AVANT-PROPOS

L'ensemble des pensions servies par les régimes de retraite de base ont atteint 246,3 milliards d'euros en 2021 (+ 1,8 % par rapport à 2020). Ce montant devrait être majoré de 4,6 % en 2022 pour atteindre 257,5 milliards d'euros, dans un contexte marqué notamment par l'accélération de l'inflation et la revalorisation anticipée des prestations au 1 er juillet dernier.

Les dépenses brutes (avant prélèvements sociaux) du système de retraite représentaient, quant à elles, 345,1 milliards d'euros en 2021, dont 298,5 milliards d'euros dédiés aux seules pensions de droit direct. Les dépenses nettes s'élevaient à 321,1 milliards d'euros.

Les seules pensions de la fonction publique d'État, visées par le CAS « Pensions » représentaient en 2021, 23 % des prestations servies par les régimes de base. Celles des régimes spéciaux - dont certains sont intégrés au sein de la mission « Régimes et sociaux de retraite » - représentaient 6 % desdites prestations.

Répartition des prestations de retraites entre les différents régimes
de base en 2021

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2022

Le CAS comme la mission « Régimes sociaux et de retraites » ne représentent pas la totalité des canaux de financement de l'État vers les régimes d'assurance-vieillesse. Les impôts et taxes affectées à la protection sociale (ITAF) 2 constituent également une source de financement. Au total, 23,4 % des dépenses publiques ont ainsi été fléchées vers les dépenses de retraite en 2021 (24,8 % en 2020). La dépense publique en faveur des retraites rapportée au PIB est plus élevée que dans la plupart des pays de l'OCDE.

Part des dépenses publiques en faveur des retraites dans le PIB en 2017 3 ( * )

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données annexées au rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites de septembre 2022

L'examen du projet de loi de finances 2023 s'inscrit dans un contexte de dégradation annoncée des comptes du système des retraites.

L'équilibre des régimes de retraite relevé en 2021 et 2022 par le Conseil d'orientation des retraites (COR) dans son rapport annuel présenté le 15 septembre dernier reste provisoire. Les excédents enregistrés (900 millions d'euros en 2021) ou attendus (3,2 milliards d'euros en 2022) devraient rester des épiphénomènes, l'exercice 2023 devant constituer la première étape d'une dégradation appelée à se poursuivre jusqu'en 2032. Un retour à l'équilibre est désormais attendu au mieux au milieu de la décennie 2030, en ne retenant pas la convention de calcul actuelle. En maintenant celle-ci, le retour à l'équilibre est reporté au mitan de la décennie 2050.

Les projections du COR reposent sur plusieurs hypothèses de long terme :

- une baisse de l`indicateur conjoncturel de fécondité ;

- une stabilisation du solde migratoire ;

- une progression modérée de l'espérance de vie à 60/65 ans ;

- une augmentation mesurée de la population active jusqu'en 2040 ;

- une croissance annuelle de la productivité comprise entre 0,7 % et 1,6 % ;

- un taux de chômage compris entre 4,5 % et 10 %.

La part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB) constitue l'autre indicateur à même d'évaluer la soutenabilité du système. Il exprime en effet le niveau des prélèvements à opérer sur la richesse produite par les actifs afin d'assurer l'équilibre des différents régimes. Les dépenses de retraite brutes représentaient ainsi 13,8 % du PIB en 2021 4 ( * ) . Elles devraient se stabiliser à cet étiage jusqu'en 2027, avant d'atteindre plus de 14 % en 2032 : 14,2 % si la croissance annuelle de la productivité est de 1,6 % ou 14,7 % si la progression de la productivité est limitée à 0 ,7 % par an. La progression relevée tient pour l'essentiel au régime général et aux régimes complémentaires.

Évolution prévisionnelle de la part des dépenses de retraites dans le PIB réparties par régime de retraite 5 ( * )

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données annexées au rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites de septembre 2022

Une stabilisation à ce niveau voire une décrue significative, selon l'hypothèse retenue, est enregistrée ensuite jusqu'en 2070. Deux éléments justifient une telle évolution : le décalage de l'âge de départ en retraite induit par les réformes passées et la diminution du niveau de vie des retraités. Le niveau de vie moyen des retraités représentait 101,5 % de celui de l'ensemble de la population en 2019. Ce ratio serait compris entre 75,5 % et 87,2 % en 2070, le niveau dépendant là encore de la croissance de la productivité.

À court-terme, le COR ne considère pas que la dégradation attendue illustre une « dynamique non-contrôlée des dépenses ». Reste qu'elle apparaît en contradiction avec l'impératif de maîtrise de la dépense publique mis en avant par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité et que la rapporteure spéciale partage. La croissance des dépenses publiques y est en effet limitée à 0,6 % sur la période 2022-2027. Or les dépenses de retraite, qui représentent le quart desdites dépenses publiques, devraient progresser de 1,8 % sur la même période.

Le projet de loi de finances 2023 devrait précéder une réforme paramétrique

La dégradation des comptes rend aujourd'hui indispensable une réforme.

Moins ambitieuse que celle qui visait, lors du précédent quinquennat, à instaurer un système universel des retraites in fine peu lisible, la réforme des retraites devrait se limiter à une dimension paramétrique, en jouant principalement sur deux critères :

- une majoration de l'âge légal d'ouverture des droits (AOD), actuellement fixé à 62 ans. Celui-ci pourrait être porté à 65 ans d'ici 2031, via une progression de quatre mois par an ;

- l'accélération de la majoration de la durée de cotisation prévue par la réforme dite Touraine 6 ( * ) adoptée en 2014. La réforme dite Touraine prévoit pour les personnes nées en 1973 ou après que la durée d'assurance requise pour l'obtention d'une retraite sans décote, augmente progressivement d'un trimestre tous les trois ans, entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans (172 trimestres). La progression de la durée d'assurance requise conduit inévitablement à un report des départs et donc à une progression de l'âge de départ effectif.

Durées d'assurance mise en place par la réforme Touraine

Générations

Durée d'assurance requise

1958, 1959, 1960

41 ans et trois trimestres (167 trimestres)

1961, 1962, 1963

42 ans (168 trimestres)

1964, 1965, 1966

42 ans et 1 trimestre (169 trimestres)

1967, 1968, 1969

42 ans et 2 trimestres (170 trimestres)

1970, 1971, 1972

42 ans et 3 trimestres (171 trimestres)

1973 et suivantes

43 ans (172 trimestres)

Source : commission des finances du Sénat

En jouant sur les paramètres, le Gouvernement écarte la mise en place d'une taxe redistributive pour financer les régimes des retraites. La rapporteure spéciale reconnaît, comme le Comité de suivi des retraites (CSR), que la montée en puissance des avantages non-contributifs comme des allègements de cotisations sur les bas salaires a d'ores et déjà fragilisé le lien entre cotisations et prestations. La mise en place d'un nouveau prélèvement conduirait à s'éloigner du principe fondamental du système actuel selon lequel le droit à retraite est un retour proportionné sur les cotisations qu'on a versées dans le passé.

La rapporteure spéciale rejoint également les réserves du CSR s'agissant de deux axes de réforme : la baisse du niveau des pensions et la majoration des cotisations. Ceux-ci présentent en effet deux risques :

- le supplément de prélèvement induit pour les cotisants une baisse de leurs revenus ;

- la progression des cotisations contribuerait à un renchérissement du coût du travail : l'État pourrait alors être amené à compenser un peu plus les bas salaires ce qui induit un effort budgétaire supplémentaire. Le but recherché par la réforme des retraites ne serait alors pas atteint.

Une réforme paramétrique à accompagner

L'augmentation de l'âge de départ comme l'allongement de la durée de cotisation peuvent être combinés.

Il convient de rappeler à ce stade que l'âge requis pour permettre d'équilibrer le régime dépend de la convention d'équilibre choisie :

- la convention EEC (effort de l'État constant) où la contribution de l'État au système de retraite s'exprime en part de PIB quelle que soit l'évolution des subventions d'équilibre versées aux régimes visés par le CAS « Pensions » et la mission « Régimes sociaux et de retraite » ;

- la convention EPR (équilibre permanent des régimes) qui prévoit un équilibre, année après année, l'État se bornant à verser les subventions d'équilibre et à pérenniser les autres impôts et taxes actuellement affectés au reste du système de retraite, sans mettre en place de transferts supplémentaires au profit des autres régimes.

Aux termes de la convention EPR actuellement retenue, le retour à l'équilibre n'est permis que par une progression de l'âge moyen de départ à 64 ans dès 2030, celui-ci devant atteindre 66,5 ans d'ici à 2060.

L'augmentation de l'âge de départ pose question au regard de la faible progression de l'espérance de vie. Il en résulterait mécaniquement une moindre durée de retraite. Le CSR a ainsi relevé par le passé que les gains d'espérance de vie sont devenus moins systématiques, sa progression marquant le pas pour les générations nées entre 1941 et 1955. Si elle a repris pour les générations suivantes, son ralentissement est néanmoins tendanciel, des reculs ponctuels étant même observés. Comme le rappelle le Comité de suivi des retraites (CSR) dans son avis de septembre 2022, un allongement de la durée d'activité pénaliserait les populations à plus faible pension qui sont aussi, en général, ceux dont l'espérance de vie est la plus courte et dont les conditions de travail sont les moins propices au maintien dans l'activité. Dans ces conditions, une attention particulière doit être portée à la question de la pénibilité. Il n'est dès lors pas étonnant que le Gouvernement annonce, dans le cadre des discussions à venir, la mise en place d'un dispositif carrières longues, la prise en compte de la pénibilité et la prévention de l'usure au travail.

La majoration de l'âge légal interroge ensuite sur l'activité en tant que telle, compte-tenu du faible emploi des plus de 50 ans. Un risque de report de l'effort sur l'assurance-chômage et, dans une moindre mesure sur les dispositifs de pré-retraite n'est pas à écarter. La mission sur le maintien en emploi des seniors dont les conclusions ont été rendues publiques en janvier 2020 7 ( * ) avait relevé que les hypothèses sur lesquelles travaille l'INSEE qui tendent à corréler augmentation du taux d'activité des seniors et recul de l'âge de départ en retraite restent entourées d'une marge d'incertitude et ne garantissent pas un accroissement du taux d'emploi des séniors.

Activité des séniors en France en décembre 2021

50-54 ans

55-59 ans

60-64 ans

65-69 ans

55-64 ans

Population totale (en milliers)

4 453

4 275

4 032

3 822

8 440

Taux d'activité

87,9

79,9

38,2

9,1

59,7

Taux d'emploi

83,3

75,1

35,5

8,6

53,8

Taux de chômage

5,2

6,0

6,9

5,1

6,3

Cumul emploi retraites

-

2,0

12,6

53,7

5,2

Part du halo autour du chômage 8 ( * )

3,5

3,5

2,4

1,1

2,9

Taux d'emploi UE 27

NR

72,9

45,3

NR

59,6

Source : commission des finances du Sénat d'après la DARES, Les séniors et le marché du travail en décembre 2021, avril 2022

Même s'il est en très nette hausse depuis 2003, il convient de rappeler à ce stade que le taux d'emploi des 55-64 ans - 53,8 % - reste inférieur à la moyenne européenne, établie à 59,6 % au sein de l'Union européenne et à 60,8 % au sein de la zone euro. Le décrochage est particulièrement patent pour la classe d'âge 60-64 ans.

La Cour des comptes avait, en outre noté, en octobre 2019 9 ( * ) , que le nombre de demandeurs d'emploi de plus de 50 ans avait fortement augmenté depuis 2008 en raison de l'augmentation des effectifs des générations en âge de travailler, de la crise économique de 2008, de la transformation accélérée des métiers mais aussi du recul de l'âge de départ en retraite. Le nombre de chômeurs de 50 ans et plus a ainsi été multiplié par deux depuis 2008, soit une hausse largement supérieure à celle du nombre de chômeurs âgés de 15 à 24 ans (+ 11 %) et de 25 à 49 ans (+ 26 %) sur la même période. Le critère d'âge apparaît nettement discriminant pour le retour à l'emploi. Les périodes de chômage sont, par ailleurs, particulièrement longues pour les séniors : 673 jours en moyenne contre 388 jours pour l'ensemble des demandeurs d'emploi. La Cour des comptes relevait ainsi que les entreprises n'avaient pas pleinement répercuté le recul de l'âge de départ en retraite sur la gestion de leurs effectifs. Le chômage et l'inactivité jouent ainsi un rôle de transition entre l'emploi et la retraite . Deux études de l'INSEE 10 ( * ) et de l'UNEDIC 11 ( * ) sur la réforme des retraites de 2010 soulignent également que l'accroissement de l'emploi lié au relèvement des âges légaux ne saurait occulter une progression du chômage pour cette classe d'âge.

Là encore, le Gouvernement annonce vouloir intégrer dans la concertation les sujets d'aménagement de fin de carrière et de transition entre l'emploi et la retraite. La question de l'emploi des seniors et de la lutte contre la discrimination dont ils peuvent être victimes serait également au coeur des discussions.

Le risque d'une réforme coûteuse

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle a indiqué que la réforme des retraites pourrait induire « 8 à 9 milliards d'euros d'économies au bout du quinquennat ». La rapporteure spéciale relève que cette économie demeure insuffisamment documentée. Le Haut conseil des finances publiques le note d'ailleurs dans son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027.

Cette économie dépend surtout des mesures mises en place pour accompagner les dispositions paramétriques : prise en compte de la pénibilité, promotion de l'emploi des seniors etc. Elle sera également tributaire du coût de la suppression annoncée des régimes spéciaux - la fermeture du régime des retraites de la SNCF a ainsi induit 4,1 milliards d'euros de mesures d'accompagnement sur la période 2011-2020 - et de celui de la revalorisation de la pension minimale à 1 100 euros pour les carrières complètes.

Il convient également de ne pas mésestimer les effets pervers des mesures d'augmentation de l'âge de départ. Comme le rappelle le COR dans son rapport de juin 2022, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS) a estimé, en se fondant sur des données datant de 2019, que le coût d'une progression de l'AOD de deux ans pourrait induire une majoration des dépenses de prestations sociales (hors chômage et retraite) de 3,6 milliards d'euros, soit 0,14 point de PIB. Cette progression serait concentrée sur les personnes de 62 et 63 ans. Elle se décomposerait de la façon suivante :

- 1,8 milliard d'euros liés à l'augmentation du nombre de pensions d'invalidité (160 000) ;

- 970 millions d'euros au titre des indemnités journalières de la sécurité sociale ;

- 830 millions d'euros de dépenses de solidarité supplémentaires.

À cette somme s'ajoute une progression attendue des dépenses d'allocation de retour à l'emploi (ARE) et d'allocation de retour à l'emploi formation (AREF) de l'ordre de 1,3 milliard d'euros. Au total le COR estime à 0,2 point de PIB le coût d'une progression de l'AOD de deux ans.

Ce coût reste, d'après la direction générale du Trésor, à relativiser au regard de la progression attendue dans le même temps des cotisations (+ 0,7 point de PIB dont 0,1 au titre des cotisations retraite) et de la baisse des dépenses de retraite (- 0,4 point de PIB). L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) est, selon le COR, plus circonspect sur ces effets positifs, insistant notamment sur les risques d'effets de substitution au détriment, notamment, de l'emploi des jeunes. Ainsi là où la direction générale du Trésor indique au COR un gain potentiel de 390 000 emplois en cas de décalage de l'AOD de deux ans au rythme d'un trimestre par an, l'OFCE limite cette création nette à 60 000 emplois, une baisse du PIB de 0,1 point et une progression de la capacité de financement des administrations publiques de 0,1 point.

Une réforme attendue qui invalide la prévision budgétaire ?

Le Gouvernement table aujourd'hui sur une entrée en vigueur de la réforme en juillet 2023. La dernière réforme paramétrique avait concerné les régimes spéciaux encore ouverts recensés au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et les régimes retracés au sein du compte d'affectation spéciale « Pensions ». La suppression annoncée des régimes spéciaux devrait, en outre, concerner au premier chef la mission « Régimes sociaux et de retraite ».

Dans ces conditions, il est possible de s'interroger sur la sincérité de la prévision budgétaire contenue dans les documents transmis dans le cadre du présent projet de loi de finances. La réforme devrait en effet aboutir a minima à une majoration des cotisations perçues par ces régimes voire à une moindre dépense, compte-tenu d'éventuels reports de départs en retraite.


* 3 2017 constitue le dernier exercice où les chiffres sont connus pour l'ensemble des pays suivis.

* 4 La reprise de l'activité et la surmortalité liée à la crise sanitaire ont conduit à une baisse de 0,9 point par rapport à 2020.

* 5 Ces prévisions sont fondées sur une hypothèse de croissance annuelle de la productivité de 0,7 %.

* 6 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

* 7 Sophie Bellon, Olivier Meriaux et Jean-Manuel Soussan, Favoriser l'emploi des travailleurs expérimentés, Rapport remis au Gouvernement le 14 janvier 2020.

* 8 Il s'agit des personnes qui n'ont pas d'emploi mais qui souhaitent travailler, sans pour autant être en recherche active le mois précédent ou disponibles dans les deux semaines.

* 9 Cour des comptes, référé S2019-1878, octobre 2019.

* 10 Y. Dubois et M. Koubi, «Report de l'âge de la retraite et taux d'emploi des séniors : le cas de la réforme des retraites de 2010»; Insee Analyses N°30, janvier 2017.

* 11 Unédic, «Allocation chômage et réforme des retraites», Note pour le Conseil d'orientation des retraites du 16 octobre 2016.

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