EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 9 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, prédisent, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Emmanuel Capus et Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Travail et emploi ».
M. Claude Raynal , président . - Mes chers collègues, avant l'examen des rapports, je veux vous dire le plaisir que j'ai à vous retrouver après un petit temps d'absence, et remercier Christine Lavarde et Dominique de Legge de m'avoir suppléé - et Bernard Delcros de s'être tenu prêt à le faire...
J'accueille en votre nom Frédérique Puissat, notre collègue de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis sur la mission « Travail et emploi ». Je donne à présent la parole à nos deux rapporteurs spéciaux, Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Dans la version initiale du texte, les crédits demandés au titre de la mission « Travail et emploi » pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 s'élevaient à 14,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), et à 13,4 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Cela représentait une hausse d'environ 4 % des AE et une stabilité des CP à périmètre constant par rapport aux crédits ouverts dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2021.
Cependant, ce budget était encore incomplet, puisque ces crédits ont été majorés de 1,1 milliard d'euros en AE et de 1,3 milliard d'euros en CP en première lecture à l'Assemblée nationale. En intégrant ces modifications, la hausse des crédits par rapport à 2021 serait de 10,5 % en AE et de 8,2 % en CP, ce qui est loin d'être négligeable.
Ces crédits supplémentaires doivent financer un plan de réduction des tensions de recrutement à hauteur de 700 millions d'euros, et la mise en oeuvre du nouveau contrat d'engagement jeune (CEJ), objet de l'article 57, rattaché à la mission, à hauteur de 550 millions d'euros.
Ces modifications substantielles, proposées en cours d'examen, sans évaluation préalable et déjà critiquées par le Haut Conseil des finances publiques, ne simplifient pas notre tâche de parlementaires. À titre d'exemple, la réforme concernant le CEJ, déjà annoncée - sous un autre nom - en juillet dernier par le Président de la République, aurait pu être intégrée d'emblée au PLF, quitte à être ajustée au cours de la discussion parlementaire.
Avant de poursuivre mon analyse du budget, je tiens à rappeler qu'il s'inscrit dans une conjoncture très particulière sur le marché du travail. En effet, la situation actuelle est marquée par un recul du chômage, revenu à son niveau d'avant-crise, par des difficultés persistantes d'accès à l'emploi pour certaines catégories d'actifs, en particulier les jeunes, ainsi que par de très fortes tensions de recrutement dans nos entreprises.
Le budget a le mérite de répondre très directement à ces enjeux, en prévoyant le financement d'un plan de réduction des tensions de recrutement centré sur la formation professionnelle et ciblé sur les chômeurs de longue durée, ainsi qu'un renforcement important des crédits destinés aux personnes les plus éloignées du marché du travail.
Je constate ainsi avec satisfaction la poursuite de l'effort mené en faveur du secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE), qui a fait la preuve de son efficacité. Ce soutien totaliserait 1,3 milliard d'euros en 2022, soit près de 1 milliard d'euros de plus qu'en 2017.
Cependant, j'aurais plus de réserves sur le niveau élevé de financement des contrats aidés en 2022, dont l'efficacité semble plus douteuse. Au total, 759 millions d'euros seraient prévus au titre des nouvelles entrées, dont 300 millions d'euros consacrés aux jeunes. Le niveau de financement reste toutefois très en-dessous des 3,3 milliards d'euros de la loi de finances pour 2015.
Je note également que l'effort de maîtrise structurelle des effectifs a été maintenu, au travers d'un schéma d'emploi nul pour cette année, et d'un bilan de diminution des effectifs de 781 équivalents temps plein travaillé (ETPT) depuis 2018. Si l'amélioration de la conjoncture constatée en 2021 devait se poursuivre, j'appellerais à ce que les efforts de rationalisation de la dépense entrepris en 2018 puissent reprendre, notamment en matière de contrats aidés.
J'aimerais enfin dire un mot du CEJ. Il s'agit d'une réforme en profondeur du système d'accompagnement des jeunes en difficulté, qui engloberait et remplacerait son dispositif le plus emblématique : la Garantie jeunes. Contrairement à celle-ci, le CEJ serait un droit pour tous les jeunes rencontrant des difficultés d'insertion. Des conditions de ressources seraient néanmoins toujours requises pour bénéficier d'une allocation mensuelle, dont le montant resterait plafonné à 500 euros.
Le CEJ impliquerait un accompagnement encore intensifié - quinze à vingt heures hebdomadaires tout au long du parcours -, ainsi que des contreparties renforcées de la part du jeune. Cette solution semble préférable à celle d'un « RSA jeune », souvent évoquée, et qui présente le risque d'une installation durable dans la pauvreté et d'une dépendance aux minima sociaux.
Le CEJ paraît en outre de nature à simplifier le système et à limiter les phénomènes de concurrence entre les nombreux dispositifs de politique d'accompagnement des jeunes. En cela, il répond à une problématique bien réelle, mise en avant dans notre récent rapport sur les missions locales et liée à la concurrence entre les différents dispositifs et au besoin d'harmonisation de l'ensemble des aides.
Cependant, il ne répond pas à notre recommandation visant à conforter la place des missions locales au coeur du système, puisque ces dernières seraient mises sur un pied d'égalité avec Pôle emploi. De notre côté, nous avions préconisé que les missions locales, acteurs de référence à l'expertise reconnue, soient seules en mesure de porter ce type de dispositifs.
Le dispositif du CEJ mobiliserait un total de 2,6 milliards d'euros en 2022, dont 550 millions d'euros de crédits nouveaux. De plus, il prévoit 400 000 entrées, ce qui paraît ambitieux. Au vu des crédits déjà très importants alloués à la politique d'insertion des jeunes dans la version initiale du texte, je doute du caractère indispensable de ce nouvel abondement de 550 millions d'euros.
Compte tenu du caractère très tardif de la présentation de cette réforme, issue d'un amendement gouvernemental déposé mercredi dernier en l'absence de toute évaluation préalable, il m'est difficile, en tant que rapporteur spécial, de donner un avis pleinement éclairé sur ce dispositif. Ainsi m'en remettrai-je à la sagesse de notre commission lors de l'examen de l'article 57.
Néanmoins, je propose d'adopter les crédits de la mission, tout en restant vigilant sur leur évolution future.
Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale . - Je veux à mon tour revenir sur le CEJ, ou plutôt sur ce que je comprends d'un dispositif aux contours encore bien flous.
La méthode retenue par le Gouvernement est d'autant plus regrettable qu'il s'agit d'un enjeu d'importance et d'une réforme structurelle, qui aurait mérité un débat bien plus approfondi, sur la base d'éléments précis et détaillés. En effet, il semble étonnant de remplacer la garantie jeunes sans la moindre évaluation préalable, et alors même que celle-ci a fait la preuve de son efficacité.
En outre, il semble impératif de clarifier rapidement les modalités de calcul de l'allocation versée dans le cadre du nouveau dispositif, qui, en l'état, semble pouvoir conduire, dans certains cas, à des montants plus faibles, à situation identique, que ceux qui auraient été versés dans le cadre de la Garantie jeunes.
Je partage ce qui a été dit quant à la nécessité de clarifier l'offre d'accompagnement des jeunes, en harmonisant leurs conditions d'accès à une aide financière, de façon à leur permettre de s'orienter ensuite plus facilement vers la structure ou le dispositif le plus adapté à leurs besoins et à leurs projets.
Toutefois, tel qu'il est présenté, le CEJ semble porter le risque d'une dilution du modèle original de la mission locale, et, avec lui, de la capacité à offrir aux jeunes un accompagnement global et centré sur leurs difficultés concrètes. Le CEJ témoigne, à ce titre, de la conception trop restrictive de la politique de l'emploi du Gouvernement centrée vers le retour rapide à l'emploi. Pourtant, la patiente levée structurelle des freins périphériques à l'emploi des jeunes, notamment en matière d'orientation, de santé ou de logement, constitue la voie la plus efficace pour une insertion sociale et professionnelle durable.
Enfin, la possibilité ouverte par l'article 57 de confier la mise en oeuvre du CEJ à des acteurs privés, sans offrir plus de précisions, constitue une réelle source d'inquiétude, pour ne pas dire d'un certain effroi...
Des moyens importants sont mobilisés. On peut s'en féliciter, au vu de la situation encore préoccupante de centaines de milliers de jeunes dans notre pays. Cependant, d'après ce que j'en comprends, je n'adhère pas à la philosophie d'ensemble qui déterminera l'utilisation de ces nouveaux moyens. Comme Emmanuel Capus, je m'en remettrai donc à la sagesse de notre commission sur cet article.
Le constat sur le CEJ vaut d'une certaine façon pour l'ensemble de la mission. Toutefois, je relève quelques éléments positifs, notamment l'extension à de nouveau territoires de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », dont je soutiens pleinement la démarche, comme nous tous puisque le Sénat a voté la proposition de loi permettant cette extension.
Par ailleurs, j'ai toujours été convaincue de l'efficacité comme de l'utilité sociale des contrats aidés. Je ne suis donc pas surprise que le Gouvernement ait remobilisé ces instruments, même si le taux de prise en charge demeure insuffisant, ce qui complique l'accès à ces contrats pour de nombreux acteurs associatifs financièrement fragiles.
Certes, les crédits de la mission augmenteraient de façon importante en 2022, ce dont je ne peux que me réjouir, compte tenu de la cure d'austérité administrée au ministère du travail dans les premières années du quinquennat. Pour autant, je suis loin de partager la philosophie d'ensemble de ce budget.
Tout d'abord, la hausse des crédits demandés pour 2022 tient, comme celle des emplois, à des motifs conjoncturels et temporaires, à l'instar du plan de réduction des tensions de recrutement ou encore du recrutement de vacataires au titre du plan de contrôle de l'activité partielle. Le recours à ce type de recrutement pose un problème en soi. En effet, il renvoie le signal paradoxal d'un ministère chargé de l'amélioration de la qualité de l'emploi, mais créateur de précarité pour ses propres agents.
En outre, les réductions structurelles se poursuivraient à un rythme soutenu pour Pôle emploi, puisqu'une diminution du plafond de 650 ETPT est prévue, ainsi que pour l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui connaîtrait une diminution du plafond de 194 ETPT, dans le contexte d'un plan de transformation de l'agence particulièrement brutal.
Enfin, la subvention pour charges de service public versée à Pôle emploi n'en finit pas de baisser : elle diminue de 85 millions d'euros cette année. Certes, un renfort de 175 millions d'euros est prévu dans le cadre de la mission « Plan de relance », mais il ne s'agit que de compenser - imparfaitement - la diminution de la contribution de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unédic) au financement de Pôle emploi, une évolution directement liée à la crise. Cette modalité de financement de Pôle emploi montre ici ses limites, son caractère procyclique étant mal adapté à la mission de l'opérateur. Enfin, sur le plan des principes, il me paraît contestable de faire supporter aux chômeurs le coût du service public de l'emploi.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter les crédits de la mission.
Mme Frédérique Puissat , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Je commencerai par rappeler que la commission des affaires sociales ne fait que commencer ses auditions sur cette mission. Cependant, je souscris au constat de terrain que vous posez : un certain nombre de personnes sont éloignées de l'emploi et les secteurs en tension sont de plus en plus nombreux sur nos territoires.
Nous devrions tous partager un même objectif : l'existence de dispositifs efficaces et pérennes. Or je rejoins à ce stade le constat des rapporteurs. Je rappelle que, bien que le bilan de l'année 2021 n'ait pas encore été dressé, 10 milliards d'euros ont été ajoutés par le plan de relance à la mission « Travail et emploi ». Ainsi, alors même que l'on ignore si les objectifs assignés par le plan ont été atteints, la création d'un nouveau dispositif est proposée, dispositif dont on peine à savoir en quoi il consistera, quel sera son coût, et s'il se substituera ou non à la Garantie jeunes.
En plus de ces incertitudes, il semble légitime de se questionner sur France compétences, qui joue un rôle central dans la politique de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Le second projet de loi de finances rectificative pour 2021 prévoit une subvention de 2 milliards d'euros en faveur de cet opérateur pour combler un déficit, sachant que le directeur général de cette institution, que nous avons entendu hier, annonce que, en dépit de cette somme, le solde attendu au terme de l'année 2022 sera négatif de 4 milliards d'euros.
Il me semble donc légitime de que nous nous interrogions sur la sincérité de ce budget. Si nous n'avons pas encore arrêté notre position, mon regard sur la mission diffère de celui que je portais en 2021 - nous avions alors validé les crédits.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Cette mission semble assez représentative du quinquennat. Le bilan est complexe à tirer, puisqu'elle se clôt sur une nouvelle mesure, annoncée à la dernière minute, sans évaluation ni étude d'impact préalable. Cela paraît dommage, mais aussi préjudiciable à un travail éclairé des commissaires, qui peuvent plus facilement se prononcer quand ils comprennent la nature des dispositifs mis en place et disposent des éléments nécessaires pour le faire.
Emmanuel Capus évoque le rôle qu'il aurait voulu voir jouer de façon exclusive par les missions locales, mais ces missions couvrent-elles suffisamment la totalité du territoire ? À ma connaissance, cela n'est pas certain.
De plus, il semblerait que 900 recrutements soient prévus à Pôle emploi pour mettre en oeuvre le dispositif. Quelles en seront les modalités ? Comment évolueront ces effectifs, sachant que ces besoins seront voués à diminuer à mesure que nous gagnerons en efficacité ?
Je partage l'incertitude exprimée par les rapporteurs et relève aussi des carences dans un dispositif annoncé très tardivement. Lors de sa présentation de la semaine dernière, M. le ministre Olivier Dussopt a d'ailleurs employé le terme « revenu d'engagement » pour « contrat d'engagement », ce qui semble aussi révélateur d'une certaine impréparation.
M. Éric Jeansannetas . - Je partage ce que M. le rapporteur général vient de dire sur ce dispositif, qui a été annoncé tardivement et qui sera mis en place à la dernière minute, le 1 er mars 2022.
Les deux rapporteurs spéciaux ont souvent parlé d'une même voix, notamment sur le rôle des missions locales, sur la Garantie jeunes et sur la nécessité d'obtenir des éclaircissements sur les différents dispositifs, dont on perçoit bien mal les contours. À vrai dire, j'éprouve une certaine difficulté à formuler des questions, auxquelles vous n'aurez probablement pas de réponses...
Les techniciens et conseillers en insertion avaient consolidé le dispositif de la Garantie jeunes grâce à une méthodologie efficace. C'est dans ce contexte que surgit un trouble, créé notamment par l'annonce du nouveau rôle à jouer par les associations. De quelles associations s'agit-il ? Auprès de qui joueraient-elles un rôle ? Conseiller en insertion professionnelle est un métier, qui s'est professionnalisé au fil du temps. Je m'interroge sur l'opportunité de la participation de ces associations.
En outre, je m'associe à la question de M. le rapporteur général : Pôle emploi est-il équipé pour faire face à cet afflux de jeunes gens sans emploi ni ressources ? Quels seront les moyens déployés ? On évoque 400 000 jeunes, mais le chiffre reste flou. Inclut-il les 200 000 garanties jeunes annoncées pour 2022, les 100 000 jeunes relevant de la cotraitance entre Pôle emploi et les missions locales ? Le nouveau dispositif a été annoncé très tard et provoque beaucoup d'incertitudes quant à sa mise en oeuvre. Enfin, l'ajout de 1,3 milliard d'euros de crédits supplémentaires par simple amendement pose question.
M. Marc Laménie . - Je remercie nos deux rapporteurs spéciaux, ainsi que notre rapporteur pour avis.
Les masses financières engagées en faveur de cette mission sont importantes, avec 13,4 milliards d'euros en crédits de paiement, mais les rapporteurs spéciaux ont mis en évidence un manque de lisibilité. Pôle emploi n'est pas le seul opérateur de l'État à être concerné. A-t-on une idée de la répartition des moyens humains mobilisés sur les territoires ? Comment peut s'opérer l'articulation en termes de communication ?
Les missions locales ont un rôle important à jouer pour l'avenir des jeunes. Comment leur action s'articule-t-elle avec celle des associations d'insertion et des acteurs de l'économie sociale et solidaire ?
S'agissant des contrats aidés, quels sont les liens avec les collectivités locales ? On sait que ces dispositifs étaient utiles et permettaient aux élus de recruter des personnes de qualité, mais que le recrutement et le renouvellement des contrats étaient compliqués.
M. Bernard Delcros . - Dès 2017-2018, l'exécutif avait défendu la suppression des contrats aidés. Au fil du temps, notamment à travers le volontariat territorial en administration (VTA), il y est revenu...
Quelle est votre analyse de la situation ? Quels sont les dispositifs existant aujourd'hui ? Quel bilan en tirez-vous ? Quelles sont les perspectives, compte tenu notamment de la baisse du chômage ?
M. Éric Bocquet . - On se souvient tous que l'une des premières décisions du quinquennat fut la suppression des contrats aidés - leur nombre est passé de 320 000 en 2017 à 130 000 en 2019 -, que le Président de la République trouvait « inutiles » et « inefficaces » ; il avait évoqué des contrats « à la petite semaine », « sans avenir ».
Lors des auditions, a-t-on pu vous expliquer en quoi le dispositif nouveau était différent des contrats qui ont été supprimés voilà quatre ans ?
M. Didier Rambaud . - Nous aurions peut-être pu commencer par citer le taux de chômage actuel, qui est le plus bas que notre pays ait connu depuis 2007.
Je suis interpellé par le très grand nombre d'offres d'emploi non pourvues. Ce n'est pas qu'un problème de qualification ou d'apprentissage. 25 000 postes de chauffeurs ne sont pas pourvus. Dans mon département de montagne, les stations de ski ont passé un appel au secours dans la presse locale, car elles ne trouvent pas assez de saisonniers...
Au-delà des problèmes de forme, il faut se poser les questions essentielles.
Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale . - Je remercie Frédérique Puissat de nous laisser entrevoir le moment où la commission des affaires sociales pourra auditionner les acteurs et se faire un avis plus éclairé que le nôtre sur le contrat d'engagement jeune... Pour notre part, nous n'avons pas eu le temps de mener des auditions sur ce sujet.
Cependant, nous sommes à peu près certains qu'il viendrait remplacer la Garantie jeunes, qui disparaît de l'article L. 5131-6 du code du travail.
Il faut rappeler le contexte politique dans lequel s'inscrit ce dispositif, à savoir la demande constante, notamment depuis la crise sanitaire, en faveur d'une ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes, afin de tenir compte d'un certain nombre de situations de pauvreté extrême.
Toutefois, le dispositif est très loin d'être à la hauteur de l'enjeu. Que se passera-t-il d'ici au 1 er mars ? Comment parvenir à atteindre 400 000 jeunes ?
On déstabilise les missions locales en leur ôtant leur outil principal, qui fonctionne. On donne beaucoup de moyens à Pôle emploi, mais au détriment d'un accompagnement global du jeune, pour lequel le savoir-faire des missions locales est reconnu. 900 postes seront créés à Pôle emploi pour la mise en place du contrat engagement jeune, mais nul ne sait vraiment ce que l'on va bien pouvoir faire faire à ces jeunes entre 15 à 20 heures par semaine... On ignore la substance du dispositif. Cette façon de procéder me paraît un peu aventureuse. La méthode n'est respectueuse ni des parlementaires, ni des missions locales, ni des jeunes eux-mêmes.
Les contrats aidés sont les mêmes qu'avant ; ceux qui sont ajoutés concernent le secteur marchand. Aucune évaluation ne nous permet de vérifier que les taux d'insertion sont meilleurs. On constate tout de même qu'un certain nombre de structures, notamment associatives, ont plus de difficultés à accéder à ces contrats aidés, car ils sont moins subventionnés.
S'agissant de la courbe de chômage, je rappelle qu'il y a tout de même dans notre pays 710 000 chômeurs de longue, voire de très longue durée ! C'est surtout pour ces personnes « à fond de cale » que j'appelle à rejeter les crédits de la mission. L'augmentation importante des crédits du ministère du travail est seulement conjoncturelle et les moyens ne sont pas suffisants pour répondre à la situation des centaines de milliers de personnes qui se trouvent dans l'impasse, en mettant en en place les politiques structurelles de longue durée qui pourraient leur permettre de retrouver le chemin de l'insertion.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Je partage un grand nombre des interrogations qui ont été exprimées.
L'essentiel des questions porte sur deux points : le contrat d'engagement jeune et les contrats aidés. C'est d'ailleurs sur ces deux points que je me suis montré le plus critique dans mon intervention. Au reste, ces points d'achoppement ne représentent pas l'essentiel des crédits. Je répète que, globalement, les crédits me semblent aller dans le bon sens.
Mme Puissat, je partage votre constat sur les personnes « à fond de cale », celles qui sont les plus éloignées du marché du travail.
Bien évidemment, nous ne disposons pas encore du bilan du plan de relance.
S'agissant de France compétences, une subvention exceptionnelle de l'État de 2 milliards d'euros est prévue. Les ouvertures de crédits correspondantes sont demandées dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative pour 2021, en cours d'examen. Je relève qu'en 2022, aucune subvention de cette nature n'est prévue à ce stade, et donc que l'opérateur ne serait financé que par les recettes de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance. Je ne peux donc pas en dire davantage pour ce qui concerne l'examen du PLF 2022.
Sophie Taillé-Polian a déjà répondu sur le contrat d'engagement jeune. Il nous semble assez clair que celui-ci vient remplacer la Garantie jeunes. Le mécanisme est assez semblable, mais vise un public élargi : il ne bénéficierait non plus à 200 000, mais à 400 000 jeunes, et fixe des engagements et des devoirs renforcés pour ces derniers.
Pour M. le rapporteur général, les missions locales sont-elles suffisamment présentes sur le terrain ? Il nous a semblé que oui. On en dénombre actuellement 427. Le Gouvernement nous dit que le nombre d'antennes très important de Pôle emploi ferait plus que doubler le maillage territorial. Au demeurant, le problème n'était pas tant le maillage que la nécessité d'un guichet unique pour simplifier le système.
Pour ce qui est des moyens alloués à Pôle emploi, nos informations sont encore limitées. On sait simplement que 900 recrutements sont prévus à Pôle emploi, a priori pour gérer le contrat d'engagement jeune, ce qui est considérable. Les amendements votés à l'Assemblée nationale flèchent 246 millions d'euros en faveur des opérateurs du service public de l'emploi, sans que l'on ne sache précisément à ce stade quelle part reviendrait à Pôle emploi. Les moyens paraissent assez importants, même si, je le répète, l'objectif de 400 000 contrats d'engagement me semble audacieux, alors que l'objectif de 200 000 garanties jeunes n'est pas encore atteint. Je n'ai pas de réponse sur le type de contrats qui permettront d'embaucher ces 900 agents supplémentaires.
M. Jeansannetas, oui, je pense que Pôle emploi est équipé. Je pense que ses représentants, que nous avons auditionnés, s'attendaient à ce nouveau dispositif et même qu'ils ont milité en sa faveur. En tout état de cause, ils ne nous ont pas du tout semblé inquiets. Il faut dire qu'ils ont une certaine habitude de ce type de publics, avec l'accompagnement intensif des jeunes (AIJ), même si ce n'est pas leur mission prioritaire.
Le texte prévoit une mise en oeuvre par tout organisme public ou privé fournissant des services relatifs au placement, à l'insertion, à la formation, à l'accompagnement et au maintien dans l'emploi des personnes en recherche d'emploi. Cette formule est assez vaste ; son application impliquera, a priori , la passation de marchés publics. Il est vrai que cela complexifiera encore un peu plus le paysage, en termes de nombre d'interlocuteurs.
Concernant les moyens humains sur le terrain, monsieur Laménie, ce sont les missions locales, Pôle emploi et les futures associations qui pourraient être mobilisés. Les liens avec les collectivités locales sont ceux qui existent aujourd'hui avec les missions locales.
Monsieur Delcros, vous savez que je ne suis pas favorable aux contrats aidés. Je me suis d'ailleurs félicité de leur transformation ces dernières années. Restent les parcours emploi compétences (PEC), mis en place au moment de la suppression des contrats aidés du précédent quinquennat ; il y en a 100 000 aujourd'hui, exclusivement centrés sur le secteur non marchand. Les contrats initiative emploi (CIE) étaient au nombre de 50 000 l'année dernière. Cette année, ils sont 45 000. Leur avantage, M. Bocquet, est qu'ils sont ciblés sur les jeunes et qu'ils sont assortis d'un accompagnement renforcé, inspiré de celui qui a été mis en place dans le cadre des PEC. Je considère donc que des progrès ont été accomplis par rapport aux anciennes formules de contrats aidés. Conformément à ce que j'indique dans mon rapport, je souhaite que l'on puisse évaluer ces contrats de manière approfondie au cours des prochaines années.
M. Delcros, nous sommes dans une situation extrêmement favorable en termes de chômage, qui est revenu à son niveau d'avant la crise, soit 8 %. Restent toutefois deux points faibles, auxquels nous devons trouver des réponses : le chômage de longue durée et le chômage des jeunes et des personnes les plus éloignées de l'emploi. D'où l'intérêt de la mise en place des dispositifs principaux de ce budget, dont le plan de lutte contre la tension sur les recrutements, alors que près de 300 000 emplois ne sont pas pourvus.
C'est la raison pour laquelle, si je souscris à toutes les critiques formulées, il me semble, à titre personnel, que l'on ne peut pas rejeter les crédits de cette mission.
La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Travail et emploi ».
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - L'article 56 vient pérenniser dans le code du travail certaines dispositions adoptées dans le cadre du dispositif exceptionnel d'activité partielle. Ces évolutions concernent notamment la prise en compte des salaires des cadres ou l'indemnisation d'activité partielle versée aux apprentis.
Il nous paraît pertinent de capitaliser sur les améliorations du dispositif instituées au cours de la crise. Nous vous proposons d'adopter l'article sans modification.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 56.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - L'article 57 institue le contrat d'engagement jeune dans le code du travail. J'ai indiqué que nous nous en remettions à la sagesse de la commission quant à l'adoption de cet article, même si, à titre personnel, je porte sur ce dernier un regard plutôt positif. Cependant, compte tenu du rejet des crédits, je ne me fais guère d'illusion...
La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 57.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - L'article 58 vise à prolonger de deux ans la mise en oeuvre de l'expérimentation des entreprises d'insertion par le travail indépendant, qui constituent une modalité innovante d'accompagnement en insertion par l'activité économique.
Cette expérimentation avant été instituée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 et devait prendre fin le 23 décembre 2021. Son déroulement a été fortement perturbé par la crise sanitaire. Cette prolongation nous paraît légitime, même si nous serons bien entendu attentifs à l'évaluation de cette expérimentation.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 58.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - L'article 59 vise à prolonger d'un an, soit jusqu'au 31 décembre 2022, l'éligibilité à l'activité partielle, d'une part, des salariés employés par des entreprises ne comportant pas d'établissement en France mais cotisant au régime d'assurance chômage, et, d'autre part, des régies dotées de la seule autonomie financière gérant des services de remontées mécaniques, de pistes de ski et de cure thermale.
Cela ne nous paraît pas soulever de difficulté particulière. Nous vous proposons donc d'adopter cet article sans modification.
M. Victorin Lurel . - La ratification de l'ordonnance a-t-elle été formellement soumise au Parlement ? Il me semble que non. Rien que pour cela, je vote contre.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Je n'ai pas la réponse à cette question, nous vérifierons ce point.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 59.
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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission ni l'article 57, et d'adopter sans modification les articles 56, 58 et 59.