II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Des aides à la presse majorées afin de faire face principalement à la liquidation de Presstalis
L'ouverture de nouveaux crédits en faveur du programme 180 « Presse et Médias » à hauteur de 169,91 millions a eu pour principal objectif d'accompagner la liquidation judiciaire de Presstalis et le lancement de France Messagerie, destinée à la remplacer.
S'il ne minore pas l'impact de la crise sanitaire sur la distribution de la presse, le rapporteur spécial rappelle qu'elle n'a, s'agissant de Presstalis, joué qu'un rôle d'accélérateur , la société étant déjà sous assistance respiratoire budgétaire depuis plusieurs exercices, comme en témoigne l'affectation, à partir de 2018, d'un tiers de la dotation du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) à son financement (9 millions d'euros par an). Le rapporteur spécial rappelle que ce fléchage n'a pas été sans incidence sur l'activité du FSDP et a pu conduire à différer des projets de modernisation pourtant nécessaires, dans un contexte sanitaire déjà difficile avant la crise pour l'ensemble des acteurs de la filière.
Il convient de rappeler à ce stade que la loi de finances pour 2020 prévoyait un financement par l'État de Presstalis à hauteur de 27,79 millions d'euros , via l'aide à la distribution.
Le rapport annuel de performances indique qu'un soutien de 100 millions d'euros - hors prêts du Fonds de développement économique et social (FDES) - a pu être mis en oeuvre en troisième loi de finances rectificative pour 2020, via le programme 180. Ce montant affiché ne reflète pas, cependant, l'ensemble des crédits dégagés pour faire face à cette liquidation.
À la suite de la cessation des paiements de Presstalis en 2020, (l'impasse de trésorerie était estimée en avril 2020 à 50 millions d'euros), l'État s'est engagé pour assurer les besoins de financement de la société avant sa reprise par une nouvelle structure.
17 millions d'euros ont, dans un premier, servi au financement de la période intercalaire permettant aux actionnaires de Presstalis de finaliser leurs négociations pour éviter une liquidation sèche de la société.
Une aide directe de 68 millions d'euros a ensuite été mise en oeuvre en vue d'amorcer la reprise d'une partie des activités de Presstalis (la partie dépôt étant, à l'exception du site de Paris-Bobigny, liquidée) par la nouvelle société France Messagerie.
L'État a également réglé les chèques de qualification dus aux diffuseurs de presse au titre du second semestre 2019 (16,23 millions d'euros) et à hauteur de 11,56 millions d'euros, les chèques de qualification dus aux diffuseurs de presse au titre du premier semestre 2020.
La troisième loi de finances rectificative pour 2020 a prévu en outre l'octroi d'une aide de 8 millions d'euros aux éditeurs IPG particulièrement touchés par la crise de la distribution de la presse et la faillite de Presstalis. Ce dispositif a bénéficié à 31 éditeurs L'aide aux diffuseurs de presse indépendants et spécialistes, accordée au sein du même collectif budgétaire et dotée de 19 millions d'euros s'inscrit également dans le prolongement de la liquidation de Presstalis.
In fine se sont donc près de 140 millions d'euros, soit 82 % des crédits supplémentaires accordés en 2020 au programme 180, qui ont été dégagés en vue d'accompagner le secteur dans son ensemble face à la crise de Presstalis. Cette somme n'intègre pas les prêts du Fonds de développement économique et social (FDES) accordés à Presstalis puis à France Messagerie en 2020 (47 millions d'euros au total) et les abandons de créances concomitants (86 millions d'euros, dont 7 millions d'euros d'intérêts).
Crédits du programme 180 dédiés à l'accompagnement de liquidation de Presstalis et son remplacement par France Messagerie ouverts en 2020
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le rapporteur spécial relève que si elle était nécessaire, cette aide exceptionnelle ne constitue pas une garantie pour l'avenir de France Messagerie. La situation du nouvel opérateur apparaît, en effet, fragile et dépendante de nombreux aléas, qu'il s'agisse des restrictions d'activité liées aux mesures sanitaires ou, plus structurellement, à l'attrition du nombre de lecteurs de journaux en version papier. Rien n'indique aujourd'hui que les moyens dédiés par l'État au soutien à une nouvelle stratégie industrielle pour la presse ne soient pas de nouveau à l'avenir fléchés vers France Messagerie.
Plus largement, le rapporteur spécial invite le Gouvernement à présenter à moyen terme une refonte du régime des aides à la presse écrite, afin d'accompagner la mutation industrielle de celle-ci et lui permettre de répondre au changement des habitudes de lecture et aux incidences de la crise sanitaire. L'aide exceptionnelle annoncée dans le cadre du plan de filière en août 2020 - 377 millions d'euros sur deux ans - ne saurait, en effet, être efficiente si elle n'est pas doublée d'un changement de philosophie, intégrant le moindre recours au papier. Comme il l'a indiqué dans son rapport de contrôle budgétaire 6 ( * ) , le rapporteur spécial plaide notamment pour une simplification des dispositifs existants avec la mise en place d'une aide unique au titre, évolutive en fonction de son niveau d'accessibilité en ligne, de sa participation à la connaissance et au savoir et de son degré d'indépendance. Un soutien temporaire au portage doit également être mis en oeuvre afin d'alléger la charge financière pesant sur La Poste au titre du soutien au transport postal de la presse.
2. Un soutien aux industries culturelles pour partie différé en 2021
L'exécution 2020 des crédits du programme 334 est marquée par la mise en oeuvre de mesures d'urgences destinées à soutenir la plupart des industries culturelles. 423 millions d'euros de crédits de paiement, soit plus du double des crédits affectés en loi de finances initiale, ont ainsi été ouverts :
- 36 millions d'euros ont ainsi été fléchés vers le soutien à la filière livre, via le Centre national du livre ;
- 85 millions d'euros ont été affectés à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), afin d'accroître sa capacité de garantie et d'octroi de prêts ;
- 145 millions d'euros ont été attribués au Centre national de la musique (CNM), afin de lui permettre de compenser la chute de sa principale recette (taxe sur les spectacles de variétés) et d'aider les professionnels à faire face aux impacts des mesures de confinement, de couvre-feu et de baisses de jauges ;
- 157 millions d'euros ont été affectés au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) afin de compenser la baisse de ses recettes (taxe sur les entrées en salle, taxe sur les services de télévision assise sur les revenus publicitaires), d'aider le secteur à faire face à l'arrêt des tournages et à leur reprise dans le respect des consignes sanitaires et de garantir des ressources aux exploitants de salles et aux distributeurs, confrontés aux mesures de fermeture et de réduction des jauges.
Évolution des crédits de paiement du programme 334 en 2020
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
98,1 % de ces crédits ont été consommés. Le reliquat de crédits disponibles sur crédits ouverts s'élève ainsi, au terme de l'exercice, à 14,6 millions d'euros en CP. Ce taux de consommation ne doit pas occulter un décalage entre le versement effectif aux opérateurs de ces subventions complémentaires et la réattribution de ces crédits aux acteurs de la filière. Les crédits versés aux opérateurs n'ont en effet pas pu être dans leur totalité réaffectés, en raison du versement en fin d'exercice des dotations complémentaires adoptées en lois de finances rectificative.
Ainsi, si le Centre national du Livre a pu disposer de 53,6 millions d'euros de crédits ouverts en 2020, il n'a pu attribuer la totalité des aides prévues. 38,62 millions d'euros ont ainsi pu être reversés, le solde devant être affecté en 2021. Le Centre national de la musique affiche de son côté un résultat bénéficiaire de 91,3 millions d'euros, les subventions versées par l'État en fin d'exercice n'ayant pu venir abonder les dispositifs de soutien mis en place avant la fin 2020. Ces crédits auront là encore vocation à être consommés en 2021. Le Centre national du cinéma et de l'image animée devait quant à lui reverser en début d'exercice 2021, 41,1 millions d'euros de subventions perçues en 2020.
Ces crédits viendront compléter ceux prévus par la mission Plan de relance, dont le programme 363 « Compétitivité » prévoit différents dispositifs de soutien :
- 210 millions d'euros en AE et 175 millions d'euros en CP destinés à la filière musicale ;
- 165 millions d'euros (AE = CP) pour la filière cinéma et audiovisuel ;
- 140 millions d'euros en AE et 70 millions d'euros en CP pour la filière presse ;
- 53 millions d'euros en AE et 29,5 millions d'euros en CP pour la filière livre ;
- une stratégie d'avenir pour l'ensemble des industries culturelles et créatives (ICC), dotée de 19 millions d'euros en AE et 17,5 millions d'euros en CP.
Répartition des crédits de paiement du
Plan de relance
par secteur en 2021
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
593 millions d'euros en AE et 457 millions en CP devraient ainsi être ouverts en 2021, ce qui devrait permettre de majorer les crédits disponibles pour ces filières de 61 % en AE et 46 % en CP.
3. Quelle stratégie pour France Télévisions ?
La non-suppression en 2020 de France 4 en raison de son succès durant la période de confinement conduit une nouvelle fois à s'interroger sur le périmètre du service public. Celui-ci a en effet été loué pour sa capacité à produire des émissions dédiées à la connaissance et non pour son aptitude à répondre à la concurrence, via un programme d'acquisition de films ou de jeux.
Les efforts financiers effectués en vue de la mise en avant d'une offre enrichie en théâtre, musique et spectacle vivant et en programmes jeunesse (augmentation des coûts liés au programme national de 21,2 millions d'euros) n'ont pas remis en cause l'objectif affiché de maîtrise des coûts, en particulier celui de la grille. Celui-ci, établi à 2 103 millions d'euros en 2019 est ramené 2 035,5 millions à fin 2020, soit un niveau largement inférieur au coût affiché dans le projet de budget 2020 : 2 096 millions d'euros.
Il convient de relever que cette économie a été rendue en partie possible par la baisse d'activité enregistrée dans certains secteurs en raison de la crise sanitaire : information (- 15,2 millions d'euros), sport (- 23,4 millions d'euros) ou décrochages régionaux et ultra-marins (- 39,4 millions d'euros).
Il est évident que l'enrichissement de l'offre ne peut se faire au détriment des missions historiques du groupe, qu'il s'agisse de l'information ou des déclinaisons régionales. Il existe cependant des gisements d'économies. L'augmentation en 2020 des frais généraux en raison des dépenses engagées dans le cadre de la crise sanitaire (+ 5,1 millions d'euros) peut ainsi apparaître transitoire, comme les subventions cinéma (+ 2 millions d'euros) destinées à compenser la fermeture des salles.
Il est également possible de s'interroger sur le choix coûteux de participer, aux côtés des groupes TF1 et M6, à la plateforme Salto . 10,9 millions d'euros ont été consacrés en 2020 à ce nouvel acteur pour 70 jours d'exploitation. 200 000 personnes seraient aujourd'hui abonnées à ce service. Ce chiffre intègre les périodes d'essai gratuites d'un mois et les salariés des groupes ayant créé la plateforme (14 000 personnes environ).
Ce nombre d'abonné ne devrait pas permettre à Salto d'être rentable à la fin de l'exercice 2021, une perte de 93 millions d'euros étant ainsi attendue . Il y a lieu de s'inquiéter d'une telle perte. France Télévisions financera à due proportion ce déficit et se trouvera donc en position de combler les pertes d'un service mettant en vente des séries produites pour le service public, en principe accessibles à tous, et financées, à ce titre, par des ressources publiques.
Le choix de participer à ce projet souligne en creux la question de la gouvernance de France Télévisions et de ses choix stratégiques , dans un contexte marqué par le report sine die de la réforme attendue de l'audiovisuel public qui aurait pu permettre de susciter un débat sur les missions du groupe.
* 6 Vitamine ou morphine : quel avenir pour les aides à la presse écrite ? Rapport d'information de M. Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances n° 692 (2020-2021) - 16 juin 2021