?
M. Nicolas Mitjavile. - J'ai insisté sur l'attractivité du secteur ; c'est une question qui, à juste titre, vous intéresse : vous vous demandez comment on va compenser l'abandon du régime actuel pour maintenir l'attractivité du secteur.
En matière de pénibilité, notre dispositif de branche nous paraît aujourd'hui adapté aux conditions de travail : il faut dix-sept ans de services actifs pour pouvoir partir à 57 ans. S'y ajoute le dispositif du compte épargne jours retraite, mis en place en 2009 au niveau de la branche. Sur la prise en compte de l'exposition aux CMR, nous vérifierons et vous répondrons précisément.
Madame la sénatrice Cohen, vous avez raison d'insister sur la question de l'attractivité du secteur dans la durée, que pose indirectement cette réforme, cette industrie n'ayant pas vocation à disparaître... Nous notons depuis un certain nombre d'années une perte d'attractivité. Le régime de retraite n'est qu'un élément parmi d'autres des conditions sociales et salariales de la branche, que les acteurs doivent veiller à maintenir au niveau d'exigence requis.
Un mot sur le financement : la CTA est totalement neutre ; c'est une simple écriture, d'une certaine manière. Nos taux de cotisation employeur sont d'ailleurs sensiblement plus élevés que dans le régime général. La CTA n'est qu'un pur transfert d'un élément « prix et chiffre d'affaires » vers un élément « taxe » visant à couvrir de manière dédiée les droits acquis des travailleurs relevant de ce régime.
M. Philippe Mouiller . - Le taux de la taxe est-il fonction des besoins financiers du régime ?
M. Hervé Duchaigne . - La contribution tarifaire que nous collectons est une taxe dont le taux est déterminé par les pouvoirs publics, assise sur des éléments tarifaires d'acheminement fixés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La loi prévoit que le montant de cette taxe est déterminé de manière à financer les charges de la caisse de retraite sur une période de cinq ans - voilà pour la mécanique générale, nonobstant les aléas.
Une évolution tarifaire est intervenue en 2021, qui a conduit les pouvoirs publics, compte tenu d'un certain nombre d'incertitudes quant aux hypothèses, à retenir un maintien du taux, c'est-à-dire une neutralisation du montant de CTA collecté, 1,7 milliard d'euros, afin d'éviter que l'augmentation du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) ne vienne augmenter inconsidérément les recettes de CTA.
Tous les ans, lorsque je présente l'arrêté des comptes de la caisse, nous faisons le point, avec les tutelles, sur les excédents et sur les perspectives. La contribution tarifaire finance une fraction des droits acquis avant le 1 er janvier 2005 et une fraction de la soulte, 400 millions d'euros, qui s'éteindra en 2025 - l'excédent augmentera d'autant. De surcroît, les charges à financer au titre des droits acquis avant 2005 sont en diminution : passé le cap de 2018-2019, nous sommes entrés dans une phase de décrue démographique et d'extinction naturelle de la CTA.
Légalement, je rappelle que la CTA constitue une imposition de toutes natures, donc une ressource d'État qui, en tant que telle, n'appartient pas au régime.
M. Nicolas Mitjavile . - Tout cela dépend beaucoup des prévisions de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ; de toute façon, les excédents ne restent pas dans le régime spécial.
M. Philippe Mouiller . - Et c'est l'État qui fixe le Turpe...
Mme Raymonde Poncet Monge . - La durée minimale de services ne change pas. Pouvez-vous me confirmer que la loi précédente a fait passer cette durée de quinze à dix-sept ans ? Quant à l'âge de départ, qui est actuellement fixé à 57 ans, va-t-il être modifié par la loi ?
M. Hervé Duchaigne . - Ce n'est pas nous qui tenons le crayon ; mais, tel que nous comprenons le projet de loi, cet âge passerait bel et bien de 57 à 59 ans. Notre rôle se limitera à mettre en oeuvre ce que le législateur aura décidé.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - À quel âge en moyenne ceux qui bénéficient de ce départ anticipé partent-ils à la retraite ?
Les pensions des retraités de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) sont liquidées à plus de 60 ans en moyenne pour ce qui est de la catégorie active : nombre de pensionnés décalent déjà leur départ anticipé, par rapport à l'âge minimal, pour valider tous les trimestres exigés. Pour ce qui est de la CNRACL, l'impact d'un passage de 57 à 59 ans ne sera pas de deux ans, mais de neuf mois supplémentaires en activité.
Mme Raymonde Poncet Monge . - C'est une moyenne.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Dans votre branche, quel est l'âge moyen de départ anticipé ?
M. Nicolas Mitjavile . - Le départ intervient en moyenne à 60,3 ans, à 62,9 ans pour les départs non anticipés.
Quant à la durée minimale de cotisation, elle a été portée de 15 à 17 ans par la précédente loi.
Mme Annick Jacquemet . - Philippe Mouiller vous a interrogé sur la perte d'attractivité du secteur. Comment l'enrayer ? J'ai été surprise de vous entendre dire qu'une grande facette de l'attractivité du métier était les conditions de départ en retraite : il me semble un peu dommage que des jeunes qui entrent dans la vie professionnelle aient pareil objectif de carrière...
Quels autres leviers actionner pour rendre vos métiers attractifs ?
M. Nicolas Mitjavile . - Telle n'est pas du tout ma vision des choses ; vous m'aurez mal compris... En revanche, l'existence de mesures parfaitement justifiées permettant un départ anticipé est bel et bien un élément d'attractivité du secteur. Les départs pour handicap ou invalidité représentent d'ailleurs une part très modeste du total des départs anticipés. Mais l'attractivité tient plutôt à la bonne couverture sociale, aux salaires, aux conditions de travail et à la fierté d'exercer ces métiers.
Mme Monique Lubin . - Puisqu'il est excédentaire, je m'interroge sur le bien-fondé de la mise à mort de ce régime. On nous présente les régimes spéciaux comme coûtant cher aux contribuables. Or, en l'espèce, on s'apprête à verser au régime général de nouveaux salariés, donc, à l'avenir, de nouvelles dépenses. J'ai cru comprendre qu'il fallait équilibrer notre système de retraites : quel est l'intérêt ?
Par ailleurs, la CTA va-t-elle être restituée au consommateur d'électricité dès lors qu'il n'y en aura plus besoin pour financer ce régime spécial ?
M. Nicolas Mitjavile . - Si j'ai soulevé la question de l'attractivité, c'est qu'elle se pose. Étant devenu, dans la dernière partie de ma carrière, un spécialiste de la retraite, je peux vous dire qu'elle n'est qu'un élément de l'attractivité du secteur : il faut raisonner à l'échelle de la branche d'activité dans son ensemble, étant entendu que celle-ci doit pouvoir répondre aux besoins de la Nation.
Quant au choix de restituer ou non la CTA, il me dépasse totalement. Je comprends la logique - s'il n'y a plus à couvrir certaines charges passées, il faut que le tarif soit réduit -, mais l'économie des tarifs électriques et gaziers est un sujet très complexe...
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous vous remercions de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition d'organisations représentatives de salariés
Réunie le mercredi 15 février 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition d'organisations représentatives de salariés.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, nous consacrons cette matinée à l'audition des partenaires sociaux sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Toutes les organisations ont été entendues par nos rapporteurs, mais j'ai souhaité que nous conduisions également cet exercice en réunion plénière.
Nous entendons tout d'abord les représentants des syndicats. Je précise qu'une invitation a été envoyée aux organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. La Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) m'a fait savoir qu'elle ne pourrait être représentée. Sont présents MM. Yvan Ricordeau, secrétaire national, responsable de la politique sur les retraites de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Thomas Vacheron, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT), Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé de l'emploi et des retraites de Force ouvrière (FO) et Gérard Mardiné, secrétaire général de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC).
Je vais donner la parole à chaque intervenant afin qu'il expose brièvement les principales observations de l'organisation qu'il représente sur ce texte, avant qu'un débat ne s'engage avec nos rapporteurs Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet, puis avec les commissaires.
M. Yvan Ricordeau, secrétaire national, responsable de la politique sur les retraites de la CFDT . - Il est très important, pour la CFDT, d'échanger avec les sénateurs avant l'ouverture des débats au Sénat et de discuter de ce qu'est le monde du travail et de ce que représente la retraite, de la façon la plus approfondie et la plus apaisée possible. C'est ainsi que nous souhaitons échanger avec vous ce matin.
Trois points nous semblent déterminants.
Premièrement, ce qui se passe dans le monde du travail, dans la période post-pandémique actuelle, nécessite que l'on ajuste les transitions professionnelles entre carrière et retraite.
Deuxièmement, le système de retraite comporte de nombreuses inégalités. Pour y répondre, il faut le refonder. Les améliorations possibles passeraient sans doute, à terme, par un système de base universel, conférant les mêmes droits à l'ensemble des travailleurs, quels que soient leur situation, leur parcours et leur origine professionnelle. Ce point sera l'élément d'avenir de la construction et du renforcement de notre système par répartition.
Troisièmement, l'équilibre financier, qui est tout sauf un tabou pour la CFDT, est le premier garant de la confiance entre les générations dans un système par répartition : il faut faire la démonstration que l'ensemble est à l'équilibre à terme. Nous nous sommes investis dans de nombreuses réformes pour garantir cette pérennité financière.
Nous examinons cette question avec beaucoup de lucidité dans la période actuelle. Ainsi, il faut, selon nous, un rendez-vous sur les retraites dans le courant de l'année 2023. Ensuite, contrairement à d'autres moments de réforme que notre pays a connus depuis vingt ans, nous ne nous trouvons pas dans une situation dramatique. Le besoin d'équilibre financier se situe aux alentours d'une dizaine de milliards d'euros, il n'a rien à voir avec ceux qui ont motivé les réformes précédentes et les besoins financiers sont sans équivalent avec ceux qui sous-tendaient les réformes de 2003, 2010 et 2014. Les perspectives à long terme paraissaient alors dégradées, quand, s'il y a un débat sur l'équilibre financier à court terme, personne n'évoque actuellement le risque d'une chute libre à long terme. La CFDT se refuse donc à dramatiser la situation. Depuis le début de la concertation, les experts ont relevé plusieurs points. Tout d'abord, le déséquilibre existe, mais il n'est pas extraordinaire ; ensuite, la projection sur le système de retraite des éléments concernant la fonction publique est sujette à caution ; enfin, la question de l'espérance de vie fait partie des éléments de correction à terme.
L'enjeu, pour nous, est la répartition de l'effort : il est hors de question de le faire peser sur les seuls travailleurs. De tout temps, on a fait évoluer le système de retraite en le répartissant entre entreprises et travailleurs ; or ce projet de loi cible uniquement les seconds. Cela nous pose une difficulté. En outre, la CFDT a toujours été opposée au décalage du paramètre de l'âge, qui pèse uniquement sur les salariés les plus modestes. Contrairement à d'autres réformes qui ont instauré des décalages de l'âge, les premiers déciles sont épargnés par le présent texte : il n'y a pas de décalage de la décote. En revanche, pour l'ensemble des déciles au-dessus du troisième, jusqu'aux neuvième et dixième, la facture est lourde. Or nous sommes opposés à l'idée de faire payer l'ensemble de la facture aux classes moyennes et aux travailleurs de la deuxième ligne. C'est pourtant le sens du projet qui nous est présenté aujourd'hui, qui décale l'âge de départ de 62 à 64 ans.
En conclusion, la question de l'évolution du système de retraite méritait un rendez-vous dans notre pays, pour réfléchir à la manière de travailler mieux. Il fallait aborder la réforme par les questions du travail et de l'emploi, du plein emploi comme de l'emploi des seniors. Ce mécanisme vertueux aurait alors permis de poser les bases d'un débat approfondi sur l'évolution de notre système de protection sociale. Au contraire, le rendez-vous qui nous est proposé aujourd'hui ne concerne que l'ajustement financier, dans le cadre d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, avec pour seul objectif de trouver quelques amortisseurs. Le débat de la nuit dernière à l'Assemblée nationale en a apporté la démonstration flagrante. L'enjeu essentiel, l'emploi des seniors, ne sera donc pas la clé de voûte de la réforme, même si l'ambition de départ n'était pas très élevée. Cela augure d'une poursuite particulièrement difficile des discussions sur ce sujet, qui nous semblait pourtant prioritaire.
M. Thomas Vacheron, membre de la direction confédérale de la CGT . - Au nom de la CGT, je vous remercie de ce moment d'échange et d'écoute des organisations syndicales, qui expriment toutes leur opposition à ce projet de loi antisocial pour les travailleurs. Le principal argument du Gouvernement, qui a d'abord tenté de faire croire que le texte relevait de la justice sociale, est finalement l'équilibre financier, mais il est basé sur de faux constats. Selon nous, financer le système de retraite par répartition ne pose pas de difficulté : même M. Bras, le président du Conseil d'orientation des retraites (COR), a déclaré que les dépenses de retraite ne dérapaient pas. En revanche, ainsi qu'il l'a ajouté, les dépenses de retraite « ne sont pas compatibles avec les objectifs de politique économique et de finances publiques du Gouvernement ». L'objectif de cette réforme est donc de faire payer aux travailleurs les aides publiques et autres allégements successifs de cotisations sociales que la majorité présidentielle défend, en imposant d'énormes reculs sociaux, pour des résultats budgétaires extrêmement faibles et non nécessaires. À ce titre, les arrangements que le Gouvernement s'autorise avec la réalité relèvent de l'irrespect envers les salariés. Les organisations syndicales alertent depuis plusieurs semaines, par exemple, sur les fameux 1 200 euros de retraite minimum, présentés comme une mesure de justice sociale. Nous avons questionné en vain les députés de la majorité sur ce chiffre. Or celui-ci ne vaut que pour une carrière complète et à temps plein et ne concernera que très peu de retraités, la plupart des travailleurs ciblés percevant déjà plus que ce montant ; quant aux millions de travailleurs au Smic, ils ont connu le plus souvent une carrière hachée ou à temps partiel et n'y auront donc pas droit. Par ailleurs, l'allongement du temps de travail affaiblira encore les pensions, contrairement à ce que les ministres affirment encore. Aujourd'hui, 40 % des femmes et 32 % des hommes partent en retraite avec une carrière incomplète, car ils ou elles ont connu des périodes de maladie ou de chômage. Ceux-là mêmes qui nous licencient avant 60 ans veulent maintenant nous faire travailler jusqu'à 64 ans ! Reculer encore l'âge de départ à la retraite, c'est rendre toujours plus difficile la validation d'une carrière complète. Pour ceux qui, malgré tout, parviendront à en bénéficier, l'étude d'impact réalisée par le Gouvernement évalue entre 0,3 et 1,5 % les augmentations de pension. À qui veut-on faire croire qu'il s'agit d'un progrès ? Le report de l'âge légal de 62 à 64 ans est inacceptable. Allonger l'âge de départ, c'est méconnaître la réalité du travail. La réforme va impacter l'ensemble des salariés, du public comme du privé, à un âge où la pénibilité liée au travail est partagée par tous, des infirmières aux cadres. L'exemple le plus frappant est celui des troubles musculo-squelettiques (TMS), première maladie professionnelle en France, avec plus de 44 000 cas en 2019. La réforme va impacter en priorité les salariés avec les carrières les plus hachées et les salariés les plus modestes. Chaque fois que l'on repousse la durée de cotisation requise pour un départ à taux plein, on rend ce dernier toujours moins atteignable, en particulier par les femmes, en raison du temps partiel subi et de l'absence d'une politique ambitieuse d'égalité entre les hommes et les femmes. Quant aux carrières longues, alors qu'aujourd'hui les travailleurs peuvent partir à 60 ans, ils devront travailler de longues années de plus et cotiser jusqu'à 43 ou 44 ans, si j'en crois l'annonce faite hier par Mme la Première ministre. Enfin, reporter l'âge de départ en retraite, c'est reporter le paiement des pensions de retraite sur les autres prestations sociales. Partir plus vieux, c'est partir en plus mauvaise santé et être davantage exposé au risque d'invalidité. Il y aura ainsi moins de retraités en bonne santé pour les activités bénévoles, pour la solidarité, pour ce qui fait liant dans la société. Il en va de même s'agissant des travailleurs dits « seniors » : à 60 ans, un actif sur deux seulement est encore en activité. L'augmentation du nombre d'annuités à valider entraînera un allongement de ce sas de précarité et une baisse massive du nombre de travailleurs pouvant justifier d'une carrière complète. La prise en compte de la pénibilité n'est, enfin, pas à la hauteur : les personnes ayant commencé entre 18 et 20 ans et qui sont éligibles au dispositif carrières longues perdent deux ans. Le Gouvernement nous parle de pénibilité après en avoir retiré quatre critères à la création du compte professionnel de prévention (C2P) et après avoir supprimé les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'attaque contre les régimes spéciaux va d'ailleurs complètement à rebours de la reconnaissance de la pénibilité dans ces secteurs. Nous assistons donc à une accélération de la réforme Touraine, couplée à la réforme proposée par le gouvernement Borne, qui va entraîner un raccourcissement de la durée espérée de retraite. C'est la seule réforme qui joue à la fois sur l'âge légal de départ et sur le nombre d'annuités cotisées, seules variables que souhaite, finalement, retenir le patronat. Jamais ne sont discutés l'augmentation des salaires, des cotisations sociales, l'égalité hommes-femmes, la taxation des profits des grands groupes... C'est pourtant cela que demandent aujourd'hui les salariés qui produisent les richesses de ce pays. Pour finir, l'urgence, pour la population, est d'augmenter les salaires et non de reculer l'âge de départ à la retraite, les Français vous le disent par millions. L'heure est au retrait du projet. Il y a tellement d'autres sujets importants à traiter ! Les citoyens regarderont attentivement le vote de chaque parlementaire, (Les sénateurs Les Républicains protestent.) répondez positivement à leurs attentes ! Nous sommes là pour échanger et alerter.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Cette dernière remarque me semble déplacée : jeter à la vindicte populaire les parlementaires, quel que soit leur vote, ne sert pas le débat démocratique. Tout le monde sait ce que chacun vote, mais il est inadmissible que l'on envoie aux parlementaires des e-mails ou des lettres les menaçant de leur couper l'électricité ou de s'en prendre à leur famille !
M. Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé de l'emploi et des retraites de Force ouvrière . - Merci d'avoir organisé cette rencontre. Comme vous allez l'entendre, les organisations syndicales partagent un certain nombre de constats sur le projet de loi qui est proposé. Le premier est qu'il n'y a pas d'urgence à réformer le système de retraite, et encore moins en ne faisant varier qu'un paramètre : l'âge de départ à la retraite pour l'ensemble des salariés, en accélérant, en parallèle, l'application de la réforme Touraine. Pour nous, la première des préoccupations doit être l'emploi. Nous avons fait des propositions au Gouvernement en la matière, concernant en particulier les seniors. Le Gouvernement prend les choses à l'envers : il aurait d'abord dû traiter ce problème. Des études économiques montrent ainsi qu'augmenter de dix points le taux d'emploi des seniors rapporterait 50 milliards d'euros, à comparer aux 10 milliards d'euros projetés par le COR. J'y insiste d'ailleurs : il ne s'agit que de projections, dont rien ne dit qu'elles se réaliseront. Voilà cinq ans, le COR prévoyait que les régimes de retraite seraient déficitaires en 2021 et en 2022, alors qu'ils sont tous excédentaires. Il n'est donc pas justifié que le Gouvernement s'alarme de la sorte. Travaillons d'abord sur une loi qui protège les salariés, pour que les entreprises arrêtent de licencier les seniors à partir de 50 ans. Ce sont eux qui restent au chômage le plus longtemps, et que l'on trouve en nombre parmi les demandeurs d'emploi de longue durée.
Par ailleurs, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) vient de publier une étude qui montre que le passage de l'âge de départ de 60 ans à 62 ans s'est accompagné d'une augmentation des arrêts maladie chez les seniors. Autrement dit, faire travailler les gens plus longtemps, c'est opérer un transfert vers d'autres caisses sociales, équivalant à plus d'un tiers des économies prévues. Il faut bien l'avoir en tête. Par ailleurs, ce n'est pas avec un index que les entreprises conserveront les seniors, c'est avec des contraintes. Malgré l'index égalité entre les femmes et les hommes sur les salaires, l'écart atteint encore 20 % ! Or, si les salaires des femmes étaient égaux à ceux des hommes, les recettes des caisses de retraite ne seraient pas un problème. C'est cela qu'il faut mettre en avant aujourd'hui. (Les sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST approuvent.)
Mme Catherine Deroche , présidente . - Laissez M. Beaugas s'exprimer, même si vous approuvez ses propos...
M. Michel Beaugas . - Le problème des retraites n'est pas un problème de dépenses, mais bien de recettes, et ce sont ces questions d'emploi, de conditions de travail et de salaires qui en sont la cause. Autrement dit, c'est un problème de manque de cotisations. Bien évidemment, il faudra, d'un autre côté, regarder toutes les exonérations qui ont été octroyées aux entreprises. Force ouvrière défend l'idée que toutes les aides aux entreprises doivent être conditionnées. Nous ne nions pas que certaines entreprises en ont besoin, est-ce pour autant le cas des entreprises du CAC40 ? Nous avons fourni au Gouvernement des documents étayés sur la manière de préserver l'emploi des seniors ainsi que sur l'égalité salariale. Par exemple, nous avons proposé que les aides soient conditionnées au temps partiel subi par les femmes, qui crée des différences au moment de la retraite. Il faut travailler sur tout cela avant de penser à reculer l'âge de départ.
M. Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC . - Je vais adapter mon propos à ce qu'ont déjà dit mes collègues, afin de ne pas être trop long. Je veux souligner que nous avons été très déçus par la concertation menée par le Gouvernement à l'automne : il y a eu très peu d'écoute et nous pressentions que la réforme serait dogmatique. Nous espérions trouver des informations dans le projet de loi, en particulier dans les éléments assimilables à une étude d'impact, mais la déception a encore une fois été grande. Par exemple, sur l'article 2 relatif à l'emploi des seniors, on ne trouve rien sur les conséquences que le texte pourrait emporter sur la Cnam et sur les autres caisses d'assurance maladie, en raison de la multiplication des arrêts maladie. Il n'est question que de l'index seniors. Il est inadmissible que nous disposions d'aussi peu d'éléments justificatifs pour une telle réforme et cela pourrait poser des questions constitutionnelles. On ne trouve pas non plus d'impact prévisionnel sur l'assurance chômage, sur l'assurance maladie ou encore sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, laquelle sera pourtant concernée de très près. S'agissant de l'article 7, seules les pénalités susceptibles d'être infligées si l'index senior n'est pas publié par un pourcentage donné d'entreprises sont mentionnées. C'est un peu léger ! De plus, il subsiste des incohérences : l'augmentation de l'âge est justifiée par un accroissement de l'espérance de vie entre 1999 à 2019, alors que l'on sait bien que celle-ci ne croît plus depuis 2014, et que l'évolution de 1999 à 2012-2013 a déjà été prise en compte dans la loi Touraine, par une augmentation de la durée de cotisation. La représentation nationale devrait, me semble-t-il, s'émouvoir de la faiblesse de ces justifications et s'interroger sur leur degré de validité. Par exemple, Hervé Le Bras de l'Institut national d'études démographiques (Ined), a lui-même mentionné que les hypothèses d'évolution de l'espérance de vie n'étaient pas réalistes. Nous espérons tous que celle-ci repartira à la hausse, mais attendons de le constater avant d'en faire argument pour justifier l'augmentation de l'âge de départ.
Devant ce manque d'éléments du Gouvernement, qui justifie principalement le report de l'âge de départ par les projections sur l'équilibre financier, et parce qu'il y avait, dans le rapport du COR, des coefficients de sensibilité, nous avons réalisé nos propres chiffrages. Quand la Première ministre évoquait, dans les dix ans qui viennent, un déficit de 100 milliards d'euros, un scénario à espérance de vie constante débouche sur une amélioration de 47 milliards d'euros de l'équilibre financier de notre régime de retraite - en raison, essentiellement, de dépenses en moins. Nous avons également considéré l'emploi des seniors, pour lequel aucune conséquence financière n'est chiffrée ; en l'améliorant, on aboutirait à plus de 40 milliards d'euros d'économies sur les dix prochaines années, portant ainsi le système à l'équilibre, alors que l'on subit encore l'effet du papy-boom. Pour le contrer, les régimes des salariés du privé et un grand nombre de régimes spéciaux disposent de 180 milliards d'euros de réserves, mais cela n'est jamais évoqué dans les études d'impact ! Il faut ensuite en revenir à un partage de la valeur plus équilibré. Alors que la part des salariés a diminué de 5 % lors des vingt-cinq dernières années, nous avons considéré que l'on pouvait progressivement regagner 2 % dans les dix prochaines années, grâce à une loi qui pourrait être votée d'ici à la fin de 2023, qui entrerait en vigueur en 2025, par exemple, et qui serait associée à une meilleure gouvernance des entreprises, allant de pair avec plus d'investissements, et donc plus de créations d'emplois. Cela permettrait de rapporter plus de 100 milliards d'euros à nos régimes de retraite lors des dix prochaines années. Ainsi, il deviendrait possible de financer les mesures de solidarité qu'ont évoquées mes collègues. On voit bien que le système de retraite est un sujet sociétal, le traiter en quelques semaines de débats parlementaires dans le cadre d'un PLFRSS est trop réducteur. Il n'y a pas de problème financier et nos concitoyens ont bien compris qu'on les emmenait dans une impasse. Nous faisons confiance à la représentation nationale pour ne pas voter ce projet de loi.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Je veux commencer par vous remercier. Je pense que nous devons nous voir régulièrement, indépendamment d'un tel projet de réforme.
Votre engagement est important : il permet à l'ensemble des personnes que vous représentez de mieux comprendre les réformes, grâce à votre travail de réflexion et de pédagogie. Vous voulez avancer sur l'égalité salariale entre hommes et femmes, sur le travail des seniors, sur le temps partiel, autant de sujets que nous essayons nous aussi de comprendre. Dans notre réflexion sur la manière de corriger les phénomènes qu'encourage notre système, nous ne pouvons nous passer de vous. Je veux vraiment dire le respect que j'ai pour votre travail. Les syndicats doivent être plus forts au sein des entreprises, et pas seulement au moment où il y a une réforme des retraites.
Pour autant, je n'ai pas été élue pour que l'on me dise ce que j'ai à faire. J'ai un parcours ; vous avez le vôtre. Nous avons des angles d'appréciation différents. Nous ne nous laisserons enfermer dans une seringue ni par les uns ni par les autres, nous devons nous respecter. À l'Assemblée nationale, au Sénat, dans la rue, nous laissons une mémoire collective. Le respect s'entretient ; il encourage la confiance.
En tant que rapporteurs, nous avons déjà eu l'occasion de vous poser des questions ; je laisserai donc la main à tous ceux qui n'étaient pas présents lors des auditions.
Nous sommes d'accord sur le constat, à savoir que le système est durablement en déficit. Pourquoi l'est-il ? Comme vous l'avez dit, ce n'est pas le fait d'un dérapage des dépenses, les travaux du COR ont permis de bien le comprendre.
Les éléments de langage existent des deux côtés et chacun s'abrite derrière les slogans qu'il affiche. Nous devons essayer de dire les choses factuellement, telles qu'elles sont. À chaque citoyen de se documenter, en fonction de sa curiosité personnelle. Il est important de ne pas s'en tenir à un seul son de cloche.
Oui, le système est durablement en difficulté. Avec moins d'actifs par retraité, les recettes vont manquer. Comment résoudre l'équation ? À peu près tous les autres pays européens de notre catégorie ont reculé l'âge de départ à la retraite, avec des systèmes certes un peu différents.
Monsieur Ricordeau, pouvez-vous nous apporter des précisions complémentaires sur le système à points que vous envisagez ? Dans quelles circonstances pourrait-on obtenir des points, avec quel niveau de salaire ? Il faut veiller à ce que le système reste juste. De fait, les Français tendent à se comparer les uns aux autres en matière de retraite.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Les avis sont divergents. Je suis en train d'étudier les différentes propositions. Elles sont intéressantes, mais aucune ne pourra compenser les inégalités qui existent au niveau du travail. De fait, notre feuille de route est très limitée : une réforme paramétrique ne peut pas tout gommer.
Oui, les carrières incomplètes entraînent des pensions incomplètes, mais la retraite par points est encore pire que le système par annuités ! Et ce n'est pas en claquant des doigts que l'on va faire disparaître les inégalités entre régimes.
Quoi qu'il en soit, on voit bien que le temps passé à la retraite a évolué sur les dernières dizaines d'années, alors que la natalité diminue. Mathématiquement, le système ne peut pas s'équilibrer.
Vous ne remettez pas en cause les 43 ans d'activité. Il faut bien les prendre en compte ; c'est la loi. Cependant, les carrières longues sont un sujet important. Quel est votre avis à leur sujet ?
Personne ne peut contester qu'il y ait une usure professionnelle après 43 ans ; elle est tout à fait normale. Nous essayons modestement de voir comment nous pouvons aménager la réforme de façon à la prendre en compte. C'est la raison pour laquelle nous envisageons d'en rester au droit actuel pour un certain nombre de dispositifs, comme l'incapacité permanente, qui permet un départ deux ans avant l'âge légal. Selon vous, permettre un départ à 60 ans permet-il de mieux tenir compte de l'usure professionnelle ? Certes il n'y aurait ainsi pas d'amélioration, mais il n'y aurait pas non plus d'aggravation, ce qui est peut-être déjà une avancée !
Une vie actuelle de durée moyenne comporte un temps d'éducation et de formation d'une vingtaine d'années, et vingt-deux à vingt-cinq ans de retraite. Bien souvent, les enfants des personnes très âgées sont déjà à la retraite. Avec le vieillissement de la population, il n'y a plus qu'un actif pour deux personnes en retraite ; le constat est incontournable : cet actif devra travailler un peu plus longtemps.
De ce point de vue, la retraite progressive peut être intéressante : ce serait une phase intermédiaire, de quelques années, qui assurerait la transition avec la vie active. Il faut que nous travaillions ensemble sur ce dispositif qui peut nous rassembler.
Que pensez-vous du maintien de la retraite progressive à 60 ans ? Avez-vous une proposition à me suggérer sur cette phase intermédiaire pour les seniors ?
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances . - À vous écouter, tantôt il n'y a pas de déséquilibre, tantôt il y en a un, mais il n'est pas dramatique ou pas très difficile à corriger.
Monsieur Ricordeau, vous évoquez un déséquilibre éventuel de 10 milliards d'euros. Pourriez-vous revenir sur les moyens d'y remédier ? Est-ce simplement en améliorant l'emploi des seniors ?
Vous avez tous abordé la question de la progression de l'espérance de vie, parfois en vous appuyant sur les travaux du COR, parfois en les contestant. Pourriez-vous préciser ce que vous pensez être juste dans les projections sur l'espérance de vie ?
Monsieur le représentant de la CGT, comment expliquez-vous que 5 000 retraités de la RATP, partis à 52 ans avec une pension moyenne de 2 800 euros, aient passé un nouveau contrat avec leur ancien employeur pour exercer le même travail ? Qu'en déduisez-vous en termes de pénibilité ?
M. Yvan Ricordeau . - Madame la rapporteure générale, j'apprécie le soutien franc que vous avez exprimé envers les syndicats. Nous pensons, nous aussi, que le renforcement du dialogue social est un élément clé pour les réformes qui doivent être menées dans notre pays.
Nous faisons des analyses comparatives entre pays européens sur les réformes sociales ; le dossier des retraites est un exemple type. Regardons comment les éléments de protection sociale ont été construits dans les modèles qui sont mis en exergue et quelle part de responsabilité y est donnée aux différents acteurs, notamment aux acteurs sociaux ; la question du poids des organisations syndicales et des organisations d'employeurs nous semble donc essentielle.
S'agissant de l'emploi des seniors, nous proposons de renforcer le dialogue social. Cela dit, nous ne sommes guère optimistes : dans l'équilibre politique qui est en train de se construire sur ce projet de réforme, les éléments de renforcement du dialogue social ne nous semblent pas promis à un grand avenir. Pourtant, on ne progressera pas sur les questions névralgiques de l'emploi des seniors et de la qualité des carrières sans renforcer le dialogue social. Or l'Assemblée nationale, depuis hier soir, va dans l'autre sens. Dans les quelques semaines qui sont devant nous, nous ne percevons pas la perspective d'un rendez-vous en vue d'une refondation plus profonde de notre système de retraite. Cela dit, un système à points peut être un moyen de renforcer notre système par répartition. La caisse de retraite complémentaire des salariés du privé Agirc-Arrco en est une belle démonstration : elle est très bien gérée, solide et tenue financièrement. Il est possible de s'appuyer dessus pour construire l'avenir. De même, certains systèmes à points recèlent une forme de solidarité qui permet des correctifs. Le débat actuel montre que, si l'on veut corriger les inégalités entre femmes et hommes et mettre un terme à l'une des principales injustices - les diminutions de pensions qui touchent les polypensionnés -, on ne pourra le faire que par une refondation de notre système de retraite. La construction des droits par sédimentation de réformes successives conduit inévitablement à créer des avantages et des inconvénients quand on fait bouger un curseur. Malheureusement, cette refondation n'est pas l'objet du rendez-vous qui nous est proposé, car un autre choix a été fait.
Sur l'usure professionnelle, le texte contient des avancées qui correspondent à des demandes de la CFDT : je pense à l'amélioration du C2P actuel, à l'abaissement des seuils, ou à la prévention, qui semble avoir un effet de levier dans le projet de loi. Le problème est qu'il n'y a pas d'amélioration concernant la réparation de l'usure professionnelle ; c'est cela qui justifie le désaccord fondamental de la CFDT. Aux salariés qui travaillent dans les menuiseries, à ceux qui passent leur carrière à porter des vitres ou des seaux de peinture, à tous ceux qui enchaînent les postures pénibles, le projet de réforme dit : « si vous présentez un taux d'incapacité, vous pourrez partir deux ans avant les autres, mais seulement à 62 ans - c'est-à-dire comme aujourd'hui ». En revanche, tous ceux qui ne sont pas cassés par leur carrière professionnelle devront aller jusqu'à 64 ans, ce qui, pour ces salariés, est tout simplement inenvisageable. Notre proposition est de permettre aux salariés exposés aux trois critères ergonomiques que sont le port de charges lourdes, les vibrations mécaniques et les postures pénibles de bénéficier d'un droit à la retraite anticipée, en fonction de critères et de seuils qui auront été définis par les branches professionnelles. On nous avait objecté qu'un tel mécanisme serait une usine à gaz, mais il est tout à fait possible de le mettre en place de façon très simple. Nous avons fait des propositions, dans le cadre de la concertation, qui permettent de résoudre les problèmes, mais cela bloque au niveau de la décision.
Nous sommes d'accord avec vous sur la retraite progressive : il faut renforcer tous les dispositifs permettant de baisser l'intensité du travail dans la dernière partie de carrière. Ainsi, on améliorera la qualité de l'emploi. Malheureusement, le débat à l'Assemblée nationale montre que le consensus politique tend à ce que l'on ne fasse rien sur l'emploi des seniors, à l'inverse de ce qui est nécessaire pour assurer l'avenir du système de retraite.
Nous avons besoin d'un débat franc et direct sur la durée de cotisation : depuis vingt ans, la CFDT demande une répartition de l'augmentation de la durée de vie entre la carrière et la retraite, et souhaite jouer sur la durée de cotisation. Nous ne remettons donc pas en cause la réforme Touraine et les 43 années. Mon propos sur les perspectives financières visait le déséquilibre existant. Le rétablissement de l'équilibre soulève la question des recettes, comme mes voisins l'ont indiqué. Affinons ce qui a été construit dans la perspective de l'équilibre financier, s'agissant notamment de l'emploi public. Dans le projet de loi, les perspectives le concernant constituent un élément de confrontation : faut-il baisser de 10 % la masse salariale de l'emploi public ? Si oui, dites-nous comment ! Le débat n'est pas posé selon ces termes : il faut non seulement prendre en compte la démographie, mais aussi l'emploi des seniors et la qualité de l'emploi.
M. Thomas Vacheron . - Ces échanges sont nécessaires : se connaître, c'est se rencontrer et se comprendre. Les menaces n'ont pas lieu d'être, mais les alertes sont insistantes. Toutes les organisations syndicales ont transmis le 7 février dernier un communiqué invitant le Gouvernement et les parlementaires à ne pas rester sourds face à cette mobilisation puissante et au fait que neuf Français sur dix rejettent cette réforme. Dans une démocratie qui fonctionne, on doit écouter la large majorité de la population qui s'oppose à cette réforme. Tous syndicats confondus, nous rappelions que les parlementaires doivent prendre leurs responsabilités et rejeter ce projet de loi : solennellement, toutes les organisations syndicales et les organisations de jeunesse vous alertent.
Nous dénonçons unanimement les contre-réformes successives, et notamment les ordonnances Macron de 2017, qui donnent plus de pouvoir aux directions d'entreprise et moins de droits aux représentants des salariés, facilitant ainsi les licenciements. Dans un rapport, l'ancien Défenseur des droits Jacques Toubon avait relevé l'ampleur de la discrimination syndicale. Vous savez à quoi cela a abouti : à deux années de « gilets jaunes ». Nous ne souhaitons pas que cela se reproduise, mais une mobilisation aussi massive de la population est une alerte forte. La France est le deuxième pays au monde pour la richesse produite par salarié, et le premier en Europe. Où partent les richesses créées ? La part destinée aux salariés fond au regard de celle qui revient à ceux qui détiennent les entreprises ; la conséquence, ce sont des salaires amoindris et de petites retraites. Vous êtes les représentants de la République. La France est le seul pays au monde où il n'y a quasiment plus de retraités pauvres, grâce au système de répartition solidaire que le Conseil national de la Résistance a créé, et auquel nous sommes tous très attachés ; cette exception française protège et défend. Dans vos permanences, les citoyens vous alertent sur les risques, car ils sont conscients de leur chance, et de leurs droits.
Sur la réforme, notre constat est unanime : le COR annonce un déficit, dans quelques années, de peu ou prou 12 milliards d'euros, soit de 3 % par rapport aux pensions versées. Les déficits des ménages ou de l'État sont d'une autre ampleur, celui des entreprises privées est gigantesque ! Comme l'indique le président du COR lui-même, cela ne constitue pas une alerte. Nous ne le balayons pas pour autant du revers de la main ; nous devons trouver des solutions. Tout d'abord, il faut travailler à l'égalité hommes-femmes : il y a encore 27 % d'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes. Il faut y remédier non seulement pour lutter contre cette inégalité, mais aussi pour bénéficier des 5,5 milliards d'euros que cela rapporterait, selon l'estimation de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) ! Ensuite, remarquons que le déficit n'a pas été important en 2020 et en 2021, et qu'en 2022, malgré des prévisions alarmistes, le régime est excédentaire en milliards d'euros. Il faut protéger et anticiper : augmenter les salaires et les cotisations sociales permettrait de rehausser les pensions. Nous ne demandons pas beaucoup : une revalorisation du Smic pour vivre décemment, une indexation des minima de branche sur l'inflation, non pour gagner plus, mais pour ne pas gagner moins. Enfin, une augmentation symbolique des cotisations patronales et salariales, d'une poignée d'euros pour un Smic, qui permettrait l'équilibre du système, sans qu'aucune pension soit en dessous du Smic. Quand on travaille, on a droit au Smic ; pourquoi n'y aurait-on plus droit une fois retraité ? Pour terminer sur le financement du système, les exonérations de cotisations sociales représentent plusieurs dizaines de milliards d'euros. Pourquoi ne pas les conditionner, et les retirer aux entreprises qui licencient avant 60 ans ? Nous pouvons vous fournir une liste.
Monsieur Savary, cette loi cumule deux éléments : le relèvement de l'âge de départ et l'accélération de la loi Touraine. Cela provoque un effet cumulatif. Les années les plus pénibles sont celles de la fin de carrière ; les meilleures années de retraite sont les premières. Si je comprends bien votre appréciation, vous nous disiez, poliment, de ne pas nous emballer... Enfin, pour l'ensemble des organisations syndicales, ce n'est ni 63 ans ni 64 ans ; 62 ans, c'est déjà trop. Vous avez évoqué la question des carrières longues, mais la moitié des actifs ne sont plus au travail à 60 ans ! Il faut bien résoudre le problème causé par ceux qui nous licencient avant cet âge ! Si on ne travaille pas sur l'inégalité entre les hommes et les femmes, les carrières longues, les licenciements, les maladies ou le revenu de solidarité active (RSA), le sas de précarité des retraités augmente, comme vous le constatez dans vos circonscriptions.
Sur les régimes pionniers les plus protecteurs, je partage certains éléments, mais je vous alerte à nouveau : leurs caisses sont excédentaires, comme c'est le cas pour les énergéticiens ou pour votre régime autonome. Vous remettez donc en cause des régimes à l'équilibre, qui protègent et qui sont efficaces. Ce n'est pas la solution.
M. Michel Beaugas . - La retraite est la résultante de la carrière. Les difficultés doivent donc être abordées pendant la carrière, et non une fois à la retraite ; il faut d'abord travailler sur les conditions d'emploi, le maintien dans l'emploi, les augmentations de salaire, et conditionner certaines exonérations bénéficiant à certaines entreprises.
Concernant les régimes spéciaux, il y a bien souvent des surcotisations, ou un système de financement qui permet l'équilibre des caisses, comme c'est le cas de celle des clercs de notaires par exemple. Pourquoi supprimer ces régimes ? Ils sont historiques, ils existaient avant 1945, et ils font partie du contrat social de l'entreprise. Je rencontre souvent les dirigeants de la RATP ou d'EDF, par exemple, et ceux-ci sont d'accord avec nous : si vous supprimez ces avantages, il faudra inventer de nouvelles compensations pour les salariés. Dans de grandes entreprises, cela soulève un risque de conflits sociaux internes.
L'espérance de vie en bonne santé doit être la plus longue possible ; mais plus on part tard, plus elle est faible. N'oublions pas, en outre, que nous n'avons pas pris en compte dans son calcul les catastrophes climatiques. Pourtant, les employés obligés de travailler pendant les canicules dans des entrepôts surchauffés ou sous le soleil auront une espérance de vie moindre. Prolonger la carrière, comme le propose le Gouvernement, c'est mettre en danger les travailleurs.
Nous sommes favorables à la retraite progressive, fixée dans la loi, puis dans des accords de branche et des accords d'entreprise, mais celle-ci ne doit pas conduire à baisser les pensions. Il faut donc envisager des compensations de cotisations pour que le salarié bénéficie d'une pension à taux plein. À terme, si l'on se réfère à l'article 1 er voté à l'Assemblée nationale, on se dirige vers un régime unique. Là est la difficulté posée par M. Ricordeau concernant la masse salariale de la fonction publique : la réduire, c'est réduire les cotisations.
Nous avons fait des propositions sur le C2P. Les organisations syndicales étaient toutes d'accord pour le faire progresser, le déplafonner et reprendre l'ensemble des critères ergonomiques. Nous avons proposé qu'un C2P comptant plus de 100 points permette de partir à la retraite plus tôt. À côté de cela, il faut inventer un droit à la transition professionnelle pour les salariés exerçant des métiers pénibles, afin que ceux-ci puissent rester dans l'emploi en passant la deuxième partie de leur carrière dans des emplois moins pénibles. Ce droit n'existe pas aujourd'hui, mais les financements nécessaires sont disponibles, il faut responsabiliser les entreprises.
Pour les carrières longues, mon organisation continue à s'opposer aux 43 ans d'activité. Aujourd'hui, la majorité des jeunes rentre vraiment sur le marché du travail et commence à cotiser à 25 ans ; en rajoutant 43 années de cotisation, on arrive bien au-delà de 64 ans. Repousser l'âge de départ est inutile et démagogique.
M. Gérard Mardiné . - Pour projeter l'évolution de l'espérance de vie, faut-il prolonger la pente de la droite sur les cinq dernières années, sur les dix dernières années ou sur les vingt dernières années ? C'est un débat de statisticiens. L'Insee a choisi, dans son dernier rapport sur la démographie de la France, qui date de 2021, un prolongement sur la longue période. D'autres méthodes sont possibles : une étude de l'OCDE montre ainsi que si l'on prend en compte l'état du système de santé, le niveau des pollutions environnementales, etc ., on parvient à des résultats différents. L'espérance de vie constatée en 2021 est inférieure d'un an aux projections établies en 2011 pour la loi Touraine. En 2022, elle est inférieure au niveau de 2017. L'esprit de la loi Touraine était d'allouer deux tiers des gains d'espérance de vie à la vie active, un tiers à la retraite ; en s'appuyant sur l'espérance de vie constatée, il faudrait donc s'arrêter à 42 ans de cotisations ! Il convient aussi de tenir compte de la pénibilité psychique : les arrêts de travail qui lui sont liés se multiplient. Beaucoup de cadres considèrent d'ailleurs ce projet de loi comme liberticide, car ils souhaitent conserver la possibilité de partir à la retraite sans avoir cotisé tous les trimestres ; c'est une des explications principales de la mobilisation actuelle. Il ne faut pas réduire un système de retraite à un facteur unique. Le ratio entre actifs et retraités est inférieur à 1 dans la fonction publique d'État, à cause de la réduction des embauches au statut, ce qui explique le problème de recettes. L'État est un très mauvais gestionnaire de la retraite de ses salariés ; pour autant, ce n'est pas à eux de travailler deux ans de plus, mais bien à l'État de mobiliser tous les leviers de recettes, notamment grâce à un meilleur partage de la valeur. Il faut aussi traiter le sujet de l'évasion fiscale pour faire entrer de l'argent dans les caisses. Par exemple, l'article 82 du code général des impôts permet à certaines entreprises de proposer des retraites chapeau à leurs dirigeants, en payant elles-mêmes leurs impôts ; autant d'argent perdu pour l'investissement et la création d'emploi.
Mme Laurence Cohen . - Nous vous soutenons !
Mme Victoire Jasmin . - En outre-mer, et particulièrement en Guadeloupe, le taux de chômage des jeunes est très élevé et les femmes travaillent peu ; celles qui travaillent ont des carrières chaotiques. J'ai entendu dire qu'il n'y avait pas en France de retraités pauvres, mais, en tant que vice-présidente d'un centre communal d'action sociale (CCAS), j'ai vu beaucoup de femmes retraitées qui avaient du mal à payer leur loyer et leurs factures. Quant aux jeunes, beaucoup sont au chômage ou enchaînent les contrats saisonniers - sans compter le trafic de drogue... Quel sera l'impact de la prolongation de la durée de cotisation sur eux ? On parle beaucoup des seniors, mais je suis inquiète pour les populations de ces territoires.
Mme Monique Lubin . - Monsieur Ricordeau, vous avez souligné que la situation financière des régimes de retraite était très différente au moment de la réforme Touraine. Avez-vous des éléments plus précis ?
Le système des carrières longues est modifié : quelqu'un qui a commencé à travailler à 18 ans devra travailler jusqu'à 62 ans au lieu de 60. La Première ministre annonce que le Gouvernement va y remédier. Pourront-ils partir à 61 ans ? Y a-t-il des discussions sur ce thème ?
La question de l'emploi des seniors est primordiale. Je considère d'ailleurs ce texte comme un projet de loi financier, parce qu'il faudrait aborder le sujet de la retraite via celui du travail. Monsieur Ricordeau, vous semblez regretter le vote de l'Assemblée nationale hier. Certes, les mesures sur les seniors ont été rejetées, mais ces mesures et rien, c'était à peu près pareil... Voyez ce qui se passe en matière d'égalité salariale hommes-femmes : la loi n'est toujours pas respectée.
Le dialogue social ne doit pas avoir lieu à l'Assemblée nationale ou au Sénat, mais dans les négociations avec les syndicats. Ne pensez-vous pas que c'est là que le bât blesse ?
Mme Raymonde Poncet Monge . - Quel bilan faites-vous des réformes précédentes, notamment le passage de 60 à 62 ans ? Ce texte nous est vendu avec la réintroduction de trois critères de pénibilité, alors que quatre avaient été supprimés en 2017. Or les statistiques montrent que ces critères tendent à s'aggraver, qu'il s'agisse des contraintes et risques physiques, de l'intensité, de la contrainte de temps, de rythme, qui sont aussi des facteurs de risques psychosociaux. Tout cela explose. Cette réforme ajoute deux ans de cotisations pour ceux qui sont exposés à ces risques, sans tenir compte de l'évolution tendancielle, dont la suppression du CHSCT est au demeurant un facteur d'explication.
En réalité, la durée de la retraite est en baisse : on a rogné sur l'espérance de vie en bonne santé. Le passage à 62 ans a affaibli l'effet redistributif de la retraite ; on peut penser que passer de 62 à 64 aura des conséquences encore plus dures.
Mme Corinne Féret . - Dans ce texte, le Gouvernement propose de réintégrer trois des quatre critères supprimés en 2017 : il s'agit des trois critères ergonomiques, mais rien n'est prévu pour le risque chimique. Qu'en pensez-vous ?
Quel est votre avis sur la proposition de créer un Fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle ?
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je tiens à féliciter les organisations syndicales pour l'absence de débordements, alors que des millions de personnes sont dans la rue, y compris dans les petites villes, comme Saint-Omer.
Avez-vous des chiffres précis sur l'espérance de vie en bonne santé, selon les professions et les milieux sociaux ?
Sur la retraite minimale à 1 200 euros bruts, on entend beaucoup de choses, mais le Gouvernement n'est pas en mesure de nous indiquer le nombre de personnes qui les toucheront. Avez-vous un chiffre ? De combien ces personnes seront-elles augmentées en moyenne ? Pensez-vous que le report de l'âge de la retraite mettra de nouvelles personnes en situation de précarité ?
M. Daniel Chasseing . - Il aurait fallu davantage de dialogue social avant le dépôt du texte, notamment sur le travail des seniors. Au niveau européen, la France est le mauvais élève sur ce plan. Quelles solutions pour la retraite progressive et le travail partiel ? Faut-il passer par les incitations fiscales ou les sanctions pour que les PME conservent les seniors ? Monsieur Vacheron, vous estimez que les aides-soignantes et les infirmières ne devraient pas travailler jusqu'à 64 ans, en raison de la pénibilité de ces emplois. Je suis d'accord, mais qui doit mettre en place les critères de qualification d'un travail pénible ?
Mme Frédérique Puissat . - Certains de nos collègues députés, conduits par Philippe Juvin, proposent de mettre en place un régime additionnel et d'introduire une part de capitalisation dans le système. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain Duffourg . - En France, 33 % des seniors sont en emploi. Comment inciter les entreprises à les embaucher davantage ?
Il faut clarifier ce que recouvrent les 1 200 euros par mois dont parle le Gouvernement, car avec les 87 % du Smic évoqués, cela ne fait pas le compte.
Mme Annick Jacquemet . - Quelles pistes envisagez-vous pour l'emploi des seniors ainsi qu'en matière d'égalité de salaire entre les femmes et les hommes ?
M. Olivier Henno . - On constate tous les jours que l'on ne peut pas engager une réforme sociale d'une telle ampleur sans un paritarisme fort, d'où la nécessité de le renforcer dans les années à venir.
Premièrement, n'a-t-on pas une vision passéiste de la pénibilité ? Il faudrait également prendre en compte la pénibilité psychique, par exemple pour les enseignants en collège ou en lycée dans des établissements difficiles.
Deuxièmement, s'agissant de feu l'index seniors, un système de bonus-malus pourrait-il être envisagé ?
Troisièmement et enfin, la majoration de pension serait-elle à même de renforcer véritablement notre politique familiale, alors que la question du renouvellement des générations est posée ?
M. Martin Lévrier . - Nous sommes confrontés, malgré tout, à un problème d'équilibre du régime de retraite, même si on tente de le faire disparaître en jouant sur certains curseurs. Le calcul de la réforme se fonde sur un taux de chômage très faible, inférieur à 5 %, ce qui suppose que les seniors restent dans l'entreprise ; dès lors, l'enjeu se trouve d'abord dans l'augmentation des recettes. Compte tenu des difficultés de pouvoir d'achat, la hausse des cotisations ne me semble pas envisageable. Qu'en pensez-vous ? Que proposez-vous sur ce point ?
La France est l'un des pays d'Europe où l'âge de départ à la retraite est le plus bas, alors que l'Italie, par exemple, est prête à le porter à 69 ans. En quoi la France serait-elle meilleure que les autres en la matière ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Tout d'abord, pourriez-vous vous exprimer plus longuement au sujet de la natalité ?
Ensuite, certains critères de pénibilité ont été supprimés ; faut-il les rétablir ? Je pense notamment à l'exposition aux agents chimiques.
Enfin, à travail égal, salaire égal : c'est écrit dans la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a presque dix ans. Comment expliquez-vous, dès lors, la problématique dont nous discutons aujourd'hui ?
M. Yvan Ricordeau . - Aujourd'hui, le débat public part d'un besoin de financement de 10 milliards d'euros par an, contre 30 milliards d'euros par an en 2014 et 50 milliards d'euros par an en 2010. En outre, en 2010 comme en 2014, l'on anticipait une chute libre de l'équilibre financier du régime. Ce n'est plus le cas actuellement. Pourquoi donc, alors même que l'horizon financier est moins défavorable, nous propose-t-on la réforme la plus brutale ? Celle-ci vise en réalité l'assainissement des finances publiques, qui ont encore été dégradées par la crise du covid. Pour la CFDT, on ne saurait toutefois les rétablir en ajustant uniquement la protection sociale des travailleurs, alors que l'on ne s'attarde ni sur la fiscalité ni sur les aides publiques destinées aux entreprises.
Au sujet des carrières longues, nous avons entendu les annonces de la Première ministre, hier à l'Assemblée nationale. À présent, nous avons besoin de prendre connaissance du projet de décret, car la loi ne contient rien de précis à ce sujet. C'est une question de transparence.
Mme Monique Lubin . - Nous sommes d'accord !
M. Yvan Ricordeau . - Au cours de la concertation avec le ministère, nous avons trop souvent dû nous contenter d'éléments oraux à propos des carrières longues et nous avons fini par exiger des tableaux et des informations précises. C'est particulièrement important pour la CFDT, qui est à l'origine de ce dispositif.
L'index seniors est un outil, mais ce n'est pas lui qui va faire la politique en faveur de l'emploi des seniors dans notre pays. S'agissant de la suppression de l'article 2 survenue à l'Assemblée nationale, nous sommes en revanche inquiets de la position du groupe Les Républicains, qui a fait part de son refus d'abaisser le seuil du dispositif et de renforcer la négociation en entreprise. Dans le projet de loi initial, les mesures en faveur de l'emploi des seniors n'étaient déjà pas ambitieuses, que va-t-il en rester à l'issue des débats au Sénat ?
Pour définir la pénibilité, quatre critères avaient été retenus en 2017. Toutefois, l'exposition aux agents chimiques dangereux est difficile à établir individuellement. Nous en sommes convenus avec le ministère du travail : il est compliqué de retenir ce critère dans le C2P. Cette question relève plutôt, à notre sens de normes protectrices des travailleurs attachées à ces produits. En revanche, les trois critères ergonomiques de 2017, qui provoquent 95 % des TMS professionnels, constituent un point névralgique. Or le Gouvernement ne veut pas qu'ils reviennent dans le C2P ; ce faisant, il empêche les réparations auxquelles un certain nombre de salariés ont droit. Pour nous, ces trois critères doivent être rétablis.
On invoque souvent le benchmark européen. N'oublions pas que l'âge d'ouverture des droits est de 62 ans en France actuellement, mais que l'âge de départ moyen a dépassé ce seuil. À l'étranger, bon nombre de salariés choisissent la décote, en partant avant l'âge légal. Notre système de retraite par répartition a sa propre histoire sociale, comme c'est le cas dans chaque pays européen.
M. Thomas Vacheron . - Les organisations syndicales européennes soutiennent unanimement notre mobilisation, il est important de le rappeler.
La réforme de 1993 a contraint 22 millions de salariés du privé de passer des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années pour calculer la base de la pension, laquelle a ainsi perdu plus de 20 %. En 2010, lors du passage de 60 à 62 ans, même l'inspection générale des affaires sociales (Igas) avait souligné l'allongement considérable du sas de précarité.
À chaque réforme, c'est aux salariés de payer. Pour nous, il s'agit véritablement de contre-réformes, qui se font au détriment des salariés. À l'inverse, la réforme de 1982 a permis une augmentation des pensions.
J'approuve complètement les propos de Mme Jasmin au sujet des femmes ; bien sûr, il y a toujours trop de retraités pauvres, mais nous avons moins de retraites de misère que les autres pays européens. C'est pourquoi l'instrumentalisation de la question des 1 200 euros a été indécente. Comme mes collègues syndicalistes, j'ai participé aux concertations, qui ne furent jamais des négociations : aujourd'hui, au Gouvernement, personne n'est à même de détailler le calcul conduisant au rehaussement de la retraite minimale à 1 200 euros.
J'entends que la situation s'améliore sur le front de l'emploi, mais de quel emploi parle-t-on : de l'emploi précaire, des apprentis ? Aujourd'hui, dans tous les cas de figure, il y a 6 millions de chômeurs et si l'on fait travailler les anciens plus longtemps, il n'y aura pas de travail pour les jeunes.
Sur la question des carrières longues, il faut prendre en compte la situation des proches aidants, des congés de maternité et de paternité, mais aussi les années d'études : si l'on accomplit des études, c'est bien pour être plus performant dans son travail ! Il en va de même du chômage, qui a fait l'objet d'attaques d'une violence absolue, ou de la maladie.
Au sujet de la pénibilité, nous défendons une politique de contrôle et de conditionnalité des aides publiques. Selon nous, un trimestre doit être validé par année d'exposition aux critères de pénibilité, dans la limite de cinq années. Il est ici question des femmes de ménage ou encore des travailleurs postés appliquant les « trois-huit », pour lesquels ces mesures sont le moyen de bénéficier d'une retraite décente.
Les quelque 300 milliards d'euros de retraites versés chaque année aiguisent évidemment les appétits de ceux qui y voient un marché, quand il s'agit d'un bien commun ; la capitalisation, ce sera des retraites de misère pour le plus grand nombre, car tout le monde ne pourra pas se l'offrir. Est-ce cela, la société française que nous voulons ?
Je regrette que ce temps d'échange ne soit pas plus long, tant les incompréhensions me paraissent nombreuses ; lors d'une audition à l'Assemblée nationale, une de mes collègues de la CFTC demandait : que vous avons-nous fait pour que vous nous infligiez ce projet ?
M. Michel Beaugas . - Pour Force ouvrière, le minimum de pension doit être le Smic ; en France, le seuil de pauvreté est à 1 102 euros et beaucoup de retraités perçoivent une pension inférieure à cela. 18 % des Français en grande pauvreté résident dans les outre-mer, où le problème est d'abord celui de la cherté de la vie. Il faut donc travailler au pouvoir d'achat et à la pérennité des emplois dans les territoires ultramarins.
Nous ne souhaitons pas que l'institution de la retraite progressive entraîne une baisse du niveau des pensions ; cela étant, pourquoi ne pas revenir au contrat de génération ? S'il n'a pas fonctionné, c'est parce que les entreprises n'en ont pas voulu ; et s'il est trop connoté « François Hollande », il suffit de changer son nom !
Mon organisation est opposée à la capitalisation, laquelle ne fonctionnera pas si elle est subie ; le moindre krach boursier entraînerait une réduction des pensions. Tous les pays qui ont opté pour ce système, notamment les pays nordiques, reviennent aujourd'hui sur leur choix. La retraite par répartition adossée à une caisse complémentaire gérée par les partenaires sociaux reste le montage le plus efficace. Un chapeau de capitalisation ne profiterait qu'aux plus riches des retraités.
Enfin, j'espère que le taux de chômage sera, demain, à 5 %, mais on a bien du mal à passer sous les 7 % ; à cet égard, le déficit projeté est artificiel. Avec 5 % de chômage, nous aurons, certes, plus de cotisations, mais encore faut-il que les emplois soient pérennes et à temps complet. Travaillons d'abord sur l'emploi et sur les contrats de travail, avant de réduire l'indemnisation chômage de 25 % ou de faire travailler les Français deux ans de plus.
M. Gérard Mardiné . - Le COR parle du PIB et du taux de chômage en catégorie A, mais la situation de l'emploi ne saurait s'y résumer. Or, comme le souligne l'Insee, le halo du chômage ne se réduit pas et concerne 2 millions de personnes. C'est d'abord la masse salariale qui doit augmenter, plutôt que les taux de cotisation, via un partage de la valeur rééquilibré. Il faut bel et bien oeuvrer en faveur du travail et de l'emploi avant de parler des retraites ; de même, il faut commencer par établir une gouvernance responsable des entreprises, avant de parler de capitalisation. Aujourd'hui, les retraites par capitalisation sont un frein au développement des grandes entreprises, qui rechignent à investir et privilégient leurs dividendes. Le patron de BlackRock a ainsi indiqué, au mois de mai dernier, qu'il ne revenait pas aux entreprises d'investir dans la transition écologique et énergétique, mais bien à l'État de la financer. Ces propos s'expliquent parce qu'il est sous la pression des fonds de pension qui sont ses clients. Nous pourrions nous satisfaire d'une capitalisation marginale, mais sous les conditions que je viens d'énoncer. Allez demander à nos collègues de Latécoère ce qu'il advient de leur usine neuve, eux dont l'actionnaire principal est un fonds d'investissement ! Un système de retraite qui aurait vocation à faire renvoyer des salariés pour produire des dividendes n'aurait pas de sens.
Les comparaisons internationales sont dénuées de pertinence, qu'il s'agisse des âges de départ ou des masses considérées. En outre, l'objectif du pays doit être d'au moins renouveler ses générations ; or ce qui pénalise la natalité, c'est d'abord la précarité des jeunes, dont notre système de retraite est également victime.
Dans la même logique, il est urgent de remédier à l'anxiété écologique. Le Gouvernement devrait se pencher sur ces sujets plutôt que de consacrer des ressources à une réforme des retraites inutile, injuste et brutale.
M. Michel Beaugas . - Le courrier qui a été adressé aux députés vous sera également envoyé à tous individuellement.
M. Thomas Vacheron . - L'histoire retiendra peut-être que c'est pendant notre audition au Sénat que notre pétition a franchi la barre du million de signataires !
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous vous remercions de cet échange, musclé au départ, mais indispensable.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition d'organisations représentatives d'employeurs
Réunie le mercredi 15 février 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition d'organisations représentatives d'employeurs.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous poursuivons avec les représentants des organisations patronales notre matinée d'audition des partenaires sociaux sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
L'Union des entreprises de proximité (U2P) m'a fait savoir qu'elle ne pourrait être représentée.
Nous entendons Mme Diane Deperrois, présidente de la commission protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef), et M. Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
Je vais donner la parole à nos intervenants afin qu'ils exposent brièvement les principales observations de l'organisation qu'ils représentent sur ce texte ; puis le débat s'engagera avec nos rapporteurs, Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet, rapporteure pour avis de la commission des finances, ainsi qu'avec les commissaires.
Mme Diane Deperrois, présidente de la commission protection sociale du Medef . - Ce projet de loi reçoit, de notre part, un avis globalement positif : nous saluons une réforme courageuse et équilibrée, à même de préserver durablement le système de retraite par répartition.
En la matière, il n'y a pas de recette miracle : pour assurer l'avenir de ce modèle social tout en maintenant le pouvoir d'achat des actifs et des retraités, il faut travailler plus longtemps. Si nous ne faisons rien, la situation va continuer à se dégrader, ce qui n'est ni souhaitable ni soutenable, qui plus est dans un tel contexte économique et financier - les déficits publics n'ont jamais été si élevés. Je rappelle d'ailleurs que, tous les ans, l'État injecte une somme d'environ 30 milliards d'euros, qui n'apparaît pas dans les projections financières, afin de financer le déficit structurel des régimes publics, lequel est lié aux déséquilibres démographiques et au maintien de règles de calcul spécifiques. Selon nous, le besoin réel de financement est donc bien supérieur à celui qui est présenté aujourd'hui.
Nous comprenons que cette réforme appelle des ajustements. Ils sont légitimes, car il faut tenir compte des populations les plus précaires.
De même, il faut prévoir des mesures d'accompagnement pour les personnes accomplissant des carrières longues, pour les travailleurs handicapés, pour les personnes inaptes ou invalides, ainsi que pour les salariés soumis à une forte pénibilité. Toutefois, ces ajustements réduisent le rendement net de la réforme. En ce sens, ils appellent notre vigilance.
Le projet de loi entérine la suppression progressive des régimes spéciaux : c'est une mesure de justice que nous attendions. Nous notons également l'abandon du transfert de recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf, une mesure demandée par l'ensemble des organisations syndicales et patronales. En outre, des évolutions des mécanismes de transition emploi-retraite ont été retenues, qu'il s'agisse de la retraite progressive ou du cumul emploi-retraite ; nous avions plaidé en ce sens. Pour ce qui concerne l'usure au travail, nous notons l'évolution des droits acquis au titre du compte professionnel de prévention (C2P) et du dispositif Woerth-Bertrand. Ce projet de loi crée un mécanisme de prise en compte des troubles musculo-squelettiques (TMS) assorti d'un volet de prévention. Avec les différents partenaires sociaux, notamment avec M. Chevée, nous avons précisément négocié en 2020 un accord national interprofessionnel (ANI) portant sur la santé au travail, lequel s'est ensuite traduit par la loi du 2 août 2021. Nous avions particulièrement à coeur de travailler ce volet de prévention. Nous tenions également au filtre médical prévu au titre de la réparation. Cela étant, il nous paraît important que la désignation des métiers les plus exposés ne procède pas des négociations de branche, mais de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Pour nous, c'est bel et bien d'elle que relève ce travail. De surcroît, il ne vous aura pas échappé qu'une négociation est en cours entre organisations syndicales et patronales au sujet de la branche AT-MP ; il importe qu'elle puisse aboutir. En parallèle, le projet de loi crée un filtre médical sur la base d'un avis du médecin du travail. Bien sûr, ce praticien joue un rôle très important. L'ANI que j'évoquais précédemment l'a consacré ; nous avons même instauré une visite de mi-carrière et nous mesurons toute l'importance de la visite de fin de carrière en matière de santé au travail. Mais, à nos yeux, l'avis relatif à une éventuelle inaptitude doit être émis par le médecin de la sécurité sociale. Il s'agit là d'un point très important. Nous n'avons jamais demandé l'échange, opéré par le projet de réforme, entre les cotisations des branches AT-MP et retraites. Nous serons particulièrement vigilants à cet égard, car il faut garantir une pleine équivalence des transferts. J'ajoute qu'il importe de préserver le champ de la démocratie sociale. Quant à l'index seniors, nous n'y sommes pas favorables. Si l'index de l'égalité interprofessionnelle entre les femmes et les hommes repose sur des obligations légales, cet index seniors n'a pas de socle. En outre, les entreprises présentent des profils très différents, qu'il s'agisse de leur taille, de leurs activités ou de leur démographie, laquelle dépend aussi de leur ancienneté ; cette réalité exclut de facto les indicateurs monolithiques. J'ajoute que nous manquons de visibilité quant au fonctionnement de ce dispositif. Dans certains cas, si le taux de seniors recule, c'est tout simplement parce que le nombre d'apprentis a augmenté : pensons à l'équilibre général et aux situations particulières de nos entreprises. S'il devait y avoir un index, il faudrait privilégier les indicateurs définis par les branches, maîtrisables par les entreprises et mis en oeuvre dans le respect de leur dynamique propre. Au surplus, un tel outil devrait être réservé aux entreprises de taille significative : en ce sens, il me semble indispensable de rétablir le seuil de 300 salariés. De même, des sanctions appliquées de manière uniforme nous paraissent absolument inenvisageables. Lors des concertations auxquelles le Gouvernement nous a conviés, nous avons beaucoup insisté sur l'employabilité des seniors. Nous avons souligné l'importance des bilans de compétences et des entretiens professionnels organisés tous les deux ans. C'est dans ce cadre que les employés doivent aborder leur seconde partie de carrière avec leur employeur, en traitant des questions de formation et d'employabilité. Nous accordons beaucoup d'importance à ce dialogue. L'accès aux différents dispositifs de reconversion est, lui aussi, un enjeu capital pour le Medef. Traduisant le voeu des organisations syndicales et patronales, toutes confondues, la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a instauré une visite permettant de prévenir la désinsertion professionnelle. Ce double cadre, relatif à la santé au travail et à l'employabilité, nous paraît tout à fait vertueux : il est à même d'engager les entreprises, quelle que soit leur taille, dans cette dynamique de la seconde partie de carrière. Enfin, nous relevons la volonté de taxer les indemnités de rupture avant la retraite. La rupture conventionnelle, dispositif vieux d'environ quinze ans, est souvent plébiscitée par les salariés eux-mêmes. Soyons vigilants : cette procédure simple, généralement amiable, est à la fois flexible et bien plus protectrice qu'une simple démission. Par ricochet, une telle taxation pourrait freiner les embauches.
M. Éric Chevée, vice-président en charge des affaires sociales de la CPME . - Le but premier de cette réforme est de garantir l'équilibre global du régime de retraite par répartition. Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude perpétuel pour la CPME, à moyen et long terme : à l'avenir, les taux de remplacement des jeunes seront bien plus faibles qu'ils ne le sont aujourd'hui. Voilà pourquoi la CPME souhaitait à l'origine reporter l'âge de départ à 65 ans, compte tenu des différentes mesures d'accompagnement et des dérogations nécessaires. Le compromis proposé par le Gouvernement nous paraît le bon. Il permet de rétablir l'équilibre du système de retraite à moyen terme et contient des mesures de solidarité absolument essentielles, que nous soutenons sans ambiguïté.
Premièrement, le dispositif d'usure professionnelle représente un droit nouveau à la prévention. Je reviendrai sur cette innovation ; très important pour la CPME, ce sujet est intimement lié aux dispositifs relatifs aux carrières longues, auxquels nous sommes aussi très attachés.
Deuxièmement, le minimum de pension doit être fixé à 85 % du Smic pour toutes les carrières complètes, passées et à venir. Lors de la concertation menée par le Gouvernement, nous avons fait un certain nombre de propositions pour que toutes les catégories d'actifs puissent bénéficier de cette mesure, tout spécialement les commerçants et les artisans.
Troisièmement, l'annulation de la décote est maintenue à 67 ans ; cette disposition nous paraît particulièrement équitable.
Quatrièmement et enfin, en cas d'invalidité ou d'incapacité, le départ à 62 ans est lui aussi maintenu ; à nos yeux, c'est indispensable, d'autant que le nouveau dispositif de prévention de l'usure professionnelle est à même de permettre des départs anticipés pour les catégories exposées.
Les dispositifs destinés à faciliter le cumul emploi-retraite et la retraite progressive méritent bien sûr d'être développés dans les entreprises. Dans les très petites entreprises (TPE) comme dans les petites et moyennes entreprises (PME), où l'on a coutume de garder les compétences le plus longtemps possible, le cumul emploi-retraite semble être le plus adapté. Il peut également être utile de conserver lesdites compétences après l'âge d'ouverture des droits pour assurer la transmission des connaissances. Mais, pour l'heure, nous sommes bloqués par la franchise de six mois imposée avant de revenir chez le même employeur. Nous avons soumis quelques propositions sur ce sujet.
En parallèle, nous saluons les grandes améliorations apportées au C2P ; nous y avons beaucoup travaillé avec le Gouvernement. Dans les petites entreprises, notamment dans l'artisanat, les chefs d'entreprise sont aussi concernés que leurs salariés par les questions d'usure professionnelle. Toutefois, les critères supplémentaires prévus en un autre temps avaient débouché sur une véritable usine à gaz ; mieux vaut opter pour un nouveau dispositif - c'est précisément le choix opéré par le Gouvernement. Cela étant, si elles le souhaitent, les branches professionnelles doivent pouvoir se saisir de cette question pour déterminer, en leur sein, les métiers objectivement exposés. De leur côté, les commissions AT-MP sont à même de proposer une vision d'ensemble afin d'assurer la cohérence du dispositif. Avec la visite de mi-carrière évoquée par Mme Deperrois et prévue autour de 45 ans, une réflexion doit être engagée sur l'état physique et psychique du salarié ainsi que sur sa formation, afin que ce dernier puisse aborder correctement sa seconde partie de carrière. Le but est qu'il puisse rester actif le plus longtemps possible. Entre partenaires sociaux, nous travaillons effectivement à un ANI relatif à la branche AT-MP. Avec la santé au travail, la prévention des accidents figure parmi les points majeurs abordés ; l'objet de nos négociations est bien sûr lié au contenu du projet de loi relatif aux retraites. Notre objectif est que, demain, la prévention supplante la réparation. Aujourd'hui, on répare énormément, mais l'on peine encore à prévenir l'usure professionnelle.
À cet égard, nous portons une attention particulière aux carrières longues. Je précise que celles-ci n'impliquent pas en elles-mêmes une iniquité quant à la durée de vie à la retraite, notamment en bonne santé. La vraie différence - vous le savez - porte sur l'invalidité et l'incapacité : ces dernières entraînent effectivement une diminution de la durée de vie en bonne santé à la retraite. En ce sens, le maintien de la borne de 62 ans s'imposait.
Certes, nous ne sommes pas opposés aux indicateurs permettant d'apprécier l'évolution sociologique des populations salariées, dans les branches comme dans les entreprises, mais nous savons bien ce qu'un simple index peut entraîner. À l'origine, l'index seniors devait être réservé aux entreprises de plus de 300 salariés, ce qui avait du sens. En effet, c'est pour ces dernières que les informations de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) sont les plus complètes. En revanche, les entreprises de 50 à 300 salariés devraient produire de la donnée pour que cet index puisse fonctionner ; or parmi elles figurent un certain nombre de PME qui ne disposent pas de services de ressources humaines en mesure d'accomplir ce travail. L'abaissement du seuil à 50 salariés ne nous semble donc pas pertinent.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Selon vous, le Gouvernement a-t-il eu raison de retenir comme hypothèses un taux de chômage à 4,5 % et un taux de croissance à 1 % ?
Quant au transfert de cotisations entre la branche AT-MP et la branche vieillesse, annoncé pour 2024 alors que les partenaires sociaux sont en pleine négociation, vous semble-t-il bien judicieux ?
M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse . - Vous mettez l'accent sur l'effort de prévention. Il est évidemment nécessaire, mais, pour ce qui concerne les troubles ergonomiques, ce qui est proposé n'est pas satisfaisant. À l'évidence, il faut un autre dispositif : vous savez mieux que d'autres comment y parvenir sans pour autant décaler l'âge de départ pour incapacité permanente de 60 à 62 ans. Ce serait une véritable avancée.
Certains proposent de conditionner les aides aux entreprises à certains engagements pour l'emploi des seniors, notamment à des engagements de non-licenciement : qu'en pensez-vous ? En parallèle, faut-il en revenir au contrat de génération, dans une version améliorée ?
Enfin, j'ai cru comprendre que vous étiez désormais enclin à accepter l'index seniors - maintenant qu'il a été supprimé à l'Assemblée nationale... (Sourires.) -, à partir de 300 salariés. De même, je relève que vous privilégiez les commissions AT-MP par rapport aux branches ; pourriez-vous préciser votre position à ce propos ?
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure pour avis de la commission des finances . - Vous avez insisté sur la nécessité de travailler plus longtemps en expliquant précisément ce que vous ne vouliez pas. Quelles sont, selon vous, les mesures concrètes à même de favoriser l'emploi des seniors ?
M. Alain Milon . - Madame Deperrois, vous semblez regretter que l'État injecte chaque année 30 milliards d'euros pour financer le système de retraite. Déplorez-vous aussi les exonérations sociales ? Leur suppression n'aurait-elle pas, in fine , un effet en faveur de l'emploi ?
Mme Frédérique Puissat . - Premièrement, un certain nombre de nos collègues députés, dont Philippe Juvin, proposent d'introduire une part obligatoire de capitalisation dans notre système de retraite ; qu'en pensez-vous ?
Deuxièmement, pour préserver l'emploi des seniors, il faut non seulement s'efforcer de maintenir ces derniers dans leur poste, mais aussi favoriser leur embauche. Le contrat à durée indéterminée (CDI) d'employabilité permet aux entreprises d'externaliser leur main d'oeuvre à long terme tout en conservant la flexibilité de l'intérim. J'ai retenu que le Medef n'y était pas très favorable, mais ne serait-ce pas une solution ?
Mme Brigitte Micouleau . - Il ne se passe pas un jour sans que les organisations syndicales expriment leurs revendications. En revanche, on vous a très peu entendus : pourquoi ?
Mme Véronique Guillotin . - Le maintien des personnes dans l'emploi à partir d'un certain âge est bel et bien un sujet central : que proposez-vous concrètement à ce propos ?
J'insiste sur la nécessité de changer de regard sur l'emploi : la France doit renouer avec le travail. En parallèle, il faut s'efforcer de réduire la pénibilité et traiter certains problèmes concrets, comme la garde d'enfants qui pose beaucoup de difficultés dans les secteurs en tension. Quelles sont vos propositions à cet égard ?
Mme Nadia Sollogoub . - La retraite minimale à 85 % du Smic est une mesure très vertueuse, mais - on l'a vu chez les agriculteurs - elle crée beaucoup de frustrations : certains voient leur pension augmenter, d'autres non.
Mme Victoire Jasmin . - Vous vous focalisez sur les seniors, mais que proposez-vous pour faciliter le recrutement des jeunes, qui, même lorsqu'ils sont diplômés, peinent à trouver du travail ? Bien souvent, on ne leur propose que les minima sociaux. De même, vous semblez ignorer la situation des femmes et les inégalités qu'elles continuent de subir.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous vantez une réforme équilibrée : elle pèse à 100 % sur le travail. Vous dites qu'elle est courageuse : il faut effectivement du courage pour soutenir un projet auquel s'opposent 93 % des actifs ; malgré la déflation salariale que nous connaissons, une majorité d'entre eux préféreraient une hausse du taux de cotisation.
Certes, la prévention doit supplanter la réparation ; mais, aujourd'hui, l'on répare mal les conséquences de la pénibilité. Or le Gouvernement ne vous demande rien à cet égard, alors même qu'un nombre croissant de salariés exercent des métiers pénibles : depuis 1984, les différents indicateurs d'exposition aux facteurs de pénibilité ne cessent de se dégrader. C'est avant tout cette exposition qu'il faut réduire ; nous en sommes très loin.
La tendance, c'est encore et toujours l'intensification du travail ; et pour les ouvriers, qu'ils soient qualifiés ou non, l'espérance de vie à la retraite reste plus faible que pour les autres - je mets à part la question des risques psychosociaux. Si vous voulez une véritable politique de prévention, rompez avec cette logique d'intensification du travail.
M. Olivier Henno . - Pour ma part, j'insiste sur le renouvellement des générations : le système de retraite par répartition l'exige. Faut-il prévoir des mesures spécifiques en ce sens ? Une majoration de 5 % des pensions dès le second enfant serait-elle une mesure pertinente ? Dans le cadre de cette réforme, envisagez-vous d'autres gestes en faveur des familles ?
Mme Michelle Meunier . - En France, seuls 33 % des actifs de plus de 55 ans sont encore dans l'emploi ; en outre, ces salariés sont souvent les premiers concernés par les mesures de restriction d'emploi et par les vagues de licenciement. Comment l'expliquez-vous ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Monsieur Chevée, puisque la prévention doit supplanter la réparation, pourquoi ne pas inclure les critères ergonomiques dans le C2P, éventuellement pour les trimestres de bonification ?
Dans une tribune récente, M. François Asselin, président de la CPME, a proposé trois mesures en faveur des seniors : premièrement, une prime à l'embauche inspirée de ce qui existe en faveur des jeunes ; deuxièmement, une exonération des contributions chômage en cas de maintien dans l'emploi, assortie éventuellement d'une compensation ; troisièmement, une mutualisation par un fonds spécifique pour éviter que le dernier employeur d'une personne reconnue handicapée soit le seul ciblé. Pourriez-vous revenir sur ces sujets ?
Mme Annick Jacquemet . - Dans le privé, la différence de salaires reste de 9 % entre les femmes et les hommes. Comment l'expliquez-vous ? Quelles sont vos propositions pour parvenir à une véritable égalité salariale ?
Mme Pascale Gruny . - J'ai été, avec M. Artano, rapporteur de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail, qui a créé le document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp) ; ses effets positifs ont-ils été observés dans les plus petites entreprises ?
Je suis également rapporteur de la branche AT-MP. Je comprends les mouvements opérés, mais j'aurais souhaité un prélèvement ciblé, destiné à accompagner les entreprises dans leur effort de prévention. Je suis convaincue de la nécessité de travailler plus longtemps, à condition que les salariés restent en bonne santé jusqu'à la fin de leur carrière, puis à la retraite. Voilà pourquoi la prévention est au coeur du dispositif.
J'ajoute que la pénibilité d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier, et que celle de demain sera encore différente. Il faut en avoir conscience.
Enfin, au sujet des risques psychosociaux, j'appelle votre attention sur le cas des patrons eux-mêmes, notamment lorsque l'entreprise ferme : il s'agit là d'un véritable enjeu.
M. Martin Lévrier . - Premièrement, parmi les pays industrialisés, la France reste le plus mauvais élève pour l'emploi des seniors : pourquoi ? Si les Français travaillaient plus longtemps, le débat ne se poserait pas tout à fait dans les mêmes termes.
Deuxièmement, certains métiers sont si pénibles que l'on pourrait les assortir d'une limite d'âge. En parallèle, il faudrait prévoir un financement à même d'assurer une reconversion. Que pensez-vous de cette piste ?
Mme Jocelyne Guidez . - Vous n'avez pas évoqué les aidants familiaux, qui reprennent parfois leur travail après un arrêt prolongé. Pour ce qui les concerne, les mesures avancées par le Gouvernement vous semblent-elles satisfaisantes ? Avez-vous formulé vos propres propositions ?
Mme Diane Deperrois . - L'équilibre de cette réforme des retraites exige une vision d'ensemble ; c'est pourquoi j'ai mentionné les 30 milliards d'euros versés chaque année par l'État. Le Gouvernement a retenu un certain nombre d'hypothèses, nous verrons si celles-ci se vérifient ou non. L'essentiel, pour nous, est de garder cette vision globale.
Nous n'avons pas demandé l'échange de cotisations proposé entre les branches AT-MP et vieillesse. À ce titre, le milliard d'euros annuel prévu pour cinq ans en faveur du fonds de prévention exigera toute notre vigilance.
Les décrets d'application de la loi du 2 août 2021 sont en cours de publication. À cet égard, j'insiste sur l'importance de la médecine du travail ; je pense notamment aux infirmières en pratiques avancées (IPA) du travail, qui jouent un rôle indispensable sur le terrain. Dans un certain nombre de cas, les médecins du travail doivent aussi recevoir le renfort de médecins praticiens correspondants (MPC), notamment pour assurer la visite de désinsertion professionnelle, laquelle fait partie intégrante de la prévention. De même, les visites de fin de carrière ont toute leur importance.
La prévention est un tout. Il faut développer un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, et améliorer la qualité de vie au travail ainsi que les conditions de travail. Le dialogue social est très important, car il permet d'ancrer les accords de mobilité, de qualité de vie et sur les conditions de travail dans le contexte de chaque entreprise ; cela fait partie de cette dynamique d'employabilité globale, et pas seulement des seniors. N'opposons pas jeunes et seniors, car l'entreprise est une dynamique à part entière et les jeunes doivent être accueillis. L'apprentissage et l'accueil d'alternants sont des soutiens importants, et les personnes expérimentées apportent un relais : tutorat, mentorat, dispositif de patrimoine métiers-compétences... De nombreux mécanismes sont développés dans les entreprises. De même, avec le reverse mentoring , les jeunes apportent leurs connaissances, par exemple du numérique, aux entreprises. Il faut donc organiser des collectifs inclusifs, que l'entreprise a à coeur de développer. Au travers des accords négociés par le dialogue social, c'est cette dimension qui est mise en avant. L'employabilité, c'est aussi parler de formation au sein des entreprises, afin que celle-ci soit déployée auprès des différents publics ; il est donc important de tenir des entretiens professionnels, focalisés, notamment, sur la deuxième partie de carrière.
Si nous parvenons à faire reconnaître la prévention à travers la santé au travail et la branche AT-MP, nous aurons fait oeuvre utile pour prévenir l'usure au travail, face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Ce sujet doit être considéré à la fois par le biais des visites médicales individuelles, et par l'employabilité, c'est-à-dire par la projection des salariés, notamment grâce aux formations.
Je n'entrerai pas dans des considérations sociétales sur la politique familiale. Certes, un système de retraite par répartition repose sur un nombre suffisant de cotisants pour financer les retraités. Au sein de l'entreprise, l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle ainsi que la marque employeur sont des dimensions importantes afin que chacun ait une vie équilibrée dans un fonctionnement plus fluide.
Sur les femmes et la retraite, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a estimé que les systèmes étaient redistributifs et qu'il n'y avait pas de sujet particulier. Au Medef, nous estimons qu'il faut étudier cette question durant toute la vie professionnelle ; les index d'égalité professionnelle développés par Mmes Pénicaud et Rixain visent d'ailleurs à progresser dans ces domaines.
M. Éric Chevée . - En juin prochain, un rapport du COR, qui doit raisonner à législation actuelle - donc modifiée éventuellement par le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) - vous indiquera l'équilibre financier global au terme de la réforme. Je siège au COR, lequel réalise de nombreuses projections à très long terme qui sont autant de discussions possibles. Il devrait sans doute être plus précis et identifier plus clairement une échéance à moyen terme. Les partenaires de l'Agirc-Arrco gèrent à horizon de quinze ans, et cela fonctionne bien. Pour autant, multiplier les hypothèses trouble davantage les esprits, même s'il faut conserver des prospectives à échéance d'une génération. L'Insee réalise des prévisions démographiques hautes, basses et moyennes, on pourrait ainsi recadrer un peu le travail du COR ; vous avez la main : cela relève de la loi.
On ne peut se satisfaire d'un système prévoyant 98 % de réparation de l'usure professionnelle, mais seulement 2 % de prévention, alors que les cotisations patronales atteignent 14 milliards d'euros. Au total, on dépense 100 millions d'euros par an dans les entreprises pour la prévention de l'usure professionnelle, laquelle consiste, pour chaque poste de travail, à identifier, au travers du Duerp, les risques associés, à prévoir les moyens suffisants pour les réduire ainsi qu'à limiter les risques d'accident. Nous devons apporter les compétences nécessaires dans les TPE et dans les PME pour accompagner le chef d'entreprise sur la prévention de l'usure et du risque professionnel. Actuellement, tout passe dans la réparation. C'est humainement inacceptable ; nous devons parvenir à basculer vers la prévention. Pour nous y aider, un fonds de 1 milliard d'euros permettra d'enclencher la culture de la prévention dans tout l'écosystème de production de biens et de services.
Il y aura toujours de l'usure professionnelle, et il faudra y faire attention, par exemple pour les métiers en milieu hyperbare. On peut réfléchir à des durées d'exposition maximale, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) y travaille sans doute. Je rappelle que 85 % à 90 % des sorties pour inaptitude concernent les trois facteurs ergonomiques de troubles musculo-squelettiques. Dans le dispositif d'usure professionnelle, il ne faut pas créer des catégories actives ou des régimes spéciaux, mais bien traiter correctement le risque. C'est cela qui est envisagé avec ce dispositif : vers 45 ans, en milieu de carrière, une première étape est réalisée. Chacun réagit à raison de sa physiologie à l'exposition au métier. Interviennent alors le médecin du travail et les acteurs de la prévention et de la désinsertion professionnelle. En matière de formation professionnelle, une visite de mi-carrière est prévue, qui doit proposer un bilan à 360 degrés. Si le salarié souhaite conserver son métier, il faut trouver les moyens de l'accompagner ; si, à 60 ans, il est abîmé par l'usure professionnelle, il faut lui offrir la possibilité de partir plus tôt ou lui proposer des réorientations au sein de l'entreprise, de la branche ou vers d'autres métiers, grâce à des dispositifs de transition professionnelle. Il s'agit donc d'un suivi individuel renforcé du salarié.
- Présidence de Mme Chantal Deseyne, vice-président -
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Ce salarié est découpé en tranches ! Pour les facteurs de risques ergonomiques, le suivi spécifique proposé intervient à 45 et 60 ans, mais pour le C2P, le salarié sait quand il partira de manière anticipée, en raison du système de points. Il faut prendre en compte la personne en entier, et non par secteur d'usure. Comment rapprocher les dispositifs ?
M. Éric Chevée . - Il n'y a pas d'un côté une santé au travail, de l'autre, une santé civile. Nous étions favorables à l'introduction de médecins praticiens correspondants, pour cela. Souhaitez-vous que l'on déverse l'usure professionnelle dans le C2P ?
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Ce n'est pas la question. Vous voyez ce qui nous est proposé, et vous y êtes pour quelque chose, puisque vous avez exclu des facteurs de pénibilité. Selon le projet de loi, l'examen serait réalisé en raison des critères d'usure, et non de la personne elle-même. Ainsi, un médecin verrait à la visite obligatoire des 60 ans une personne portant des charges lourdes, mais ne s'occuperait pas du travail de nuit, lequel relèverait du C2P. Il faut rapprocher les deux ! Actuellement, le départ anticipé pour les personnes soumises à des troubles ergonomiques dépend du médecin ; en revanche, le départ appuyé sur les autres facteurs de pénibilité, comme le travail de nuit, est défini par la personne, en fonction des points cumulés. Comment mettre en place un mécanisme plus simple ?
M. Éric Chevée . - Les critères de pénibilité répondent à une exposition très particulière qui requiert un traitement particulier. Le médecin du travail est là pour cela. C'est pourquoi nous souhaitons libérer du temps médical, grâce aux médecins praticiens correspondants, et ainsi restaurer la spécialité de la médecine du travail : prendre en charge des salariés préalablement fléchés au niveau de la branche ou de l'AT-MP, en raison de taux d'usure professionnelle plus importants ; petit à petit, un suivi sera réalisé tous les cinq ans.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Vous ne comprenez pas ma question.
M. Éric Chevée . - Nous ne voulons pas recréer des catégories actives, car cela génère des effets de bord insupportables.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Vous ne me facilitez pas la tâche de trouver un dispositif plus adapté ! Comment rapprocher le choix du médecin et celui du salarié ? C'est incompréhensible pour le salarié...
M. Éric Chevée . - Rester exposé dans les catégories du C2P relève aussi du choix du salarié, ainsi que de celui de l'employeur. Je ne vois pas comment rendre la main au salarié sans un jugement objectif du médecin du travail et du médecin conseil de la sécurité sociale. Cela ne me semble pas exorbitant.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Cela va à l'encontre des efforts que vous voulez faire pour la prévention dans le C2P : on ne parle que de réparation. Je voudrais trouver une solution avec une partie prévention des risques ergonomiques qui se rapproche du C2P, sans en avoir les obligations et sans non plus créer de catégories spécifiques.
Mme Diane Deperrois . - Le Duerp est la première marche d'une prise de conscience de l'identification des risques et de la prévention au sein de l'entreprise. Il faut aussi un dialogue avec la médecine du travail, et une dynamique de prévention avec l'incitation de l'AT-MP.
M. Éric Chevée . - Il ne s'agit pas forcément de rendre la main aux salariés sur la question de l'usure...
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Il faut un traitement similaire.
M. Éric Chevée . - C'est possible : il est prévu, dans le suivi individuel renforcé, de proposer certaines transformations de carrière, en sus du suivi médical.
Mme Chantal Deseyne , président . - Je vous propose de répondre aux autres questions.
M. Éric Chevée . - Pourquoi a-t-on des taux d'emploi des seniors aussi faibles ? Depuis 40 ans, on part du principe que la quantité de travail est limitée, et qu'il faut dégager nos anciens pour laisser la place aux jeunes. Cela n'a jamais fonctionné.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Alors, ne le faites plus !
M. Éric Chevée . - C'est ce que nous proposons. Tout le code du travail a été construit ainsi. Les partenaires sociaux ont mis en place des dispositifs en ce sens, notamment dans le cadre de l'assurance chômage. Or l'embauche des jeunes explose, notamment en apprentissage, sans que cela n'emporte de conséquences sur le taux d'emploi des seniors. À l'instar de ce qui a été réalisé sur le contrat d'apprentissage, nous pensons qu'il faut des dispositifs particuliers, comme ceux que propose notre président François Asselin, mais surtout qu'il faut faire évoluer les mentalités. Pour ce qui concerne l'apprentissage, on a franchi un cap en 2018, avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'opinion française a compris qu'il s'agissait d'une voie d'excellence. Aujourd'hui, la même révolution culturelle doit être accomplie en faveur de l'emploi des seniors. La France est le pays où l'on part à la retraite le plus tôt ; or, de manière tout à fait étonnante, elle est également celui où le taux d'emploi des seniors est le plus faible. La création d'un nouveau contrat d'employabilité a été évoquée ; pour sa part, lors de la revue de la convention d'assurance chômage prévue cette année, la CPME défendra un contrat spécifique exonéré de cotisations d'assurance chômage pour les seniors restant dans l'emploi jusqu'à l'âge de départ.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Très bien !
M. Éric Chevée . - Si l'entreprise ne respecte pas cet engagement, elle devra reverser les montants octroyés.
Enfin, M. Vanlerenberghe a évoqué la mutualisation du coût de l'inaptitude professionnelle. Il s'agit là d'un point extrêmement important.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Le Gouvernement la propose par voie d'amendement.
Mme Diane Deperrois . - Lors des concertations, nous avons insisté auprès du Gouvernement sur la nécessité de réduire de 36 à 24 mois la durée d'indemnisation des chômeurs de plus de 59 ans.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - On nous a dit hier qu'elle était de 27 mois.
Mme Diane Deperrois . - En tout cas, cette période doit être réduite.
Enfin, après l'adoption de la réforme précédente, les salariés sont mécaniquement restés plus longtemps dans l'emploi.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Absolument.
M. Éric Chevée . - À l'évidence, les dernières évolutions socioéconomiques nous imposent de repenser la politique familiale. Pour sa part, la CPME plaide pour des mesures très incitatives. Force est de constater que les carrières se resserrent petit à petit et que certains dispositifs créés en faveur des femmes deviennent plus ou moins caducs. La garde d'enfants exige, elle aussi, des efforts massifs.
Mme Diane Deperrois . - De même, nous sommes tout à fait favorables aux mesures en faveur des aidants. Les seniors peuvent être appelés à soutenir non seulement leurs enfants et leurs petits-enfants, mais aussi leurs parents : c'est un véritable enjeu de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
M. Éric Chevée . - Dans l'accord qu'ils viennent de signer au sujet du partage de la valeur, les partenaires sociaux ont d'ailleurs étendu aux aidants familiaux le mécanisme de déblocage de l'épargne salariale.
Les commerçants et artisans doivent, eux aussi, bénéficier d'un minimum de pension ; c'est une question d'équité. Souvent, les premiers, et dans une moindre mesure les seconds, ont été victimes de mauvais conseils, prolongés pendant des années. Les commerçants subissent aussi les grandes évolutions de l'économie ; le commerce de centre-ville a subi la concurrence du commerce de périphérie, lequel est à son tour mis à mal par le commerce en ligne. Or, généralement, le commerçant assurait sa retraite grâce à la vente de son fonds ou de son pas-de-porte ; aujourd'hui, cette ressource a disparu et, une fois à la retraite, certains commerçants sombrent dans l'extrême pauvreté. Nous avons un devoir de solidarité envers ces professionnels. Nous devons notamment regarder comment le régime complémentaire des indépendants peut participer à l'équilibre global du système ; les représentants des commerçants et des artisans sont les mieux à même de traiter cette question.
Si nous ne sommes pas favorables aux index, c'est parce que ceux-ci sont souvent détournés de leur but premier pour devenir des instruments de taxation au profit de telle ou telle politique. En résultent des effets délétères ; parfois, ils atteignent même l'inverse du but initial.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Alors, pourquoi pas un label ?
M. Éric Chevée . - Peut-être ; mais, en la matière, nous restons extrêmement prudents. Le ministre lui-même l'a souligné, prenons garde à ne pas créer un monstre administratif dans les PME.
Mme Diane Deperrois . - Les situations des entreprises sont très hétérogènes, il faut en tenir compte. Il faut valoriser les efforts de l'entreprise, peut-être via un label. Mais nous ne sommes pas favorables à l'index tel qu'il est présenté dans ce projet de loi.
M. Martin Lévrier . - Je vous entends parler de l'apprentissage qui a été, certes, une vraie révolution en France, mais qui ne reposait pas uniquement sur des aides aux employeurs. C'était une révolution de la formation. Vous proposez toutefois encore des aides de l'État ou des taxes en moins : cela, ce n'est pas une révolution, et vous ne voulez pas de l'index, car il pourrait vous pénaliser. Faites des propositions, et reconnaissez que vous n'embauchiez pas de seniors ou que vous les licenciiez trop tôt. Dites-nous où vous voulez aller pour faire la révolution, et faites des propositions !
Mme Diane Deperrois . - Une entreprise est une communauté, rassemblant des âges et des talents différents. Nous devons être dans une dynamique de développement à tout âge de l'employabilité des collaborateurs. Sur le sujet spécifique des seniors, il faut envisager la deuxième partie de carrière ; on ne peut opposer les jeunes et les plus anciens au sein d'une entreprise, c'est le corps social qui doit être employable. La retraite progressive et le cumul emploi-retraite sont ainsi des dispositifs de première importance pour contribuer à l'emploi des seniors.
M. Éric Chevée . - Nous pourrions imaginer de vraies politiques sur le cumul emploi-retraite, en ouvrant le verrou des six mois.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - Certains en abusent !
M. Éric Chevée . - C'est compliqué... Pour la révolution culturelle sur l'emploi des seniors que nous appelons de nos voeux, on pourrait imaginer de liquider les droits à la retraite tout en conservant, pendant trois mois à un an, la transmission sur le poste, ainsi qu'un contrat de génération rénové...
Mme
Pascale Gruny
. - J'entends bien que certains salariés
veulent partir plus tôt à la retraite, mais il y a une vraie
révolution à faire chez les chefs d'entreprises et nous ne vous
avons pas entendu le dire. J'ai 62 ans ; j'ai de nombreux amis
ou collègues cadres en entreprise qui sont partis au chômage
à la demande de leur employeur, durant deux ans. Si vous ne le dites pas
- il faudrait même le marteler ! - vous ne ferez pas cette
révolution. Les cadres ont souvent envie de rester dans l'entreprise, et
ils dépriment
- voire entrent en dépression -
après leur départ.
M. Alain Milon . - Je repose ma question. Tous les ans, systématiquement, nos collègues évoquent les exonérations de cotisations sociales et les fraudes fiscales. J'aimerais avoir des réponses, et pas celle selon laquelle les exonérations sociales permettraient à l'entreprise de vivre. Si demain je déposais un amendement supprimant les exonérations fiscales, je suis certain que le Sénat le voterait. Je n'ai pas une folle envie de le faire ; en revanche, je souhaite savoir quelles seraient les conséquences exactes d'une telle mesure pour l'emploi.
M. René-Paul Savary , rapporteur . - L'index seniors vient d'être supprimé à l'Assemblée nationale ; un index pénalise, tandis qu'un label valorise. Il y a une voie de passage entre les deux, qui serait simple : l'index pourrait pénaliser au-dessus de 300 salariés, le label valoriser entre 50 et 300. Faites des propositions, sinon, cela sera tranché sans vous et vous ne pourrez pas vous plaindre. Dites clairement que les seniors sont une valeur ajoutée pour l'entreprise, et qu'ils ne travaillent pas au détriment des jeunes. C'est comme cela que la proposition sera acceptable et acceptée par les salariés, et que l'on parviendra à mieux travailler, main dans la main.
Un CDI senior, par exemple, éviterait de mettre un employé au chômage et maintiendrait son expérience et ses compétences à disposition de l'entreprise. Les organisations syndicales ont également des idées, qu'il faut prendre en compte pour que ce dispositif soit mieux accepté, car il demande un effort particulier aux salariés.
Mme Annick Jacquemet . - Quid de l'égalité de salaire entre les hommes et les femmes ?
Mme Diane Deperrois . - Les exonérations existantes ont toutes leur raison d'être ; il faut les examiner une à une en tenant compte du contexte.
Quant à la question de l'emploi des seniors, elle exige, d'une part, un dialogue entre le salarié et l'employeur et, d'autre part, un dialogue social. À ce sujet, nous avons fait un certain nombre de propositions. Nous suggérons ainsi de créer un bilan de compétences obligatoire à un âge donné ou encore d'utiliser les entretiens existants pour assurer, entre l'employeur et le salarié, un dialogue spécifiquement dédié à sa seconde partie de carrière et à son employabilité. Aujourd'hui, ce dialogue n'existe pas ; en tout cas, il existe peu. Il entraînera, au sein de l'entreprise, de nouveaux efforts de formation pour maintenir l'employabilité, efforts qu'un label ou un index pourront ensuite mesurer. En outre, pour certains salariés, des priorités de reconversion professionnelle pourront être définies.
M. Éric Chevée . - Je ne suis pas opposé à un tel label, bien au contraire ; notre organisation pourra tout à fait travailler sur ces sujets, qui relèvent des partenaires sociaux, dans le cadre des négociations relatives à l'assurance chômage ou des négociations de branche.
Monsieur Milon, on ne saurait traiter des exonérations en faisant abstraction de la situation globale des prélèvements obligatoires en France, marquée par le poids des cotisations patronales et salariales. L'apprentissage bénéficie, certes, d'une exonération fiscale et d'une prime à l'embauche, mais le résultat est là : presque 1 million d'apprentis. Il faut donc avoir une vision d'ensemble. En France, le coût du travail est déjà élevé ; si vous supprimez les exonérations en vigueur, il va exploser. Ces dernières posent sans doute un problème de lisibilité, mais c'est un autre sujet.
Enfin, pour protéger les générations futures, il nous semble absolument indispensable de créer un système complémentaire de capitalisation collective obligatoire et géré par les partenaires sociaux. La CPME défendra cette mesure le moment venu.
Mme Diane Deperrois . - En conclusion, j'insiste sur la nécessité de garder en tête l'équilibre financier de cette réforme, même si un certain nombre de mesures d'équité et d'accompagnement sont nécessaires.
Mme Chantal Deseyne , président . - Nous vous remercions de vos contributions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .