EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 2 novembre 2021, sous la présidence de M. Dominique de Legge, vice-président, la commission a examiné le rapport de Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale, sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ».
M. Dominique de Legge , président . - Nous poursuivons nos travaux avec la mission « Régimes sociaux et de retraite » et avec le compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Je salue la présence parmi nous de René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions » . - Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et la mission « Régimes sociaux et de retraite » constituent une partie du financement public des systèmes de retraite, à savoir les pensions gérées par l'État pour presque 61 milliards d'euros, ainsi que certains régimes spéciaux déficitaires pour 6,06 milliards. Ces deux budgets sont importants, mais je précise que l'ensemble des dépenses de retraite, régimes de base et complémentaires, s'est élevé à 335 milliards d'euros en 2020.
Ainsi, les 67 milliards qui font l'objet de mon rapport spécial concentrent les versements de pensions auxquelles l'État doit consentir, principalement les pensions civiles et militaires, les pensions d'invalidité et les subventions d'équilibre versées aux régimes des retraites de la SNCF, de la RATP, des marins et des mines.
Cependant, l'État subvient également à d'autres régimes, mais par d'autres moyens, notamment celui des taxes affectées : il s'agit du régime des industries électriques et gazières (IEG), de celui des clercs et employés de notaires, de celui des avocats et de celui des non-salariés agricoles.
L'État verse également une subvention d'équilibre au régime des agents de l'Opéra de Paris et à celui des agents de la Comédie-française, mais ces régimes échappent à la mission dont je vous parle. Il est bien difficile de comprendre pourquoi ...
À la fin, entre les régimes de base et les régimes complémentaires, les régimes intégrés, les régimes ouverts et les régimes fermés, les régimes excédentaires ou déficitaires, les régimes équilibrés par taxes affectées ou par subvention, les transferts entre régimes, etc. comment comparer valablement quoi que ce soit ? Comment extraire l'équité que chacun recherche ?
Réunir dans une seule et même mission tous les systèmes qui ont besoin du financement de l'État, sous quelque forme que ce soit, serait un bon début.
Mettre à plat les contributions de l'État aux régimes spéciaux est indispensable : lorsqu'un régime ne compte plus assez de cotisants pour subvenir aux pensions de ses retraités, alors indiscutablement la solidarité nationale doit venir à son secours. Mais lorsqu'à cette occasion, celle-ci finance aussi des avantages spécifiques, il est légitime de savoir lesquels et combien, avant d'y consentir.
En ce qui concerne la mission « Régimes sociaux et de retraite », le montant global des crédits demandés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 s'élève donc à 6,06 milliards d'euros, dont 3,273 milliards pour le régime de la SNCF, 751 millions pour le régime de la RATP, 1,4 million pour le financement du congé de fin d'activité des chauffeurs routiers, 18,7 millions pour le régime des chemins de fer d'Afrique du Nord et du Niger-Méditerranée, 401 000 euros pour le régime des transports urbains tunisiens et marocains, 43 000 euros pour le régime du réseau ferroviaire franco-éthiopien - au sein duquel il ne reste que quatre pensionnés -, 791 millions pour les marins, 947 millions pour le régime des mines, 130 millions pour la Seita, 930 000 euros pour les régies ferroviaires d'outre-mer - qui ne compte que 55 pensionnés - et 90 000 euros pour l'ORTF - 55 pensionnés lui aussi.
Le déséquilibre démographique est, bien évidemment, accentué dans les régimes fermés qui voient leur population de cotisants décroître. Ainsi, le régime des mines ne compte plus que 981 cotisants, celui de la Seita plus un seul. Je rappelle que, depuis le 1 er janvier 2020, le régime SNCF est fermé ; par conséquent, le besoin de financement par l'État ne peut que croître.
À l'intérieur de chaque régime, les incidences du déséquilibre démographique et des avantages spécifiques sont à l'évidence insuffisamment documentées : comment dès lors aborder une réforme si l'on ne connaît pas le coût de chaque mesure ? Durant mes auditions, j'ai pu vérifier qu'aucune caisse de retraite n'a mis à profit la pause de vingt mois depuis l'arrêt de la réforme des retraites pour préparer celle-ci et éclaircir ses comptes.
Lors de la création de la caisse de retraite de la RATP en 2006, le régime devait en principe être adossé au régime général et mettre en place un taux de cotisation patronal (T2) destiné à financer les droits spécifiques du régime : celui-ci n'a pas été mis en place, sous prétexte que les avantages du régime de la RATP seraient moins importants que ceux du régime de la SNCF, qui a créé un T2. Il en résulte que les droits spécifiques à la RATP sont tranquillement financés par la solidarité nationale ...
En 2016, une estimation du service statistique des ministères sociaux, la Drees, a évalué une partie des droits spécifiques cumulés des régimes SNCF, RATP, mines et marins à 3,8 milliards d'euros. Or le total des cotisations de ces quatre régimes s'élève à 2,5 milliards d'euros ... Chacun peut donc mesurer l'ampleur de l'effort national.
Que faire ? Malheureusement, les réformes passées n'ont jamais diminué les coûts pour l'État, parce qu'à grand renfort de mesures compensatoires les valeurs moyennes de liquidation des pensions ont sans cesse augmenté.
De plus, l'ouverture à la concurrence n'est qu'un leurre. Reprenons l'exemple de la RATP : 18 000 salariés du département bus sont concernés par la mise en concurrence d'ici à 2024. Si l'un des concurrents de la RATP devait remporter un marché, le transfert des personnels RATP fait que ceux-ci continueront de bénéficier de leur statut, qui sera toujours financé par l'État.
J'en viens au CAS « Pensions », d'un montant de 60,98 milliards d'euros en 2022.
Il concerne d'abord les pensions civiles et militaires de retraite et les allocations temporaires d'activité, pour 57,6 milliards d'euros, avec une revalorisation des pensions de base de 1,1 % au 1 er janvier 2022 contre 0,4 % en 2021.
Il concerne ensuite les ouvriers des établissements industriels de l'État, pour 1,9 milliard d'euros.
Il concerne enfin les pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour 1,5 milliard d'euros, revalorisées de 1,6 % au 1 er avril 2022 contre 0,1 % en 2021.
Le CAS devant être équilibré en permanence, la contribution dite employeur de chaque ministère est supérieure aux dépenses prévisionnelles. Cependant, celles-ci progressent plus vite que les recettes. Le taux de cotisation patronale est en effet fixe depuis 2014 : 74,28 % pour les civils et 126,07 % pour les militaires.
Le Conseil d'orientation des retraites (COR) estime que le nombre de retraités de droit direct devrait augmenter jusqu'en 2035 environ en raison du départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom. S'agissant des fonctionnaires civils, il passerait de 2 à 2,2 millions avant de redescendre en dessous de 2 millions en 2055.
Sachant par ailleurs que les contractuels de la fonction publique cotisent à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et à une caisse de retraite complémentaire, l'Ircantec, on comprend bien que les cotisations des titulaires ne vont pas suffire longtemps à maintenir l'équilibre du CAS.
Fin 2021, le CAS devrait cumuler 9,7 milliards d'euros d'excédent, mais la contribution de 2021 à cet excédent ne sera que de 600 millions, alors qu'elle était de 1,26 milliard en 2020. Pour mémoire, le besoin de financement du régime est estimé à 88 milliards d'euros ... Pour autant, le projet annuel de performance 2022 du CAS ne présente ni projection de solde ni prévision de recettes pour l'avenir à moyen et long terme de ces régimes de retraite.
Je voudrais faire un petit focus sur la crise sanitaire : le surcroît de mortalité a conduit à une baisse des dépenses de pensions, pour le CAS, de 36 millions d'euros en 2020 et de 151 millions en 2021. Le service des retraites de l'État a également constaté un report des départs à la retraite pour 2 600 personnes en 2020 et 1 200 en 2021 : l'économie budgétaire est estimée à 19 millions pour 2020 et à 87 millions pour 2021.
Pour terminer, je souhaite livrer à votre réflexion un enjeu qui me paraît capital dans la perspective d'une future réforme des retraites.
Actuellement, la classe active cotise à des taux qui sont les plus élevés que nous ayons jamais connus, sur une assiette de plus en plus large et pour une durée de plus en plus longue. Son espérance de vie augmente certes toujours, mais moins vite qu'auparavant : l'espérance de vie des femmes se rapproche, en effet, de celle des hommes en raison, notamment, du développement des cancers et du palier constaté dans le traitement de nombreuses maladies, notamment les maladies cardio-vasculaires.
Lorsque la classe active actuelle sera en retraite, la pension dont elle bénéficiera sera, sous l'effet des réformes passées, bien faible au regard du niveau de vie des plus jeunes.
En 1970, un retraité percevait en moyenne 70 % des revenus d'un actif, contre 108 % en 2015 ; avec les réformes, la baisse des taux de remplacement, et une revalorisation des pensions moindre que celle des salaires, un retraité percevra, en 2070, en moyenne, 80 % des revenus d'un actif, soit 30 points de moins environ qu'aujourd'hui. Attention, parce que ce recul va toucher les générations à qui l'on demande déjà de travailler plus longtemps : est-il juste de demander à la même génération de faire deux fois l'effort ? Il faudra y prendre garde dans la réforme, qui apparaît par ailleurs nécessaire.
Quoi qu'il en soit, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Comme chaque année, je déplore qu'on ne dispose pas d'une vision globale des crédits engagés sur les retraites, puisque la loi de financement de la sécurité sociale ne vise pas les crédits dédiés par l'État aux régimes spéciaux et à celui de la fonction publique, ni les moyens engagés dans les régimes complémentaires. Ce défaut est regrettable lorsqu'on envisage une réforme.
La crise sanitaire a eu des répercussions moindres qu'on a pu le dire sur les chiffres des retraites, car si les personnes âgées ont été plus touchées que les autres, les moindres dépenses de retraite ne sont pas significatives par rapport à la masse globale. Nous faisons les mêmes constats que vous sur la diminution des pensions par rapport aux salaires.
Une remarque sur l'effet du recul de l'âge de départ pour un taux plein : cet effet est à relativiser, sachant qu'un retraité sur deux n'est pas actif au moment où il prend sa retraite. Il faut noter aussi qu'à partir de 2023 ou 2024, les dépenses du CAS « Pensions » dépasseront les recettes, du fait de l'inflation, des départs en retraite, et de la moindre croissance. Or, rien n'est proposé pour anticiper, le Gouvernement se rassure avec les 10 milliards d'euros d'avance de ce compte, mais ce n'est pas suffisant.
Nos analyses correspondent aux vôtres, nous faisons les mêmes constats et je proposerai également un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci pour cet état des lieux exhaustif et d'attirer notre attention sur ces effets différenciés de la réforme selon les générations.
Vous avez évoqué les difficultés à obtenir des réponses précises sur l'évolution des trajectoires des régimes spéciaux et sur le régime de la fonction publique en cas de réforme paramétrique, voire systémique. Doit-on en conclure que les administrations concernées font une « politique de l'autruche », ne donnant pas les moyens de se projeter, notamment à partir des données relatives à l'espérance de vie ?
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure spéciale . - Dans la pause de 20 mois qui dure depuis que la réforme des retraites est à l'arrêt, personne n'a continué le travail d'études et de projection. Or nous avons besoin d'informations. On me répond que le sujet est complexe, mais c'est une raison supplémentaire pour l'examiner. Heureusement que le COR nous fournit des projections sur l'espérance de vie, le solde migratoire, la natalité, laquelle faiblit, ce qui est à prendre en compte nécessairement.
M. Vincent Éblé . - L'examen de cette mission et du CAS réduit notre rôle à constater ce que coûtent les retraites des fonctionnaires et la part des régimes spéciaux pris en charge par l'État, au lieu de trancher entre des politiques publiques. Dans ces conditions, mon groupe s'abstiendra.
M. Arnaud Bazin . - Les moyennes recouvrent des réalités très diverses et peuvent dissimuler des problèmes particuliers, comme celui des très faibles pensions. Nous connaissons tous des cas de fonctionnaires territoriaux qui arrivent en bout de carrière quasi complète, mais qui se retrouvent avec une pension très faible. Cette question fait-elle l'objet d'un traitement particulier dans la réforme envisagée ?
M. Marc Laménie . - Votre rapport nous alerte sur un point : en 2120, donc dans un siècle, les besoins de financement pour le régime spécial de la SNCF atteindraient 523 milliards d'euros : comment parvenez-vous à un tel résultat ?
M. Pascal Savoldelli . - Cette mission comporte une partie technique avec des effets mécaniques, mais elle a aussi une dimension politique puisque la majorité a, en filigrane, un projet de réforme des retraites. On nous dit que l'allongement de la vie aurait un coût, mais il faut examiner les choses en détail et ne pas omettre de dire que l'espérance de vie est de treize années moindre pour les 5 % des Français les plus pauvres que pour les 5 % les plus riches. Ensuite, nous ne voterons pas les crédits de cette mission, car nous sommes opposés à la réforme qui se dessine : on dit qu'elle doit mettre fin aux régimes spéciaux, mais en réalité, la capitalisation va multiplier les régimes spéciaux, chaque branche aura le sien, et même chaque grande entreprise - ce n'est pas notre choix.
M. Jean-Marie Mizzon . - Pensez-vous que la pénibilité pourra être prise en compte dans la réforme des retraites ?
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure spéciale . - La question des très faibles pensions est posée, l'idée d'une majoration de la pension minimale faisait partie du projet de réforme des retraites et était détaillée au sein de l'étude d'impact. Reste la question centrale de l'équité entre les fonctions publiques et les statuts.
Le besoin de financement permet de mesurer le montant des crédits qu'il faudrait placer aujourd'hui pour couvrir les besoins de financement futurs, en appliquant un taux d'actualisation correspondant à celui de l'obligation du Trésor à quinze ans. L'horizon 2120 correspond à l'année d'extinction du régime spécial de la SNCF.
Je suis tout à fait consciente que l'espérance de vie n'est pas la même selon le niveau de richesse, mais la question posée est celle de la contribution publique aux régimes spéciaux. Dès lors qu'on fait appel à la solidarité nationale, on est en droit de savoir quels sont les avantages et les coûts des régimes spéciaux. Je souhaite que le Parlement ait tous les éléments d'appréciation à sa disposition, ce n'est pas le cas aujourd'hui.
La prise en compte de la pénibilité est nécessaire, mais son coût doit également être évalué. Nous n'avons pas beaucoup avancé avant la suspension de la réforme, même si des corps de métiers se sont fait entendre mieux que d'autres.
M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis . - Un dernier mot s'agissant du projet de réforme des retraites, en passant à une retraite par points, on passe à un système où celui qui aura peu cotisé touchera très peu. Une autre difficulté tient au fait qu'il faut en réalité prendre en compte l'espérance de vie en bonne santé.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen définitif de l'équilibre, des missions, des budgets annexes, des comptes spéciaux et des articles rattachés de la seconde partie.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - La commission a adopté sans modification les crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale. En première délibération, l'Assemblée nationale a adopté les crédits de la mission tels que modifiés par un amendement de crédits et ceux du compte d'affectation spéciale tels que modifiés par deux amendements de crédits. L'Assemblée nationale a par ailleurs adopté, sur le compte d'affectation spéciale, un article additionnel 61.
Après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale, la rapporteure spéciale vous propose de confirmer l'adoption des crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale tels que modifiés par l'Assemblée nationale. Les conséquences de la suppression de l'indemnité inflation par le Sénat dans le cadre du PLFR seront tirées dans le cadre de la séance publique.
Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure spéciale . - L'article 61 porte sur les modalités de prise en compte dans la constitution du droit à pension, au sein du régime de la fonction publique, des disponibilités prises pour élever un enfant. Il aligne le droit à pension sur le droit à l'accès au congé parental.
Je remarque cependant l'absence d'évaluation préalable du coût du dispositif actuel et de celui de la modification apportée. Les différences des conditions d'octroi de ce congé parental entre régime de la fonction publique et régime général seraient accentuées, ce qui peut paraître contraire à l'objectif d'harmonisation retenu dans le projet de réforme des retraites. Nonobstant ces réserves, un rejet de l'article serait excessif. Je vous propose un avis favorable.
Après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale, la commission confirme sa décision de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale tels que modifiés par l'Assemblée nationale. Elle décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 61.