C. LES CONSÉQUENCES DE L'ACCORD SONT DIFFICILES À ÉVALUER
À la suite de l'arrêt Achmea , les investisseurs, personnes physiques ou morales, originaires d'un État membre de l'Union européenne, ne devraient plus se prévaloir des clauses d'arbitrage des accords bilatéraux d'investissement intra-européens, qui seront formellement dénoncés par le présent accord.
Cet accord ne comprend pas de dispositions substantielles comparables à celles des accords bilatéraux. Néanmoins, les investissements réalisés au sein du marché intérieur continueront de bénéficier des garanties juridiques offertes par le droit national des États membres et par les libertés fondamentales (libre circulation des capitaux, liberté d'établissement) et les principes généraux du droit de l'Union (non-discrimination, proportionnalité, confiance légitime, sécurité juridique) mis en exergue par l'accord. Le respect et la mise en oeuvre de ces garanties juridiques sont assurés par les juridictions des États membres et par la Cour de justice de l'Union européenne, à travers la procédure de renvoi préjudiciel ou par le biais des recours en manquement dans le cadre des procédures d'infraction pouvant être diligentées par la Commission européenne.
1. Les conséquences économiques
Les décisions d'investissement résultent de plusieurs facteurs, d'ordre structurel et conjoncturel ; il est donc difficile d'anticiper les effets directs de l'extinction d'un accord bilatéral d'investissement et l'évolution des flux croisés d'investissements directs étrangers (IDE) entre les deux États parties à un tel accord. Ces conséquences devraient néanmoins être limitées dans la mesure où les investisseurs continueront de bénéficier, au sein du marché intérieur, d'un environnement juridique favorable aux IDE ( cf. supra ).
Les entreprises françaises pourraient néanmoins être tentées d'investir dans certains États membres de l'Union européenne via des filiales immatriculées dans des pays tiers (par exemple la Suisse ou la Norvège) ayant conclu des accords d'investissement avec ces États membres. D'après la direction générale du Trésor, cela ne semble pas être le cas puisque, depuis 2014, les stocks d'IDE français sortant vers les États membres en question n'ont jamais atteint plus de 9 % du stock total des IDE français au sein du marché intérieur, alors que, sur la même période, les stocks d'IDE entrant en France depuis ces pays, parfois négatifs, sont restés marginaux.
STOCKS D'IDE ENTRANT EN FRANCE DEPUIS LE MARCHÉ
INTÉRIEUR
ET STOCKS D'IDE FRANÇAIS SORTANT VERS LE
MARCHÉ INTÉRIEUR (EN MDS €)
Stocks d'IDE entrants |
Stocks d'IDE sortants |
|||||||||
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
|
Total (UE 27) |
363,5 |
382,6 |
405,4 |
408,4 |
437,9 |
512,4 |
548,1 |
573,7 |
603,2 |
663,7 |
dont IDE avec TBI * |
- 0,1 |
- 0,8 |
- 0,3 |
- 0,2 |
0,5 |
32,4 |
34,7 |
35,3 |
35,0 |
37,4 |
* Traités bilatéraux d'investissement conclus avec la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
Source : commission des affaires
étrangères, de la défense
et des forces armées,
à partir de l'étude d'impact
Le Wall Street Journal 7 ( * ) estime, lui, que les sentences arbitrales annulées représentent un montant de 6 milliards de dollars de dommages et intérêts (soit près de 5 milliards d'euros) au détriment des investisseurs qui doivent s'engager dans l'une des deux procédures prévues au titre des mesures transitoires.
2. Les conséquences administratives et juridiques
L'arrêt Achmea pourrait avoir un effet négatif sur le climat des investissements dans certains États dont les juridictions n'inspirent pas confiance.
En effet, les juridictions des États membres doivent assurer en toute indépendance et impartialité la pleine application du droit de l'Union et la protection juridictionnelle des droits des personnes dans tous les États membres. L'indépendance du système judiciaire est un principe commun aux traditions constitutionnelles des États membres et au droit de l'Union, et le principe de confiance mutuelle constitue un principe cardinal du droit de l'Union.
Or, deux États membres - la Pologne et la Hongrie - ont été soumis à la procédure exceptionnelle de l'article 7 du Traité de l'Union européenne sur les valeurs fondamentales de l'UE. Aussi faudra-t-il s'assurer que les juridictions nationales de ces pays, qui porteraient atteinte à l'État de droit, respectent les principes fondamentaux précités, censés apporter aux entreprises les garanties juridiques nécessaires de protection de leurs investissements.
Par ailleurs, les dispositions du présent accord ne concerneront qu'un faible nombre d'entreprises françaises puisque la plupart des procédures qui les concernent sont aujourd'hui définitivement achevées ; conformément aux dispositions de l'accord, les sentences arbitrales - de même que les transactions amiables - qui les ont réglées ne seront pas remises en cause. Les affaires pendantes pourront, quant à elles, trouver une solution grâce aux dispositions transitoires prévues par l'accord ( cf. infra ).
Enfin, il est tout aussi difficile d'anticiper les incidences de l'arrêt Achmea sur les délais de procédure. Les études disponibles sur cette question montrent que la durée moyenne de ces procédures d'arbitrage, entre la constitution du tribunal arbitral et la finalisation de la sentence serait d'environ 4 ans 8 ( * ) , auxquels peuvent s'ajouter des délais supplémentaires liés, d'une part, aux procédures de contrôle et d'annulation des sentences arbitrales, et d'autre part, aux procédures de reconnaissance et d'exécution de ces sentences.
S'agissant de la durée moyenne des procédures devant les juridictions des États membres, elle varie suivant l'État et la matière concernés. D'après les données disponibles pour l'année 2020, le délai de résolution des contentieux administratifs - qui peuvent, à certains égards, être comparés aux litiges arbitraux entre investisseurs et États - est comparable à la durée moyenne des procédures arbitrales au sein de l'Union.
* 7 « Investors Blindsided as Europe Upends Dispute-Resolution System », The Wall Street Journal , 20 décembre 2019.
* 8 1370 jours en moyenne pour les procédures CIRDI et 1446 jours pour les procédures CNUDCI.