IV. - REPORTS DE CRÉDITS DE 2022 SUR 2023
ARTICLE 36
Majoration des
plafonds de reports de crédits de paiement
. Le présent article majore les plafonds de reports de crédits de 9 programmes dans le texte initial, déposé à l'Assemblée nationale, et de 40 programmes dans le texte transmis au Sénat.
Comme les deux années précédentes, les reports sont autorisés par le projet de loi de finances sur un nombre particulièrement important de programmes du budget général, pour des montants qui pourraient être élevés compte tenu du niveau des crédits non encore consommés.
La commission propose d'adopter cet article sans modification, tout en rappelant sa désapprobation concernant les reports de crédits massifs qui, présentés comme exceptionnels durant la crise sanitaire, semblent désormais être la norme.
I. LE DROIT EXISTANT : LA LIMITE DE REPORT DES CRÉDITS DE PAIEMENT PEUT ÊTRE MAJORÉE EN LOI DE FINANCES
Le principe d'annualité budgétaire prévoit que les crédits budgétaires ne créent aucun droit au titre des années suivantes .
L ' article 15 de la loi organique relative aux lois de finances 11 ( * ) prévoit toutefois que les autorisations d'engagement disponibles sur un programme à la fin de l'année peuvent être reportées sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs, par arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du ministre intéressé.
S'agissant des crédits de paiement , ceux qui ne portent pas sur des crédits de personnel (titre 2) peuvent être reportés dans la limite de 3 % des crédits initiaux inscrits sur le programme d'origine des crédits, hors titre 2. De même que pour les autorisations d'engagement, elles peuvent être reportées sur un programme poursuivant les mêmes objectifs.
Ce plafond de 3 % peut être majoré par une disposition dûment motivée en loi de finances, ce qui est l'objet du présent article.
Les reports doivent également respecter une limite globale inscrite à l'article 15 de la LOLF, à la demande du Sénat, par la révision de la loi organique du 28 décembre 2021 : le montant total des crédits de paiement ainsi reportés ne peut excéder 5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année. Cette limite peut elle aussi être levée par la loi de finances, mais seulement en cas de nécessité impérieuse d'intérêt national, ce qui n'est pas prévu par le présent article.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : LEVER LE PLAFOND DE REPORT POUR NEUF PROGRAMMES
Le projet de loi de finances déposé à l ' Assemblée nationale prévoit de faire bénéficier neuf programmes de l ' exception à la règle du report.
La rédaction du présent article prévoit que les programmes peuvent être effectués à hauteur du montant total des crédits ouverts en loi de finances initiale . Le plafond n'inclut donc pas les crédits ouverts, sur certains programmes, par le décret d'avance du 7 avril 2022 ou la première loi de finances rectificative du 16 août 2022.
Programmes faisant l'objet d'une dérogation
à la limitation des reports
dans le texte initial du projet de loi de
finances pour 2023
Mission |
Programmes |
|
Conseil et contrôle de l'État |
165 |
Conseil d'État et autres juridictions administratives |
Justice |
335 |
Conseil supérieur de la magistrature |
Conseil et contrôle de l'État |
164 |
Cour des comptes et autres juridictions financières |
Économie |
134 |
Développement des entreprises et régulations |
367 |
Financement des opérations patrimoniales envisagées en 2021 et en 2022 sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » |
|
Transformation et fonction publiques |
352 |
Innovation et transformation numériques |
Administration générale et territoriale de l'État |
232 |
Vie politique |
Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés |
862 |
Prêts pour le développement économique et social |
877 |
Avances remboursables et prêts bonifiés aux entreprises touchées par la crise de la covid-19 |
Source : commission des finances, à partir de l'article 36 du projet de loi de finances pour 2023
III. LE DISPOSITIF CONSIDÉRÉ COMME ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3, DE LA CONSTITUTION : LA MAJORATION DU PLAFOND DE REPORT POUR 31 PROGRAMMES SUPPLÉMENTAIRES
Le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale après l'engagement de responsabilité du Gouvernement en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, a étendu à 31 programmes supplémentaires l'exception à la règle de report des crédits de paiement.
Programmes supplémentaires faisant l'objet d'une
dérogation à la limitation des reports dans le texte
considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
du projet de loi de finances pour 2023
Mission |
Programme |
|
Administration générale et territoriale de l'État |
354 |
Administration territoriale de l'État |
216 |
Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur |
|
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales |
149 |
Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture |
215 |
Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture |
|
206 |
Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation |
|
Cohésion des territoires |
112 |
Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire |
162 |
Interventions territoriales de l'État |
|
135 |
Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat |
|
Direction de l'action du Gouvernement |
129 |
Coordination du travail gouvernemental |
359 |
Présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 |
|
Écologie, développement et mobilité durables |
205 |
Affaires maritimes |
174 |
Énergie, climat et après-mines |
|
113 |
Paysages, eau et biodiversité |
|
181 |
Prévention des risques |
|
Économie |
220 |
Statistiques et études économiques |
Engagements financiers de l'État |
336 |
Dotation du Mécanisme européen de stabilité |
Enseignement scolaire |
140 |
Enseignement scolaire public du premier degré |
141 |
Enseignement scolaire public du second degré |
|
Gestion des finances publiques |
218 |
Conduite et pilotage des politiques économiques et financières |
Justice |
310 |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
Outre-mer |
123 |
Conditions de vie outre-mer |
Plan de relance |
364 |
Cohésion |
363 |
Compétitivité |
|
362 |
Écologie |
|
Relations avec les collectivités territoriales |
122 |
Concours spécifiques et administration |
Santé |
204 |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
Sécurités |
161 |
Sécurité civile |
Sport, jeunesse et vie associative |
219 |
Sport |
Transformation et fonction publiques |
148 |
Fonction publique |
349 |
Transformation publique |
|
Travail et emploi |
103 |
Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi |
Source : projet de loi de finances pour 2023, texte considéré comme adopté en première lecture par l'Assemblée nationale
IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : PRENDRE ACTE DE CETTE EXTENSION DES PROGRAMMES SUSCEPTIBLES DE REPORTS SUPÉRIEURS À 3 %, TOUT EN AFFIRMANT LA NÉCESSITÉ DE REVENIR SUR LES REPORTS MASSIFS DÉSORMAIS HABITUELS
Le nombre des programmes faisant l'objet d'une exception à la règle de limitation des reports, qui variait entre 15 à 30 au cours des années 2010, a augmenté de manière importante à plus de 40 depuis la loi de finances initiale pour 2021. Alors que l'importance des reports entre 2020 et 2021 avait été motivée par les besoins et l'incertitude liés à la crise sanitaire, cette explication ne vaut plus pour l'année 2023.
Nombre de programmes faisant l'objet d'une
dérogation à la règle des reports
en loi de finances
initiale
Source : commission des finances
Dans le présent projet de loi de finances, le nombre de programmes pour lequel une dérogation est demandée est de 40 dans le texte transmis au Sénat, dont 38 programmes du budget général et 2 programmes sur le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».
Si l'article limite le montant des reports à l'ensemble des crédits inscrits en loi de finances initiale, ils seront en pratique limités au montant des crédits non consommés . Ce montant s'élève, au 25 novembre 2022, à 34,7 milliards d'euros sur les 38 programmes concernés du budget général.
Les missions concernées par le potentiel de report le plus important, compte tenu des crédits disponibles, sont les missions « Plan de relance » (9,7 milliards d'euros de crédits non consommés et reportables), « Économie » (8,5 milliards d'euros) et « Enseignement scolaire » (5,8 milliards d'euros).
Certaines de ces demandes de reports correspondent en principe à des mesures transitoires .
Ainsi, le programme 359 « Présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » voit ses crédits reportés sur le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la même mission, ce qui permettra de régler les derniers paiements d'un programme qui n'a pas vocation à être maintenu en 2023 et disparaît d'ailleurs de la maquette budgétaire.
Le programme 877 « Avances remboursables et prêts bonifiés aux entreprises touchées par la crise de la covid-19 » du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », pour sa part, a été étendu aux entreprises touchées par les conséquences du conflit en Ukraine par la première loi de finances rectificative pour 2022, dans le cadre de l'encadrement temporaire spécifique adopté par la Commission européenne en mars 2022. Ce programme aurait pourtant pu faire l'objet d'ouvertures de crédits en loi de finances pour 2023, ce qui aurait évité de prévoir le report de crédits non consommés.
Sur la mission « Économie », le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » dispose également de 4,4 milliards d'euros de crédits non encore consommés en raison de la sous-consommation des dispositifs d'aide aux entreprises face aux coûts élevés de l'énergie. Dans la mesure où ces dispositifs sont en cours d'assouplissement, des décaissements plus importants pourraient être nécessaires en fin d'année 2022 ou au début de l'année 2023.
Les reports de crédits sont beaucoup plus contestables pour les programmes de la mission « Plan de relance » , d'autant qu'ils auront probablement lieu en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. L'inscription des trois programmes de cette mission dans le présent article permet de prévoir des reports massifs, les crédits non consommés étant en crédits de paiement, au 25 novembre, de 4,4 milliards d'euros sur le 362 « Écologie », 1,9 milliard d'euros sur le programme 363 « Compétitivité » et 3,4 milliards d'euros sur le programme 364 « Cohésion ». La consommation de crédits devrait donc être, en 2023, bien supérieure aux ouvertures de crédits de 4,4 milliards d'euros en crédits de paiement, sans autorisations d'engagement, prévues par le projet de loi de finances, alors même que l'objectif fixé par le plan de relance, à savoir retrouver le niveau d'activité d'avant crise, a été atteint dès le troisième trimestre de 2021. Pour mémoire, le rapporteur général propose d'ailleurs l'annulation de 1,0 milliard d'euros de crédits de paiement sur cette mission dans le cadre du projet de loi de finances, considérant que certaines actions n'ont dès lors plus besoin d'être.
Sur la mission « Économie », le montant des crédits non consommés est de 4,0 milliards d'euros sur le programme 367 « Financement des opérations patrimoniales envisagées en 2021 et en 2022 sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » ». Le projet annuel de performances du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » prévoit explicitement que ce montant sera reporté au début de 2023 . Le Sénat, sur la proposition du rapporteur général, s'était opposé à ce report en annulant 4,0 milliards d'euros de crédits sur le programme 367 dans le second projet de loi de finances rectificative pour 2022, invitant le Gouvernement à prévoir une ouverture de crédits dans le projet de loi de finances si ces crédits sont nécessaires. Finalement, dans le cadre de la commission mixte paritaire, 2 milliards d'euros ont ainsi été annulés sur les crédits du compte d'affectation spéciale.
D'une manière générale, comme les années précédentes, la faculté de « majorer » le plafond de report des crédits de paiement prévue par la loi organique se traduit en pratique par une majoration à 100 % . Or, compte tenu de l'extension très importante prise par ces dérogations, le Gouvernement devrait désormais demander une majoration des reports plus limitée et spécifique à chaque programme , en fonction des besoins effectifs, ce qui donnerait une meilleure transparence à l'autorisation parlementaire. Le rapporteur général invite le Gouvernement à présenter des demandes de dérogations plus précises et plus circonstanciées dans le projet de loi de finances pour 2024.
Depuis deux ans, la dérogation semble être devenue la norme en matière de gestion budgétaire. Or la lisibilité, voire la sincérité du budget seraient plus grandes si ces crédits étaient inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023 , soit dès le texte initial, soit à l'occasion de son examen en première lecture par les deux assemblées.
Il n'est toutefois pas proposé de modifier les autorisations prévues par cet article : certains de ces crédits seront effectivement nécessaires en 2023 s'ils ne sont pas ouverts explicitement, comme ils devraient l'être, dans le projet de loi de finances initiale.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
* 11 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).