II. LA NÉCESSITÉ D'APPORTER UNE RÉPONSE GLOBALE AFIN DE GARANTIR LE DROIT À MOURIR DANS LA DIGNITÉ EN FRANCE
La proposition de loi examinée ne se contente pas de renforcer l' effectivité du droit de chaque personne à décider des modalités de sa fin de vie dans le respect de son autonomie et de son libre arbitre, en lui reconnaissant le droit de bénéficier sous conditions de l' aide active à mourir . Elle entend également oeuvrer à une amélioration des conditions de la prise en charge palliative en France en rendant enfin opposable un droit universel à l'accès à des soins palliatifs de qualité sur l'ensemble du territoire .
A. RECONNAÎTRE LE DROIT DE CHACUN À UNE MORT DIGNE ET CHOISIE
1. La multiplication dans la période récente des initiatives parlementaires en faveur de la reconnaissance de l'aide active à mourir
Depuis la fin 2017, pas moins de six initiatives parlementaires ont émergé à l'Assemblée nationale pour faciliter la mise en place d'un « droit à mourir dans la dignité ».
Les initiatives à l'Assemblée nationale
en faveur de la reconnaissance
d'un droit à mourir dans la
dignité depuis la fin 2017
Une proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie a été déposée par le député Olivier Falorni (Libertés et territoires) le 17 octobre 2017 : elle vise à instituer, pour toute personne capable majeure en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, un droit à bénéficier d'une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur.
Une proposition de loi relative à l'euthanasie et au suicide assisté, pour une fin de vie digne, a été déposée par la députée Caroline Fiat et plusieurs de ses collègues du groupe La France insoumise le 20 décembre 2017 : elle reconnaît à toute personne capable atteinte d'une affection grave ou incurable exposée à une souffrance inapaisable et insupportable ou se retrouvant dans une situation de dépendance qu'elle juge inacceptable à bénéficier d'une euthanasie ou d'une assistance au suicide.
Un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 déposé par des députés du groupe la France insoumise visait à instituer une commission, composée de vingt députés et vingt sénateurs, chargée de renforcer le droit à mourir dans la dignité et à évaluer la pratique actuelle, notamment les dispositifs d'aide active à mourir dans les pays étrangers.
Une proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité a été déposée le 27 septembre 2017 par le député Jean-Louis Touraine (La République en marche) et plusieurs députés issus de différents groupes politiques : elle vise à instituer un droit à bénéficier d'une assistance médicalisée active à mourir pour toute personne majeure et capable en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique incurable.
Une proposition de loi visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France a été déposée par la députée Marine Brenier et d'autres de ses collègues du groupe Les Républicains le 19 janvier 2021 : elle tend à inscrire dans la loi la notion d'aide active à mourir, définie comme la prescription à une personne à sa demande par un médecin d'un produit létal et l'assistance à l'administration de celui ci par un médecin - qui s'apparente au suicide assisté tel que défini par la proposition de loi sénatoriale - et prévoit des conditions d'accès à cette aide similaires à celles envisagées par cette même proposition de loi.
Une proposition de loi visant à garantir et renforcer les droits des personnes en fin de vie a été déposée par le député Jean-Louis Touraine (La République en marche) et plusieurs de ses collègues le 26 janvier 2021 : elle a pour objet d'introduire dans le code de la santé publique le principe de l'assistance médicalisée active à mourir, sans pour autant définir explicitement dans la loi les modalités pratiques de cette assistance, telles que l'assistance au suicide ou l'euthanasie.
Au travers de ces différentes initiatives, la reconnaissance dans notre droit de l'aide active à mourir vise essentiellement à consacrer le respect du libre arbitre de chaque individu dans le choix des modalités de sa fin de vie, afin de donner une pleine effectivité au principe, inscrit dans la loi 21 ( * ) , selon lequel « la personne malade a droit au respect de sa dignité ». En particulier, elle vient répondre aux insuffisances et aux ambiguïtés d'une législation qui refuse encore d'admettre que le devoir de solidarité peut justifier de permettre à une personne gravement malade de rester maître de sa fin de vie . La législation en vigueur ne permet pas en effet de répondre à des situations exceptionnelles où les critères de l'imminence du décès ou de la souffrance réfractaire aux traitements ne sont pas remplis pour justifier la mise en oeuvre de la sédation profonde et continue jusqu'au décès à compter de l'arrêt des traitements.
Parmi ces situations, on peut citer :
- les maladies neurodégénératives particulièrement graves , telles que la sclérose latérale amyotrophique (SLA) 22 ( * ) . Lorsque ce type de pathologie incurable, rapidement évolutive, conduit à une paralysie généralisée avec impossibilité pour la personne de s'alimenter seule et que celle-ci refuse la perspective de se retrouver dans une situation de dépendance qu'elle jugerait incompatible avec sa dignité, les dispositifs de la loi « Claeys-Leonetti » - à savoir l'arrêt des traitements, dont l'alimentation artificielle, et la mise en oeuvre de la sédation profonde et continue - n'apparaissent alors pas nécessairement adaptés à une situation dans laquelle la crainte de la perte d'autonomie est source de souffrance existentielle et constitue l'un des motifs de demande d'aide active à mourir les plus souvent avancés ;
- les états pauci-relationnels stables pour lesquels un certain nombre de médecins estiment que la loi gagnerait à être clarifiée afin de les faire relever explicitement du dispositif de la sédation profonde et continue jusqu'au décès au titre du refus de l'obstination déraisonnable ;
- les maladies neurodégénératives susceptibles d'occasionner des troubles cognitifs lourds affectant gravement l'autonomie de la personne , telles que la maladie d'Alzheimer ou certaines démences, et pour lesquelles les patients peuvent vivre dans une angoisse existentielle de perte de leur autonomie.
2. L'aide active à mourir prévue par la proposition de loi : un droit soumis à des conditions strictes, assorti d'un contrôle exigeant
L' article 1 er de la proposition de loi précise le contenu du « droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance » déjà inscrit dans le code de la santé publique 23 ( * ) afin d'y inclure un droit à « bénéficier de l' aide active à mourir ». Les deux modalités prévues de mise en oeuvre de cette aide active à mourir sont :
- le suicide assisté , défini comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de cette personne, d'un produit létal et l'assistance à l'administration de ce produit par un médecin ou une personne agréée ;
- l' euthanasie , définie comme le fait pour un médecin de mettre fin intentionnellement à la vie d'une personne, à la demande expresse de celle-ci.
L' article 2 définit les critères qui conditionnent le bénéfice d'une aide active à mourir. Le patient doit ainsi :
- être capable au sens du code civil ;
- être en phase avancée ou terminale d'une affection d'origine pathologique ou accidentelle, même en l'absence de pronostic vital engagé à court terme ;
- être atteint d'une affection accidentelle ou pathologique aux caractères graves et incurables avérés et infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu'elle juge insupportable ou la plaçant dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité, y compris en cas de polypathologies.
Ces dispositions tendent, par conséquent, à lever l'exigence de l'imminence du décès pour abréger les souffrances de la personne, alors que l'engagement du pronostic vital à court terme constitue aujourd'hui une condition de la mise en oeuvre de la sédation profonde et continue jusqu'au décès pour les personnes capables. Par ailleurs, dans un souci de rééquilibrage en faveur du libre arbitre du patient par rapport à l'avis du médecin et en cohérence avec le renforcement du droit de chaque malade de prendre part aux décisions de santé qui le concernent consacré depuis 2002, ces critères accordent une place prépondérante à l'appréciation que fait le patient de sa situation : est ainsi prise en compte l'évaluation qu'il fait du caractère insupportable de sa souffrance physique ou psychique ou du caractère indigne de son état de dépendance.
L'article 2 précise également la procédure et les délais encadrant la mise en oeuvre du droit à l'aide active à mourir : le médecin saisi de la demande doit ainsi vérifier que les critères sont remplis et, par la suite, solliciter l'avis d'un confrère accepté par la personne concernée ou sa personne de confiance. Leurs conclusions écrites sur l'état de l'intéressé doivent être rendues dans un délai de quatre jours ouvrés à compter de la demande initiale. L'aide active à mourir ne peut ensuite intervenir qu'à l'issue d'un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande par la personne.
Enfin, il est prévu que le médecin qui a concouru à la mise en oeuvre de l'aide active à mourir doit adresser dans un délai de huit jours ouvrables à compter du décès un rapport sur les circonstances du décès à une commission nationale de contrôle , instituée par l' article 6 , qui se prononce a posteriori sur la validité du protocole.
Afin de préserver l'idée selon laquelle le décès reste, bien qu'indirectement, la conséquence de l'affection dont souffre la personne, il est, en outre, précisé que la mort résultant d'une aide active à mourir est assimilée à une mort naturelle ( article 3 ).
* 21 Article L. 1110-2 du code de la santé publique.
* 22 Également appelée maladie de Charcot, elle représenterait, selon les éléments transmis par le CNSPFV, la première cause de demande d'aide active à mourir dans les pays l'autorisant avec une prévalence variant de 5 % dans l'État américain de l'Oregon à 23 % aux Pays-Bas. La problématique de la fin de vie en lien avec la SLA a été médiatisée en 2017 avec le choix de l'écrivaine Anne Bert de se rendre en Belgique pour recevoir une injection létale.
* 23 Article L. 1110-5-1 du code de la santé publique.