EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 9 février 2022, sous la présidence de M. Cédric Perrin, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Vivette Lopez sur le projet de loi n° 418 (2021-2022) autorisant la ratification de la convention relative à la nationalité entre la République française et le Royaume d'Espagne.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Nous examinons en urgence ce texte qui fait l'objet d'une priorité politique, le gouvernement souhaitant le voir adopter avant la fin de la législature.
Il est vrai que cette convention a été signée par les présidents des deux pays en personne lors du sommet franco-espagnol qui s'est tenu à Montauban le 15 mars 2021, dont l'ambition était de donner un nouvel élan à notre relation bilatérale.
Celle-ci est naturellement dense, compte tenu de nos relations de voisinage et des multiples liens humains entre nos deux pays. Ainsi, en 2021, la France est le deuxième pays d'accueil des Espagnols vivant à l'étranger, alors que l'Espagne est le septième pays d'accueil pour les Français résidant hors de France. Le réseau des lycées français en Espagne est le premier d'Europe et le deuxième de la France à l'échelle mondiale. Avec 74 milliards d'euros d'échanges chaque année, nos relations sont aussi importantes au plan économique. Il faut souligner, par ailleurs, nos convergences de vues sur nombre de dossiers européens ainsi que les importantes coopérations capacitaires que nous entretenons dans le domaine de la défense. De fait, la France et l'Espagne représentent l'un pour l'autre des partenaires importants et sur la même ligne, avec relativement peu d'irritants ou de divergences, si ce n'est, parfois, sur la politique migratoire.
Je rappelle que le sommet de Montauban, au cours duquel la présente convention a été signée, a également été l'occasion de tracer de nouveaux axes pour l'avenir de notre relation.
Pour revenir à la convention sur la nationalité qui nous intéresse aujourd'hui, elle vise à corriger une forme d'asymétrie liée au fait que la France reconnaît la double nationalité franco-espagnole, alors que l'Espagne ne l'autorise pas en principe, en vertu de sa constitution, sauf exception consentie par traité au profit des pays entretenant des liens privilégiés avec l'Espagne.
C'est ainsi que l'Espagne accepte aujourd'hui la double nationalité avec les pays d'Amérique latine, mais aussi le Portugal, la Guinée équatoriale ou encore les Philippines. En revanche, les Espagnols qui accèdent à la nationalité française doivent renoncer à leur nationalité d'origine, de même que des Français qui voudraient obtenir la nationalité espagnole devraient renoncer à la nationalité française, ce qu'ils ne souhaitent pas, en général.
Cette convention, demandée au départ surtout par l'Espagne, permettrait désormais aux ressortissants des deux pays d'acquérir la nationalité de l'autre État -sous réserve bien entendu de satisfaire les conditions posées par sa législation - sans renoncer à la leur. Sont potentiellement concernés quelque 250 000 Espagnols en France et 150 000 Français en Espagne. Il faut souligner que la convention ne crée pas en elle-même de nouvelles voies d'accès à la nationalité dans chacun des deux pays, les conditions pour y prétendre restant les mêmes.
En revanche, la convention va permettre aux ressortissants des deux pays ayant perdu automatiquement leur nationalité antérieure de la retrouver. Cette mesure, prévue par l'article 3 de la convention, vise en pratique des citoyens français d'origine espagnole présents en France souvent depuis plusieurs décennies et ayant dû renoncer à leur nationalité d'origine. Elle va également donner une dimension supplémentaire à la loi espagnole de mémoire démocratique de 2007, qui ouvre la nationalité espagnole aux descendants de personnes d'origine espagnole l'ayant perdu en acquérant celle de leur pays d'accueil ou en se mariant à un ressortissant étranger avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 1978. Jusqu'à présent, une condition de résidence d'un an en Espagne était requise pour s'en prévaloir, mais celle-ci devrait être prochainement supprimée par une loi en cours de discussion. En conséquence, ces descendants de citoyens d'origine espagnole vivant en France, dont il est difficile d'estimer le nombre, pourront retrouver leur nationalité espagnole sans forcément résider en Espagne et vivre pleinement, à l'avenir, leur double identité et leur double culture. Il s'agit d'une aspiration essentiellement affective, mais très profonde. Le ministère des affaires étrangères a indiqué lors de l'audition que de nombreux Français d'origine espagnole ayant appris la signature de la convention l'interrogeaient pour connaître sa date d'entrée en vigueur.
L'attente est également forte chez les résidents français en Espagne, dont le nombre est estimé à environ 150 000. Nos concitoyens vivant de l'autre côté des Pyrénées seraient en effet assez contents de pouvoir solliciter la nationalité espagnole, essentiellement pour les facilités administratives et pratiques que cela apporterait : obtention plus facile de papiers d'identité, possibilité de travailler légalement sans avoir à reconduire un permis de travail, détention de deux passeports facilitant le passage des frontières... À ces facilités s'ajouteraient notamment le droit de vote et la possibilité de postuler à un emploi public.
Je voudrais insister sur le caractère inédit, et peut-être précurseur, de cette convention.
À notre connaissance, il s'agit de la seule convention de double nationalité signée par la France. Il est vrai que la France reconnaissant la double nationalité par principe, elle n'a pas l'obligation d'en passer par une convention.
Pour l'Espagne, ce sera la première convention de ce type signée avec un pays non hispanophone ou lusophone. À ce titre, elle suscite d'ores et déjà l'intérêt d'autres pays ayant des liens humains importants avec l'Espagne, comme la Roumanie.
L'Espagne a déjà procédé à la ratification de cette convention. En ce qui concerne la France, le projet de loi de ratification a été adopté le 27 janvier dernier par l'Assemblée nationale. Il est inscrit à l'ordre du jour du Sénat du mardi 15 février, en principe selon la procédure d'examen simplifié. Ce texte consensuel, qui ne soulève pas de difficulté technique particulière, est très attendu et revêt de surcroît une forte portée symbolique. Je ne peux donc que vous inviter à l'adopter, mes chers collègues.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.