EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 9 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Vincent Delahaye et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Action extérieure de l'État ».
M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État » . - Les crédits de la mission représentent 3,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP). La hausse des CP atteint 5,2 % en valeur et 0,9 % en volume, lorsqu'elle est corrigée de l'inflation.
Trois grands postes sont concernés par cette hausse. Ainsi, les dépenses de personnel augmentent de 64 millions d'euros, les contributions internationales de 55 millions d'euros et les dépenses immobilières de 24 millions d'euros.
De manière générale, en ce qui concerne les dépenses de personnel, j'ai noté un relâchement - voire un effacement - des efforts antérieurs, ce que je regrette. D'abord, de nouvelles mesures catégorielles, cumulées depuis 2022, entraînent une augmentation des dépenses de 30 millions d'euros. De plus, nous constatons une hausse similaire de l'indemnité de résidence à l'étranger (IRE) en 2023. Lors d'un précédent travail de contrôle des dépenses de personnel, nous avions pointé le problème représenté par cette IRE ; deux ans plus tard, rien n'a changé et l'IRE réelle continue d'être déconnectée de l'IRE théorique. Enfin, le budget prévoit la création d'environ 100 équivalents temps plein (ETP), effaçant ainsi un tiers des efforts réalisés dans le cadre d'Action publique 2022.
J'en viens aux contributions internationales, pour lesquelles nous observons un effet de la dépréciation de l'euro, qui entraîne une augmentation de 52 millions d'euros sur les contributions versées en dollar ou en franc suisse. Cependant, nous voudrions décerner un satisfecit au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MAE), qui a enclenché le mécanisme de couverture de change très tôt, permettant ainsi d'éviter d'importantes pertes de change, qui pourraient s'élever à environ 20 millions d'euros si les paiements avaient lieu dans trois mois.
Enfin, l'importante augmentation des dépenses immobilières est due aux effets de l'inflation et à une programmation dynamique. Il s'agit en premier lieu de dépenses courantes d'entretien, qui augmentent sous l'effet de la hausse des prix de l'énergie. En second lieu, les dépenses d'investissement à l'étranger augmentent pour mettre en oeuvre le schéma directeur. Nous pourrons vous en dire davantage lorsque nous aurons terminé la mission de contrôle budgétaire que nous conduisons sur cette question. Nous rendrons probablement nos conclusions début 2023, après avoir effectué une visite à Madrid, où nous observerons les mesures prises dans un pays où les choses sont bien faites en la matière.
Je voudrais terminer en faisant part de mon appréciation globale des crédits de la mission. D'abord, je regrette que la culture de la recherche d'économies soit peu développée au MAE. À titre d'exemple, les crédits de la communication augmentent de 2,5 millions d'euros pour financer la lutte contre la désinformation. Certes, le sujet est important et la somme n'est pas énorme, mais nous aurions pu la trouver ailleurs afin d'éviter cette augmentation. De la même manière, 5,4 millions d'euros ont été ajoutés pour financer l'exposition universelle d'Osaka quand d'autres lignes budgétaires auraient pu servir.
Par ailleurs, le relâchement quant aux dépenses de personnel me semble critiquable.
Enfin, je doute de la crédibilité de la trajectoire de la programmation. Nos interlocuteurs du ministère semblaient découvrir la programmation des finances publiques sur les cinq prochaines années comme l'évolution de leur budget, qui prévoit 100 millions d'euros d'économies d'ici 2025. Ils n'ont pas indiqué comment celles-ci seraient réalisées.
Je suis donc réservé quant aux crédits de cette mission.
M. Rémi Féraud , rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État » . - Les crédits de la diplomatie culturelle et d'influence - hors Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) - s'élèvent à 296,8 millions d'euros en CP, ce qui représente une hausse de 11,7 millions d'euros.
Cette augmentation s'explique notamment par le financement de 5,4 millions d'euros consacrés à l'exposition universelle d'Osaka. Chaque année, nous découvrons un événement exceptionnel à financer et il est difficile de juger de la rigueur du montant dégagé. Par ailleurs, la campagne Destination France entraîne un financement de 5,8 millions d'euros, dont je m'étonne. En effet, la compétence tourisme a été transférée au ministère de l'économie et des finances et Atout France ne fait plus partie de la diplomatie culturelle et d'influence.
En ce qui concerne les Instituts français à l'étranger, les moyens sont stables, ce qui représente une source d'inquiétude puisqu'une perte de ressources en volume est à prévoir en raison de l'inflation, souvent plus élevée encore dans les pays concernés qu'en France. De plus, ces Instituts présentent un déficit d'environ 43 millions d'euros en 2022. Enfin, certaines dépenses, liées notamment aux salaires, augmentent de manière significative. La stabilité des crédits en euro courant permettra-t-elle de préserver un niveau d'activité correct ? Cette question nous intéressera au cours de l'année et les sénateurs représentant les Français à l'étranger y seront sans doute attentifs.
En outre, les crédits dédiés au financement des bourses pour les étudiants et chercheurs étrangers s'élèvent à 59 millions d'euros, comme en 2022. Cependant, ce montant stable ne doit pas cacher que ces crédits sont sous-consommés, année après année. Ce phénomène peut être considéré de deux façons. D'une part, on peut s'intéresser à la marge de manoeuvre budgétaire qu'il permet, y compris pour encaisser les effets de l'inflation. D'autre part, on peut regretter le manque de volontarisme politique en la matière.
Enfin, les crédits du réseau consulaire - hors bourses aux élèves de l'AEFE -s'élèvent à 285,9 millions d'euros et connaissent une hausse de 2 %. Cependant, n'oublions pas que l'essentiel de cette enveloppe est consacré aux services consulaires, notamment à leurs dépenses de personnel pour un montant de 193 millions d'euros. De plus, contrairement à 2022, aucun crédit n'est dédié en 2023 à l'organisation d'élections.
Par ailleurs, ce programme 151 a supporté pendant des années la plus grande part des efforts de maîtrise des effectifs de la mission, ayant entraîné la suppression de 169 ETP entre 2018 et 2021.Cette baisse s'étant avérée difficilement soutenable, le ministère a recréé 136 ETP et lancé le service France Consulaire, pour mutualiser la prise en charge des appels aux postes consulaires sur un site du Quai d'Orsay situé à la Courneuve. Ainsi, une grande part des efforts réalisés dans le cadre d'Action publique 2022 pour diminuer le nombre d'emplois d'agents publics à l'étranger a été annulée. On pourrait considérer qu'il est dommage d'annuler si brutalement un effort considérable ou conclure, comme je le fais, que ces efforts étaient si déraisonnables que le Gouvernement doit revenir dessus.
En ce qui concerne l'AEFE, ses moyens sont renforcés, mais plusieurs points d'alerte demeurent. En effet, la subvention pour charges de service public, en hausse de 28 millions d'euros, atteint 441,2 millions d'euros, dont 10 millions d'euros correspondent à une partie de l'aide française versée au Liban, à travers le soutien à l'enseignement français dans le pays.
De plus, les crédits pour les bourses aux élèves de l'AEFE augmentent de 10 millions d'euros. Néanmoins, n'oublions pas qu'il s'agira aussi de faire face à une très forte inflation qui touche les frais de scolarité dans certains pays du monde, l'impact de ces hausses sur les bourses n'ayant pas été inscrit dans le budget. En outre, si le surplus nécessaire pour le versement des bourses aux élèves a été pris en charge ces dernières années par la soulte de l'AEFE, la réserve n'est plus aujourd'hui que de 15,5 millions d'euros et devrait être épuisée fin 2023. La question de l'augmentation de ces crédits se posera donc en 2024.
Pour conclure, je souhaiterais rappeler qu'il nous faut considérer cette mission avec attention, parce qu'elle subit à la fois l'inflation et le risque de change, ce qui est assez singulier.
À court terme, les crédits, qui restent très contraints, demeurent stables en valeur et diminuent modérément en volume.
À moyen terme cependant, une baisse en volume de l'ordre de 100 millions d'euros est prévue d'ici 2025 sur l'ensemble de la mission. Nos interlocuteurs au ministère ne semblent pas penser que cette contraction s'appliquera réellement.
En plus de n'être pas crédible, cette baisse ne serait pas souhaitable. En effet, les économies antérieures ont mis en tension le réseau et il apparaît désormais nécessaire de redonner les crédits et effectifs suffisants.
Enfin, je m'interroge sur l'intégration de la dimension affaires étrangères au bloc de priorités régaliennes, sur notre volonté de développer notre politique d'influence dans le monde durant ce quinquennat, sur notre capacité à faire face à l'objectif de doublement des élèves dans le réseau d'enseignement français à l'étranger, non pas tant avec ce budget 2023, que nous pourrions approuver, mais en considérant la programmation établie pour l'ensemble du quinquennat. En effet, tous les efforts d'augmentation sont inscrits pour 2023, et seules des économies sont prévues pour les années suivantes.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Malheureusement, l'État revient sur ce qu'il avait défendu lors du quinquennat précédent. Le « en même temps » semble ici préjudiciable, à la fois pour les acteurs concernés, mais aussi pour l'image de la France dans son action extérieure. Cela me semble regrettable.
M. Michel Canévet . - La France affiche une grande ambition en matière d'action extérieure de l'État et cherche à développer son influence. Face aux ambitions d'augmentation du nombre de locuteurs du français à travers le monde, qui doit passer de 300 à 500 millions, les crédits dédiés sont-ils suffisants ?
De plus, je nourris quelques inquiétudes en ce qui concerne les crédits liés à l'accompagnement des investissements. J'ai visité le lycée Jean Mermoz de Buenos Aires, dans lequel le précédent Président de la République avait lancé les travaux de restructuration. Or rien ne s'est passé depuis. Les besoins importants en la matière peuvent-ils être couverts ? Peut-on accompagner la création de nouveaux lycées dans le monde pour accroître l'influence française ? La façon dont s'organise l'enseignement du français à l'étranger vous semble-t-elle pertinente ? Comment pourrait-on l'améliorer ?
M. Roger Karoutchi . - L'état des établissements français à l'étranger est en effet calamiteux. Non seulement les déficits sont considérables, mais les établissements manquent de soutien quand ils rencontrent des problèmes. La francophonie n'est plus soutenue. Nous avons discuté avec l'AFD pour que l'aide au développement soit aussi consacrée au soutien de ces écoles, dans lesquels les élèves ne sont pas seulement français, mais aussi locaux. Ainsi, dans ces établissements, on se demande aujourd'hui à quel moment on va devoir fermer parce que les moyens manquent et parce qu'il est de plus en plus difficile de recruter des enseignants, qu'ils soient locaux ou français. Nous peinons à soutenir la concurrence face aux établissements américains, anglais, allemands ou chinois.
La France cherche à être présente partout, mais elle n'en a pas les moyens et, à force de demi-mesure, la francophonie s'effondre et nos établissements français à l'étranger n'ont plus les moyens de fonctionner. Il faut interpeller le Gouvernement sur ce sujet.
Mme Christine Lavarde . - Je soutiens les moyens financiers consacrés aux écoles libanaises, car il s'agit là d'un moyen de faire rayonner la francophonie.
Je voudrais revenir sur le centre appels qui a ouvert l'an dernier pour les Français de l'étranger et semble subir un grand afflux. Est-il prévu de pérenniser cette expérimentation ? Et si oui, à quel coût ?
M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - En ce qui concerne l'apprentissage de la langue française, différents dispositifs existent, qu'ils soient liés à l'Alliance française, à l'AEFE ou aux postes diplomatiques. Cependant, au total, les crédits sont stables, ce qui représente même une diminution en volume. Le passage de 300 à 500 millions de locuteurs ne sera donc pas financé par ces crédits.
Sur l'enseignement français à l'étranger et les établissements scolaires, je serai moins sévère que Roger Karoutchi, même si nombre d'établissements auraient besoin de travaux immobiliers importants, qui sont difficiles voire impossibles à réaliser aujourd'hui, compte tenu du mode de financement et du statut de l'AEFE. C'est pourquoi je soutiens, comme le font le MAE et l'Agence, la possibilité d'avoir recours à des capacités d'emprunt pour financer les opérations immobilières à mener. Cependant ce recours est aujourd'hui interdit par la loi et Bercy y est hostile.
Quant à la plateforme téléphonique France Consulaire, elle concerne une douzaine de pays d'Europe. Ce dispositif semble fonctionner et a permis d'offrir à nouveau un accueil téléphonique de qualité, pour nos citoyens qui appelaient les postes consulaires sans obtenir de réponse, les agents étant devenus trop peu nombreux. Vincent Delahaye et moi avons visité le centre d'appels situé à la Courneuve. Le dispositif de mutualisation nous a semblé utile, puisqu'il permet de répondre aux questions simples et de renvoyer vers les postes consulaires les questions plus compliquées. Le ministère envisage de le développer.
Enfin, j'en viens aux postes consulaires. Dans un certain nombre de pays, la situation rappelle celle que nous avons évoquée ce matin en examinant les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». En effet, de la même manière, la dématérialisation éloigne un certain nombre de personnes de l'administration, retarde des procédures comme le renouvellement des papiers d'identité et il devient difficile d'avoir un accès direct au consulat, comme pour d'autres à la préfecture.
M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial . - Michel Canévet a eu la chance de se rendre à Buenos Aires, nous sommes allés à la Courneuve... Ce n'est pas la même destination, mais nous avons été très bien accueillis ! Le dispositif mis en place doit être développé puisqu'il permet à la fois de réaliser des économies et d'offrir un meilleur service. Cependant, son évolution demeure trop lente, parce que nous prenons des précautions et que certains postes consulaires émettent des inquiétudes.
Nous n'avons pas les moyens de nos ambitions, que ce soit pour le développement de l'AEFE, l'augmentation du nombre de francophones ou le maintien du réseau, dont l'appauvrissement commence à se faire sentir dans certains endroits. En outre, Alliances françaises et Instituts français se font parfois concurrence et ne travaillent pas ensemble. Tout cela est préoccupant et les inquiétudes sont bien réelles sur le réseau. Des décisions fortes doivent être prises.
Par ailleurs, je partage les propos du rapporteur général. En effet, nous avons fourni des efforts pendant des années et nous revenons dessus sans bien comprendre pourquoi. Ainsi, des moyens supplémentaires sont donnés au début du quinquennat, tout en rappelant qu'il faudra faire des économies les années suivantes.
Mon avis est mitigé. Je m'en remettrai à la sagesse de notre commission et m'abstiendrai sur le vote des crédits.
M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - Mon avis est favorable.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le mien aussi.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
M. Rémi Féraud . - Nous proposons l'amendement FINC.1, qui vise à la suppression de cet article. En effet, cet article introduit par le Gouvernement est sans lien avec la loi de finances.
De plus, s'il était maintenu, il entraînerait un bouleversement profond du système de l'enseignement français à l'étranger puisqu'un comité de gestion largement co-piloté par les parents serait créé, ce qui représenterait une forme de démantèlement de l'AEFE.
Par ailleurs, je ne suis pas non plus favorable au procédé employé. En effet, il ne s'agit pas d'une question dont on peut décider de cette façon, au détour d'une loi de finances. Cet amendement n'a semble-t-il même pas été discuté en séance à l'Assemblée nationale et il pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel.
La suppression de ce cavalier rassurera aussi les acteurs de l'enseignement français à l'étranger, qui se sont émus à sa découverte.
L'amendement n° II-1 a été adopté.
La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 41 A.
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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé ses décisions.