TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MM. BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, ET GABRIEL ATTAL, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS (8 JUILLET 2022)
M. Claude Raynal , président . - Nous recevons ce matin M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics, pour évoquer devant nous - oserais-je dire : enfin ! - le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et, surtout, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022, présenté hier après-midi en conseil des ministres. Je félicite M. Le Maire pour sa reconduction dans des fonctions étendues et souhaite la bienvenue à M. Gabriel Attal, qui s'exprimera pour la première fois devant nous dans ses nouvelles fonctions. Je forme le voeu que cette audition soit le début d'échanges utiles et fructueux entre notre commission et le Gouvernement.
Comme vous le savez, notre commission regrette que le Gouvernement n'ait pas présenté le projet de loi de règlement dans les délais prescrits par la loi organique, c'est-à-dire avant le 1 er juin. Ce n'est certes pas la première fois que cela arrive en période pré-électorale, mais nous aurions pu espérer qu'il en soit autrement d'un gouvernement en continuation. Il aurait été pourtant nécessaire de faire dès le mois de mai un bilan de l'exécution budgétaire avec l'appui de la Cour des comptes.
Alors que le Gouvernement n'a cessé, à juste titre et encore tout récemment lors du toilettage de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), d'inviter les parlementaires à se pencher davantage sur les résultats de la gestion publique, et que le Sénat y était prêt, nous serons contraints de réaliser cette année un examen des comptes particulièrement expéditif.
Cela est d'autant plus regrettable que nous devons examiner, également dans des délais très contraints, un important projet de loi de finances rectificative, qui bouleverse les équilibres du budget de l'État en 2022. Il acte en effet une forte révision à la baisse de nos prévisions de croissance, de 4 % à 2,5 %, et prévoit une augmentation de dépenses à hauteur de 44,2 milliards d'euros, dont 20 milliards d'euros de mesures nouvelles pour le pouvoir d'achat afin de contrecarrer les effets de l'inflation. Les estimations de recettes sont certes en hausse, mais pas suffisamment pour compenser ces dépenses nouvelles, ajoutées à des reports de crédits de 2021 qui viendront aggraver le déficit.
Vous avez estimé dans la presse que ces recettes supplémentaires sont « la démonstration qu'une politique tournée vers les baisses d'impôts et le travail produit de la richesse et du financement pour la protection des Français ». Selon moi, il s'agit surtout d'un effet de rattrapage qui n'est pas durable. Aussi, pensez-vous que l'approfondissement des baisses d'impôts, que j'ai pu qualifier de « désarmement fiscal », reste soutenable à l'heure où les conséquences de la guerre en Ukraine et les impératifs de transition énergétique et de soutien au pouvoir d'achat nécessitent un important soutien public ?
Ensuite, concernant l'articulation de vos propositions avec le redressement des finances publiques, alors que la crise sanitaire a marqué l'avènement du « quoi qu'il en coûte », vous avez annoncé récemment que la France avait atteint sa « cote d'alerte » sur les finances publiques. Cependant, ce PLFR sera encore pour l'essentiel financé par la dette : comment résoudre cette contradiction ? Quels leviers comptez-vous utiliser, au moment où la croissance pour les années 2023 et 2024 n'apparaît pas assurée ?
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Je tiens à vous dire le plaisir que j'ai à retrouver votre commission des finances. Nous vous devons une excuse sur le retard de la présentation du projet de loi, lié aux évènements politiques actuels.
Nous sommes au coeur du pic inflationniste, qui a commencé à l'automne dernier dans la vigueur de la reprise post-covid. Nous avons été les premiers en Europe à y répondre, avec le plafonnement de la hausse du prix de l'électricité à 4 % et le gel du prix du gaz, qui représentent une dépense de 20 milliards d'euros à ce jour. Nous avons de ce fait l'inflation la plus faible de la zone euro, car nous l'avons anticipée et avons protégé nos compatriotes avec ce dispositif unique en Europe. Sans cette action, les Français auraient vu leur facture de gaz augmenter de 50 %, et celle d'électricité de 35 %.
Cette inflation s'accélère désormais, pour des raisons conjoncturelles, dont la guerre en Ukraine, mais aussi structurelles avec les difficultés d'approvisionnement des chaînes de production, la fermeture du marché chinois et l'accélération de la transition écologique. Ce pic inflationniste devrait durer jusqu'à la fin l'année 2022 au moins, et nous anticipons une décrue durant l'année 2023, à la fin de laquelle nous reviendrons à un niveau d'inflation plus bas qu'aujourd'hui mais structurellement plus élevé que celui auquel nous étions habitués. Soyons modestes dans nos prévisions : il ne s'agit que de notre scénario central, mais les évènements géopolitiques, dont la situation en Ukraine et les conditions d'approvisionnement en hydrocarbures, pourraient largement changer nos prévisions.
Dès lors que l'inflation s'accroît, il est légitime et juste de protéger encore mieux nos compatriotes, ce que nous entendons faire avec les mesures contenues dans les textes qui seront soumis à votre examen. Nous suivons trois principes politiques.
Le premier est l'efficacité : le bouclier énergétique a permis de maîtriser l'inflation, nous le maintiendrons intégralement jusqu'à la fin de l'année 2022. Le plafonnement de l'augmentation des tarifs de l'électricité à 4 %, promis par le Président de la République, sera également maintenu jusqu'à la fin de l'année. Il en va de même pour le gel des prix du gaz. Je le redis : il n'y aura pas de rattrapage. Toute nouvelle augmentation des prix en 2022 sera bien sûr prise en compte dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, mais elle ne figurera pas sur la facture du consommateur. L'effet du bouclier énergétique est vertueux : il nous permet de ne pas atteindre les 10 ou 11 % d'inflation observés dans la zone euro, voire les 20 % parfois constatés hors zone euro. Nous avons pris cette décision en responsabilité : elle s'est avérée coûteuse, mais efficace.
Le deuxième principe est celui de la justice : il faut protéger ceux qui en ont le plus besoin, par exemple un retraité qui ne peut plus augmenter ses revenus. La revalorisation et l'indexation sur l'inflation des retraites, la revalorisation du point d'indice et celle des minima sociaux sont donc légitimes, tout comme celle des allocations familiales, car les familles supportent une grande partie du coût de l'inflation, notamment avec les dépenses d'alimentation.
Enfin, le troisième point est pour moi une ligne rouge forte : il s'agit des finances publiques. Ce paquet n'est pas financé par la dette : j'en veux pour preuve que nous avions prévu d'émettre 260 milliards d'euros de dette en 2022, et que nous n'irons pas au-delà. Nous le financerons avec les recettes fiscales exceptionnelles liées à la vigueur de la reprise et aux créations d'emplois, fruit de notre politique, avec, par exemple, un rendement plus élevé que prévu de l'impôt sur les sociétés. Les recettes sociales et celles qui proviennent de l'impôt sur le revenu représentent 20 milliards d'euros supplémentaires. Ces recettes, vous l'avez dit, sont exceptionnelles : nous les utilisons pour un financement exceptionnel lui aussi, et non des dépenses ou pertes de recettes durables comme une baisse de la TVA.
Il y a à cela deux exceptions, que nous revendiquons avec Gabriel Attal...
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - C'est tout et son contraire !
M. Bruno Le Maire, ministre . - Pas du tout ! Les Républicains proposent à la fois de rétablir les finances publiques et de dépenser 50 milliards d'euros sur l'essence : voilà un exemple de tout et son contraire. Je ne parle bien sûr pas des sénateurs : j'ai ainsi repris à mon compte, hier à l'Assemblée nationale et ce matin sur France Info, les propos responsables de Mme Christine Lavarde.
Ces exceptions sont la contribution à l'audiovisuel public et, j'y tiens, les impôts de production. En effet, il faut accélérer notre réindustrialisation, et la baisse de ces impôts est réclamée par tous les industriels, de l'automobile aux semi-conducteurs. Je préfère des usines qui ouvrent en France qu'en Allemagne, et on ne pourra pas le faire alors que nos impôts de production sont sept fois plus élevés. Une baisse d'impôt est d'ailleurs plus rentable, y compris en matière de finances publiques, si elle aboutit à un investissement dans l'industrie.
Nous proposons 20 milliards d'euros de mesures supplémentaires dans le paquet pouvoir d'achat, dont la revalorisation des retraites, du point d'indice et des allocations. Trois mesures visent en outre les dépenses contraintes les plus importantes de nos compatriotes. La première concerne les loyers : nous sommes parvenus à un compromis avec les acteurs du logement social, les bailleurs privés, les locataires et les propriétaires : ni gel des loyers empêchant la construction ni hausse correspondant à l'inflation, qui aurait abouti à une appréciation de 6 % insupportable pour les plus modestes, mais une augmentation plafonnée à 3,5 % sur un an, entre le 1 er octobre 2022 et le 1 er octobre 2023.
La deuxième est l'indemnité carburant. Nous souhaitons passer d'un dispositif général et coûteux à un autre plus ciblé, plus économe et plus juste. Je revendique le choix politique d'aider en priorité ceux qui travaillent, y compris les alternants et ceux qui sont en recherche d'emploi via Pôle emploi. La compensation de 18 centimes passera à 12 centimes en octobre, 6 centimes en novembre et disparaîtra en décembre 2022. Tous les utilisateurs pourront déclarer l'utilisation de leur véhicule pour travailler sur le site de la direction générale des finances publiques (DGFiP), avec des contrôles aléatoires, et les personnes concernées toucheront de 100 à 300 euros selon leur revenu. Cela devra concerner toutes les personnes travaillant jusqu'au cinquième décile, soit un revenu de 1 260 euros nets par mois pour une personne seule. On peut débattre des seuils.
Ensuite, le troisième poste de dépense le plus important étant l'alimentation, nous allons mettre en place à la rentrée un chèque alimentaire de 100 euros, plus 50 euros par enfant.
Enfin, nous revaloriserons la prime activité de 4 % et baisserons les cotisations sociales des indépendants, en application d'une promesse formulée par le Président de la République à l'Union des entreprises de proximité (U2P) il y a quelques mois. Nous mettrons aussi en place une prime allant jusqu'à 6 000 euros pour les entreprises disposant d'un accord d'intéressement, dont la création sera simplifiée.
Je conclus sur deux éléments. Le premier porte sur les finances publiques : tout n'est pas financièrement possible. Nous pouvons échanger sur des mesures et réorienter des crédits, mais ajouter des milliards aux milliards ne fera que plomber nos comptes publics. Je suis garant d'une trajectoire : déficit public de 6,5 % du PIB en 2021, 5 % en 2022 et 3 % en 2027. Tout dérapage en 2022 rendrait cet objectif final inatteignable et je m'y refuse.
Second élément, le fardeau doit être équitablement partagé. L'État a beaucoup contribué, certaines entreprises comme celles des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, ont aussi commencé à le faire. Cependant, toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les rémunérations des salariés par tous les moyens dont elles disposent, que ce soit par des primes, l'intéressement ou la participation.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics . - Cette audition porte sur le PLFR, mais aussi sur le projet de loi de règlement du budget 2021, que je vais vous présenter.
L'exécution budgétaire 2021 est celle de la protection des agents économiques, de la relance de l'activité et de la maîtrise des comptes, qui ont été nos priorités dans un contexte particulier de reprise et de surchauffe : avec 6,8 % de croissance, nous faisons mieux que la moyenne de la zone euro avec 1,4 point de plus.
Cela témoigne des moyens mis en oeuvre pour protéger entreprises et ménages, notamment les plus fragiles. Nous avons tout fait pour ne pas ajouter la vulnérabilité financière à la vulnérabilité sanitaire. Je pense aux 3,8 milliards d'euros mobilisés pour verser l'indemnité inflation de 100 euros à 38 millions de Français, ou encore aux 600 millions d'euros ayant permis de verser un chèque énergie à 5,6 millions de foyers modestes avant les fêtes de fin d'année.
Durant ces mois de stop and go pandémique, nous avons constamment adapté les dispositifs de protection des entreprises, comme l'activité partielle, dont ont bénéficié 3,5 millions de salariés. Ainsi, 34 milliards d'euros ont été déployés en 2021 dans le cadre de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », pour permettre aux entreprises de tenir le choc, d'investir et d'embaucher. Avec 72 milliards d'euros déjà engagés sur les 100 prévus au titre du plan de relance, nous avons aussi agi vite et fort en faveur de la transition énergétique, de l'industrie et de l'insertion professionnelle. Ainsi, 4 millions de jeunes se sont engagés dans le dispositif « 1 jeune 1 solution » en 2021.
Le déficit est passé de 8,9 % du PIB en 2020 à 6,4 % en 2021, et nous visons 5 % pour 2022. La dette s'établit à 112,5 % du PIB fin décembre, soit deux points de moins en un an. Le solde budgétaire de l'État s'est amélioré de 7,3 milliards d'euros pour s'établir à 170,7 milliards d'euros en comptabilité budgétaire, avec 37 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires grâce à la dynamique de l'impôt sur les sociétés, de la TVA et de l'impôt sur le revenu.
L'année 2021 est donc l'an I de la remise en ordre des comptes publics post-covid. Nous continuerons en 2022. Je rappelle que le PLFR s'inscrit dans un paquet global : il s'articule avec le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, mais aussi avec des mesures réglementaires, comme le décret adopté hier en conseil des ministres augmentant le point d'indice des fonctionnaires.
Au-delà, ce PLFR tient aussi compte du marché de l'énergie. Ainsi, le texte entérine le déplafonnement de certains contrats de fourniture d'énergie renouvelable passés entre 2016 et 2019 pour tenir compte de la hausse récente des prix de l'électricité et donc permettre à l'État de percevoir la totalité des sommes dues par les fournisseurs, soit un gain de 2,4 milliards d'euros sur l'année 2022.
Ce texte remet aussi sur les rails la généralisation de la facturation électronique, qui devrait permettre un gain annuel de 4,5 milliards d'euros pour les entreprises grâce à la simplification administrative, mais aussi générer des rentrées fiscales car cela facilitera la lutte contre la fraude à la TVA.
Enfin ce PLFR prolonge les prêts garantis par l'État (PGE) accordés en soutien à la trésorerie des acteurs économiques affectés par le conflit en Ukraine. Il prévoit aussi 1,5 milliard d'euros de soutien aux entreprises énergo-intensives, c'est-à-dire celles dont plus de 3 % du chiffre d'affaires est consacré à des dépenses d'électricité ou de gaz. En effet, leur facture a été doublée par rapport à 2021 et elles s'en trouvent fragilisées. Les demandes sur le site de la DGFiP sont ouvertes depuis le début de la semaine.
En outre, 315 millions d'euros permettront à l'Agence française de développement (AFD) d'aider l'Ukraine, à hauteur de 300 millions d'euros, et la Moldavie, à hauteur de 15 millions d'euros. Cela s'ajoute au décret d'avance du 7 avril 2022, ratifié par ce PLFR et qui avait déjà ouvert 400 millions d'euros d'aides pour financer l'accueil des réfugiés ukrainiens, avec l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) et l'ouverture de centres d'hébergement.
Par ailleurs, ce PLFR ouvre des crédits pour l'apprentissage, avec 1,8 milliard d'euros pour France compétences et 750 millions d'euros pour les primes d'apprentissage. Cette politique publique de l'apprentissage est d'ailleurs une réussite, puisque nous sommes passés de 300 000 à 700 000 apprentis entre 2017 et 2022.
De plus, 2 milliards d'euros sont aussi prévus au titre de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles au vu des incertitudes économiques, rappelées par Bruno Le Maire, liées à la situation internationale.
Enfin, 500 millions d'euros sont consacrés à l'agriculture, pour soutenir les forces vives qui nourrissent la France et qui ont subi divers aléas.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je m'associe aux propos du président vous souhaitant la bienvenue, aussi bien au ministre Bruno Le Maire, dans la continuité de son action, qu'à Gabriel Attal. Vous savez que notre assemblée a pour habitude de travailler avec sérieux et de faire preuve d'une grande vigilance.
Comme vous, nous allons nous mettre rapidement au travail, dès lors que nous disposons - enfin ! - des éléments que nous attendions depuis un long moment. Je comprends à cet égard que la Première ministre veillera à améliorer les habitudes d'hier - vous serez toujours les bienvenus dans cette maison, messieurs les ministres !
Vous avez retenu dans votre scénario central une hypothèse d'inflation de 5 % pour l'année 2022, alors que l'Insee prévoit 5,6 %. Qu'est-ce qui motive ce choix ? À quel coût pour nos finances publiques ce différentiel correspond-il ? Je me réjouis d'entendre votre attachement au redressement des comptes, monsieur le ministre Bruno Le Maire, mais avec les effets sur les obligations indexées ou les mesures de soutien aux ménages, ce chiffre n'est pas neutre.
Vous répétez à l'envi depuis quelque temps - un peu comme un aveu - que la cote d'alerte est atteinte pour les finances publiques. Si je comprends bien, lorsqu'elle est atteinte, elle est dépassée... Vous avez affirmé hier devant la commission des finances de l'Assemblée nationale la nécessité, dans l'état actuel, de compter chaque euro, rappelant qu'il fallait tenir compte du fait que les conditions de financement ont changé. Mais je n'ai pas le sentiment que ce PLFR reflète ces propos ! Il ouvre en effet des crédits nouveaux sur une centaine de programmes du budget général, pour un total de plus de 47 milliards d'euros en montant brut, et il n'en annule que sur un seul programme, celui correspondant à la charge d'intérêt de SNCF Réseau - pour 9 millions d'euros. Certes, il s'agit en partie de rétablir les crédits annulés dans le cadre du décret d'avance pour financer la remise de 18 centimes en avril dernier. Mais cela signifie-t-il aussi que vous n'avez pas pu identifier un seul programme du budget général, en dehors de celui que je viens de mentionner, sur lequel des crédits auraient pu être annulés, de manière à compenser au moins partiellement les ouvertures de crédits nécessaires sur d'autres dispositifs ?
Quelque 12 milliards d'euros sont prévus pour les participations financières de l'État. La Première ministre, dans sa déclaration de politique générale, a annoncé son intention que l'État détienne 100 % du capital d'EDF. Vous avez indiqué hier devant nos collègues députés que les 12 milliards d'euros correspondaient à l'acquisition des actions manquantes d'EDF, ainsi qu'à d'autres opérations éventuelles. Quel est le montant exact prévu pour l'opération liée à EDF ? Selon quels critères des participations financières pourront-elles être envisagées pour d'autres opérations ?
Je voudrais évoquer également la suppression, confirmée dès 2022, de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), que vous présentez comme une mesure de pouvoir d'achat, ce qu'il convient de relativiser si l'on regarde le gain réel pour les ménages concernés et si l'on pense que près de 5 millions de foyers sont d'ores et déjà exonérés du paiement de cette contribution.
Cette suppression était largement anticipée, mais s'effectue dans un certain manque de transparence : le Gouvernement s'était engagé en 2019 à présenter un rapport au Parlement sur l'avenir de ce prélèvement, mais ce document n'a jamais été publié. En octobre dernier, une mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles devait rendre des conclusions : nous n'avons pas davantage été informés. Vous parlez de transparence : il est toujours mieux, en effet, de travailler en bonne intelligence et en portant les chiffres à la connaissance de nos assemblées. Nous avons le sentiment, sur ce sujet, d'une politique du fait accompli. Je vous reconnais le courage de vous attaquer à la modernisation du secteur de l'audiovisuel public ; mais comment allez-vous procéder pour 2023 ? Plutôt que de supprimer des ressources sans donner de choix alternatif, il eût été préférable d'agir progressivement, en concertation avec les deux assemblées.
Enfin, 4,6 milliards d'euros sont prévus dans ce texte pour la mise en place d'un dispositif de soutien aux travailleurs qui disposent d'un véhicule, à hauteur de 2 milliards d'euros, et la prolongation de la remise sur le prix des carburants à la pompe, pour 2,6 milliards d'euros. Le dossier de presse comporte des précisions sur le ciblage du dispositif, notamment en faveur des actifs, et de ceux qui font les plus longs trajets, pour remplacer la remise actuelle. Pouvez-vous nous donner des précisions supplémentaires sur ce ciblage ? Vous avez évoqué un certain nombre de catégories, l'on pourrait aussi penser aux retraités qui, dans certains territoires ruraux, ne disposent pas d'alternative à la voiture. Vous indiquez depuis hier que les parlementaires pourront faire part de leurs volontés pour déplacer, si besoin, le curseur entre les catégories de bénéficiaires. Dans quelle mesure ? Le texte ne prévoit que des crédits budgétaires, et vous savez bien que nous sommes contraints par la recevabilité financière de nos amendements ! Si nous ne disposons pas de vraies marges de manoeuvre, ce ne sera que du bavardage - cela me conduit à m'interroger sur la sincérité de votre volonté de dialogue et d'ouverture.
M. Claude Raynal , président . - Pour les questions suivantes, chacun disposera d'un temps de parole d'une minute et demie.
M. Vincent Delahaye . - Ce temps ne fait que se réduire !
M. Claude Raynal , président . - J'essaie de respecter les contraintes de chacun.
M. Bruno Le Maire, ministre . - Merci pour vos questions, monsieur le rapporteur général ; je suis moi aussi très heureux de continuer avec vous pour les années qui viennent.
Nous avons retenu une hypothèse d'inflation de 5 %, quand l'Insee parle de 5,6 %. C'est tout simplement parce que nous avons une évaluation différente de l'évolution du prix du baril : l'Insee prend pour hypothèse un baril à 120 dollars, et nous à 114. Aujourd'hui, le baril est à 108 dollars.
Nous continuerons évidemment à suivre ces questions de près, mais je pense que notre hypothèse est raisonnable et correspond à la situation du marché.
La charge de la dette est la raison principale pour laquelle j'ai dit que nous avions atteint la cote d'alerte. Je revendique le « quoi qu'il en coûte », qui nous a permis d'éviter un dérapage de la dette, car il eût été plus coûteux d'indemniser des chômeurs qu'il ne l'a été de protéger les entreprises. Mais nous l'avons mis en place avec des taux d'intérêt nuls, voire négatifs. Cette situation a radicalement changé, et une partie de la dette française est indexée sur l'inflation. Nous ne pouvons donc plus continuer comme cela : ce n'est pas possible, et cela ne serait pas responsable. Je rappelle qu'un point d'inflation supplémentaire entraîne 5 milliards d'euros de charges en plus pour l'État, puisque 10 % de notre dette est indexée sur l'inflation. Je rappelle aussi que, sur cette partie de la dette qui est indexée sur l'inflation, les deux tiers sont indexés sur le niveau d'inflation moyen de la zone euro, qui est très supérieur au niveau d'inflation en France. C'est ce qui nous conduit à inscrire 12 milliards d'euros supplémentaires de charges de la dette. Et c'est ce qui doit nous conduire à faire preuve d'un grand sens des responsabilités et à faire des économies.
La première méthode, de loin la plus efficace, pour rétablir les finances publiques est d'atteindre le plein emploi, ce qui suppose de prendre des décisions structurelles, comme la réforme des retraites et de l'assurance chômage, mais aussi une réduction de certaines dépenses - pour cela, je vous donne rendez-vous au moment du débat sur le projet de loi de finances pour 2023. Selon la méthode qu'a définie la Première ministre, il est important que nous puissions travailler tous ensemble à identifier les gisements de dépenses publiques qui pourraient être réduites dans les années qui viennent, pour nous permettre de tenir notre engagement de réduire le déficit à moins de 3 % du PIB. Cette trajectoire doit être tenue, pour notre indépendance nationale. Elle ne peut l'être que s'il n'y a pas de dérapage en 2022 et que nous arrivons à créer le plein emploi dans notre pays, à engager des réformes de structure et à identifier un certain nombre de dépenses à réduire.
Sur les participations de l'État, j'ai peur de vous décevoir : comme il s'agit d'une opération en cours, je ne peux pas vous préciser le montant qui sera consacré à la nationalisation d'EDF. Il pourra y avoir d'autres opérations sur les titres de l'État si nécessaire, en fonction de l'évolution de la situation économique des entreprises que nous n'avons pas laissé tomber depuis le début de la crise, et que nous ne laisserons jamais tomber.
Sur le soutien aux travailleurs, je redis que les paramètres peuvent être discutés dès aujourd'hui pour améliorer le dispositif. Pour l'instant, il est réservé aux personnes qui travaillent : indépendants, salariés, fonctionnaires, alternants... Pour les trois premiers déciles, l'aide sera de 200 euros ; pour les deux suivants, de 100 euros, avec une majoration de 50 % si le lieu de travail est particulièrement éloigné du domicile. Faut-il aller plus loin, ou concentrer davantage cet effort ? Ce débat sera particulièrement utile pour que nous puissions améliorer ensemble ce dispositif.
Enfin, nous avons fait un choix politique, celui d'indexer les retraites : nous les augmentons de 4 %, et nous concentrons l'effort concernant les déplacements sur les personnes qui travaillent. Cette politique peut être discutée, mais c'est le choix que nous proposons aux parlementaires.
M. Gabriel Attal, ministre délégué . - Le rapporteur général a évoqué les annulations de crédits : ce texte a principalement pour objet d'ouvrir des crédits, pour répondre à l'inflation. Compte tenu des aléas majeurs que fait toujours peser la situation géopolitique et économique internationale, c'est principalement dans le PLFR de fin de gestion que des annulations de crédit pourront éventuellement être effectuées.
Sur la CAP, il y aura un vrai débat parlementaire, qui devra porter sur la manière de compenser et d'apporter aux sociétés de l'audiovisuel public les garanties attendues. Quant aux rapports que vous évoquez, je vais me renseigner sur les raisons pour lesquelles ils ne vous ont pas été communiqués. En fait, il y a eu énormément de travaux sur le sujet, et notamment un très bon rapport de MM. Karoutchi et Hugonet.
M. Roger Karoutchi . - Merci !
M. Gabriel Attal, ministre délégué . - Nous avons pris l'engagement, dans le cadre de la campagne présidentielle, de supprimer cet impôt, parce qu'il n'est pas très juste : tout le monde paye la même chose. Et, quand on prend des mesures, les Français nous demandent souvent ce qu'ils en verront, eux-mêmes, concrètement. Pour le coup, c'est très clair : si le Parlement adopte cette mesure, ils ne payeront pas leur CAP à l'automne.
Dans le projet de loi figurent deux garanties importantes : la création d'une mission budgétaire spécifique, et le fait que la subvention aux sociétés de l'audiovisuel public sera versée intégralement dans un délai d'un mois à compter de l'ouverture de la gestion, et non plus mensualisée.
Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, nous serons capables de donner aux sociétés de l'audiovisuel public de la visibilité sur leur budget pour le quinquennat, et les contrats d'objectifs et de moyens devront être pleinement déployés.
M. Jérôme Bascher . - Rexecode dit dans un rapport publié le 5 juillet que, pour endiguer le déficit public, il faut commencer par retenir des hypothèses économiques prudentes. Monsieur le ministre de l'Économie, ici, à la commission des finances, c'est dès le printemps 2021 que nous avons dit que l'inflation augmentait. D'ailleurs, si vous regardez la courbe en glissement, vous verrez que sa pente est restée la même. Il fallait écouter le Sénat !
M. le ministre du budget nous dit que, pour le rebond de croissance en 2021, nous avons fait mieux que les autres. Certes, mais nous avons fait pire en 2020 ! Finalement, c'est fin 2021, comme l'ensemble des pays européens, que nous avons retrouvé le niveau de PIB de la fin 2019. Pas de cocorico, donc.
Nous devons nous focaliser sur l'accroissement de la croissance potentielle, par des mesures structurelles visant à mobiliser davantage de force de travail, car c'est de cela que toutes les entreprises que nous visitons nous parlent : elles cherchent à peu près 10 % de salariés en plus, ce qui n'est pas rien ! Nous devons prendre des mesures sur les heures supplémentaires, et augmenter légèrement ce qu'on appelle le point salarial. Or vous augmentez le revenu de solidarité active (RSA) de 4 %, mais le point d'indice de la fonction publique de 3,5 % : c'est l'inverse d'une bonne politique de croissance potentielle pour l'emploi !
Comment comptez-vous juguler l'inflation avec des mesures de demande ? Je ne comprends pas votre politique, monsieur le ministre de l'Économie.
Monsieur le ministre des comptes publics, en 2021, comme en 2020, il n'y avait pas de suppressions d'emplois dans le budget. Or nous avons eu, à chaque fois, des suppressions d'emplois dites de constatation, avec, par exemple, 3 500 emplois supprimés sur l'exercice 2021. Ne croyez-vous pas que ce serait au Parlement de décider de supprimer des emplois, dans le cadre d'une politique transparente, dès le vote du projet de loi de finances ? Au lieu de cela, nous avons là une sorte de politique à bas bruit pour réduire la masse salariale.
Pouvez-vous me confirmer qu'avec ce PLFR la deuxième mission de l'État sera de rembourser la dette, avant la défense nationale, au moment où l'Europe est en guerre ?
M. Roger Karoutchi . - Monsieur le ministre de l'économie, quand vous êtes au Sénat, vous débattez avec les sénateurs, et pas avec les députés, et ce qui a pu être dit à l'Assemblée nationale n'est pas ce qui se dit ici. J'ai cru comprendre que la Première ministre souhaitait débattre davantage avec les sénateurs - ayant sans doute compris que c'était ici que les choses se passeraient sur le fond.
Je rêverais d'accepter votre scénario central, mais permettez-moi de vous rappeler qu'il y a de nombreux aléas... En 2017, vous nous avez dit que le scénario central était d'atteindre l'équilibre complet en 2022. Nous avions espéré avec vous. Mais il y a eu la covid-19, la crise énergétique... De même, le scénario le plus optimiste est-il le plus crédible ? Non, parce que la guerre en Ukraine continue, que la pandémie de covid-19 n'est pas finie, tant s'en faut, parce que la situation internationale reste très troublée - en tout état de cause, vous avez accepté de tenir à partir de septembre des concertations avec les syndicats, avec les organisations agricoles, qui vont naturellement vous demander davantage de dépenses, davantage de salaire, davantage de traitement, sans que vous puissiez refuser. Bref, les dépenses prévues sont nettement supérieures à vos rentrées fiscales cette année, ce qui nous laisse quelque peu sceptique quant au déficit de 5 % que vous annoncez.
Il semble que les agences de notation soient inquiètes et envisagent d'abaisser la note de la France à l'automne. Avez-vous des informations en ce sens ? Ce matin a d'ailleurs été annoncé, pour le mois de mai, un niveau record de déficit commercial, à hauteur de 13 milliards d'euros.
M. le ministre des comptes publics a cité à juste titre le rapport que j'ai rédigé avec M. Hugonet, mais nous prenions acte dans celui-ci de la suppression de la CAP à contrecoeur ! Nous déplorions qu'une fois de plus, on ne parle pas d'abord du périmètre et des missions, mais du financement, ce qui n'est pas acceptable. Voilà des années que nous réclamons un vrai débat sur l'audiovisuel, et voilà des années qu'on ne parle que de financement, et pas des missions.
Le Sénat a proposé la création d'un organisme indépendant de contrôle de ce financement public. Je ne vois cela nulle part dans ce texte, où ces sommes deviennent une simple mission budgétaire, avec tous les aléas correspondants : je comprendrais qu'il y ait des inquiétudes dans l'audiovisuel public. Êtes-vous prêts à avancer sur ce sujet ?
M. Vincent Delahaye . - Je regrette qu'on ne nous laisse qu'un si court temps de parole. Je déplore de surcroît qu'on mélange dans une même audition la loi de règlement et le PLFR.
M. le ministre des comptes publics a parlé pendant à peine cinq minutes de la loi de règlement. Pourtant, analyser le passé éclaire l'avenir. Il serait bon qu'on passe beaucoup plus de temps sur les lois de règlement. Je regrette que nous ne disposions pas d'un document synthétique, d'autant plus qu'arrivés en fin de quinquennat, nous aurions pu dresser un bilan de cinq ans de la politique financière et budgétaire de la France.
J'aimerais disposer de plus d'indications sur la manière dont les prévisions ont été construites, monsieur le ministre de l'économie, notamment sur la charge de la dette et l'impact de l'inflation. Avec une inflation de 1,6 % en 2021, et une dette indexée à hauteur de 10 %, je suis surpris de la hausse de 5 milliards d'euros de la charge d'intérêts. En 2022, avec un niveau de 55 milliards d'euros, nous allons commencer à sentir vraiment le coût de l'endettement, que nous dénonçons depuis des années.
Vous expliquez les bonnes recettes fiscales par un rebond de l'activité. Je ne crois pas à cette explication, et j'y vois plutôt le résultat d'une sous-évaluation des recettes dans la loi de finances initiale. Pourriez-vous nous fournir une note synthétique décrivant les prévisions et la réalisation pour l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la TVA ? J'avais dit dès le vote de la loi de finances initiale que les recettes de TVA y étaient largement sous-évaluées. Comme la croissance réalisée n'est pas très différente de celle qui avait été prévue, je ne comprends pas le résultat.
Quand arriverons-nous à maîtriser le déficit de France compétences ? En termes d'annualité budgétaire, tout ce qui devait être pris en 2021 l'a-t-il été ?
Combien avons-nous dépensé en 2021 en dépenses protocolaires ? Il est toujours difficile d'obtenir les chiffres. Il s'agit des dépenses de communication, des frais de déplacement, de relations publiques... Quelle est la variation par rapport à 2020 ?
Enfin, quel est le montant de l'épargne supplémentaire que les Français ont mise de côté en 2020 et 2021 ? Pensez-vous qu'il y ait un vrai problème de pouvoir d'achat pour tous les Français ? Pour ma part, je ne le pense pas : ce problème est concentré sur un certain nombre de Français.
Encourager la consommation, au détriment de l'investissement, est-ce compatible avec ce qu'on essaye de faire passer comme objectif de sobriété auprès de nos compatriotes ?
M. Pascal Savoldelli . - Messieurs les ministres, vous nous avez parlé bilan, pouvoir d'achat, loi de règlement, PLFR... Sur le bilan, vous avez un petit problème d'écoute. Il y a un problème de sincérité sur le projet de loi de règlement, et même de surdité : vous ne pouvez pas ne pas voir que ce bilan a suscité peu d'engouement, et qu'il a même été en partie sanctionné.
Le Président de la République a annoncé que les collectivités territoriales devaient faire 10 milliards d'euros d'économies nécessaires sur le quinquennat - vous êtes sous tutelle. Les résultats que vous nous présentez montrent que 6,2 milliards d'euros de crédits n'ont pas été utilisés pour le plan de relance. Arrêtez donc de penser qu'il faut prendre 10 milliards aux collectivités territoriales !
Ou bien est-ce à dire que la croissance économique, pour vous, ne vient que de l'entreprise ? Bien sûr que l'entreprise contribue. Mais le capital des entreprises a-t-il contribué autant que les ménages et les administrations publiques ? En 2021, les ménages ont trois fois plus contribué à la croissance qu'en 2019, et cinq fois plus qu'en 2018. Quant aux administrations publiques, elles ont multiplié par six leur contribution à la croissance par rapport à 2018.
Les recettes ont augmenté de 10,2 milliards d'euros entre le dépôt du projet de loi de finances, le 3 novembre 2021, et le 21 décembre 2021. Cela interroge sur la sincérité de ce document.
Vous avez dit, monsieur Le Maire, qu'il ne fallait pas mettre de dépenses durables en face de recettes exceptionnelles. Cela signifie qu'il y a une face cachée. Jouons plutôt cartes sur table, et dites-nous dès maintenant ce qu'il en est, afin que nous puissions préparer bien en amont la loi de finances. Quelles sont des dépenses de politiques publiques qui ne pourront pas être pérennes ?
M. Didier Rambaud . - Nous connaissons, hélas, un regain de l'épidémie de covid-19. D'autres aléas pèsent sur la croissance économique. Comment entendez-vous faire face à ces aléas ?
Les collectivités locales seront dans une impasse financière au second semestre, parce qu'elles n'ont pas pu prévoir, lorsqu'elles ont voté leur budget en début d'année, l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires et la hausse très importante du coût de l'énergie. Quelles réponses entendez-vous apporter à cette situation inattendue pour les collectivités ?
Le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution budgétaire 2021 évoque des atteintes aux principes d'annualité et de spécialité budgétaires et un manque de pilotage des dépenses, notamment des dépenses fiscales. Partagez-vous le point de vue de la Cour des comptes ?
Mme Christine Lavarde . - Je ne suis pas certaine que votre enthousiasme, monsieur le ministre de l'Économie et des finances, soit pleinement partagé : nous avons chuté plus fort en 2020, il est donc assez logique que nous remontions plus fort...
De manière plus générale, où sont les mesures d'économies structurelles qui permettraient d'atteindre les objectifs de réduction du déficit public ? J'ajoute que, dans son rapport sur le programme national de réforme de la France, la Commission européenne a mis en avant des risques élevés sur la soutenabilité de la dette à moyen terme.
Par ailleurs, lorsque le 30 mars nous avons auditionné Olivier Dussopt, alors ministre délégué chargé des comptes publics, sur le projet de décret d'avance, j'avais relevé que le Gouvernement prévoyait des annulations de crédits assez fortes dans le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », qui finance les primes à la conversion et le dispositif MaPrimeRénov'. Or, dans le projet de loi de finances rectificative qui a été déposé, il est prévu d'augmenter les crédits de ce programme...
Les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, que ce soit l'obligation d'achat ou le complément de rémunération, représentent un budget important - 8,5 milliards d'euros. Vous avez évoqué votre volonté de « caper » certains de ces contrats. Mais qu'en est-il des contrats signés dans le cadre de l'ancien régime ? Attendez-vous la délibération de la Commission de régulation de l'énergie qui doit intervenir en juillet ? Comptez-vous présenter un amendement en séance publique pour tirer, le cas échéant, les conséquences de cette délibération ?
M. Michel Canévet . - Tout d'abord, le groupe Union Centriste souhaite vous féliciter pour vos nominations. Votre tâche est ardue, car la situation est préoccupante.
Sur le fond, je regrette que nous passions si peu de temps sur le projet de loi de règlement, parce que nous terminons tout de même l'exercice 2021 avec un déficit de 170,7 milliards d'euros et un niveau d'émission de dette également considérable.
Nous sommes évidemment favorables aux baisses d'impôts, mais nous devons aussi faire attention à assurer l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales et le retour à l'équilibre des finances publiques.
Nous partageons l'essentiel des orientations du projet de loi de finances rectificative, mais je voudrais à ce stade évoquer deux sujets. D'une part, je rejoins les interrogations de Vincent Delahaye quant au déficit et à la dette de France compétences. D'autre part, je rejoins l'idée que chaque euro compte et qu'il faut aider ceux qui travaillent ou se forment ; dans cette logique, il faut arrêter le plus rapidement possible l'aide généralisée pour privilégier des dispositifs ciblés.
M. Philippe Dominati . - Nous retrouvons, à chaque début de quinquennat, la même situation : nous prenons acte du fait que les engagements pris cinq ans avant n'ont pas été respectés ! Vous pratiquez donc aujourd'hui un exercice difficile qui suscite peu d'emballement. Pour autant, cette année est un peu originale, puisque nous retrouvons le même ministre de l'économie et des finances, ce qui est rare... Il est vrai qu'il y a toujours des aléas, mais chacun sait bien que, de toute façon, vous ne tiendrez pas vos objectifs.
Vous avez évoqué la revalorisation de certains barèmes, en particulier ceux de l'impôt sur le revenu. Allez-vous également revaloriser les barèmes liés aux dispositifs de défiscalisation ?
Vous aviez un objectif de suppression d'emplois publics lors du précédent quinquennat, moitié sur l'État, moitié sur les collectivités locales. Il n'a pas été respecté et nous constatons simplement une légère réduction. Vous communiquez maintenant très peu sur ce sujet. Qu'en est-il pour les années à venir ?
Mme Isabelle Briquet . - Le Gouvernement s'accorde un certain satisfecit dans le cadre du projet de loi de règlement pour 2021. Or les comparaisons entre 2020, année tout à fait particulière du fait de la pandémie, et 2021 sont hasardeuses : de nombreux indicateurs s'améliorent sans que cela corresponde à une véritable amélioration des politiques menées. D'ailleurs, la Cour des comptes ne partage pas vraiment l'enthousiasme affiché par le Gouvernement.
Dans le projet de loi de finances rectificative, la suppression de la contribution à l'audiovisuel public est présentée comme une mesure de pouvoir d'achat, mais comment entendez-vous financer ce service public et garantir l'accès à une information de qualité et indépendante ?
Enfin, je souhaite vous alerter sur la situation financière des collectivités locales qui s'est nettement dégradée du fait de l'augmentation des coûts de l'énergie et des matières premières. Quels mécanismes de soutien comptez-vous mettre en place ?
M. Daniel Breuiller . - On peut lire, dans le projet de loi de règlement, que le budget « vert » ne représente que 7 % des dépenses. Je souhaite que nous allions bien au-delà ; c'est essentiel si nous voulons être cohérents avec l'ambition affichée par Mme la Première ministre en termes de transition écologique et si nous voulons que notre pays respecte ses engagements internationaux. Nous devons aussi mettre en place les outils de pilotage nécessaires à cette volonté politique.
Comme le dit Michel-Édouard Leclerc, y a-t-il des « profiteurs de crise » ? Selon l'Insee, les taux de marge sont passés de 61 % à 74 % dans les domaines de l'énergie, de l'eau et des déchets et de 39 % à 47 % pour les transports, des secteurs qui se situent en amont des chaînes de valeur et qui contribuent largement à amplifier l'inflation.
Par ailleurs, ce n'est pas l'accélération de la transition écologique qui favorise l'inflation ; c'est plutôt l'accélération de la crise climatique ! Et la transition écologique est indispensable pour répondre à cet enjeu.
Nous soutenons bien évidemment la revalorisation anticipée des pensions : elle est insuffisante, mais indispensable. Pour les travailleurs, les mesures ponctuelles ne sont pas non plus suffisantes, c'est d'abord le salaire qui doit être augmenté. De ce point de vue, je voudrais savoir combien de salariés n'ont pas bénéficié de la prime dite Macron. Ce chiffre est plus intéressant que celui des salariés qui en ont bénéficié... Le versement de cette prime crée une profonde inégalité entre les salariés.
Je voudrais faire, pour conclure, une proposition qui j'imagine ne pourra être que consensuelle, notamment au sein de notre commission... Je suggère que l'enveloppe de 12 milliards d'euros prévue pour renationaliser et recapitaliser EDF soit affectée au développement des énergies renouvelables. Cet argent sera alors mieux utilisé en faveur de notre indépendance, de la résilience des territoires et du respect de nos engagements internationaux.
Mme Sylvie Vermeillet . - Certaines entreprises dégagent actuellement des profits exceptionnels. Réfléchissez-vous à une taxation temporaire de ces super-profits ? Je pense naturellement à TotalEnergies, mais d'autres entreprises sont concernées. Plusieurs pays européens, notamment l'Italie et le Royaume-Uni, avancent dans cette voie. N'est-ce pas une piste à creuser dans un souci d'équité et de justice ?
Par ailleurs, quelle est la déclinaison concrète de la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires dans les collectivités locales ?
M. Vincent Segouin . - Chacun sait qu'il y a beaucoup d'emplois vacants dans notre pays et que leur nombre s'est plutôt accru ces derniers temps. Néanmoins, notre taux de chômage reste largement supérieur à celui de la plupart des pays de la zone euro.
Vous l'avez dit, la croissance actuelle crée des recettes exceptionnelles pour le budget de l'État. La solution réside donc bien dans le travail et l'emploi. Pourtant, si certaines mesures sont favorables aux travailleurs, ce qui est positif, vous augmentez dans le même temps - toujours le « en même temps » ! - les minima sociaux et je ne vois pas, dans votre politique, de mesures d'incitation à l'emploi et visant à diminuer le chômage. Comment entendez-vous résoudre ce problème ?
M. Bruno Le Maire, ministre . - Tout d'abord, il n'est aucunement question de cocorico ! La France a beaucoup souffert en 2020 de la crise liée au covid-19, mais elle s'est redressée plus vite que ses voisins : nous sommes le premier pays à avoir retrouvé son niveau de PIB d'avant la crise. C'est d'abord la preuve du dynamisme des Français et des entreprises et cela devrait être une fierté nationale. Je ne dis pas cela en faveur du Gouvernement, mais en pensant à tous ces salariés, par exemple les caissières de supermarché, qui sont allés travailler durant la crise, à toutes ces entreprises qui ont refusé de fermer, qui se sont adaptées, etc. Ce sont ces salariés et ces entreprises qui nous ont permis de rebondir si vite.
Ensuite, le fait est que nous maîtrisons mieux l'inflation que les autres pays : elle est la plus basse de la zone euro. Nous avons tenu compte des alertes qui nous ont été adressées, en particulier en provenance du Sénat, et nous avons pris des mesures depuis plusieurs mois.
Notre politique économique reste une politique de l'offre - prime d'activité, baisse des impôts de production, défiscalisation des heures supplémentaires, réforme de l'assurance chômage, etc. Chacun sait qu'aujourd'hui le premier problème des entreprises est la pénurie de main-d'oeuvre - c'est le cas dans les secteurs de la distribution, de l'industrie agroalimentaire ou du BTP. En déplacement en Vendée récemment, je voyais partout des appels pour pourvoir des emplois. Nous devons vraiment nous concentrer sur ce problème ; la réponse passe par une politique de l'offre pour inciter au retour à l'emploi.
M. Pascal Savoldelli . - Et par les salaires !
M. Bruno Le Maire, ministre . - Absolument, cela passe également par les salaires. D'ailleurs, la plupart des secteurs prennent en compte cette dimension, par exemple l'hôtellerie-restauration. Ce secteur nous montre aussi que le salaire n'est pas la seule variable à actionner ; il faut dans le même temps améliorer les conditions de travail, notamment en termes d'aménagement des horaires. Nous devons répondre aux nouvelles attentes qui se font jour, en particulier de la part des plus jeunes, qui ne veulent peut-être plus travailler comme cela se faisait auparavant - ils ont d'ailleurs raison !
Je partage naturellement la prudence de Roger Karoutchi : je vous présente un scénario central sur lequel pèsent plusieurs incertitudes - la guerre en Ukraine, l'attitude de Vladimir Poutine, les approvisionnements énergétiques, etc. Vous savez, le précédent quinquennat m'a appris la prudence et l'humilité... Ce scénario central est raisonnable, il est cohérent avec le consensus actuel des prévisionnistes, mais je ne peux pas en exclure d'autres. Cela rend d'autant plus nécessaire de tenir une ligne claire sur les fondamentaux : rétablissement des finances publiques, politique de l'offre, poursuite des réformes structurelles, notamment la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage. Nous devons savoir où nous allons quelles que soient les circonstances.
Il est vrai que les chiffres du commerce extérieur ne sont pas bons, mais il faut aussi avoir en tête que l'Allemagne connaît elle-même, pour la première fois depuis fort longtemps, un déficit commercial, ce qui montre bien l'ampleur des défis à relever.
Nous devons être attentifs à la situation financière de France compétences et à la manière dont les crédits sont dépensés.
Je suis également d'accord avec vous, monsieur Delahaye, sur le fait que la question du pouvoir d'achat et l'impact de l'inflation sont très différents selon les niveaux de revenus des Français. Les chiffres globaux montrent que nous protégeons bien les Français, mais ils constituent évidemment des moyennes qui ne doivent pas masquer les grandes disparités qui existent en la matière. C'est pourquoi nous devons cibler les dispositifs...
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Ce n'est pas faute de vous l'avoir proposé !
M. Bruno Le Maire, ministre . - ... et c'est pourquoi je revendique le choix que nous faisons sur les carburants. Plutôt que de dépenser près de 1 milliard d'euros par mois au bénéfice de tous les Français, je préfère que nous basculions sur un dispositif plus ciblé en faveur de ceux qui en ont réellement besoin - ce dispositif sera mis en oeuvre à compter du 1 er octobre.
Monsieur Savoldelli, je vous rassure, je ne suis pas sous tutelle, comme vous le dites. Je travaille sous l'autorité du Président de la République pour appliquer le projet sur lequel il a été réélu : 40 milliards d'euros d'économies, dont 20 milliards pour l'État, 10 milliards sur les retraites et 10 milliards pour les collectivités locales.
En ce qui concerne les collectivités locales, certaines ont plutôt de bonnes surprises ces derniers temps, mais la situation est plus difficile pour d'autres, en particulier pour les plus petites et pour les communes rurales. Je vous propose de travailler ensemble sur ce sujet.
De manière générale, je crois que le Gouvernement et le Parlement doivent travailler ensemble et en amont pour trouver les pistes d'économies structurelles qui sont nécessaires au respect de nos objectifs.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - C'est la révolution !
M. Bruno Le Maire, ministre . - C'est peut-être révolutionnaire, monsieur le rapporteur général, mais c'est indispensable dans les circonstances actuelles !
Madame Lavarde, nous atteindrons l'objectif de 3 % de déficit d'abord par le plein emploi. On sous-estime complètement les vertus du plein emploi - il est vrai que nous ne l'avons pas atteint depuis un demi-siècle ! - ; ce sont des vertus d'ordre économique bien sûr, mais aussi d'ordre politique et social et en termes de confiance en soi pour notre société. Au-delà, nous devons réaliser des réformes structurelles et le Président de la République a été très clair sur le fait que la réforme des retraites devait s'appliquer à compter de 2023.
La revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu est indispensable, ne serait-ce que pour éviter que des ménages non imposables le deviennent. Elle sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2023, mais elle s'appliquera à compter des revenus de 2022.
La prime dite Macron a été perçue par 5 millions de salariés pour un montant moyen de 500 euros. Il reste donc environ 15 millions de salariés qui ne l'ont pas touchée et je ne saurais trop inciter les entreprises à utiliser cet outil qui est mis à leur disposition. Les entreprises sont dans des situations très différentes selon leur secteur d'activité et leur taille. Dans les secteurs profitables ou qui bénéficient de la période actuelle, comme les transports, je souhaite que les entreprises augmentent les salaires quand elles le peuvent - beaucoup le font et je les en remercie. Dans des secteurs moins favorables ou dans les entreprises qui craignent un retournement de conjoncture, je peux comprendre qu'on n'augmente pas les salaires, mais ces entreprises peuvent alors verser une prime - cela ne menace pas la survie de l'entreprise en cas de retournement de conjoncture.
Les entreprises doivent aussi se saisir des procédures d'intéressement et de participation qui permettent de récompenser les salariés. Nous avons simplifié les dispositifs et le nombre de salariés concernés a augmenté, mais il faut aller plus loin.
En ce qui concerne les éventuels profiteurs de crise, nous voulons contrôler et sanctionner. Les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vont être renforcés et nous lançons une mission de l'inspection générale des finances (IGF) sur la question du seuil de revente à perte - je propose d'ailleurs aux représentants du monde agricole et aux parlementaires qui le souhaitent de participer à cette mission. Vous le savez, je suis très attaché à ce que les producteurs agricoles soient correctement rémunérés pour leur travail.
Il me semble préférable que les entreprises qui font des profits particuliers en cette période de pic inflationniste les redistribuent directement aux Français, par exemple par des remises à la pompe, plutôt que de les taxer spécifiquement. Une taxe va dans le budget général de l'État, pas dans la poche des Français ! Nous ferons les comptes à la fin de l'année, car il faut que cette redistribution soit suffisante. Je pense aux entreprises du secteur de l'énergie, mais aussi à celles des secteurs bancaires, des assurances ou du transport maritime - CMA-CGM a déjà fait un effort que je salue.
- Présidence de Mme Christine Lavarde, vice-présidente -
M. Gabriel Attal, ministre délégué . - En ce qui concerne les reports de crédits, nous avions fait d'importants efforts depuis 2017 pour les limiter, mais le contexte des deux dernières années et les aléas - situation sanitaire, crise ukrainienne, etc. - expliquent qu'ils sont plus élevés d'une année sur l'autre entre 2020 et 2021 et entre 2021 et 2022.
Je vous donne deux exemples. Les crédits non consommés se sont élevés à 37,5 milliards d'euros en 2020, dont 28,8 milliards sur la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ».
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Vous aviez pris de la marge...
M. Gabriel Attal, ministre délégué . - C'est vrai, mais c'était une crise historique ! Dans de telles circonstances, il vaut mieux prévoir large plutôt que de ne pas pouvoir payer telle ou telle dépense urgente - je pense aux tests, aux différents dispositifs de soutien à l'économie, etc.
En 2021, les crédits non consommés - 24,6 milliards d'euros - étaient moins élevés et largement dus au plan de relance dont la mise en oeuvre devait s'étaler sur deux ans.
En ce qui concerne la charge de la dette, nous proposons d'ouvrir, dans ce projet de loi de finances rectificative, 11,886 milliards d'euros sur la mission « Engagements financiers de l'État ». Cette inscription nouvelle résulte à la fois de la hausse des taux et de celle de l'inflation, une partie de notre dette étant indexée sur cette dernière. Je précise que l'indice pris en compte est européen ; la hausse est donc plus élevée que si nous prenions en compte l'indice français. La charge d'intérêts liée à la dette indexée s'élèverait à 15,6 milliards d'euros en 2022, soit 30 % du total de la charge de la dette et 10,8 milliards d'euros de plus que le sous-jacent de la loi de finances initiale - 4,8 milliards d'euros. On peut ainsi estimer que plus de 90 % de l'augmentation de la charge de la dette par rapport à la loi de finances initiale provient de l'inflation.
Dans la loi de finances initiale, la charge de la dette s'élevait à 38,7 milliards d'euros ; avec l'augmentation dont je viens de parler, nous atteignons 51 milliards. Ce poste de dépenses dépasse donc effectivement les crédits de la mission « Défense ». Cela montre la nécessité, d'une part, de réduire le déficit public, d'autre part, de faire progresser le budget de la défense ; c'est ce que nous ferons.
En ce qui concerne les collectivités locales, deux grandes questions ont été abordées : l'impact de la hausse de 3,5 % du point d'indice des fonctionnaires sur les budgets locaux et la participation des collectivités à notre objectif de maîtrise de la progression des dépenses publiques.
Sur le premier sujet, il me semble que chacun conviendra qu'il était nécessaire d'augmenter le point d'indice des fonctionnaires dans le contexte actuel d'inflation. Cette augmentation représente un coût de 1 milliard d'euros en 2022 pour les collectivités locales et de 2,1 milliards d'euros en année pleine.
Mais le contexte actuel, qui justifie cette augmentation du point d'indice, a aussi un impact sur les recettes des collectivités locales : sur les cinq premiers mois de l'année 2022, leurs recettes réelles de fonctionnement progressent de 4,8 milliards d'euros par rapport à la même période de 2021. Nous pourrons refaire le point au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.
Sur le second sujet, je rappelle que, dans le cadre de la campagne électorale, le Président de la République a mis en avant un objectif de maîtrise de la progression des dépenses publiques et qu'il a estimé que les collectivités locales pouvaient participer à cet effort à hauteur de 10 milliards d'euros. Il ne s'agit pas, comme cela a été fait entre 2014 et 2017, de baisser les recettes des collectivités. J'insiste, les recettes comme les dépenses des collectivités locales vont continuer de progresser durant ce quinquennat. Avant la crise épidémique, nous avions mis en place un outil pour maîtriser l'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités - les contrats dits de Cahors. Nous débattrons ensemble et sans tabou, en particulier dans le cadre des prochains débats budgétaires, sur la manière de remplir cet objectif.
Je n'ai pas de tabou non plus sur les voies et moyens pour remplacer la contribution à l'audiovisuel public. L'indépendance des sociétés de l'audiovisuel public me semble d'ores et déjà garantie par la loi. Devons-nous mettre en place une nouvelle commission pour cela ? C'est souvent un réflexe en France de créer une nouvelle commission à chaque fois que se pose une question ; ce n'est pas toujours nécessaire.
Je note simplement que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), une autorité indépendante, a déjà un certain nombre de compétences en la matière, par exemple grâce aux contrats d'objectifs et de moyens qui lient l'État à chacune de ces sociétés.
M. Roger Karoutchi . - Les responsables de l'Arcom estiment qu'elle n'est pas compétente en la matière.
M. Gabriel Attal, ministre délégué . - Peut-être pas directement, mais elle n'est quand même pas complètement étrangère à cette question.
Il faut aussi prendre en compte le travail réalisé par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat et par le Parlement dans son ensemble qui vote les crédits de l'audiovisuel public.
Nous aurons naturellement ce débat lors de l'examen des prochains textes budgétaires.
En ce qui concerne les frais protocolaires, il me semble que de nombreuses informations sont disponibles dans les annexes aux projets de loi de finances, en particulier dans le « jaune » budgétaire sur les personnels affectés dans les cabinets ministériels. S'il faut aller plus loin dans l'information du Parlement, nous sommes à votre disposition pour avancer dans le sens d'une plus grande transparence.
Sur France compétences, le chiffre de 5 milliards d'euros de déficit en 2022 est surestimé, nous tablons plutôt sur 4,6 milliards d'euros dont 2,6 financés par l'emprunt et 2 par une subvention exceptionnelle de l'État, ouverte dans le PLFR. Ce déficit est lié à la hausse des dépenses d'apprentissage, qui prouve la dynamique de notre politique dans ce domaine. Cela ne nous empêche pas de rechercher des pistes d'économies. Nous avons ainsi demandé aux centres de formation d'apprentis (CFA) de rationaliser leurs coûts de fonctionnement, avec un objectif de -10 % d'ici à 2023 pour entre 0,7 et 0,8 milliard d'euros d'économies à terme. Nous réfléchissons à d'autres mesures de maîtrise des dépenses : nous pourrons en débattre à l'occasion du PLF pour 2023.
M. Rambaud a mentionné les dépenses fiscales : sur le précédent quinquennat, nous en avons supprimé une soixantaine, en ayant mené d'importants chantiers comme celui sur le dispositif Pinel. Nous avons aussi amélioré la documentation budgétaire avec le budget vert. Les obligations déclaratives ne suffisent pas cependant pour avoir un chiffre, il faut une évaluation qualitative des dispositifs. Nous aurons ce débat dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Notre volonté constante reste de « faire le ménage » dans ces dépenses fiscales inefficientes.
Sur le déplafonnement des contrats, l'État soutient les énergies renouvelables via un complément de rémunération des risques pris par les producteurs pour compenser l'écart entre le tarif de rachat et les prix du marché. Dans le contexte inflationniste actuel, on a le risque d'un effet d'aubaine pour des énergéticiens : l'écart entre prix garanti et de marché se résorbe voire s'inverse dès l'automne 2021, ce qui implique la restitution d'un différentiel à l'État. Toutefois, certains contrats signés entre 2016 et 2019 plafonnaient ce montant restitué à hauteur des sommes déjà versés, avec un manque à gagner pour l'État. C'est pourquoi nous proposons un déplafonnement pour l'ensemble de l'année 2022 soit un gain pour l'État de 2,4 milliards d'euros.
Pour finir, monsieur Bascher, nous mesurons toujours le solde des suppressions d'équivalents temps plein (ETP), qui atteint 3 951 sur le projet de loi de règlement pour 2021, surtout du fait du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en raison d'un plus grand nombre de départs à la retraite que prévu et de difficultés de recrutement et d'attractivité. C'est pourquoi, sous la responsabilité de mon collègue ministre de l'éducation nationale, nous ouvrons un chantier majeur du quinquennat qui est celui du choc d'attractivité du métier d'enseignant : hausse des rémunérations, annoncée par le Président de la République, et transformation du métier.
Certaines suppressions sont aussi liées à des transformations : le ministère de l'économie et des finances est ainsi l'un des principaux contributeurs, le prélèvement à la source et la suppression de la taxe d'habitation et de la CAP lui permettent de dégager les ETP consacrés à leur recouvrement. La trajectoire fera l'objet des débats autour du programme de stabilité. Le mandat qui m'est donné par la Première ministre est la stabilité des effectifs publics sur le quinquennat, ce qui n'empêche pas des évolutions : le Président de la République s'est ainsi engagé sur la création de 8 500 postes au ministère de la justice et sur le doublement de la présence des forces de l'ordre sur la voie publique, objectif du Beauvau de la sécurité. Cette dernière ne dépend d'ailleurs pas seulement d'une hausse des effectifs, mais aussi, par exemple, de la transformation des cycles horaires et du transfert de détenus en milieu hospitalier. Le ministère des armées est aussi concerné, avec une hausse de moyens prévus par la loi de programmation militaire.
M. Philippe Dominati . - Sur le dernier quinquennat, le Président de la République, que vous citez souvent, avait annoncé la suppression de 50 000 emplois dans la fonction publique d'État et autant dans la fonction publique territoriale. Qu'est-ce qui a changé entre les deux mandats pour parler de stabilité désormais ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué . - Nous aurons ce débat dans le cadre de l'examen de la loi de programmation des finances publiques. En effet, en 2017, le Président de la République, candidat à l'époque, s'était engagé sur une réduction chiffrée. La crise des « gilets jaunes » a acté un renforcement des services publics sur le territoire, avec un engagement de déconcentration et de relocalisation qui nous a conduits à abandonner un objectif chiffré.
Ensuite, il y a eu la campagne présidentielle elle-même, au cours de laquelle le Président de la République a indiqué ne plus considérer un objectif chiffré mais avant tout des réformes structurelles qui conduisent à des économies. Je reprends l'exemple du prélèvement à la source.
Je constate que les autres candidats, dont une qui prévoyait une baisse de 150 000 ETP, n'ont jamais pu préciser où ces fonctionnaires devaient être retirés.
M. Daniel Breuiller . - M. Dominati nous le dira !
Mme Christine Lavarde , présidente . - Vous nous avez donné des rendez-vous pour l'avenir, monsieur le ministre ! Discuter et disposer des documents le plus en amont possible nous permettra de débattre dans les meilleures conditions dans l'hémicycle.