Rapport n° 662 (2020-2021) de Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 2 juin 2021

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N° 662

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juin 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi visant à améliorer l' économie du livre et à renforcer l' équité
entre ses acteurs (procédure accélérée),

Par Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .

Voir les numéros :

Sénat :

252 , 651 et 663 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 2 juin 2021, sous la présidence de Laurent Lafon (UC - Val-de-Marne), la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné le rapport de Céline Boulay-Espéronnier (LR - Paris), sur la proposition de loi n° 252 (2020-2021), déposée par Laure Darcos (LR - Essonne) visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs .

La présente proposition de loi a fait l'objet d'une saisine du Conseil d'État par le Président du Sénat en date du 19 janvier 2021. L'Assemblée générale du Conseil a rendu son avis à l'occasion de sa séance du 11 mars 2021 1 ( * ) .

Le Gouvernement a par ailleurs marqué son intérêt pour cette proposition de loi en engageant la procédure accélérée le 7 mai 2021.

I. TENIR COMPTE DE L'ÉVOLUTION DU SECTEUR DE L'ÉDITION

A. UNE PROPOSITION DE LOI OPPORTUNÉMENT DÉPOSÉE PRÈS DE DIX ANS APRÈS LE DERNIER TEXTE D'AMPLEUR SUR LE LIVRE

1. Un secteur de l'édition en plein bouleversement

Selon l'enquête annuelle du Syndicat national de l'édition (SNE), le chiffre d'affaires de l'ensemble des éditeurs français représente 2,7 milliards d'euros en 2019 . Après le jeu vidéo (environ 5 milliards d'euros), l'édition est donc le deuxième secteur des industries culturelles , devant l'audiovisuel et la musique.

Paradoxe, la proposition de loi déposée le 21 décembre 2020 par Laure Darcos constituerait, si elle était adoptée, la première réforme d'ampleur dans ce secteur depuis la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, soit presque 10 ans .

Cette période a cependant connu des évolutions très significatives dans le domaine de la vente d'ouvrages, que l'on peut résumer avec trois constats.

ü Premier constat, les librairies indépendantes font mieux que résister

En 2020, la France compte plus de 20 000 points de ventes de livres . Parmi ceux-ci, les librairies que l'on peut qualifier « d'indépendantes » représentent un peu plus de 4 000 établissements en 2019, soit une hausse de plus de 20 % en 10 ans . Ils représentent environ 15 000 emplois . Leur part de marché a cependant régressé de près de trois points entre 2006 et 2019, pour s'établir à 22,5 %.

Source : ministère de la culture

ü Deuxième constat, la part croissante des ventes sur internet

Si les grandes surfaces culturelles spécialisées constituent le plus important réseau de vente de livres, avec 27 % des ventes en valeur en 2019, la vente en ligne a connu une croissance très rapide ces dernières années.

De 2,2 % en 2002, son poids global dans les achats de livres des ménages, tous circuits confondus, a été multiplié par 10 pour atteindre 21 % en 2019 .

ü Troisième constat, une forte concentration des vendeurs en ligne

Selon les données fournies à la rapporteure, en volume comme en valeur, Amazon, la FNAC et France Loisirs représentent environ les trois-quarts des achats en ligne, tous réseaux confondus. La part de marché d'Amazon serait environ de la moitié de ce total, soit 10 % du marché total du livre en France .

2. Une crise pandémique qui a relancé le débat sur la place des librairies

La crise pandémique et la fermeture des librairies au printemps 2020 , suivies à l'occasion du deuxième confinement du débat sur les « commerces essentiels », ont montré l'attachement des Français à ces établissements et le soutien que les pouvoirs publics étaient près à leur accorder pour maintenir un tissu vivant et dense dans les territoires. Selon le rapporteur pour avis pour le projet de loi de finances pour 2021, Julien Bargeton 2 ( * ) , « rien n'illustre mieux le rôle essentiel des libraires qu'une donnée : en novembre 2019, 150 000 références différentes d'ouvrages avaient été vendues. En novembre 2020, ce chiffre est divisé par trois. Cela illustre la capacité des libraires à attirer l'attention des clients sur des ouvrages vers lesquels ils ne seraient pas spontanément tournés, par opposition à la vente en ligne. Il est primordial, au-delà d'un secteur économique, de préserver cette capacité à susciter la curiosité et l'intérêt. »

B. DES RELATIONS ENTRE AUTEURS ET ÉDITEURS COMPLEXES ET PARFOIS TENDUES

La question du statut et des conditions de travail des auteurs de l'écrit a été récemment mise en lumière par le rapport de Bruno Racine « L'auteur et l'acte de création » 3 ( * ) , remis au ministre de la culture le 22 janvier 2020.

Si son champ est beaucoup plus large que l'objet de cette proposition de loi, ce rapport a cependant souligné « la dégradation de la situation économique et sociale des artistes-auteurs ». Ainsi, le nombre d'écrivains a progressé de 58 % entre 2001 et 2017, sans que les achats aient suivi cette tendance fortement. Le constat réalisé par Françoise Laborde, rapporteure pour avis de la commission lors de sa présentation des crédits du projet de loi de finances pour 2019 4 ( * ) , demeure d'actualité : « La constante hausse des parutions, avec plus de 200 sorties par jour, participe à ce phénomène. Il est d'autant plus difficile de vivre de sa plume que les ouvrages sont rapidement « poussés » hors des rayons et que, pour beaucoup, l'écriture est autant une passion qu'un métier ».

Les relations entre les auteurs et les éditeurs peuvent donc parfois être complexes, et nécessiter un encadrement législatif essentiellement destiné à améliorer la confiance entre les parties.

Dans ce contexte, le Médiateur du livre dispose d'une capacité à faire dialoguer les différentes parties prenantes, mais se trouve limité par les conditions trop restrictives de sa saisine.

II. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI

L'axe qui traverse la proposition de loi de Laure Darcos est d'adapter le monde du livre, au sens large, à l'ère numérique .

A. ÉTABLIR UNE CONCURRENCE PLUS ÉQUILIBRÉE ENTRE LIBRAIRES ET PLATEFORMES EN LIGNE (ARTICLE 1ER)

L'article 1 er propose plusieurs adaptations destinées à régler certaines difficultés posées par l'adaptation du secteur de l'édition au monde numérique.

1. Comment rétablir une concurrence équilibrée avec les grandes plateformes ?

Afin d'établir les conditions d'une concurrence équitable entre libraires et plateformes en ligne, des frais de port minimum, fixés par arrêté, seraient mis en place. Il serait ainsi mis fin à l'avantage concurrentiel le plus évident d'Amazon, qui pèse également sur les autres distributeurs en ligne, contraints de s'aligner.

2. Distinguer sur les sites livres neufs et livres d'occasion

Les sites de vente en ligne devraient distinguer clairement les livres neufs et les livres d'occasion.

3. Réguler les ventes directes par les éditeurs

Les éditeurs ne pourraient plus concurrencer les libraires pour les soldes d'ouvrages, en particulier sur les sites de vente.

4. Assurer un meilleur contrôle de la loi du prix unique

Le contrôle de la loi dite du « prix unique du livre » serait transféré des agents du ministère de la culture à ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

B. PERMETTRE AUX COLLECTIVITÉS DE SOUTENIR LEURS LIBRAIRIES (ARTICLE 2)

L'article 2 ouvrirait aux collectivités la faculté d'accorder une subvention pour les librairies indépendantes, dans la limite de 30 % de leur chiffre d'affaires.

C. INSCRIRE DANS LA LOI DES RELATIONS RÉNOVÉES ENTRE AUTEURS ET ÉDITEURS (ARTICLE 3)

L'article 3 vise à transposer dans la loi des dispositions de l'accord interprofessionnel du 29 juin 2017 entre le Syndicat national de l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) qui vient encadrer certaines pratiques de l'édition. Le dernier accord sur le contrat d'édition à l'ère du numérique remontait à mars 2013 et avait été transposé dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) par l'ordonnance du 12 novembre 2014.

Pour l'essentiel, les modifications renforceraient les droits des auteurs dans le cas d'une cessation d'activité de l'éditeur, ainsi qu'en encadrant les pratiques de la provision pour retour et de la compensation intertitre. Des dispositions spécifiques seraient également créées pour l'édition musicale.

D. ÉLARGIR LA SAISINE DU MÉDIATEUR DU LIVRE (ARTICLE 4)

Les auteurs et leurs représentants auraient dorénavant la faculté de saisir le Médiateur du livre.

E. ADAPTER LE DÉPÔT LÉGAL À L'ÈRE NUMÉRIQUE (ARTICLE 5)

L'article 5 propose une réforme d'ampleur du dépôt légal numérique . Les responsables de cette opération patrimoniale essentielle (Bibliothèque nationale de France (BnF), Centre du cinéma et de l'image animée (CNC) et Institut national de l'audiovisuel (INA)) sont actuellement confrontés à des difficultés d'accès sur les parties d'internet protégées par des mots de passe ou des protections spécifiques. L'article 5 actualise l'état du droit pour offrir les moyens juridiques et techniques de mener à bien cette mission .

III. LE TRAVAIL DE LA COMMISSION : CONFORTER LA RÉNOVATION DES RELATIONS ENTRE AUTEURS ET ÉDITEURS, SÉCURISER LE DÉPÔT LÉGAL ET ASSURER L'APPLICATION DU DROIT EN OUTRE-MER

La commission a grandement bénéficié de l'analyse du Conseil d'État, qui a permis de garantir la solidité juridique du texte.

Dans ce contexte, et en plus de précisions législatives destinées à lever toute ambiguïté, les principales améliorations apportées par la commission consistent à :

• donner des délais raisonnables pour l'entrée en vigueur des dispositions de loi, en particulier aux articles 1 et 3, où six mois semblent nécessaires, et à l'article 2, pour faire coïncider l'octroi de la subvention aux librairies avec l'exercice budgétaire ;

• garantir l'application à l'outre-mer , quand la compétence ne relève pas du territoire lui-même. En particulier, les collectivités de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et les communes de Saint-Pierre-et-Miquelon pourront choisir d'attribuer des subventions aux librairies indépendantes ;

• reformuler l'article 5 sur le dépôt légal, suivant en cela la proposition de rédaction du Conseil d'État, à la fois plus ramassée et plus précise.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Rééquilibrage de la concurrence

Cet article vise à améliorer les conditions de concurrence sur le marché de la vente de livres entre les librairies et les plateformes en ligne. Il propose trois mesures, notamment l'instauration d'un tarif minimal pour l'expédition de livres.

I. - Le soutien aux librairies indépendantes et la fixation d'un prix minimal de livraison

A. Une attention soutenue et unanime des pouvoirs publics pour soutenir les libraires

1. Préserver les libraires : la loi de 1981 sur le prix unique...

La loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, dite loi « Lang », a permis de conserver une concurrence entre l'ensemble des réseaux de distribution, en autorisant comme seul critère de différenciation la qualité du service , un domaine dans lequel les libraires indépendants conservent une avance indéniable.

Cette loi prévoit un prix unique du livre , quel que soit le mode de distribution, avec comme seule possibilité l'application d'une remise de 5 %. Copiée depuis dans de nombreux pays, elle a permis à la France de préserver la diversité des modèles de ventes des ouvrages. Cohabitent ainsi aujourd'hui un vaste réseau de librairies indépendantes, des enseignes spécialisées comme la FNAC, et le circuit de la grande distribution.

2. L'arrivée de nouveaux modes de distribution des livres avec la révolution numérique

Si la filière du livre a globalement moins souffert que d'autres, comme la musique, de l'arrivée des nouveaux outils numériques, elle a en revanche été profondément bouleversée par les pratiques de nouveaux géants, au premier rang desquels Amazon.

L'entreprise américaine de Seattle a en effet commencé son activité de livraison dans le secteur du livre, qui a servi de « produit d'appel », avant de s'étendre à l'ensemble des biens de consommation et de développer des activités dans les services comme le cloud ou la vidéo en ligne (« Amazon Prime »).

Le modèle économique d'Amazon repose sur une organisation logistique extrêmement poussée , qui lui permet d'assurer dans des délais sans équivalent des livraisons partout en France, sur une très grande gamme de produits. Il a fait l'objet d'une étude de chercheurs américains, de l'Institute for local self-reliance, dont le titre seul suffit à souligner les conclusions 5 ( * ) : « Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres villes ».

3. ... renforcée par la loi de 2014 pour permettre au secteur de lutter à armes égales contre les grandes plateformes en ligne

La version initiale de l'article 1 er de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre précisait que l'éditeur ou l'importateur devait fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public, tenu d'être respecté par tous les détaillants . Il était toutefois prévu que le détaillant pouvait appliquer à ce prix une remise maximum de 5 % , pourcentage pouvant, en application de l'article 3 de la loi précitée, être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d'enseignement.

Le troisième alinéa de l'article 1 er de la loi précisait que, hormis le cas des commandes d'ouvrages non disponibles en magasin, qui ne font pas l'objet de facturation complémentaire, les détaillants avaient la possibilité de pratiquer un prix plus élevé que celui fixé par l'éditeur ou par l'importateur, dès lors qu'ils offraient des prestations supplémentaires exceptionnelles à la demande de l'acheteur , dont le coût devait faire l'objet d'un accord préalable : « le détaillant peut ajouter au prix effectif de vente au public qu'il pratique les frais de rémunération correspondant à des prestations supplémentaires exceptionnelles expressément réclamées par l'acheteur et dont le coût a fait l'objet d'un accord préalable ».

La livraison à domicile fait partie de ces prestations supplémentaires exceptionnelles justifiant, à titre dérogatoire, le paiement par le client d'un prix excédant le prix fixé par l'éditeur .

L'esprit de cette loi est que l'ouvrage commandé par un client soit disponible sans frais supplémentaires en point de vente ou en « point relais », mais que toute autre prestation demandée par le client , en particulier la livraison à domicile, puisse être mise à la charge du vendeur. Cette prestation s'ajoute au prix de vente du livre, le cas échéant réduit d'un rabais pouvant aller jusqu'à 5 %.

Pour autant, et face à la nouvelle concurrence des grandes plateformes, la loi de 1981 s'est avérée insuffisante à protéger les libraires au tournant des années 2010. En effet, Amazon est rapidement perçu comme une menace pour les libraires, de par sa pratique de la livraison offerte aux consommateurs, pratique rendue possible par le verbe « pouvoir », qui n'indique pas une obligation de facturer des frais complémentaires .

Les entreprises en ligne avaient dès lors la possibilité de cumuler la réduction maximale autorisée de 5 % avec la gratuité des frais de port, ce qui entrainait une concurrence fortement déloyale avec des librairies incapables de s'aligner sur de telles conditions.

La loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition a donc été une tentative de répondre à cette inégalité, en transposant au commerce en ligne les grands principes issus de la loi de 1981 sur le prix unique du livre . Elle est issue d'une proposition de loi déposée par MM. Christian Jacob, Christian Kert, Hervé Gaymard et Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues tendant à ne pas intégrer la prestation de la livraison à domicile dans le prix unique du livre . Elle a été finalement adoptée à l'unanimité par le Sénat et l'Assemblée nationale.

Son article 1 er , unique objet du texte initial, vise à encadrer les avantages commerciaux propres à la vente en ligne des livres .

Au terme d'une discussion parlementaire marquée par un travail commun très approfondi entre les deux chambres et l'unanimité dans la préoccupation d'aider les librairies, la rédaction finalement retenue est la suivante : « Lorsque le livre est expédié à l'acheteur et n'est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l'éditeur ou l'importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu'il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit . »

La précision suivant laquelle le tarif de livraison ne peut être gratuit a été insérée en première lecture par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, à l'initiative de sa rapporteure Bariza Khiari 6 ( * ) .

Comme indiqué dans son rapport, sans méconnaître les limites d'un tel dispositif, « les coûts qui seront facturés par les grandes plateformes ayant toute chance d'être bien plus réduits que ceux que pourraient demander de plus petites enseignes », la rapporteure avait estimé que l'interdiction de la gratuité de ceux-ci « permettrait à tout le moins de supprimer l'argument commercial du "zéro frais de port" affiché par certaines plateformes et d'offrir l'espoir que le consommateur s'oriente vers d'autres sites de vente de livres ».

À ses yeux, l'interdiction de la gratuité de la livraison aurait un effet psychologique sur le consommateur, et, partant, des conséquences positives sur le rééquilibrage de l'environnement concurrentiel du marché du livre en ligne .

L'application concrète de la loi

La loi encadre le prix de vente et la tarification des frais de port pour les commandes de livres expédiées à l'acheteur. Dès lors que le livre est expédié à l'acheteur, tous les types d'achat sont concernés, qu'ils soient réalisés sur internet, en librairie ou par tout autre mode de commande à distance (téléphone, e-mail, courrier...).

Interdiction du rabais de 5 % sur le prix des livres : la loi interdit l'application du rabais de 5 % sur le prix public fixé par l'éditeur lorsque le livre est expédié à l'acheteur. À l'inverse, si le livre est retiré « dans un commerce de vente au détail de livres », par exemple une librairie, le rabais de 5 % peut être appliqué.

Pour un libraire disposant d'un site de vente en ligne :

1 er cas : le client achète sur le site (ou via tout autre mode de commande à distance ou en librairie) et se fait livrer à domicile : le libraire ne peut pas offrir le rabais de 5 % ni directement ni de manière différée sur la carte de fidélité. Le livre doit être vendu au prix fixé par l'éditeur ;

2 ème cas : le livre est acheté ou réservé sur internet (ou via tout autre mode de commande à distance) et le client vient le retirer en librairie : le libraire peut faire bénéficier ce client du rabais de 5 %, directement ou en portant l'achat sur la carte de fidélité.

Interdiction de la gratuité des frais de port : en plus de l'encadrement du rabais, la loi interdit la gratuité des frais de port dès lors que le livre est expédié à l'acheteur.

Les deux mesures, interdiction du rabais et interdiction de la gratuité des frais de port, se cumulent . Si la loi indique que le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix de vente sur le tarif du service de livraison, elle précise que cette décote porte sur le tarif de livraison que ce détaillant établit lui-même. Par conséquent, le montant des frais de port peut être établi librement par le détaillant sans pouvoir toutefois être équivalent à zéro.

Source : Syndicat de la librairie française

4. Les limites de la loi de 2014

La loi de 2014 a rempli son objectif sur un point : l'impossibilité d'appliquer la décote de 5 % sur les ouvrages livrés à domicile joint à la non-gratuité des frais de port fait qu'un livre acquis ou retiré chez le détaillant est nécessairement moins onéreux qu'un livre commandé en ligne.

Cependant, cette loi a rapidement montré ses limites. Deux moyens ont été utilisés par les principales plateformes de vente en ligne (soit Amazon et la FNAC) pour tirer le meilleur parti de cette évolution législative intervenue en 2014 :

- la facturation à un centime (0,01 €) des frais de port, soit une quasi-gratuité ;

- l'usage généralisé de programmes de fidélité payants, comme Amazon Prime ou FNAC + qui, pour une somme relativement peu élevée, et au milieu d'autres avantages, offrent l'accès à la gratuité des frais de port.

Une mission d'évaluation de l'Assemblée nationale de 2018 menée par Yannick Kelogot et Michel Larive a permis d'établir un premier bilan de la loi du 8 juillet 2014 7 ( * ) .

Les auteurs du rapport indiquent ainsi que « Dès son adoption, la loi a été très vite raillée : quelle efficacité attribuer à une intervention législative interdisant la gratuité des frais de port qui conduit les grandes plateformes, dès le lendemain de la publication de la loi, à facturer ceux-ci à un centime d'euros ? Ce montant dérisoire a été vu comme une réponse cinglante faite au législateur . [...] Les libraires indépendants ne pouvant se permettre de facturer les frais de port à un centime d'euro, la distorsion de concurrence demeure entre grandes plateformes et détaillants. En outre, les consommateurs n'ont le plus souvent pas perçu de différence de prix après l'adoption de la loi - la suppression de la décote est invisible sur les sites internet -, tandis qu'une facturation des frais de port à "seulement" un centime d'euro peut donner l'impression à l'internaute, alors même que ce centime constitue une augmentation du prix, qu'il réalise "une bonne affaire" en raison d'un montant dérisoire, par définition bien moindre que le coût réel pour l'entreprise . »

« Le modèle de développement de l'entreprise Amazon a été dénoncé par nombre de libraires comme un modèle prédateur que la loi de 2014 n'est pas parvenue à contrer : la démarche de l'entreprise qui domine le marché consiste à accepter de perdre de l'argent sur le poste des frais de livraison, qu'elle ne répercute pas à ses clients, afin de gagner des parts de marché. Une fois la concurrence éliminée, il serait loisible à l'entreprise d'augmenter sensiblement ses prix. Et de fait, les rapports publiés par Amazon n'opposent aucune dénégation à ces accusations, bien au contraire. »

B. La réponse envisagée par l'article 1 er : fixer un tarif minimal de livraison

Le deuxième alinéa du présent article 1 er vise à modifier l'article 1 er de la loi du 10 août 1981, en remplaçant la phrase « Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu'il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit . », dont on a pu mesurer les limites et les contournements possibles, par un dispositif plus complexe.

Tout d'abord, il serait rappelé - ce qui ne modifie pas l'état actuel du droit -, que la livraison ne peut être offerte à titre gratuit.

En revanche, les modalités de prise en charge seraient précisées de manière beaucoup plus stricte. La livraison devrait être facturée « dans le respect d'un montant minimum », montant qui doit faire l'objet d'une tarification fixée par arrêté des ministres chargés de l'économie et de la culture, sur proposition de l'Autorité de régulations des communications électroniques et de la distribution de la presse (Arcep). Les éléments à prendre en compte dans cet arrêté seraient :

• les tarifs offerts par les opérateurs postaux sur le marché de la vente au détail de livres ;

• l'impératif de maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillant.

Le niveau minimum de tarification fixé devra donc concilier plusieurs impératifs. Compte tenu de la formulation, il devrait logiquement être établi en fonction du poids de l'envoi. L'objectif est clairement de rétablir une forme de concurrence plus équitable en ligne entre les grandes plateformes et les librairies. En établissant une tarification minimale , l'auteure de la proposition de loi estime que les plateformes perdront leur principal avantage concurrentiel, qui est la gratuité ou quasi-gratuité, soit un avantage que les libraires ne peuvent en aucun cas assumer économiquement .

Le Conseil d'État a consacré la majeure partie de son avis à ce sujet, qui pose deux questions distinctes : d'une part, son respect des principes du droit , et en particulier de la liberté du commerce et de l'industrie, d'autre part, son efficacité .

1. Une mesure justifiée par l'intérêt général ?

Sous réserve d'études complémentaires, le Conseil d'État « estime possible, en l'absence de jurisprudence sur la conformité à la Constitution de la loi du 10 août 1981, de regarder la mesure proposée comme ne portant pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen au regard des finalités d'intérêt général poursuivies ».

Le Conseil a donc mis en balance la liberté d'entreprendre avec d'autres principes d'égale importance, comme la préservation de la diversité culturelle. Les termes mêmes de l'avis rejoignent pleinement les préoccupations constantes l'auteure de la proposition de loi et méritent d'être intégralement cités :

- « l'angle de la résistance à l'uniformisation des contenus inhérente au modèle économique d'une grande plateforme et aux algorithmes qui régissent son fonctionnement » ;

- « le maintien de l'accès de tous les citoyens à la culture (y compris ceux qui n'ont pas aisément accès aux services en ligne) par le contact avec un libraire jouant son rôle d'éveil, de conseil et d'animateur de la vie culturelle dans sa zone d'implantation » ;

- « le soutien à l'économie locale dans les centres-bourgs où ce type de commerce se raréfie ».

Le Conseil rappelle cependant qu'une notification à la Commission européenne de ces dispositions sera le cas échéant nécessaire , comme cela avait été le cas au demeurant pour la loi de 2014 précitée.

2. Quelle efficacité ?

Le Conseil d'État suggère dans son avis à la commission de saisir l'Autorité de la concurrence au titre de l'article L. 462-1 du code du commerce afin de « mettre le législateur à même d'apprécier l'état du marché et l'impact sur tous les agents économiques d'une régulation des frais de port ». Une telle demande n'a cependant pu être formulée en raison du délai très réduit entre l'avis du Conseil et l'inscription de la présente proposition de loi à l'ordre du jour. Le Conseil souligne à ce propos l'intérêt de connaitre le poids relatif de la vente de livres en ligne chez les libraires indépendants. Il note également l'existence d'options alternatives, comme la répression des prix abusivement bas, ou bien la création d'un tarif postal propre à la livraison de livres, cette dernière solution représentant cependant une charge pour les finances publiques.

L'impact positif attendu suppose un phénomène de report des achats de la plateforme vers les librairies, effet qui dépend d'une équation à plusieurs inconnues.

On peut tout d'abord prendre pour acquis que les grandes plateformes de vente fixeront leurs frais de port au tarif minimal fixé par l'arrêté , vraisemblablement contraintes par la concurrence qui existent entre elles. Les frais offerts dans le cadre des programmes de fidélité devraient alors distinguer les envois d'ouvrages, facturés en sus, et les autres produits, qui demeureraient gratuits.

Il est alors possible de dégager deux grands scénarios :

Premier scénario, le libraire applique un tarif de livraison supérieur au prix plancher.

Ce tarif, fixé par arrêté, peut en effet s'établir à un niveau inférieur au seuil de rentabilité de l'envoi . Si par exemple le tarif minimal est de 2 € pour un ouvrage standard, et que le coût supporté par le libraire est de 6 €, il doit compenser par une diminution de sa marge sur le prix du livre. Il peut aussi préférer ne pas mettre en place la logistique complexe de l'achat en ligne, qui passe par la création d'un site internet - éventuellement en partenariat avec d'autres libraires - et une manipulation contraignante des ouvrages.

Ø Dans ce cas, l'achat en ligne reste plus intéressant, et la loi aura simplement contribué à améliorer les marges des grandes plateformes .

Ce scénario permet de mesurer l'importance du niveau du tarif minimal . Il doit être suffisamment faible pour ne pas décourager tout achat d'ouvrages en ligne, ce qui reviendrait à restreindre de manière disproportionnée l'accès à la culture, mais assez élevé pour le rendre attractif auprès des libraires, compte tenu des conditions tarifaires qu'ils seront en mesure de négocier avec les différents prestataires. Dans son avis, le Conseil d'État précise que ce tarif ne doit pas porter « une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre » et attire l'attention sur « le risque de désincitation à la recherche d'efficacité et d'atteinte à l'intérêt du consommateur que comporterait la fixation d'un tarif trop élevé », ce qui souligne la complexité de l'exercice pour l'Arcep et les ministres de l'économie et de la culture.

Second scénario, le libraire choisit d'appliquer le tarif minimal .

Un acheteur souhaite faire l'acquisition d'un ouvrage et n'est pas en mesure de se déplacer dans une librairie (la loi sur le prix unique rend en effet l'achat en librairie toujours plus intéressant que la commande en ligne).

Il consulte le site d'une plateforme en ligne . Actuellement, le site lui propose l'ouvrage au prix unique, plus un centime d'euro pour la livraison, gratuitement s'il est adhérent d'un programme de fidélité. Avec l'adoption de la proposition de loi, ce prix unique serait majoré d'un tarif minimal de livraison. À partir de là, l'acheteur dispose de deux options :

ü si le libraire s'est aligné sur ces frais minimum, il est en mesure d'offrir la même prestation pour le même prix : la concurrence s'exerce alors sur d'autres éléments (qualité de la relation, du site, délais de disponibilités). L'achat se fait en ligne au bénéfice du libraire ou de la plateforme, mais pour un prix identique. Il convient cependant de noter que le libraire pourra encore perdre sur la livraison, car il est peu probable que ses coûts réels soient identiques à ceux d'une grande plateforme . Ainsi, l'impact de la loi serait qu'il perdrait « moins », de même que la plateforme. Si l'on prend m'exemple précédent en fixant à 3 € le coût réel supporté par la plateforme, cette dernière ne perdrait plus qu'un euro avec un tarif minimal à deux euros, et le libraire 4 € au lieu de 6 €. Il existerait donc toujours un déséquilibre ;

ü l'acheteur préfère bénéficier d'un meilleur tarif, ou bien de conseils supplémentaires, et se déplace chez le libraire . Il renonce donc à l'achat en ligne au bénéfice du commerce de proximité.

Ø Il existe donc deux cas favorables au libraire et au rééquilibrage du marché du livre : l'acheteur privilégie pour commander en ligne le site du commerçant, qui offrira la même prestation au même prix, l'acheteur choisit finalement de se déplacer pour bénéficier d'un prix inférieur .

3. Élargir la logique économique et sociale

En première analyse, trois séries d'arguments plaident en faveur de cette mesure :

ü L'argument « écologique »

En rendant le transport d'ouvrages payant, le consommateur prendra conscience de l'impact sur l'environnement de livraisons successives pour de très petites quantités, comme il est incité à le faire en cas de gratuité . La non-gratuité des frais de port pourrait alors être assimilée à la fin de la gratuité pour les sacs en plastique, une mesure également « irritante » pour les consommateurs mais qui a fini par être comprise et par entrainer des évolutions des habitudes. Rien n'empêchera au demeurant l'arrêté d'afficher des tarifs dégressifs, voire nuls pour les grandes quantités ou les poids importants.

ü L'argument « économique »

Il repose, comme on vient de le voir, sur un ensemble d'hypothèses de reports d'achats au bénéfice des librairies indépendantes , en ligne ou directement sur place.

ü Enfin, un argument de « souveraineté nationale »

En établissant comme un standard la gratuité de la livraison, Amazon contraint les acteurs français et européens à s'aligner , alors même qu'ils ne disposent pas de la même surface financière et de la même capacité à perdre de l'argent sur les livraisons.

Par ailleurs, on peut légitimement s'interroger sur les « perdants » de la mesure, soit les consommateurs qui vont in fine , supporter un coût supplémentaire. En particulier, les territoires ruraux, qui bénéficient moins de l'accès aux librairies, pourraient en souffrir.

Cependant, selon les informations transmises au rapporteure, les clients établis dans des communes de moins de 2 000 habitants n'ont réalisé que 12 % de leurs achats en valeur sur Amazon , soit à peu près le niveau national moyen. Les habitants des territoires ruraux privilégient les libraires et les grandes surfaces, à parts égales (environ 20 % pour chacun). Dans le même sens, sur 100 euros dépensés par les résidents de petites villes (communes entre 2 000 et 20 000 habitants), 8 euros le sont sur Amazon , ce qui est inférieur à la moyenne nationale . Ces clients ne dépendent donc pas de ce site Internet pour se procurer des livres : ils ont bien davantage recours aux grandes surfaces culturelles ou alimentaires, aux librairies et à l'ensemble formé par la vente par correspondance, le courtage et les clubs de livres.

Le constat est identique, selon une étude de Kantar, si l'on regarde les catégories socio-professionnelles : les moins élevées (ouvriers, employés) recourent à Amazon pour 6 % de leurs dépenses de livres, contre plus de 20 % pour les cadres supérieurs et professions libérales.

On peut donc déduire de ces éléments, certes partiels, que l'achat de livres sur Amazon est surtout le fait de catégories aisées et urbaines , et moins de catégories défavorisées et rurales. La mesure envisagée dans la proposition de loi se ferait donc essentiellement ressentir auprès de personnes qui, en raison de leur aisance financière ou localisation géographique, sont les plus à même ou de la supporter sans trop de problèmes, ou, c'est ce qui est recherché, de se déplacer dans une librairie .

II. - Clarification de la distinction entre livres neufs et livres d'occasion pour la vente en ligne

Le 2° du présent article 1 er vise à permettre une réelle distinction dans le cas d'une vente en ligne entre les livres neufs , soumis aux dispositions relatives au prix unique, et les livres d'occasion . En effet, certains sites internet bénéficient de la confusion entretenue par le mode de présentation pour brouiller la perception de l'internaute, en ne faisant état que de manière très discrète, voire pas du tout, de la nature exacte de l'ouvrage vendu. De la sorte, un acheteur peut avoir l'impression de réaliser une « bonne affaire » sur un site en acquérant un livre à prix réduit, sans avoir conscience qu'il s'agit d'un produit de seconde main.

Pour mettre un terme à cette confusion, il est proposé de compléter l'article 1 er de la loi précitée du 10 août 1981. Des obligations seraient imposées à deux types d'acteurs, qui bien souvent se rejoignent comme dans le cas d'Amazon :

- ceux qui vendent simultanément des livres neufs et des livres d'occasion ;

- ceux qui mettent à disposition des infrastructures techniques permettant de telles ventes, soit les « places de marché » qui proposent la plupart du temps d'autres types de bien.

Ces acteurs auraient l'obligation « à tout moment et quel que soit le mode de consultation », de distinguer l'offre de livres neufs et l'offre de livres d'occasion.

Cet impératif est explicité de la manière suivante, afin que l'objectif soit clairement exprimé : « l'affichage du prix des livres ne doit pas laisser penser au public qu'un livre neuf peut être vendu à un prix différent de celui qui a été fixé par l'éditeur ou l'importateur ».

III. - Encadrement des soldes de livres

L'article 5 de la loi précitée de 1981 sur le prix unique offre aux détaillants une possibilité de vente de livres à des tarifs inférieurs au prix unique sur les ouvrages qui cumulent deux caractéristiques :

- être édités ou importés depuis plus de deux ans ;

- ne pas avoir été réapprovisionnés depuis plus de six mois.

Sous ces deux conditions, le détaillant peut procéder à des « soldes », sur les livres les plus anciens qui n'auraient pas connu le succès escompté.

Or il est apparu que certains éditeurs agissant comme « détaillant », procédaient à des soldes sur leurs propres ouvrages, en particulier dans le cas des ventes en ligne . Comme éditeur, ils disposent des ouvrages dans leurs stocks depuis l'origine, et peuvent donc être les premiers à jouer des facilités de l'article 5 précité. Dès lors, il est possible de voir apparaitre sur des sites des ouvrages « soldés » par les éditeurs, et toujours disponibles pour un tarif supérieur dans les librairies. Le 3° du présent article 1 er interdit en conséquence aux éditeurs de vendre à prix soldé les livres qu'ils ont eux-mêmes édité, dans leur activité de détaillant.

IV. - Pouvoir de contrôle

Les articles 8-1, 8-3 et 8-7 de la loi précitée de 1981 confient à des agents assermentés du ministère de la culture le soin de contrôler le respect des dispositions de ladite loi, soit les fonctionnaires des directions régionales des affaires culturelles (DRAC ).

Le 4° du présent article propose de transférer cette compétence aux agents du ministère de l'économie, dans le cas d'espèce, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il est en effet apparu que les agents des DRAC n'exerçaient cette fonction de police administrative qu'épisodiquement, ce qui nuisait à la clarté des contrôles et des procédures.

V. - La position de la commission

La commission a adopté un amendement COM-3 pour tenir compte de l'avis du Conseil d'État, qui estime à juste titre dans son avis que ne relève pas du domaine de la loi la mention des « sites internet ou de l'application mobile » dans le cas des ventes d'ouvrages en ligne.

La commission a adopté un amendement COM-4 pour viser les situations où l'éditeur exerce une activité de détaillant sans personnalité morale distincte pour cette activité. Il s'agit, dans ce cas, de limiter l'interdiction des soldes aux seuls livres édités par cet éditeur , en le laissant solder dans les mêmes conditions que n'importe quel autre détaillant les livres édités par des tiers qu'il est susceptible de vendre dans le cadre de cette activité.

La commission a adopté un amendement COM-5 pour prévoir une entrée en vigueur des dispositions relatives aux places de marché en ligne au bout de six mois après la promulgation de la loi.

La commission a adopté cet article ainsi modifié

Article 2

Possibilité pour les collectivités d'attribuer des subventions
aux petites librairies indépendantes

Cet article propose de donner aux collectivités ou à leurs groupements la faculté d'attribuer des subventions aux petites librairies indépendantes.

L'article L. 2251-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT), introduit par la loi du 13 juillet 1992, permet aux collectivités ou à leurs groupements d'attribuer une aide aux salles de cinéma qui réalisent moins de 7 500 entrées hebdomadaires.

Le présent article propose de prévoir une même possibilité pour les petites librairies indépendantes.

Les conditions pour bénéficier de cette aide seraient les suivantes :

• être un établissement dont l'activité est la vente de livres neufs au détail . Seraient donc exclues les entreprises spécialisées dans les ouvrages d'occasion ;

• être une entreprise considérée comme petite ou moyenne en application de l'annexe I au règlement UE n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014. Ces entreprises doivent occuper moins de 250 personnes, réaliser un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros et disposer d'un bilan annuel inférieur à 43 millions d'euros ;

• le capital de l'entreprise doit être détenu à hauteur de la moitié au moins par une personne physique, une PME au sens communautaire défini en supra ou ne pas être liée par un contrat de franchise à une autre entreprise.

Le montant de la subvention accordée ne peut dépasser 30 % du chiffre d'affaires annuel de l'année précédente, et doit faire l'objet d'une convention conclue entre l'établissement et la commune.

Le Conseil d'État a jugé que le principe de cette aide, au regard de la fragilité économique des librairies indépendantes, pouvait être regardé comme conforme aux principes constitutionnels de liberté du commerce et de l'industrie et d'égalité des citoyens devant la loi.

La commission a adopté un amendement COM-6 pour rendre compatible l'application de la mesure avec le statut des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy et dans les communes de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Conformément à l'avis du Conseil d'État, la commission a adopté un amendement COM-7 qui renvoie au pouvoir réglementaire la fixation du montant maximal de la subvention, par parallélisme avec le dispositif d'aider aux salles de cinéma. Toujours suite à l'avis du Conseil d'État, la commission a adopté un amendement COM-9 pour préciser que le régime d'aide doit être compatible avec l'article 53 du règlement UE du 17 juin 2014.

La commission a adopté un amendement COM-8 pour préciser que la convention peut être passée avec un groupement de communes, et un amendement COM-10 pour décaler l'application de la mesure à l'année suivant la promulgation de la loi, afin de coïncider avec le début de l'exercice budgétaire.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 3

Réforme et renforcement du contrat d'édition

Cet article propose une réforme du contrat d'édition entre auteurs et éditeurs, dans le domaine du livre et de la musique.

I. - Fluidifier les relations entre auteurs et éditeurs

Le présent article vise à transposer dans la loi certaines dispositions de l'accord interprofessionnel du 29 juin 2017 entre le Syndicat national de l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) qui vient encadrer certaines pratiques de l'édition. Le dernier accord sur le contrat d'édition à l'ère du numérique remontait à mars 2013 et avait été transposé dans le CPI par l'ordonnance du 12 novembre 2014.

A. Obligation de reddition des comptes en cas de cessation d'activité de l'éditeur

Le contrat d'édition est l'objet d'une section 1 spécifique du chapitre II du titre III du CPI.

Deux obligations ressortent plus particulièrement.

D'une part, l'article L. 132-13 dispose que « l'éditeur est tenu de rendre compte. » Il organise pour ce faire une reddition au minimum annuelle des comptes adressée à l'auteur afin de porter à sa connaissance le nombre d'exemplaires encore en stock ou vendus.

D'autre part, l'article L. 132-12 du CPI, prévoit que « l'éditeur est tenu d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession . » Le non-respect de cette disposition, par exemple constatée par l'absence de tout revenu tiré de l'oeuvre, ouvre aux deux parties la possibilité d'une résiliation du contrat.

L'article L. 132-15, pour sa part, s'intéresse aux difficultés économiques rencontrées par l'éditeur et à ses conséquences sur le contrat d'édition. Ainsi, le premier paragraphe de l'article vise la procédure de sauvegarde et le redressement judiciaire , le troisième paragraphe la cession de l'entreprise , les trois derniers la cessation d'activité . L'éditeur est tenu d'assurer la bonne exécution du contrat d'édition dans tous les cas, et l'auteur dispose de la faculté, si la cessation devient effective , de demander la résiliation et de récupérer à tarif préférentiel les exemplaires imprimés.

Cependant, dans le cas d'une cessation d'activité, l'obligation de reddition des comptes par l'éditeur n'est pas assurée . L'auteur se retrouve alors sans information sur les exemplaires restants et les ventes.

Le 1° du I du présent article permet de mieux assurer les droits des auteurs, en prévoyant, en cas de cessation d'activité faisant suite à une liquidation judiciaire ou un acte volontaire , la remise à l'auteur d'un état des comptes. Il doit comporter :

- le nombre d'exemplaires vendus depuis la dernière reddition ;

- le montant des droits dus à l'auteur ;

- le nombre d'exemplaires disponibles dans les différents circuits de distribution.

Deux modifications sont également apportées à l'article L. 132-15.

Actuellement, l'auteur a la faculté de demander la résiliation du contrat d'édition trois mois après la cessation d'activité de l'éditeur ou bien immédiatement en cas de liquidation. Les 6 ème et 7 ème alinéas du présent article 3 proposent :

- de porter le délai à six mois après la cessation d'activité ;

- de rendre la résiliation automatique à compter de cette échéance.

B. Deux modifications importantes et demandées par les auteurs et les éditeurs

Les 2° et 3° du I du présent article visent à apporter deux modifications, en apparence techniques, mais très significatives pour conforter les relations entre auteurs et éditeurs : la provision pour retour et la compensation intertitres.

1. Le contrôle de la « provision pour retour »

Le 2° du présent article 3 propose d'insérer un nouvel article L. 132-17-1-1 au CPI afin de clarifier le mécanisme propre à l'édition de la « provision pour retour ». Le contrat d'édition en déterminerait dorénavant le taux et l'assiette .

La provision pour retour

La constitution d'une provision pour retour permet à l'éditeur de ne verser des droits que sur les ouvrages effectivement achetés , et non pas simplement distribués dans le réseau des vendeurs . La provision permet de tenir compte de la possibilité pour un vendeur de livres de renvoyer, au bout d'un délai qui peut être long, les livres à l'éditeur.

Supposons qu'un éditeur affecte 100 livres dans les différents points de vente et que 40 lui sont remis au bout d'un certain temps. Il reste 60 ouvrages dans le réseau dont il est impossible de savoir s'ils sont à l'instant « t » sur les rayonnages ou vendus. Dès lors, il existe un « stock d'ouvrages », qui peut être écoulé ou renvoyé. L'auteur va donc percevoir ses droits sur 60 livres, moins une « provision sur retour » déterminée avec l'éditeur. Cette provision a bien entendu vocation à être intégralement payée à l'auteur si tous les ouvrages sont vendus. A contrario , l'auteur ne touchera pas de droit sur les ouvrages non vendus qui seront retournés à l'éditeur. La provision est donc valable jusqu'au retour ou à la ventes de l'ensemble des exemplaires.

Le nouvel article L. 132-17-1-1 constitue la transposition des termes de l'accord interprofessionnel précité du 29 juin 2017 .

Le contenu de l'accord interprofessionnel du 29 juin 2017
relatif aux provisions pour retour

Lorsque les parties conviennent du principe d'une provision pour retour, celui-ci est prévu au contrat d'édition . Dans ce cas, le contrat d'édition détermine le taux et l'assiette de la provision ou, à défaut, le principe de calcul du montant de la provision à venir.

La provision pour retour reflète la vie commerciale d'un ouvrage, telle qu'elle peut être anticipée par l'éditeur au regard de son secteur éditorial, de son catalogue ou de son marché de référence.

Le montant de la provision pour retour, portée au débit du compte du livre, et ses modalités de calcul sont clairement indiqués dans l'état des comptes adressé à l'auteur.

La provision ainsi constituée est intégralement reportée au crédit du compte de ce livre lors de la reddition de comptes suivante. Une nouvelle provision est, le cas échéant, constituée.

Aucune provision pour retour ne peut être constituée au-delà des trois premières redditions de comptes annuelles suivant la publication.

Une nouvelle provision pour retour d'un an peut toutefois être constituée en cas de remise en place significative à l'initiative de l'éditeur. Cette nouvelle provision ne porte que sur les exemplaires objets de la remise en place. Son montant et ses modalités de calcul sont clairement indiqués dans l'état des comptes.

Ces nouvelles dispositions concernent tous les contrats d'édition. Toutefois, afin de permettre aux éditeurs de régulariser la situation au regard des contrats signés avant l'accord, ces derniers disposent d'un délai maximum de trois ans, à compter de la signature du présent accord, pour se mettre en conformité.

Dans tous les cas, la constitution d'une provision pour retour :

- n'est qu'une possibilité , et en aucun cas une obligation. L'éditeur peut ne pas la proposer, ou l'auteur ne pas l'accepter dans le cadre du contrat d'édition ;

- une fois le principe accepté, le contrat doit prévoir « le taux et l'assiette [...] ou, à défaut, le principe de calcul du montant de la provision à venir ».

Dans le cadre de la reddition des comptes prévue à l'article L. 132-17-3 du CPI, il serait indiqué que l'éditeur est tenu de préciser le montant de la provision. Il en serait de même des conditions de sa constitution. Le 4° du présent article indique par ailleurs que les conditions de constitution de ces provisions doivent faire l'objet d'un accord entre organisations représentatives des auteurs et des éditeurs, accord qui peut être rendu obligatoire par le ministre en charge de la culture .

2. L'encadrement de la compensation intertitres

Il serait inséré un nouvel alinéa à l'article L. 132-17-3 afin d'interdire la compensation intertitres . Il s'agit là encore d'un point de l'accord du 29 juin 2017 précité.

La compensation intertitres

La pratique de la compensation intertitres n'est pas proscrite dans le contrat d'édition, mais souvent dénoncée par les auteurs. Elle fait l'objet d'une interdiction dans l'accord du 29 juin précité, qu'il est proposé par le présent article de porter au niveau législatif.

Son principe peut être illustré par un exemple.

Supposons qu'un auteur bénéficie d'un à valoir de 10 000 euros pour un ouvrage. Ses droits ne s'élèvent cependant qu'à 8 000 euros : l'à valoir n'est alors pas « compensé » par le produit des ventes. En l'absence de stipulations contraires, certains éditeurs ont alors puisé dans les droits de vente d'autres livres du même auteur, déjà sortis ou pas encore parus, pour « compenser » leur perte, en globalisant sur le compte de l'auteur l'ensemble des à valoir et des ventes.

Le nouveau septième alinéa du 1° du I de l'article L. 132-17-3 du CPI préciserait donc que les droits issus de l'exploitation d'une oeuvre ne peuvent pas être compensés entre plusieurs ouvrages d'un même auteur, sauf mention expresse et donc explicitement acceptée par l'auteur .

De la même manière que pour les provisions pour retour, les modalités de cette dérogation seraient fixées par un accord passé entre représentants des éditeurs et des auteurs en application de l'article L. 132-17-8 du CPI, accord qui peut être rendu obligatoire par arrêté du ministre en charge de la culture.

3. Faculté élargie d'étendre les accords interprofessionnels

L'article L. 132-17-8 du CPI offre la possibilité au ministre en charge de la culture d'étendre à l'ensemble des auteurs et des éditeurs un accord passé entre les organisations professionnelles .

Cette pratique, classique en droit de la propriété intellectuelle, est précisément encadrée dans son champ par les 1° à 9° du II de cet article L. 132-17-8 du CPI, qui mentionnent explicitement les domaines dans lesquels peut avoir lieu cette extension.

Par souci de cohérence, le 4° du I du présent article 3 propose de compléter cette énumération par la provision pour retour et les dérogations à l'interdiction d'exercer une compensation intertitres.

Les parties de l'accord interprofessionnel précité du 29 juin 2017 qui ne seraient pas incluses dans le code pourraient donc être étendues, de même que de futurs accords en la matière .

C. Édition d'oeuvres musicales

L'édition d'oeuvres musicales (partitions etc..) représente une catégorie spécifique, avec ses propres représentants, qui a jugé préférable de disposer de règles spécifiques.

La nécessité d'une discussion sur les termes des contrats d'édition dans le secteur des oeuvres musicales s'est fait jour dans le cadre du débat parlementaire autour du projet de loi Liberté création architecture et patrimoine (LCAP). Une mission avait été confiée à Isabelle Maréchal et Serge Kancel, inspecteurs généraux des affaires culturelles, qui avait conclu à la nécessité de mettre en place un « code des usages » . Une concertation approfondie a par la suite été menée avec les organisations professionnelles pour examiner toutes les facettes de ces relations contractuelles et tenir compte des particularités propres aux différents domaines de la création musicale .

Le code des usages et des bonnes pratiques de l'édition des oeuvres musicales a été finalement signé, pour la première fois dans ce secteur, par trois organisations professionnelles d'éditeurs et trois d'auteurs le 4 octobre 2017. Ce code tend à rapprocher l'édition d'oeuvres musicales du « droit commun » de l'édition. Il prévoit en particulier une obligation renforcée d'information des auteurs sur les conditions de leur rémunération et d'exploitation « permanente et suivie » des oeuvres.

Le 5° du I du présent article propose d'insérer une nouvelle sous-section 3 à la section 1 du chapitre II du livre I er de la première partie du CPI consacrée à l'édition d'oeuvres musicales . Le nouvel article L. 132-17-9 qui le compose prévoit la faculté d'étendre à l'ensemble des professionnels les dispositions de cet accord, sur le modèle de l'article L. 132-17-8 du CPI pour l'édition « traditionnelle ».

D. Entrée en application des dispositions du présent article

Les contrats d'édition conclus avant l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi devraient être mis en conformité au plus tard trois ans après la parution de l'arrêté d'extension de l'accord interprofessionnel prévu à l'article L. 132-17-8 (II du présent article 3), sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l'interdiction, sauf accord, de la compensation intertitres, qui entreraient en application dès la parution de l'arrêté (IV du présent article 3).

Les dispositions spécifiques relatives au montant de la provision pour retour doivent pour leur part être applicables dès l'exercice suivant la mise en conformité du contrat d'édition (III du présent article 3).

II. - La position de la commission : conforter juridiquement les relations entre auteurs et éditeurs

La commission a adopté 8 amendements de précision , notamment suite à l'avis du Conseil d'État .

Un amendement COM-11 permet de ne pas laisser subsister une ambiguïté sur l'identité de la personne qui doit recevoir les informations en cas de cessation d'activité de l'éditeur , qui doit être l'auteur et non pas le cessionnaire des droits.

L'article prévoit, en cas de cessation de l'activité de l'entreprise d'édition, une reddition des comptes plus exigeante que l'obligation de reddition périodique prévue pendant toute la durée du contrat, puisqu'elle impose à l'éditeur ou au liquidateur de faire apparaître dans l'état des comptes le nombre d'exemplaires disponibles non seulement dans le stock de l'éditeur mais également chez les distributeurs ainsi que dans les réseaux de vente au détail. Cette recherche d'une information exhaustive est légitime mais elle implique une connaissance exacte par l'éditeur ou le liquidateur des stocks des distributeurs et des détaillants sans pour autant qu'aucune obligation d'information ne soit énoncée à la charge de ceux-ci. L'amendement COM-12 propose ainsi de préciser que, selon le cas, l'éditeur ou le liquidateur fournit à l'auteur les informations qu'il a pu recueillir auprès des distributeurs et des détaillants sur le nombre d'exemplaires restant disponibles .

Les amendements COM-13 et COM-14 apportent des précisions sur la question des provisions pour retour et l'amendement COM-15 est rédactionnel.

À l'initiative de Laure Darcos, la commission a adopté un amendement COM-1 qui améliore la rédaction des dispositions relatives à l'édition musicale .

L'amendement COM-16 , pour sa part, prévoit une mise en oeuvre différée de six mois pour laisser aux acteurs le temps nécessaire pour s'organiser.

Enfin, l'amendement COM-17 rend possible l'adaptation de la loi à Wallis-et-Futuna.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4

Saisine du Médiateur du livre

Cet article propose de prévoir la faculté, pour les auteurs et leurs organismes de défense, de saisir le Médiateur du livre.

Le Médiateur du livre est chargé de la conciliation des litiges portant sur l'application de la législation relative au prix du livre . Il intervient également dans le règlement des différends portant sur l'activité éditoriale des éditeurs publics. En application de l'article 144 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, seuls sont en mesure de le saisir « tout détaillant, toute personne qui édite des livres, en diffuse ou en distribue auprès des détaillants, par toute organisation professionnelle ou syndicale concernée, par les prestataires techniques auxquels ces personnes recourent ou par le ministre intéressé ». Le Médiateur peut également s'autosaisir.

Le dernier rapport d'activité portant sur les années 2017-2018, remis au ministre en charge de la culture en février 2019, indique qu'aucune saisine au titre de la résolution de litiges n'a eu lieu de la part des éditeurs. Le Médiateur a sur la période été l'objet de 12 sollicitations, dont la moitié hors de son champ de compétence. Son action s'exerce donc essentiellement dans le domaine de la veille et de la réflexion sur l'évolution du secteur. À ce titre, il travaille ainsi sur l'interprétation de la loi dite « du prix unique du livre » ou sur les relations entre éditeurs publics et privés.

Le présent article propose d'étendre la faculté de saisine du Médiateur du livre aux « auteurs, ou toute organisation de défense des auteurs ».

Il s'agit d'une précision utile qui complète manifestement un « oubli » de la loi de 2014 .

La commission a adopté cet article sans modifications .

Article 5
Réforme du dépôt légal

Cet article propose de modifier le titre III du code du patrimoine, afin de moderniser et d'élargir le mécanisme du dépôt légal numérique .

I. - Le dépôt légal : une grande politique culturelle à adapter au monde numérique

Le dépôt légal constitue l'un des fondements les plus anciens et durable de la politique patrimoniale de notre pays.

Le dépôt légal vu par la bibliothèque nationale de France (BnF)

Au titre du dépôt légal, la BnF reçoit par dépôt légal des documents de toute nature édités, importés ou diffusés en France. Instauré en 1537 par François I er , le dépôt légal est régi par le Code du patrimoine. Il s'étend aux livres, périodiques, documents cartographiques, musique notée, documents graphiques et photographiques, mais aussi aux documents sonores, vidéogrammes, documents multimédias, et depuis 2006 aux sites web et aux documents dématérialisés : logiciels, bases de données. Au titre de l'exception handicap, la BnF est également l'organisme dépositaire des fichiers numériques des éditeurs qui sont mis à disposition d'organismes agréés pour la réalisation d'éditions adaptées aux publics handicapés .

Source : Bibliothèque nationale de France

À l'origine limité aux seuls écrits et à la seule Bibliothèque nationale de France, l'article L. 132-3 du code du patrimoine précise désormais que la responsabilité du dépôt légal incombe à trois organismes, chacun dans leur domaine de compétence : la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

Les dispositions actuelles qui régissent le dépôt légal numérique sont issues de la loi du 1 er août 2006 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (loi « DADVSI »). Il s'étend désormais aux sites web et à leur contenu, sous réserve qu'ils soient destinés au public dans son ensemble, ce qui écarte les correspondances privées et la partie privée des réseaux sociaux.

Depuis 2006, comme le souligne l'auteure de la proposition de loi, le monde numérique a évolué. De très nombreux contenus sont désormais uniquement accessibles via paiement ou sous clé d'accès .

La loi n'exclut pas de son champ les contenus protégés, qui devraient donc logiquement d'ores et déjà faire l'objet du dépôt légal. Elle prévoit même à l'article L. 132-2-1 que les restrictions ou codes d'accès ne peuvent s'opposer à la collecte. Cependant, elle ne permet juridiquement pas aux organismes collecteurs de remplir cette mission de manière rapide, sauf contacter directement chaque site . Cela limite très sensiblement leur efficacité et met en péril la préservation d'une mémoire nationale du numérique.

L'objet principal du présent article 5 est donc de fournir aux organismes les moyens légaux de collecter les contenus diffusés sur internet, en limitant le plus possible les contraintes qui pèsent sur les sites .

II. - Un dispositif complexe qui donne aux organismes les moyens juridiques d'exercer leur mission de collecte

L'article 5 propose un dispositif précis et complet, permettant de rendre le dépôt légal numérique compatible avec l'internet contemporain.

A. Champ et objectifs du dépôt légal

Actuellement, le a ) de l'article L. 131-1 du code du patrimoine définit la première mission du dépôt légal comme « La collecte et la conservation des documents mentionnés à l'article L. 131-2 [article qui définit l'ensemble des éléments faisant l'objet d'une protection au titre du dépôt légal] ». Le a) du 1° du présent article 5 propose d'en modifier le champ de la manière suivante :

- le terme « collecte » serait remplacé par celui de « recueil » ;

- l'objet du dépôt serait étendu aux « services », afin de tenir compte de la modification apportée à l'article L. 131-2 du même code par le 2° du présent article 5 ;

- la finalité de cette opération serait inscrite, « aux fins de constitution d'une mémoire nationale ».

B. Les contenus couverts

Le 2° du présent article 5 complète et précise le champ des types de contenus couverts par le dépôt légal. Il procède également à une clarification de la rédaction de l'article L. 131-2 du code du patrimoine.

Le nouvel article commence par rassembler sous l'unique vocable de « document » l'ensemble des contenus actuellement soumis au dépôt légal (premier alinéa), avant d'inscrire les concernant l'obligation du dépôt légal.

La rédaction actuelle opère en effet une distinction entre trois catégories de contenus soumis à cette obligation :

- « Les documents imprimés, graphiques, photographiques, sonores, audiovisuels, multimédias, quel que soit leur procédé technique de production, d'édition ou de diffusion » ;

- « les logiciels et base de données mis à disposition du public » ;

- « les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature faisant l'objet d'une communication au public par voie électronique . »

La nouvelle rédaction rassemble les deux premières catégories sous l'unique dénomination de « document au sens du présent titre ». Leur champ n'est pas modifié, de même que l'obligation de ne verser au dépôt légal les oeuvres cinématographiques qu'une fois le visa d'exploitation du CNC accordé.

La troisième catégorie serait pour sa part conservée, en utilisant par souci de clarté le terme de « document », précédemment défini, dans le cas où ils sont « communiqués au public depuis les services de communication au public par voie électronique . »

Le champ du dépôt légal serait complété en utilisant cette dernière notion de communication au public par voie électronique , à la fois pour définir le moyen de communication des « documents » (troisième catégorie), mais également les « services de communication au public par voie électronique » (4 ème alinéa de l'article L. 131-2 du code du patrimoine tel que proposé par le présent article) dans leur ensemble.

La communication au public par voie électronique constitue donc le réel apport du présent article au champ du dépôt légal .

La communication au public par voie électronique

Cette notion a été incluse à l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication par l'article 2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) et se définit de la manière suivante :

« On entend par communications électroniques les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique . »

« On entend par communication au public par voie électronique toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée . »

Il s'agit de la manière la plus large pour définir un service internet . La notion englobe l'ensemble des sites qui rendent publics des informations. Le champ du dépôt légal couvrirait dorénavant tous ces services, à la seule exception de ce qui relève d'échanges « au sein de communautés d'intérêt privées ».

Pour résumer , le dépôt légal comprendrait deux types de contenus :

• les « documents », quel que soit le format de leur diffusion (physique ou numérique) ;

• les « services de communication au public par voie électronique ».

C. Mise en cohérence des modalités de remise

Le 3° du présent article 5 met en cohérence les modalités de remise des contenus au titre du dépôt légal avec l'extension de son champ proposé au 2° du présent article.

L'article L. 132-1 du code du patrimoine prévoit que « le dépôt légal consiste en la remise du document à l'organisme dépositaire ou en son envoi en franchise postale, en un nombre limité d'exemplaires ». Cette définition ne concerne donc que la remise « physique » des documents.

Il est proposé de faire évoluer cette rédaction afin de prendre en compte les obligations actuelles - qui concernent déjà les fichiers numériques - et futures , avec les services de communication au public en ligne.

Ainsi, le dépôt légal consisterait toujours, pour la partie « physique », en la remise ou l'adressage par voie postale, mais également à « la transmission ou collecte par voie électronique ».

D. Coordinations

Le 4° du présent article effectue des coordinations au sein de l'article L. 132-1 du code précité. Ainsi, il est proposé de remplacer le terme de « collecte » par celui de « dépôt légal » au c ) et d ) de cet article.

Le réalise une précision rédactionnelle au premier alinéa de l'article L. 132-2.

Le du présent article supprime, pour les personnes qui produisent des documents cinématographiques, la mention sur la nature des supports sur lequel l'oeuvre est fixée.

Le 7° du présent article propose également une amélioration rédactionnelle permettant de tirer les conséquences de la modification des catégories de contenus couvertes par le dépôt légal.

E. Comment va se dérouler le dépôt ?

L'article L. 132-2-1 du code du patrimoine précise le cadre dans lequel les organismes dépositaires assurent auprès des détenteurs la collecte des contenus diffusés par voie électronique, et ce quelle que soit leur nature (écrits, images, sons...).

Le 8° du présent article tire les conséquences de l'extension du champ du dépôt légal aux services de communication au public par voie électronique .

Les opérations de collecte dans ce secteur sont par nature distinctes de celles en vigueur pour un dépôt physique. Actuellement, les dépositaires collectent directement , ou bien peuvent convenir de modalités spécifiques avec les producteurs de contenus. Cependant, comme on a pu le voir, et en dépit de dispositions législatives explicites, aucune obligation ne pèse réellement sur les sites internet .

Le dispositif proposé simplifie et élargit la procédure, en distinguant deux cas :

ü Premier cas : les services et documents sont « librement accessibles » en ligne .

Dans cette hypothèse, les dépositaires informent les personnes concernées de la collecte et procèdent directement à celle-ci . Il n'est plus possible de convenir de modalités spécifiques de remise. Le principe d'une information du site est maintenu.

ü Second cas : le contenu n'est pas librement accessible .

Dans ce cas, qui correspond par exemple à des contenus accessibles via un abonnement (dans le cas des journaux), les services de communication en ligne ont l'obligation de transmettre les documents par voie électronique. Cette disposition constitue la réelle novation du présent article . Dans son avis, le Conseil d'État note qu'elle n'est en soi pas différente de celle qui pèse sur les producteurs de contenu dans le monde « physique », ne nécessite que des déploiements techniques très limités, et ne constitue donc pas une charge disproportionnée pour les entreprises .

F. Limitation des droits d'auteur et des droits voisins

L'article L. 132-4 du code du patrimoine constitue une limitation aux droits exclusifs de l'auteur. Il y est en effet précisé qu'il ne peut s'opposer à la consultation des oeuvres dans un cadre de recherche scientifique, ou bien à une reproduction justifiée par les opérations de dépôt légal ou de recherche.

L'article L. 132-5 du code du patrimoine en constitue le pendant pour les détenteurs de droits voisins, à savoir les artistes-interprètes et les producteurs.

Le 9° du présent article tire les conséquences sur cette limitation aux droits d'auteur et aux droits voisins de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse . Comme son intitulé l'indique, cette loi, d'origine sénatoriale , a créé un nouveau droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse. Par cohérence, il est donc ici proposé que les éditeurs et les agences de presse ne puissent s'opposer aux opérations nécessaires à la recherche scientifique ou au dépôt légal.

G. Coopération technique

Le 10° du présent article 5 propose de compléter le chapitre II du titre III du livre I er du code du patrimoine par un nouvel article L. 132-7. Il permet de fixer le cadre de la coopération technique pour assurer dans de bonnes conditions le dépôt légal des contenus numériques.

Ainsi, de nouvelles obligations seraient fixées à plusieurs auteurs de contenus :

- qui éditent ou importent des documents imprimés, graphiques ou photographiques ( a de l'article L. 132-2) ;

- qui éditent, produisent ou importent des logiciels ou des bases de données ( c du même article) ;

- qui éditent ou, en l'absence d'éditeur, qui produisent ou qui commandent et qui importent des phonogrammes ( d du même article) ;

- qui produisent des documents cinématographiques et, en ce qui concerne les documents cinématographiques importés, qui les distribuent ( e de l'article) ;

- qui éditent ou, en l'absence d'éditeur, qui produisent ou qui commandent et importent des vidéogrammes autres que ceux qui sont mentionnés au paragraphe précédent sans faire l'objet par ailleurs d'une exploitation commerciale ( g du même article) ;

- qui éditent ou, en l'absence d'éditeur, qui produisent ou importent des documents multimédias ( h du même article).

Enfin, une dernière catégorie serait concernée, celle des contenus diffusés par les services en ligne non librement accessibles.

Dans tous ces cas, qui correspondent à des hypothèses où la collecte numérique ne peut être réalisée directement par le dépositaire - comme, par exemple, la partie librement accessible d'un site internet -, les personnes doivent adresser les éléments dans un format dépourvu de mesures de protection pour en permettre l'usage à des fins de consultation et de conservation.

La mise en place de cette disposition, nécessaire à la tenue d'un dépôt légal, est cependant porteuse de risques de piratage ou de divulgation de contenus non désirée par les ayants droit . Ainsi, il est prévu que les dépositaires concluent des accords portant sur les modalités de transmission et de conservation des documents déposés avec les organisations professionnelles concernées. À défaut d'un tel accord obtenu un an après la promulgation de la loi, les modalités seraient fixées par décret en Conseil d'État.

III. - Une proposition de réécriture plus simple

À l'initiative de Laure Darcos, la commission a adopté un amendement COM-2 qui réécrit en totalité l'article 5. Il fait suite à l'avis du Conseil d'État.

La haute juridiction partage pleinement les objectifs du présent article, qu'elle estime de nature à actualiser le dépôt légal numérique.

Le Conseil propose cependant une rédaction plus ramassée et simple pour le présent article 5, notant en particulier qu'il est inutile de réaffirmer une obligation de dépôt légal numérique déjà inscrite dans la loi, de même que d'établir une distinction finalement peu opérationnelle entre « recueil » et « collecte ».

Les principales évolutions opérées par la rédaction du Conseil d'État sont les suivantes.

L'obligation générale de dépôt des éléments numériques pour l'ensemble des personnes qui éditent ou importent des documents, hors les sites de communication au public en ligne, serait affinée . Cette rédaction a le mérite d'écarter toute difficulté d'interprétation relative à la territorialité du dépôt légal.

Territorialité du dépôt légal

Le champ du dépôt légal est actuellement défini à l'article R. 132-23 du code du patrimoine dans le cas de la BnF :

« Sont soumis au dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale de France :

1° Sauf s'ils sont édités par les services mentionnés à l'article R. 132-34 ou principalement consacrés aux programmes édités par ceux-ci, les services de communication au public en ligne au sens du IV de l'article 1 er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, enregistrés sous le nom de domaine.fr ou tout autre nom de domaine enregistré auprès du ou des organismes français chargés de la gestion de ces noms, enregistrés par une personne domiciliée en France ou produits sur le territoire français ;

2° Sauf s'ils sont diffusés par voie hertzienne terrestre ou s'ils mettent à la disposition du public les programmes des services mentionnés au 1° de l'article R. 132-34, les services de médias audiovisuels à la demande au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, établis en France au sens des articles 43-2 et 43-3 de cette même loi. »

Ainsi, seraient concernés par les obligations de dépôt légal :

ü tous les documents produits ou importés sur le territoire national et destinés au public (livres, films etc...), comme c'est déjà le cas, y compris sous format numérique ;

ü les contenus des services de communication au public en ligne établis en France . Il convient de relever que l'idée d'organiser au niveau national un dépôt légal systématique de l'ensemble du web mondial se heurte à d'évidentes limites techniques et juridiques. Comme le note le Conseil, les questions alors posées « dépassent le cadre de la présente proposition de loi ».

Concrètement, si le site (blog, petit site amateur) est protégé par un mot de passe, il ne pourra être collecté automatiquement par l'organisme dépositaire. Il incombera à l'éditeur de le déposer auprès de l'organisme dépositaire, dès lors que ses contenus entreront dans les critères de sélection fixés par voie réglementaire pour ce dépôt légal du web .

Si l'éditeur est informé de l'obligation de dépôt qui pèse sur lui en tant qu'éditeur de contenus numériques non librement accessibles, il doit prendre contact avec l'organisme dépositaire pour en assurer le dépôt. Ce dernier confirmera si les contenus entrent dans les critères de sélection et conviendra des modalités techniques de dépôt.

Si l'éditeur n'est pas informé de cette obligation, il appartiendra à l'organisme dépositaire, dans son rôle de veille , de le contacter pour solliciter le dépôt légal, dès lors que les contenus entrent dans les critères de sélection, et d'établir les modalités techniques de dépôt.

Le Conseil d'État suggère enfin plusieurs modifications de moindre ampleur, comme la possibilité de rendre obligatoires les accords passés avec les déposants pour assurer des modalités sécurisées de collecte, un délai de 18 mois étant laissé pour parvenir à ces accords.

IV. - La position de la commission

Même si le procédé est peu usuel, la commission apprécie l'initiative du Conseil d'État de proposer une rédaction plus claire, attendu que l'objectif de la proposition de loi, qui est de moderniser le dépôt légal et de l'adapter au monde numérique, est parfaitement respecté.

Dès lors, la commission, à l'initiative de Laure Darcos, a repris dans son intégralité la version du Conseil d'État, complétée afin de prévoir l'application du dépôt légal à l'outre-mer.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 6

Gage

Cet article met en place un « gage » pour assurer la recevabilité financière de la proposition de loi .

Le présent article constitue le « gage » au titre de l'article 40 de la Constitution, destiné à permettre la compensation par l'État des éventuelles conséquences financières pour les collectivités territoriales des mesures de la proposition de loi. Il est de tradition que le Gouvernement le lève au terme de la discussion en cas d'accord sur la proposition de loi.

La commission a adopté cet article sans modification.

*

* *

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 2 JUIN 2021

_______

M. Laurent Lafon, président . - Nous en venons à l'examen de la proposition de loi déposée par Mme Laure Darcos, visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs. Ce texte a fait l'objet d'un avis du Conseil d'État, sollicité par le président du Sénat, et d'une déclaration de procédure accélérée à l'initiative du Gouvernement.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - La proposition de loi propose une réforme d'ampleur des relations entre auteurs et éditeurs, et, plus largement, vise à adapter le monde de l'édition au monde contemporain.

Avant de débuter cette présentation, je précise que la proposition de loi est placée sous les meilleurs auspices. Le président du Sénat a saisi le Conseil d'État, ce qui a donné à Mme Laure Darcos l'opportunité à la fois grisante et épuisante de défendre son texte devant une assemblée générale que l'on imagine conquise.

Le Conseil d'État a rendu un avis extrêmement positif et très précieux, avec de nombreuses propositions d'amélioration de la rédaction, en particulier concernant l'article 5. Par ailleurs, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le texte, ce qui augure d'un heureux dénouement à l'Assemblée nationale.

Le principal objectif de la proposition de loi est d'adapter le monde du livre à l'ère numérique et de rééquilibrer les relations, toujours complexes, entre auteurs et éditeurs, en procédant à des réformes ciblées, très attendues par la profession. Je précise que nous avons organisé de nombreuses auditions et tables rondes, qui ont montré l'excellent accueil réservé à cette initiative.

L'article 1 er propose plusieurs adaptations destinées à assurer le respect de la loi du prix unique - la loi Lang de 1981. Afin d'établir les conditions d'une concurrence équitable entre libraires et plateformes en ligne, des frais de port minimum seront fixés par arrêté ; ainsi cessera l'avantage concurrentiel le plus évident d'Amazon, qui pèse également sur les autres distributeurs en ligne, contraints de s'aligner.

Cet article 1 er propose également de mieux distinguer, sur les sites, livres neufs et livres d'occasion. En effet, cette distinction n'apparaît pas toujours de manière satisfaisante et peut laisser à penser que les livres sont à des prix différents en fonction de l'endroit où ils sont vendus.

Les ventes directes réalisées par les éditeurs seront également régulées pour ne pas laisser subsister, là encore, une ambiguïté sur le prix unique. Enfin, toujours pour assurer le respect de la loi de 1981, le contrôle sera transféré des agents du ministère de la culture à ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), mieux armés pour y procéder.

L'article 2 donne aux collectivités la possibilité d'accorder une subvention pour les librairies indépendantes. Il s'agit d'une simple faculté, qui s'apparente au dispositif de la loi Sueur pour les cinémas.

L'article 3 transpose dans la loi des dispositions de l'accord interprofessionnel du 29 juin 2017 entre le Syndicat national de l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) qui vient encadrer certaines pratiques de l'édition. Le dernier accord sur le contrat d'édition à l'ère du numérique remontait à mars 2013. Pour l'essentiel, les modifications renforcent les droits des auteurs dans le cas d'une cessation d'activité de l'éditeur, ainsi qu'en encadrant les pratiques de la provision pour retour et de la compensation intertitre. Des dispositions spécifiques sont également créées pour l'édition musicale.

L'article 4 propose d'élargir la saisine du Médiateur du livre aux auteurs et à leurs représentants.

Enfin, l'article 5 adapte le dépôt légal à l'ère numérique. Les responsables de cette opération patrimoniale essentielle - la Bibliothèque nationale de France (BNF), le Centre du cinéma et de l'image animée (CNC) et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) - sont actuellement confrontés à des difficultés d'accès sur les parties d'Internet protégées par des mots de passe ou des protections spécifiques. L'article 5 actualise l'état du droit pour offrir les moyens juridiques et techniques de mener à bien cette mission.

Comme vous le constatez, ces dispositions embrassent un champ large, mais cohérent dans sa volonté d'adapter l'édition au monde contemporain.

Avant de conclure, il me revient de vous présenter le périmètre d'application de l'article 45 de la Constitution retenu pour ce texte. Ce périmètre pourrait comprendre : le cadre des relations contractuelles entre éditeurs et auteurs ; les conditions de concurrence dans le secteur du livre entre ventes en ligne et ventes dans les commerces ; la saisine du Médiateur du livre ; les conditions d'octroi d'une aide financière aux librairies indépendantes par les collectivités ; le dépôt légal.

Il en est ainsi décidé.

M. Laurent Lafon, président . - Je donne maintenant la parole à l'auteure de la proposition de loi, Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi . - Je ne pensais pas être aussi émue... C'est une aventure de plusieurs mois, voire de plusieurs années, sur le point d'aboutir. Les acteurs de ce milieu - un peu comme dans le cinéma - forment une chaîne, et celle-ci ne tient que si tous les acteurs sont solides et en bonne santé.

Je tiens à remercier les deux rapporteures, ainsi que monsieur le président du Sénat qui a permis cette saisine du Conseil d'État ; le moment, devant tous les conseillers du Conseil d'État, est assez impressionnant. Les échanges ont été très denses, notamment au sujet de l'article 5, pour lequel le Conseil d'État a proposé une nouvelle rédaction.

Certains parmi vous seront peut-être saisis par des auteurs concernant cette proposition de loi. Ce texte est le fruit d'un long travail d'équilibre et de négociation entre les acteurs ; aller plus loin serait actuellement très compliqué ; après le rapport de Bruno Racine, qui donnait des pistes sur la rémunération des auteurs, le ministère est en train de rouvrir les négociations avec le professeur Sirinelli. Il faut aller progressivement vers cette évolution et amener les éditeurs à faire des efforts par rapport à leurs auteurs ; le texte de la proposition de loi a - déjà - fait grincer quelques dents chez beaucoup d'éditeurs.

Concernant l'article 1 er , le traitement des marketplace ne fait pas débat. Les livres à l'état neuf et ceux d'occasion étaient présentés sur la même page de vente, avec des prix très différents, ce qui constituait un contournement de la loi Lang.

En ce qui concerne le débat sur les frais d'expédition, j'ai ajouté cette mesure en décembre dernier, avant de déposer la proposition de loi. J'avais été heureusement surprise par le fait que le Gouvernement ait remboursé tous les frais d'expédition des libraires. Les livraisons ont connu un bond incroyable chez les libraires, puisqu'elles représentent plus de 60 % de leurs chiffres d'affaires. Comme l'assure depuis des années le Syndicat de la librairie française (SLF), les libraires n'arrivent pas à développer les livraisons, car les services postaux ne leur permettent pas de bénéficier de tarifs préférentiels.

Concernant les livraisons, la Fnac est obligée de s'aligner sur Amazon, pour qui les frais de port constituent un produit d'appel. La Fnac et les autres fournisseurs sont contraints de s'aligner - soit 1 centime d'euro par livraison. Idéalement, ils aimeraient que les frais d'expédition soient les mêmes pour tout le monde.

Ma mesure, certes, n'est pas idéale, mais elle n'en reste pas moins utile. Contrairement à ce que l'on peut dire, les personnes dans les territoires reculés n'achètent pas majoritairement leurs livres sur Amazon ; elles vont plutôt à l'hypermarché du coin. Ce sont les urbains qui achètent leurs livres sur Amazon. Ma mesure pourrait donc avoir un double effet, en favorisant le retour des personnes dans les librairies.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques . - Je remercie Mme Laure Darcos d'avoir déposé cette proposition de loi sur l'économie du livre, qui soutient des acteurs incarnant l'exception culturelle française. Il est complexe, sachant les spécificités nombreuses du secteur, de modifier le cadre règlementaire et législatif ; de l'avis général, cette proposition de loi y parvient, en dépit d'une légère divergence que la commission des affaires économiques exprime concernant l'article 1 er .

Parmi les trois dispositions de l'article 1 er , la commission des affaires économiques s'est concentrée sur la fixation par arrêté d'un tarif plancher des frais d'expédition des livres. L'article part d'un constat que nous faisons tous : la vente en ligne de livres se développe rapidement ; elle atteint aujourd'hui environ 20 % du marché, soit 70 millions de livres par an, et peut représenter un danger pour la pérennité de nos librairies indépendantes.

Comment ces librairies peuvent-elles rivaliser lorsque les plateformes numériques facturent 1 centime d'euro leurs frais d'expédition ? Pour répondre à cette question de rééquilibrage de la concurrence, l'article 1 er propose au ministre de l'économie et à celui de la culture de fixer un tarif plancher. La commission des affaires économiques considère que cette mesure présente d'importants effets de bord qui conduiront, à l'inverse de l'objectif recherché, à renforcer encore la puissance des géants du numérique.

Le premier effet de bord concerne la hausse des prix. Pour un livre vendu 10 euros, la hausse pourrait atteindre 30 % avec un tarif plancher fixé à 3 euros. Je ne suis pas convaincue qu'une hausse des prix supportée uniquement par le consommateur soit un bon signal à envoyer et cela, d'autant que les lecteurs n'habitant pas à proximité d'une librairie ne pourront se rendre en libraire qu'en utilisant leur véhicule, c'est-à-dire en engageant des dépenses supplémentaires.

La commission ne souscrit pas à l'hypothèse de départ, selon laquelle les clients de ces plateformes les délaisseront pour se rendre soit dans une librairie physique, afin d'économiser les frais de livraison, soit sur le site Internet des librairies. Nous pensons que les nouveaux modes de consommation ne vont pas être modifiés par cette hausse des prix, car les consommateurs ne recherchent pas que la gratuité des frais de livraison sur ces plateformes de vente en ligne ; ils sont clients pour d'autres raisons, comme la profondeur de l'offre, la possibilité de réaliser des paniers mixtes, la rapidité de la livraison, les avis des autres consommateurs ou encore les choix proposés par algorithme.

Par ailleurs, les consommateurs qui se rendent sur ces plateformes appartiennent à des catégories plutôt aisées de la population, moins sensibles à la hausse des prix. Si le prix d'un livre passe de 15 à 18 euros, ces 3 euros de différence serviront uniquement à augmenter la puissance financière des géants du numérique. La proposition de loi permettra à ces plateformes, qui n'auront plus à supporter la quasi-gratuité des frais d'envoi et ne perdront pas de clients, de restaurer leurs marges. Si nous ne pouvons anticiper les innovations que cette hausse du chiffre d'affaires permettra de financer, nous pouvons assez facilement imaginer qu'elles ne seront pas une excellente nouvelle pour nos petits commerces.

Ces deux raisons - hausse massive des prix et enrichissement des plateformes sans effet positif pour les libraires - ont conduit notre commission à vous soumettre un amendement de suppression de cette mesure. Nous pensons préférable d'inciter les organisations professionnelles de libraires à négocier des tarifs préférentiels avec les opérateurs postaux. Il faut également encourager l'élaboration d'un cadre international empêchant l'optimisation réalisée par certains acteurs, à l'origine de distorsions de concurrence insupportables.

La discussion que nous aurons en séance la semaine prochaine sera donc l'occasion d'interroger madame la ministre de la culture sur ces difficultés pratiques. Nous nous réjouissons que le Président de la République ait indiqué vouloir avancer sur ce sujet, mais le Gouvernement doit maintenant dépasser le stade des déclarations et nous préciser clairement les modalités opérationnelles.

Nous souhaitions également redire notre attachement au maillage de nos territoires par un réseau de librairies indépendantes. Au-delà de l'aspect économique, il s'agit avant tout d'un enjeu social, qui touche à la diversité culturelle et à une certaine conception du livre en France.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Notre groupe soutiendra sans réserve la proposition de loi de Mme Laure Darcos. Ce texte arrive à point nommé. Cela fait dix ans - le 26 mai 2011 - que nous avions, à l'initiative de M. Jacques Legendre, adopté la loi sur le prix du livre numérique. Depuis cette date, aucun texte législatif n'était venu compléter l'arsenal. La crise sanitaire a mis en lumière certaines fragilités du secteur. Parmi tous les acteurs, j'ai une pensée particulière pour les auteurs et les éditeurs, car, avec l'annulation des différents salons du livre et des manifestations qui permettent habituellement d'exposer les nouveautés, ils sont dans une situation peut-être encore plus difficile que les libraires ; ces derniers reconnaissent d'ailleurs qu'ils ont été substantiellement accompagnés par l'État dans le cadre du plan de relance et aussi par les collectivités territoriales.

Je soutiens sans restriction la proposition concernant le prix unique des frais de port. Il faut que nous en finissions avec cette complaisance naïve à l'égard des plateformes qui ne paient pas d'impôts...

Mme Laure Darcos . - La Fnac en paie !

Mme Catherine Morin-Desailly . - L'enjeu est de préserver notre écosystème et notamment nos librairies ; le maillage sur le territoire perdure, car celles-ci sont fortement accompagnées par l'État et les collectivités. Il nous faut absolument corriger tout ce qui peut apparaître comme un désavantage concurrentiel.

Il s'agit de s'engager dans des politiques volontaristes, en faveur de l'accompagnement, de la modernisation des librairies et de la conception de plateformes de proximité permettant la distribution des livres. À l'époque, quand nous avions auditionné le président du SLF, Matthieu de Montchalin, il y avait un grand projet de plateforme nationale des libraires ; ce projet n'a pas prospéré, mais sans doute que ce type d'initiative est aujourd'hui envisageable localement, par bassin de vie.

Mme Sylvie Robert . - Je suis ravie qu'une proposition de loi s'attaquant à l'ensemble de la chaîne du livre - avec ma proposition de loi en complément - puisse être discutée dans notre hémicycle la semaine prochaine. Dans le contexte des 40 ans de la loi Lang, c'est l'occasion pour nous, parlementaires, de réaffirmer un certain nombre de points.

Notre groupe soutiendra sans réserve cette proposition de loi. Le passage par le Conseil d'État permet de sécuriser un texte complexe, et la procédure accélérée laisse augurer - je l'espère en tout cas - une issue favorable.

Concernant les librairies indépendantes, le rappel de la loi « Sueur » pour les cinémas est très intéressant pour les collectivités territoriales. Par ailleurs, avec l'article 3, l'actualisation du lien entre auteurs et éditeurs est une avancée importante, alors que les relations entre ces deux acteurs sont encore très sensibles et conflictuelles.

Au sujet de l'article 1 er , je rejoins les propos de Mme Catherine Morin-Desailly. Il faut ne plus se laisser dicter les règles par Amazon et toutes ces grandes plateformes. Il faut dire : non ! On peut imaginer des effets de bord, mais il s'agit d'abord d'une question politique. Si on laisse Amazon agir de la sorte, il ne faudra pas s'étonner, à l'avenir, que d'autres champs soient concernés. Le livre n'est pas un bien comme les autres ; c'est une affaire politique, de justice par rapport aux librairies.

C'est une affaire écologique, aussi : on peut commander un Que sais-je ? et se le faire livrer en 24 heures. Et nous examinerons bientôt le projet de loi sur le climat... Si nous voulons être cohérents, il faut arrêter de considérer qu'on peut se faire livrer un livre en 24 heures parce qu'un dimanche soir, on ne sait pas quoi faire et qu'on estime qu'il nous le faut pour le lendemain ! En fait, il ne nous le faut pas pour le lendemain et, justement, le lundi, on peut aller à la librairie d'à côté, où ce ne sera pas un algorithme, mais un libraire qui nous conseillera, et qui nous ouvrira peut-être à d'autres horizons que le livre que l'on cherchait.

Bref, c'est une affaire politique, et je suis assez étonnée qu'on puisse préjuger ainsi des usages. C'est pourquoi mon groupe adoptera sans réserve cette proposition de loi.

Mme Béatrice Gosselin . - Je voulais remercier l'auteure du texte pour le travail effectué. Je sais que c'est un sujet qui lui tient à coeur depuis plusieurs années. Le livre est important dans notre culture, depuis le plus jeune âge et jusqu'à l'extrême vieillesse. L'enfant a besoin dès le départ de baigner dans les livres. Je soutiens donc cette proposition de loi. La fixation d'un prix unique de distribution, à l'article 1, me paraît bienvenue. Ces rouleaux compresseurs commerciaux que sont les plateformes ne doivent pas occulter l'importance du travail du libraire, qui apporte en plus un conseil. Pour elles, le livre est un produit d'appel ! Les libraires doivent prouver eux-mêmes que leur travail essentiel et important dans notre société.

L'article 3 propose d'aider les auteurs. Ce soutien est primordial, quand l'activité commerciale fait défaut ou est en liquidation. Le travail du libraire et celui de l'auteur sont liés : c'est tout le système entier du livre, de l'auteur jusqu'au lecteur, en passant par l'éditeur et les libraires, qui doit fonctionner.

M. Pierre Ouzoulias . - J'aimerais revenir sur le fond. Ce que j'attendais de la commission des affaires économiques, c'est une analyse macroéconomique de la stratégie d'Amazon. À la commission de la culture, nous avons compris le combat que mène Amazon en perdant de l'argent sur le livre : il s'agit de mettre à bas le prix unique du livre ! Amazon considère que c'est à elle de fixer le prix des produits qu'elle vend. Elle déploie un lobbying effréné auprès des institutions européennes pour obtenir l'abandon de cette disposition. Ce que la commission de la culture défend, c'est notre souveraineté nationale : il n'est plus tolérable qu'une entité supranationale non étatique comme Amazon décide de la politique des États. Je souhaite à mon tour exprimer toute ma solidarité à notre collègue parlementaire pour la façon dont elle a été agressée par Amazon. C'est purement scandaleux qu'un groupe puisse traiter comme cela une parlementaire. Clairement, Amazon considère qu'elle fera ses affaires et que ce n'est ni le Sénat, ni encore moins une sénatrice, qui s'y opposera. Ce sont là des choses qu'on ne peut pas entendre. Pour avoir participé à la commission d'enquête sur la souveraineté numérique, je crois qu'il est temps que nous reprenions notre souveraineté sur ces questions : il s'agit de défendre la République. En défendant le prix unique, nous défendons l'exception culturelle française : tel est le coeur de notre combat. J'aurais aimé de la solidarité de la commission des affaires économiques sur ce point, parce que c'est un sujet capital. Il ne s'agit pas de ristournes ou de droits d'expédition, mais de défendre ce qui est notre spécificité culturelle. Le jour où elle disparaîtra, la France comptera moins en Europe et dans le monde.

M. Thomas Dossus . - Je salue le travail de Mme la rapporteure et celui de notre collègue Laure Darcos sur cette proposition de loi. Nous sommes tous d'accord pour dire que le tissu de libraires en France est exceptionnel et doit être préservé, d'autant que ceux-ci ont connu ces derniers mois un certain nombre de difficultés, avec les confinements et la difficulté que nous avons eue à les faire reconnaître comme commerces essentiels, sans parler de la concurrence directe et très dure des plateformes de vente en ligne.

On a bien vu, quand ils ont pu rouvrir, qu'une partie des Français - une partie seulement, ne tombons pas dans l'angélisme - restent attachés et fidèles à leur librairie de quartier. Ce texte reconnaît le rôle particulier des libraires dans nos villes et nos villages avec une mesure de régulation économique, qui est une mise à jour de la loi Lang, puisqu'elle vient garantir le prix unique du livre. Évidemment, la régulation économique n'est pas du goût de la commission des affaires économiques...

Pourtant, la concurrence des plateformes est très forte, et surtout cynique, comme le montre la manière dont elles ont contourné la gratuité des frais de port avec la livraison à 1 centime. L'autorégulation ne suffit pas toujours, et il faut parfois imposer quelques contraintes fermes, parfois à l'encontre des lois du marché.

Ce texte s'attaque concrètement à un problème de concurrence déloyale, et c'est une excellente chose. La saisine du Conseil d'État s'est avérée plutôt bénéfique, puisqu'elle renforcera la solidité juridique du texte. Les autres dispositions n'appellent pas forcément de remarques de ma part. La possibilité donnée aux communes ou aux EPCI d'accorder des subventions aux libraires en difficulté est de nature à conserver ce réseau dense. Nous sommes favorables à ce texte, et je me réjouis du consensus de notre commission sur la possibilité de faire parfois intervenir le législateur pour réguler l'économie.

M. Max Brisson . - Je n'ajouterai que quelques mots à ceux de Béatrice Gosselin. Outre l'auteure de la proposition de loi et la rapporteure, je tiens à saluer la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, qui ne passe pas un moment particulièrement agréable !

Cette initiative sénatoriale fera avancer l'économie du livre. D'autres initiatives aussi, comme l'adaptation du monde du livre au numérique, notamment pour le dépôt légal, ou la possibilité pour les collectivités de soutenir le maillage territorial des librairies. Quarante ans après la loi Lang, le respect du prix unique nous ramène au débat que nous avons. En l'état actuel des choses, chaque commission est aussi dans son rôle. Nous devons aussi entendre un certain nombre des arguments qui sont avancés par la commission des affaires économiques du Sénat. J'espère que le bon sens l'emportera. Pour l'ensemble des membres du groupe Les Républicains de la commission, la ligne constante est que l'économie du livre ne peut pas être soumise exclusivement aux règles du marché. Sinon, il n'y aurait plus depuis longtemps de réseau et de maillage de librairies dans nos territoires. Nous défendons cette exception culturelle, qui consiste à protéger et à défendre la proximité dans le maillage de l'accès à la culture. C'est le rôle du Sénat, aussi, que de défendre la présence dans les territoires des librairies, et de tous les lieux d'accès à la culture. Nous sommes donc solidaires de la proposition de loi, et du rapport.

M. Laurent Lafon, président . - Je salue à mon tour le travail de l'auteure du texte et de notre rapporteure. Ce sujet leur tient à coeur. La présidente de la BnF, Laurence Engel, nous avait dit qu'elle attendait cette proposition de loi, avec un enjeu important pour les archives. L'ensemble du texte est important. Sur l'article 1 er , je trouve également que la position de la commission des affaires économiques s'entend. Le principe posé est important, mais la mise en oeuvre est complexe, et nous n'avons pas la solution. Les questions posées par la commission des affaires économiques sont justifiées, et nous ne devons pas les occulter. Pour autant, il est extrêmement important que nous rappelions ce principe. Nous connaissons l'importance du prix unique pour la préservation de la chaîne du livre. Celle-ci a été attaquée à plusieurs reprises depuis 40 ans, par la vente en supermarché des livres, par le livre numérique, ou plus récemment par les plateformes. La résilience de la chaîne du livre a reposé sur cette notion de prix unique. Or les politiques tarifaires différenciées pour les livraisons sont une façon de contourner le prix unique. Pour nous, préserver ce secteur est comme un acte militant. Notre commission soutient donc ce texte - et Julien Bargeton, qui a dû s'absenter, vient de m'indiquer que son groupe la voterait, aussi.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis . - Ce n'est pas une surprise pour moi que la commission de la culture ne soit pas en accord sur ce sujet avec la commission des affaires économiques. Je me réjouis, dans un sens, que ce sujet soit transpartisan, puisque l'amendement de suppression que je vous proposerai a été voté à l'unanimité, sauf une abstention.

Il ne faut pas assimiler la question des tarifs d'envoi à celle de la fiscalité. Nous sommes tous d'accord pour dire que l'optimisation fiscale augmente la capacité financière des acteurs des plateformes, leur permet de proposer la quasi-gratuité des frais d'envoi, et que l'évitement de l'impôt, qui est organisé à une échelle internationale pour des montants considérables, vient à l'appui de cette stratégie commerciale agressive. Cette situation intolérable doit être combattue fermement au niveau international. Il y a eu de récentes avancées dans cette lutte contre l'optimisation fiscale, visant notamment à instaurer un taux minimum d'imposition. Il est urgent de taxer les profits là où ils se trouvent, et de parvenir au plus vite à un accord, au moins au niveau de l'Union européenne ou de l'OCDE.

Nous en sommes tous d'accord, mais la question des tarifs d'envoi est un peu différente. La position de la commission des affaires économiques n'est pas du tout une complaisance naïve vis-à-vis de ces grandes plateformes. Il s'agit plutôt d'éviter un cadeau de 100 millions d'euros à Amazon ! Je suis la première à soutenir nos libraires indépendants, notamment dans mes actes d'achat.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Laurent Lafon, président . - Nous commençons par examiner deux amendements en discussion commune : celui de Mme Berthet, l'amendement COM-18, qui correspond à l'avis de la commission des affaires économiques, et celui de notre rapporteure.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis . - Mon amendement supprime la fixation par arrêté ministériel d'un tarif plancher des frais d'envoi. Nous avons sur ce point une divergence principale. Selon nous, les consommateurs qui se rendent sur Amazon ne le font pas simplement parce que la plateforme propose la quasi-gratuité des frais de port ; ils le font également en raison des autres services et atouts. Nous pensons donc que, même si le prix du livre est supérieur à deux euros, les lecteurs resteront chez Amazon, ou renonceront à leur achat. En dehors de quelques acheteurs, nous pensons que cette mesure n'apportera pas de nouveaux clients aux libraires - mais qu'elle entraînera une hausse de la marge des grandes plateformes. Ce lien est d'autant plus mécanique que les achats sur Amazon sont plutôt le fait de clients aisés et urbains, qui accepteront de payer deux euros de plus, somme qui profitera directement à ces grandes plateformes. Selon nous, il y aura donc une hausse des prix, une augmentation de la puissance d'Amazon, et cela risque de pénaliser les lecteurs qui ne vivent pas à proximité immédiate d'une librairie, qu'ils soient ruraux ou urbains. En zone rurale, peu de lecteurs achètent sur Amazon : ils passent surtout par les grandes surfaces. Mais justement, les 12 % qui passent sur Amazon vont soit continuer d'acheter sur Amazon, à un prix plus élevé, soit renoncer à Amazon pour aller en grande surface. Dans tous les cas, les libraires n'auront vraisemblablement pas gagné de clients.

La commission des affaires économiques partage entièrement l'objectif de lutter contre les distorsions de concurrence entre acteurs du commerce. Nous pensons simplement que le moyen ici proposé présente plus d'effets de bord qu'il n'apporte de bénéfices. D'où cet amendement de suppression. La séance publique sera l'occasion d'interroger la ministre et de savoir enfin, au-delà des déclarations d'intentions du Gouvernement, quelles modalités concrètes il souhaite proposer au Parlement.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - Je n'ai pas pris la parole après la discussion générale, parce que j'ai entendu tous vos arguments et que je me suis réjouie du fait qu'ils étaient tous unanimement partagés, notamment par l'auteure de la proposition de loi et la rapporteure que je suis. Mais je vais évidemment répondre à cette demande de suppression de la première partie de l'article 1 er . Je rends hommage au travail de la rapporteure pour avis, et j'ai été ravie de mener ces auditions avec elle. Cette divergence de fond a été discutée entre nous de manière constructive, et elle n'altère en rien l'idée que nous avons tous de réduire la distorsion de concurrence entre les différents acteurs économiques. Je vais donc répondre en allant plus loin dans les arguments, pour que vous les ayez vraiment en tête.

La disposition de l'article 1 er relative aux frais de port est très certainement celle qui fait le plus débat dans cette proposition de loi, comme en témoignent nos échanges. J'étais personnellement sceptique, à l'origine, et partageais quasiment la position de la commission des affaires économiques. Cependant, je n'ai pas peur d'avouer que mon avis a évolué.

Quel impact positif en attendre pour les libraires, qui sont au coeur de la proposition de loi ? Qui supporterait le coût final de l'entrée en vigueur de cette mesure, dont le premier effet est incontestablement d'augmenter les prix ? Le chiffre de 100 millions d'euros, avancé pour chiffrer ce que gagnerait Amazon, ne me convainc pas. Le modèle économique d'Amazon fait du livre un produit d'appel, mais il pourrait bien répercuter le prix des livraisons sur le consommateur. Enfin, comment la création de frais de port peut-elle s'insérer dans la problématique plus large du développement durable et de notre souveraineté économique et culturelle ?

Un impact positif pour les librairies est possible, mais encore incertain, et dépendant de plusieurs facteurs. Comme vous le savez, depuis la loi dite Lang du 10 août 1981, la France vit sous le régime du prix unique du livre. Il s'agit là d'un facteur essentiel de préservation d'un tissu dense de libraires sur notre territoire. Aujourd'hui, seule une promotion de 5 % est possible, et uniquement pour l'achat ou le retrait en magasin.

L'arrivée de grandes plateformes, au premier rang desquelles Amazon, a bouleversé cet équilibre. En proposant une livraison gratuite, ou quasi gratuite, pour contourner la loi de 2014, le géant américain a établi un nouveau standard. Pourquoi sur le seul livre ? Précisément à cause de la loi sur le prix unique : pour les plateformes, il s'agit du seul outil de différenciation, un livre étant identique et de même prix quel que soit l'endroit où il a été acquis.

Aujourd'hui, même si la part de la vente en ligne reste contenue autour de 20 % du total, les libraires estiment subir une concurrence déloyale, et les autres réseaux, comme la Fnac, subir des pertes, car ils sont contraints de s'aligner sur cette pratique - nous avons même entendu parler de distorsion de concurrence, et de dumping, ce qui sont des mots forts... Amazon a en effet construit un outil logistique extrêmement performant, qui mêle ses propres moyens avec des contrats très avantageux passés avec La Poste, Geodis, et d'autres distributeurs. Si l'on ne dispose pas des chiffres de l'entreprise, on suppose qu'Amazon perd de l'argent sur chaque livraison gratuite, mais en gagne grâce aux volumes et aux ventes sur les autres produits.

La proposition de loi vise à fixer un tarif minimum pour les livraisons de livres. Il serait donc mis fin au « zéro euro » de l'abonnement au programme de fidélité, ou au « 1 centime » si vous n'en disposez pas. L'objectif est de ramener les clients vers les libraires, d'une part, et de permettre à ces derniers de proposer la livraison en réduisant le différentiel par rapport à Amazon, d'autre part. L'entreprise américaine ne pourrait plus mettre en avant la livraison gratuite.

Comment cela peut-il s'organiser ? On peut tout d'abord prendre pour acquis que les grandes plateformes de vente fixeront leurs frais de port au tarif minimal de l'arrêté. Il est alors possible de dégager deux grands scénarii. Premier scénario, le libraire ne s'aligne pas sur ce tarif minimum. Ce tarif peut en effet s'établir à un niveau inférieur au seuil de rentabilité de l'envoi. Si par exemple le tarif minimal est de deux euros pour un ouvrage standard, et que le coût supporté par le libraire est de six euros, il doit compenser par une diminution de sa marge sur le prix du livre. Il peut aussi préférer ne pas mettre en place la logistique complexe de l'achat en ligne, qui passe par la création d'un site internet - éventuellement en partenariat avec d'autres libraires - et une manipulation contraignante des ouvrages. Dans ce cas, la loi aura simplement contribué à améliorer les marges des grandes plateformes.

Second scénario, le libraire choisit de s'aligner sur tarif minimal. Dans ce cas, si un acheteur souhaite faire l'acquisition d'un ouvrage et n'est pas en mesure de se déplacer dans une librairie, il consulte le site d'une plateforme en ligne ou d'un libraire. Le prix unique serait majoré du tarif minimal de livraison. À partir de là, l'acheteur dispose de deux options. Première option, l'acheteur choisit de commander en ligne. Le libraire est en mesure d'offrir la même prestation pour le même prix : la concurrence s'exerce alors sur d'autres éléments, comme la qualité de la relation, du site, ou les délais de disponibilités. Il convient cependant de noter que le libraire pourra encore perdre sur la livraison, car il est peu probable que ses coûts réels soient identiques à ceux d'une grande plateforme. Seconde option : l'acheteur préfère bénéficier d'un meilleur tarif, ou bien de conseils supplémentaires, et se déplace chez le libraire. Il renonce donc à l'achat en ligne au bénéfice du commerce de proximité.

Il existe donc deux cas favorables au libraire et au rééquilibrage du marché du livre : l'acheteur privilégie pour commander en ligne le site du commerçant, qui offrira la même prestation au même prix, ou l'acheteur choisit finalement de se déplacer pour bénéficier d'un prix inférieur. À l'heure actuelle, il est très difficile de prévoir l'effet bénéfique ou neutre de cette mesure, je ne vous le cache pas mes chers collègues. Le délai d'inscription de la proposition de loi n'a pas permis de saisir l'Autorité de la concurrence, qui s'est montrée par ailleurs un peu sceptique dans sa réponse écrite. Cependant, l'argument de l'efficacité peut être affiné avec un deuxième point : cette mesure va-t-elle pénaliser les territoires ruraux ?

On pourrait le penser. Pour les personnes les plus éloignées des librairies, la livraison gratuite ou quasi gratuite constitue une manière d'accéder à moindre frais à la culture. Cependant, les clients établis dans des communes de moins de 2 000 habitants n'ont réalisé que 12 % de leurs achats en valeur sur Amazon, soit à peu près le niveau national moyen. En réalité, les habitants des territoires ruraux passent par les libraires et les grandes surfaces, à parts égales - environ 20 % pour chacun. Dans le même sens, sur 100 euros dépensés par les résidents de petites villes - communes entre 2 000 et 20 000 habitants - 8 euros le sont sur Amazon, ce qui est inférieur à la moyenne nationale. Ces clients ne dépendent donc pas de ce site Internet pour se procurer des livres : ils ont bien davantage recours aux grandes surfaces culturelles ou alimentaires, aux librairies et à l'ensemble formé par la vente par correspondance, le courtage et les clubs de livres.

Le constat est identique si l'on regarde les catégories socioprofessionnelles : les moins élevées - ouvriers, employés - recourent à Amazon pour 6 % de leurs dépenses de livres, contre plus de 20 % pour les cadres supérieurs et professions libérales.

On peut donc déduire de ces éléments, certes partiels, que l'achat de livres sur Amazon est surtout le fait de catégories aisées et urbaines, et moins de catégories défavorisées et rurales. Certes, ces dernières sont concernées, mais proportionnellement moins. La mesure envisagée dans la proposition de loi se ferait donc essentiellement ressentir auprès de personnes qui, en raison de leur aisance financière ou localisation géographique, sont les plus à même ou de la supporter sans trop de problèmes, ou, et c'est ce qui est recherché, de se déplacer dans une librairie.

Pour autant, j'entends également les arguments contraires, qui soulignent, à raison, que ce nouveau système pourrait s'avérer in fine favorable aux grandes plateformes, en limitant leurs pertes sur l'envoi d'ouvrages, et qu'en plus de tarifs avantageux, les consommateurs bénéficient également gratuitement de délais de livraison très réduits, parfois même dans la journée. Les libraires ne seront vraisemblablement pas en mesure de proposer un service équivalent. J'entends ces arguments et, pour partie, je les partage. Il faut cependant remarquer qu'Amazon, en particulier, reste opposé à cette disposition, ce qui signifie qu'ils ne doivent pas en attendre trop de bénéfices... Mais des doutes peuvent exister sur la fin d'un service apprécié car gratuit et efficace.

D'où mon troisième et dernier point : comment comprendre cette mesure dans le cadre plus large de nos politiques en faveur de l'environnement et de la souveraineté nationale ? Nous allons bientôt discuter du projet de loi climat...

Je note tout d'abord que la question de la gratuité des frais de port fait débat. Par exemple, nos collègues de la commission du développement durable, Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau, ont récemment publié un rapport consacré au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, une question qui nous préoccupe tous. Leurs propositions n os 35, 36 et 37 demandent l'interdiction de l'affichage de la mention « livraison gratuite » sur les sites de vente en ligne et la publicité portant sur la livraison gratuite, l'information du consommateur sur le coût réel de sa livraison, dans une logique de vérité de prix, et l'affichage du bilan carbone des solutions de livraison. Il y a donc un problème clairement identifié lié au coût social et écologique de livraisons gratuites qui sont en réalité incitatives à la surconsommation.

En rendant le transport d'ouvrages payant, le consommateur prendrait conscience de l'impact sur l'environnement de livraisons successives pour de très petites quantités. La non-gratuité des frais de port pourrait alors être assimilée à la fin de la gratuité pour les sacs en plastique, une mesure également irritante pour les consommateurs, mais qui a fini par être comprise et par entraîner des évolutions des habitudes. Rien n'empêchera au demeurant l'arrêté d'afficher des tarifs dégressifs, voire nuls pour les grandes quantités ou les poids importants.

Enfin, j'ajoute un dernier argument, celui de notre souveraineté économique et culturelle. En établissant comme un standard la gratuité de la livraison, Amazon contraint les acteurs français et européens à s'aligner, alors même qu'ils ne disposent pas de la même surface financière et de la même capacité à perdre de l'argent sur les livraisons, encore qu'il s'en soit défendu durant l'audition. Cela constitue indéniablement une manière de casser le marché. Jusqu'à présent, il faut admettre que les libraires et grandes enseignes nationales ont bien résisté. Pour combien de temps ? La pandémie a initié de très nombreuses personnes aux délices de la livraison gratuite...

Pour résumer mon argumentation - pardon d'avoir été un peu longue, mais le sujet le méritait - l'impact sur les librairies n'est pas encore démontré, mais pourrait s'avérer positif grâce au changement de comportement du consommateur ; les frais de port seront essentiellement supportés par des personnes qui ont ou les moyens financiers de les supporter, ou pourront se déplacer ; la mesure est respectueuse des objectifs de lutte contre le réchauffement climatique et s'inscrit dans une politique que nous soutenons de reconquête de notre souveraineté économique et culturelle.

Voilà la réflexion que je vous soumets, et qui, à mon sens, plaide pour adopter en l'état la disposition de l'article 1 er relative aux frais de port. Je vous propose donc un avis défavorable à l'amendement de suppression de la commission des affaires économiques.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Merci pour cet argumentaire extrêmement solide, qui démontre le bien-fondé de la proposition de notre collègue Laure Darcos. Nous suivrons l'avis défavorable à cet amendement de notre collègue rapporteure de la commission des affaires économiques. Je m'excuse auprès de cette dernière si j'ai pu la froisser en employant les termes de « complaisance naïve »... Je pensais plus généralement à nos gouvernants qui, ces vingt dernières années, n'ont pas su prendre les mesures qui font qu'aujourd'hui les plateformes sont devenues des mastodontes, des monstres, qui avalent tout sur leur passage. Comme on n'a jamais voulu réguler ni légiférer quoi que ce soit, on voit bien l'état dans lequel nous nous trouvons : en perte de souveraineté économique.

Si nous n'avions pas été quelques-uns - avec les associations, les sociétés de droits d'auteur, etc. - à être extrêmement militants ces quinze dernières années, nous n'aurions jamais eu le prix unique du livre numérique, ni les directives sur les droits d'auteur et les droits voisins. La mobilisation des sociétés d'auteurs au niveau européen, celle de notre commission et de notre collègue David Assouline ont été déterminantes. C'est cela qui a fait gagner du terrain, bon an mal an, à défaut d'une régulation qui est en train de se construire à Bruxelles.

Vous avez évoqué les questions de fiscalité. Cela fait presque vingt ans qu'on en parle. C'est un chantier qui n'avance pas de manière fulgurante, même si notre ministre Bruno Le Maire s'y consacre. Pendant ce temps-là, les plateformes continuent à s'enrichir de façon monstrueuse, et donc à pouvoir développer toujours plus de services, toujours plus au détriment des autres acteurs, qui souffrent d'un désavantage concurrentiel notoire. Ce déséquilibre mènera à la disparition potentielle d'un modèle de société, voire de civilisation, j'ose le dire !

Nous aurons à débattre de ces sujets dans le cadre de la loi climat et résilience. La taille des entrepôts pose aussi une vraie question, dans l'équilibre entre le commerce de proximité, le maintien de la vie dans nos villages et centres-bourgs... Je ne suis pas pour un modèle régressif : il faut s'inscrire dans une forme de modernité et favoriser le commerce électronique à distance. Mais il y a tout de même des règles à établir pour maintenir des convictions, des valeurs et des modes organisationnels auxquels nous sommes extrêmement attachés. Cet acte militant, comme l'a dit le président, est essentiel pour envoyer des signaux extrêmement fors vers ces acteurs.

Mme Laure Darcos . - Vous avancez la somme de 100 millions d'euros de moindre perte pour Amazon. Pour les avoir affrontés depuis une vingtaine d'années, je sais qu'ils ne donnent jamais de chiffres. On ne peut donc pas calculer avec précision ce montant. D'ailleurs, s'ils y gagnaient 100 millions d'euros, pourquoi seraient-ils contre cette mesure ? Lorsque nous avons entendu leurs représentants, ils nous ont lâché avec condescendance que les libraires devaient rester des petites boutiques et que le e-commerce était leur apanage. Ils nous ont aussi expliqué qu'ils hébergeaient de petits libraires - mais eux, ils les taxent pour frais d'expédition ! Ce n'est que pour leur propre plateforme qu'ils font l'expédition à 1 centime d'euro, non tant pour contourner la loi, puisqu'en effet ils appliquent le prix unique du livre, mais en vendant à perte, du coup. La plateforme meslibraires.com , à l'époque de Matthieu de Montchalin, balbutiait. Mais dans le plan de relance, 10 à 12 millions d'euros sont prévus, via le Centre national du livre, pour moderniser les plateformes de commandes de nos libraires. Si l'on part du principe qu'Amazon fait tout, mieux vaudrait plier bagage et consacrer ces 12 millions d'euros à autre chose. Bien sûr, on ne sait pas si cette mesure va avoir un impact. Mais nous devons tendre la perche à ces libraires, pas les plus petits, bien évidemment, mais ceux qui auront la chance de se mutualiser et de moderniser leurs plateformes de vente à distance, pour qu'ils puissent au moins essayer, quitte à faire le bilan ultérieurement.

Mme Sonia de La Provôté . - Ce qui se joue là, c'est l'exception culturelle française et la question de la diversité culturelle. Le monopole de l'offre culturelle ne doit pas appartenir à des structures qui, en l'occurrence, ne sont même pas des acteurs culturels, mais des acteurs de livraison et de commerce. Même si l'impact est incertain, c'est toujours cela de pris, pour la défense de la diversité des acteurs, des oeuvres, des auteurs, des éditeurs, de la distribution et du réseau des libraires.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - Amazon jouit d'une certaine aura auprès de nombreux publics : il ne s'agissait pas d'entrer en croisade contre eux. Catherine Morin-Desailly a raison. À New York, par exemple, il y avait 350 librairies dans les années 1950 ; il n'y en a plus que 70, parce qu'Amazon a tout dévoré. Il faut sortir d'une logique économique quand on traite de cette question, et c'est bien l'ADN du Sénat et de la commission de la culture de le faire. D'ailleurs, le Conseil d'État ne s'y est pas trompé puisqu'il a mis en perspective la liberté de commerce, inscrite dans la Constitution, avec d'autres questions tout aussi importantes, comme la diversité culturelle.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis . - Le chiffre de 100 millions d'euros avancé par la commission des affaires économiques résulte d'un calcul très simple. On sait qu'Amazon vend 40 millions de livres par an. Des frais de 2,5 euros aboutiraient donc à 100 millions d'euros supplémentaires.

Vous dites que le plan de relance favorisera la création de plateformes par les libraires indépendants. C'est justement la voie qu'il faut absolument suivre, pour que ceux-ci jouent à armes égales avec les plateformes. Je comprends qu'il y aurait un tarif dégressif en fonction du nombre de livres envoyés. Si l'on ne retient pas le prix réel d'expédition, qui prend en charge la différence ?

L'amendement COM-18 n'est pas adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - Les dispositions prévoyant d'une part la mise en place d'un tarif plancher pour la livraison de livres à domicile, et d'autre part la clarification de la distinction entre livres neufs et livres d'occasion dans la vente en ligne, nécessitent une entrée en vigueur différée dans le temps afin de permettre aux acteurs professionnels concernés de se préparer aux obligations nouvelles. Mon amendement COM-5 organise ce report, en prévoyant que les nouvelles dispositions soient applicables six mois après la publication des textes réglementaires nécessaires.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - Les précisions que mon amendement COM-3 propose de supprimer ne relèvent pas du domaine de la loi et doivent donc être traitées dans le décret d'application prévu au même alinéa.

L'amendement COM-3 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - La disposition introduite par la proposition de loi vise à empêcher le contournement de la loi par un éditeur qui, sans modifier le prix qu'il a fixé, procède à des ventes directes comme détaillant à des prix cassés. Mon amendement COM-4 vise les situations où l'éditeur exerce une activité de détaillant sans personnalité morale distincte pour cette activité. Il s'agit, dans ce cas, de limiter l'interdiction des soldes aux seuls livres édités par cet éditeur, en le laissant solder dans les mêmes conditions que n'importe quel autre détaillant les livres édités par des tiers qu'il est susceptible de vendre dans le cadre de cette activité. Il convient de noter que les éditeurs qui possèdent des librairies généralistes, établissements dotés d'une personnalité morale, conservent bien la possibilité d'y pratiquer des soldes sur l'ensemble des ouvrages qu'ils vendent.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - L'amendement COM-6 permet d'assurer l'application des dispositions de l'article 2 aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. En particulier, la définition de la période de référence pour examiner si la situation de l'entreprise au regard de sa cotisation foncière, figurant à l'article 1467 A du code général des impôts, n'est pas transposable en l'état dans des collectivités dotées de la compétence fiscale.

L'amendement COM-6 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - L'amendement COM-7 a pour objet de supprimer les dispositions de l'article 2 qui prévoient un montant maximal de l'aide fixé à 30 % du chiffre d'affaires annuel de l'établissement, calculé pour l'année précédant la décision d'attribution de la subvention.

Il est en effet préférable de renvoyer ces dispositions au décret d'application prévu au premier alinéa de l'article, comme dans le cas des aides aux salles de spectacles cinématographiques dont le montant figure à l'article R. 1511-43 du code général des collectivités territoriales.

L'amendement COM-7 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - L'amendement COM-8 a pour objet d'ajouter l'hypothèse d'une convention de subvention entre un libraire et un groupement de communes.

L'amendement COM-8 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - L'amendement COM-9 a pour objet de rendre le dispositif d'aide au bénéfice des libraires, créé par l'article 2, compatible avec le droit européen.

L'amendement COM-9 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - L'amendement COM-10 vise à reporter au 1 er janvier, suivant l'adoption de la loi, l'entrée en vigueur de la possibilité de dépense nouvelle prévue par l'article 2 concernant l'attribution de subventions aux petites librairies indépendantes par les communes ou leurs groupements, afin de la faire coïncider avec le début d'un exercice budgétaire pour les collectivités concernées.

L'amendement COM-10 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - L'objectif recherché par l'alinéa 4 de l'article 3 est d'améliorer l'information des auteurs sur l'exploitation de leurs oeuvres, lorsque la cessation de l'activité de l'entreprise d'édition est prononcée.

L'amendement COM-11 vise à ce que l'état des comptes soit bien adressé au cédant, c'est-à-dire à l'auteur et non au cessionnaire des droits.

Mme Sabine Van Heghe . - La notion d'auteur intègre-t-elle les ayants droit ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - Je vous le confirme.

L'amendement COM-11 est adopté.

Le texte prévoit, en cas de cessation de l'activité de l'entreprise d'édition, une reddition des comptes plus exigeante que l'obligation de reddition périodique prévue pendant toute la durée du contrat, puisqu'elle impose à l'éditeur ou au liquidateur de faire apparaître dans l'état des comptes le nombre d'exemplaires disponibles non seulement dans le stock de l'éditeur, mais aussi chez les distributeurs ainsi que dans les réseaux de vente au détail.

Cette recherche d'une information exhaustive est légitime, mais elle implique une connaissance exacte par l'éditeur ou le liquidateur des stocks des distributeurs et des détaillants, sans pour autant qu'une obligation d'information soit énoncée à la charge de ceux-ci.

L'amendement COM-12 tend ainsi à préciser que, selon le cas, l'éditeur ou le liquidateur fournit à l'auteur les informations qu'il a pu recueillir auprès des distributeurs et des détaillants sur le nombre d'exemplaires restant disponibles.

L'amendement COM-12 est adopté.

Les amendements rédactionnels COM-13 et COM-1 sont adoptés.

Mme Laure Darcos . - Je précise que les compositeurs et éditeurs de musique n'avaient pas du tout été impliqués dans la loi relative au prix du livre numérique en 2011. Mais, aujourd'hui, l'achat des partitions se fait en grande partie par voie numérique. C'est donc un consensus qui a été trouvé entre éditeurs et compositeurs de musique.

Les amendements rédactionnels COM-14 et COM-15 sont adoptés.

Les dispositions prévues par la proposition de loi afin d'améliorer l'information fournie à l'auteur sur le nombre d'exemplaires de ses ouvrages disponibles en cas de cessation de l'activité de l'entreprise d'édition nécessitent une entrée en vigueur différée dans le temps, afin de permettre aux différents acteurs professionnels concernés de se préparer aux obligations nouvelles. L'amendement COM-16 organise les modalités de ce report.

L'amendement COM-16 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - L'amendement COM-17 modifie le code de la propriété intellectuelle afin de rendre applicables les dispositions de l'article 3 à Wallis-et-Futuna.

L'amendement COM-17 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - L'amendement COM-2 rectifié a pour objet une réécriture complète de l'article 5 relatif au dépôt légal.

Cette réécriture suit les recommandations du Conseil d'État. La juridiction a en effet proposé une nouvelle rédaction plus sécurisée juridiquement de l'article 5, mais qui n'en modifie pas le fond. L'auteur de cet amendement a également veillé à compléter cette nouvelle rédaction par l'inclusion de dispositions spécifiques relatives à l'outre-mer.

L'avis de la commission est favorable d'autant que, lors de nos auditions, tout le monde a salué la simplification opérée par la réécriture du Conseil d'État.

L'amendement COM-2 rectifié est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

L'article 6 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure . - Je remercie Laure Darcos, qui m'a permis de m'immerger dans ce sujet. Il est gratifiant, pour un premier rapport, de travailler avec une assemblée aussi consensuelle, dont je partage les arguments. Le livre a véritablement été mis à l'honneur ce matin !

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1 er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme BERTHET

18

Suppression de la non-gratuité des frais de port.

Rejeté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

5

Entrée en vigueur des dispositions de l'article 1er

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

3

Rédactionnel

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

4

Précision sur les soldes d'ouvrages par leurs éditeurs.

Adopté

Article 2

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

6

Application des dispositions de l'article 2 pour la collectivité de Saint-Barthélemy et la collectivité de Saint-Martin et les communes de Saint-Pierre-et-Miquelon

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

7

Renvoi du montant maximal des subventions au décret

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

8

Possibilité d'une convention passée avec le groupement de communes

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

9

Compatibilité avec le droit européen.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

10

Report au 1 er janvier de l'année suivant la promulgation de la loi des dispositions de l'article 2.

Adopté

Article 3

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

11

Droits de l'auteur à recevoir des informations.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

12

Précisions sur les obligations de l'éditeur en cas de cessation d'activité.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

13

Rédactionnel.

Adopté

Mme Laure DARCOS

1

Rédactionnel.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

14

Rédactionnel.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

15

Rédactionnel.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

16

Entrée en vigueur différée des obligations d'informations.

Adopté

Mme BOULAY-ESPÉRONNIER, rapporteure

17

Application à Wallis-et-Futuna

Adopté

Article 5

Mme Laure DARCOS

2 rect.

Réécriture complète de l'article 5 relatif au dépôt légal suite à une proposition du Conseil d'État.

Adopté

PROPOSITION DE LOI N° 252 VISANT À AMÉLIORER L'ÉCONOMIE DU LIVRE ET À RENFORCER L'ÉQUITÉ ENTRE SES ACTEURS

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 48, ALINÉA 3
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 8 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 9 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 10 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 11 ( * ) .

En application des articles 28 ter et 48 du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 2 juin 2021, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 252 (2020-2021), déposée par Laure Darcos (LR - Essonne) visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs .

Elle a considéré que ce périmètre incluait :

- le cadre des relations contractuelles entre éditeurs et auteurs ;

- les conditions de concurrence dans le secteur du livre entre ventes en ligne et ventes dans les commerces ;

- la saisine du Médiateur du livre

- les conditions d'octroi d'une aide financière aux librairies indépendantes par les collectivités ;

- le dépôt légal.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Vendredi 7 mai 2021

- Institut national de l'audiovisuel (INA) : Mme Éléonore ALQUIER , directrice par intérim de la direction des collections, M. Arnaud BEAUFORT , directeur général adjoint, directeur des services et des réseaux, direction en charge du dépôt légal, M. Maxime BOUTRON , directeur financier et juridique, M. Laurent CORMIER , directeur du patrimoine cinématographique, M. Jean-François DEBARNOT , directeur juridique et Mme Déborah MÜNZER , conseillère à la présidence pour les relations institutionnelles et extérieures

- Conseil permanent des écrivains : M. Christophe HARDY , vice-président.

Lundi 10 mai 2021

- Sénat : Mme Laure Darcos , Sénateur de l'Essonne.

Mardi 11 mai 2021

Table ronde :

? Syndicat de la librairie française (SLF) : Mme Anne MARTELLE , présidente, M. Guillaume HUSSON , délégué général,

? FNAC : Mme Claire PIEROT-BICHAT , responsable des affaires publiques, Mme Stéphanie LAURENT , directrice produits éditoriaux,

? Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) : M. Jean-Luc TREUTENAERE , président.

Vendredi 14 mai 2021

- Syndicat national de l'édition (SNE) : MM. Vincent MONTAGNE , président, Pierre DUTILLEUL , directeur général, Alban CERISIER , membre du bureau, Arnaud ROBERT , président de la commission juridique, Julien CHOURAQUI , directeur juridique, et Mme Pascale BUET , présidente de la commission des usages commerciaux.

- Amazon France : MM. Yohann BÉNARD , directeur de la stratégie, Cédric FLORENTIN , directeur juridique, et Mmes Géraldine CODRON , directrice de la catégorie « Livre », et Philippine COLRAT , responsable affaires publiques.

Lundi 17 mai 2021

- Ministère de la culture : M. Nicolas GEORGES , directeur chargé du livre et de la lecture.

- Direction générale des entreprises - Ministère de l'économie : M. Aurélien PALIX , sous-directeur des réseaux et des usages numériques.

Contributions écrites :

- Autorité de la concurrence

- Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/leg/ppl20-252.html


* 1 L'avis du Conseil est consultable : https://www.senat.fr/leg/ppl20-252-avis-ce.pdf

* 2 https://www.senat.fr/rap/a20-143-44/a20-143-44.html

* 3 https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation

* 4 https://www.senat.fr/rap/a18-151-43/a18-151-4312.html#toc406

* 5 Le rapport a été traduit par les soins du Syndicat de la librairie française (SLF) et est disponible sur son site :

https://www.syndicat-librairie.fr/comment_la_pieuvre_amazon_menace_t_elle_notre_societe_

* 6 http://www.senat.fr/rap/l13-247/l13-247_mono.html

* 7 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b0862_rapport-information.pdf

* 8 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 9 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 10 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 11 Décision n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011 - Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, confirmée par les décisions n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016 - Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, et n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017 - Loi organique pour la confiance dans la vie politique, qui considèrent comme un « cavalier organique » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial.

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