C. LA POURSUITE DES PROJETS DE MODERNISATION DE LA SÉCURITÉ CIVILE

1. Un retard dans le déploiement de projet NexSIS 18-112 doublé d'une fragilisation de son modèle économique

Le programme NexSIS est un projet de mutualisation des systèmes d'information des services d'incendie et de secours (SIS). Sa conception, son déploiement et sa maintenance sont assurés par l'agence du numérique de la sécurité civile (ANSC ), créée en 2018, et dont la tutelle est assurée conjointement par la direction du numérique et par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l'intérieur.

Le coût total du projet est aujourd'hui estimé à 295 millions d'euros et inclut, outre les coûts de développement, de déploiement du projet et de fonctionnement de l'ANSC, les coûts d'exploitation de celui-ci sur une période de 10 ans.

a) Un retard dans le déploiement de NexSIS, de nature à fragiliser l'adhésion des SDIS au projet

Le programme NexSIS avait été perturbé en 2021 par la persistance de la crise sanitaire , ce qui avait impliqué un retard dans le déploiement du projet 15 ( * ) .

Force est aujourd'hui de constater que ce retard s'est encore accru en 2022. Le déploiement effectif SDIS préfigurateur, le SDIS 77 Seine-et-Marne, n'a toujours pas pu être effectué par l'Agence du numérique de la sécurité civile, alors que celui-ci devait l'être à la fin 2021. Ce déploiement devrait être effectif, d'après l'ANSC, d'ici le mois d'avril. L'année 2023 devrait par ailleurs être marquée par le déploiement de programme dans huit autres SDIS, ce qui constitue, du propre aveu de l'agence, un calendrier particulièrement ambitieux eu égard aux difficultés rencontrées depuis deux ans.

Selon l'ANSC, cette accumulation de retards aurait entamé la crédibilité de l'agence vis-à-vis des SDIS, et par conséquent, leur adhésion au projet. Ces derniers demeurent toutefois convaincus de l'intérêt de l'outil, qui doit permettre, par la mutualisation des systèmes d'information, une meilleure coordination de leurs actions, mais aussi des économies substantielles.

Ces doutes sur la concrétisation effective du projet ont en outre été accentués par une situation de distension des liens entre l'ANSC et les SDIS depuis un an, nuisant de fait à la circulation de l'information sur l'avancée du projet. Il semble effectivement que l'agence se soit repliée exclusivement sur le développement de l'outil dans le contexte de manque de ressources auquel elle a été confrontée, au détriment d'actions de communication vis-à-vis des SDIS.

En outre, le retard dans le déploiement du projet est également de nature à déstabiliser certains des SDIS dont les contrats de maintenance arrivent à terme, et qui ne les ont pas renouvelés, comptant bénéficier de la nouvelle solution NexSIS. L'ANSC envisage pour pallier ces difficultés de mettre à disposition des SDIS concernés dès le premier trimestre 2023 une solution de secours au système actuel.

b) Un modèle économique fragilisé

Près de 9,9 millions d'euros en AE et en CP sont prévus pour le soutien du projet NexSIS dans le PLF pour 2023, contre 7 millions ouverts en LFI pour 2022. En effet, près de 2,9 millions d'euros de mesures nouvelles visent des opérations de modernisation numérique et des systèmes de communication.

La situation budgétaire de l'ANSC serait actuellement sous tension. L'exercice budgétaire 2022, déficitaire, serait ainsi le dernier exercice au cours duquel l'ANSC est en mesure de financer ses activités à l'appui d'un prélèvement de sa trésorerie accumulée au cours des exercices précédents. Pour les exercices suivants et en particulier à compter de 2025, la situation financière dépendra du nombre effectif de SIS migrés et des possibilités de refonte du modèle économique du projet.

Outre la part du financement de l'État, le modèle économique de NexSIS repose sur des contributions volontaires des SIS. Ce modèle économique serait plus particulièrement mis en péril par le fait que les subventions volontaires des SDIS ne permettraient pas de couvrir l'ensemble des dépenses nécessaires à son déploiement et à son exploitation . Ainsi, près de 51 SIS n'auraient pas contribué au financement du projet. Ces difficultés semblent donc s'inscrire dans un cercle vicieux, puisque le retard du projet, en partie dû aux fortes contraintes budgétaires que subit l'agence, pèse sur le financement de NexSIS, en altérant l'adhésion des SDIS à ce programme et en réduisant de fait le montant de leurs contributions volontaires.

Pour renforcer le modèle économique de NexSIS, l'ANSC envisage donc d'inciter les SDIS à participer davantage au financement du projet en consacrant une part plus importante de leurs contributions à des dépenses relevant de leur budget d'investissemen t, qui est moins contraint que leur budget de fonctionnement.

L'ANSC chercherait également à diversifier ses financements étatiques. Elle devrait ainsi bénéficier d'une enveloppe du fonds de transformation de l'action publique (FTAP). Le recours à des financements européens a également été identifié comme une piste de solution.

D'après les informations transmises par l'ANSC, 37 ETPT supplémentaires ont été annoncés dans le cadre de la LOPMI, ce qui devrait porter d'ici cinq ans le nombre d'emplois sous plafond de l'agence à 49 ETPT. Un effort a été réalisé dès le PLF pour 2023, qui prévoit une augmentation du plafond d'emplois de 12 à 14 ETPT. Cette augmentation apparait toutefois insuffisante d'après l'ANSC, qui avait sollicité 22 ETPT. D'après l'agence, il est essentiel que le rehaussement de ce plafond soit accéléré, dans un contexte où le déploiement de l'outil doit justement être assuré pour ne pas fragiliser l'adhésion de ses principaux contributeurs que sont les SDIS. Ce manque de moyens humains devrait par ailleurs conduire l'ANSC à procéder à des externalisations particulièrement coûteuses.

Compte tenu des sommes déjà investies, il est incontestable que le projet a atteint un point de non-retour. Il serait regrettable que celui-ci ne puisse se concrétiser faute de moyens mobilisés par l'État, d'autant plus que l'intérêt de cet outil fait aujourd'hui l'objet d'une adhésion partagée de la part de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile, et que le projet est aujourd'hui particulièrement attendu, notamment par les SIS de la région parisienne dans la perspective des Jeux Olympiques de Paris en 2024.

En dépit de toutes ces difficultés, l'ANSC a toutefois fait part au rapporteur spécial de son optimisme quant à la réussite du projet, estimant que le déploiement de NexSIS dans les premiers SDIS lors du premier trimestre 2023 devrait avoir un effet d'entraînement susceptible de rétablir la confiance des autres SDIS dans sa concrétisation.

2. Certains projets de modernisation non financés par le programme 161, font néanmoins l'objet d'une attention particulière de la part du rapporteur spécial
a) Le projet FR-Alert, nouveau volet mobile d'alerte et d'information des populations, est désormais opérationnel

Le système FR-Alert, dont la création a été annoncée par le ministre de l'intérieur en septembre 2020, vise à doter les services intervenant dans le champ de la sécurité publique et de la sécurité civile d'un système de diffusion d'alerte via la téléphonie mobile. Il doit ainsi permettre de compléter le système d'alerte et d'information des populations (SAIP), et son volet « sirènes ».

Ce projet a également vocation à mettre la France en conformité avec la directive européenne du 11 décembre 2018 16 ( * ) , qui prévoit l'obligation pour les États de l'Union européenne devait se doter d'un système d'alerte par téléphone d'ici juin 2022.

La concrétisation de FR-Alert, après l'échec du volet « sirènes » du SAIP

Initié en 2009 par le ministère de l'intérieur, le système d'alerte et d'information des populations (SAIP) fait suite à la préconisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 : « La France doit, tout d'abord, disposer d'un moyen d'information rapide de sa population. À ce titre, un réseau d'alerte performant et résistant sera mis en place, [...] pour utiliser au mieux la diversité des supports aujourd'hui possibles : sirènes, SMS, courriels, panneaux d'affichage public ... ».

Dans son rapport d'information consacré au SAIP, le rapporteur spécial avait critiqué le choix contestable de faire des sirènes « le principal vecteur » du système d'alerte, au détriment du volet « mobile » , qui aurait davantage contribué à le moderniser. Ce dernier n'avait ainsi bénéficié que d'1,6 million d'euros entre 2016 et 2018 , afin de couvrir le déploiement de l'application SAIP. Cette dernière s'est avérée infructueuse et a été abandonnée.

Le rapporteur spécial préconisait néanmoins de réorienter ce volet mobile vers le déploiement du cell broadcast, une technologie permettant la diffusion d'une alerte claire et immédiate par SMS. Il déplorait à cet égard que les PLF précédents ne prévoient aucun crédit à cet effet, alors que ce moyen d'alerte se faisait de plus en plus nécessaire.

Source : Rapport d'information n° 595 (2016-2017), Le système d'alerte et d'information des populations : un dispositif indispensable fragilisé par un manque d'ambition, de Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances - 28 juin 2017

Le dispositif FR-Alert comprend :

- pour les autorités publiques, un portail numérique de diffusion des alertes, à vocation multicanale ;

- pour les opérateurs de communication électronique, la mise en oeuvre dans leur réseau respectif de deux technologies de diffusion des messages d'alerte : la diffusion cellulaire ( Cell Broadcast ) et la diffusion de SMS géo localisés ( LB SMS ), avec le remboursement par l'État des investissements effectués à ce titre.

Le coût total du programme FR-Alert a été évalué à 50 millions d'euros. Comme en 2021 et 2022, ces crédits ne sont pas retracés au sein du programme 161, mais sont intégrés à la mission Plan de relance, et s'élèvent à 3 millions d'euros en AE et CP pour 2023.

Échéancier de mise en oeuvre du projet FR-Alert

(en millions d'euros et en CP)

2021

2022

2023

2024

37

8

3

2

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Le système est aujourd'hui opérationnel et a vocation à être déployé sur l'ensemble du territoire , après une phase d'expérimentation menée en 2022 dans plusieurs territoires tests, dans les Bouches-du-Rhône, le Rhône, la Seine-Maritime et les Yvelines.

b) L'expérimentation d'un numéro unique d'appel d'urgence : une première traduction budgétaire du dispositif en 2023 par l'intermédiaire du programme 216

Les acteurs de la sécurité civile préconisaient depuis plusieurs années de façon unanime un développement de plateformes communes d'appels d'urgence, adossées à un numéro unique pour la réception de ces appels.

L'article 46 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels a concrétisé cette demande en prévoyant l'expérimentation pour deux ans d'un numéro unique d'appel d'urgence pour 2 ans, et pourrait conduire à la généralisation d'une telle plateforme sur l'ensemble du territoire à l'issue de ce délai .

Toutefois, près d'un an après l'adoption de cette loi, les textes d'application nécessaires au lancement de cette expérimentation n'ont toujours pas été publiés. Les modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation seraient en effet toujours en phase de cadrage entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la santé et de la prévention.

Cette expérimentation devrait toutefois se concrétiser en 2023, puisqu'une enveloppe de 5 millions d'euros en AE et en CP lui est consacrée dans le PLF pour 2023 sur le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », piloté par la direction du numérique du ministère de l'intérieur (DNUM).


* 15 Rapport général n° 163 (2021- 2022) de Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances 2022, Annexe n° 29b sur le programme 161 « Sécurité civile », déposé le 18 novembre 2021.

* 16 Directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen (refonte).

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