N° 299
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 janvier 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l' état d' urgence sanitaire ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
3733 , 3739 et T.A. 542 |
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Sénat : |
296 et 300 (2020-2021) |
INTRODUCTION
Après avoir entendu M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, le jeudi 21 janvier 2021, la commission des lois, réunie le mardi 26 janvier 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), a examiné le rapport de Philippe Bas (Les Républicains - Manche) sur le projet de loi n° 296 (2020-2021) prorogeant l'état d'urgence sanitaire .
Compte tenu de la situation sanitaire, la commission des lois a estimé justifié de proroger les pouvoirs exceptionnels conférés au Gouvernement pour lutter contre l'épidémie de covid-19. Elle a donc adopté ce projet de loi, tout en y apportant plusieurs modifications visant à parfaire le régime de l'état d'urgence sanitaire et à assurer que son application fasse l'objet d'un réexamen régulier par le Parlement.
I. UNE SITUATION SANITAIRE QUI DEMEURE PRÉOCCUPANTE ET JUSTIFIE LE MAINTIEN DE MESURES D'EXCEPTION
Les mois passent et se ressemblent trop. Après la flambée épidémique de la fin de l'hiver et du printemps 2020, puis l'accalmie constatée au cours de l'été, une nouvelle augmentation du nombre de cas d'infection par le coronavirus SARS-CoV-2 et le risque de saturation du système hospitalier avaient conduit le Gouvernement, par décret du 14 octobre 2020 1 ( * ) , à remettre en application le régime de l'état d'urgence sanitaire, créé par la loi du 23 mars 2020 2 ( * ) et qui confère aux autorités de l'État des prérogatives exorbitantes du droit commun, fortement attentatoires aux libertés individuelles et publiques, pour tenter d'enrayer cette progression. Par la loi du 14 novembre 2020 3 ( * ) , le Parlement en avait autorisé la prorogation jusqu'au 16 février 2021, tout en prévoyant que le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, créé par la loi du 9 juillet 2020 4 ( * ) , resterait en vigueur jusqu'au 1 er avril 2021.
L'échéance de l'expiration de l'état d'urgence sanitaire approche, et le Gouvernement constate que le régime de sortie issu de la loi du 9 juillet 2020 ne lui confère pas les pouvoirs nécessaires pour affronter une situation qui demeure très préoccupante.
A. LE REGAIN ÉPIDÉMIQUE DU DÉBUT DE L'ANNÉE 2021
En effet, alors que les mesures de police sanitaire prises au titre de l'état d'urgence sanitaire au cours de l'automne - notamment le confinement « allégé » de la population, en métropole et dans certaines collectivités d'outre-mer, entre le 30 octobre et le 14 décembre 2020 inclus - avaient permis de ralentir à nouveau la progression des contaminations, les indicateurs épidémiologiques sont repartis à la hausse depuis le début du mois de janvier . Ainsi, en France, à la date du vendredi 23 janvier 2021 :
- le nombre de contaminations en une journée (stabilisé entre 10 000 et 15 000 au mois de décembre) atteignait 23 924 nouveaux cas ;
- le taux d'incidence (nombre de personnes testées positives sur une semaine pour 100 000 habitants) s'établissait ainsi à 207,99 au niveau national, contre un peu plus de 100 début décembre ;
- l'indicateur de reproduction effectif du virus (R 0 ), soit le nombre moyen de personnes qu'un malade peut contaminer, s'élevait à 1,09, témoignant de la progression de l'épidémie ;
- on comptait 25 900 patients hospitalisés, dont 2 896 en réanimation (soit un taux de 57,1 % d'occupation des lits en réanimation, en légère progression) ;
- le nombre total de décès lié à la covid-19 (à l'hôpital et en établissement) était évalué à 72 877 5 ( * ) .
La principale cause de ce regain épidémique semble être la reprise d'interactions sociales plus nombreuses - sans pour autant revenir à la normale - à la suite de la levée du confinement en métropole le 15 décembre 2020. Un couvre-feu lui a succédé entre 20 heures et 6 heures, auquel il a été fait exception pour le réveillon de Noël. Malgré les contraintes et les précautions prises par nos concitoyens, les fêtes de fin d'année ont probablement occasionné de nouvelles contaminations.
Par ailleurs, dès le 22 décembre dernier 6 ( * ) , le comité de scientifiques « Covid-19 », créé en application de la loi du 23 mars 2020 et chargé d'éclairer les pouvoirs publics sur les décisions à prendre pour endiguer l'épidémie, alertait sur l'apparition d'un nouveau clone du virus dans l'Est et le Sud-Est de l'Angleterre. Selon les données disponibles, ce clone VOC 202012/01 serait, en effet, plus facilement transmissible que la forme initiale du virus (l'indicateur de reproduction effectif R 0 étant augmenté d'environ 0,4), sans que l'on sache encore s'il est plus pathogène ou susceptible d'échapper à la réponse immunitaire des personnes déjà infectées. Une autre variante, apparue en Afrique du Sud, présente des caractéristiques similaires, tandis qu'une variante identifiée au Brésil pourrait être plus contagieuse. On ignore encore dans quelle mesure ces variantes ont commencé à circuler sur le territoire français 7 ( * ) , mais il s'agit là d' un sujet de grave préoccupation pour les prochaines semaines , car la diffusion de ces variantes pourrait rendre l'épidémie incontrôlable et créer une situation critique dans nos hôpitaux.
Enfin, pour l'heure, il serait illusoire de compter sur les progrès de la vaccination pour ralentir suffisamment la diffusion de la maladie . Certes, il existe à ce jour deux vaccins mis sur le marché en France : le vaccin Comirnaty des laboratoires BioNTech et Pfizer (depuis le 21 décembre 2020) et le vaccin COVID Vaccine Moderna (depuis le 6 janvier 2021). L'un et l'autre sont des vaccins à acide ribonucléique (ARN) messager, ce qui constitue une première pour la vaccination humaine. Toutefois, les débuts de la campagne française de vaccination ont, de l'aveu général, été poussifs . Selon les chiffres enfin publiés par le ministère des solidarités et de la santé, le 11 janvier dernier, 138 477 personnes en France avaient reçu une première dose de vaccin à cette date, soit environ 0,2 % de la population, ce qui plaçait notre pays à la traîne parmi ses voisins européens 8 ( * ) . Le rythme s'est heureusement accéléré depuis 9 ( * ) . Il n'en demeure pas moins que seuls les publics prioritaires peuvent encore se faire vacciner 10 ( * ) , ce qui restera le cas pendant plusieurs mois . Les capacités de production des laboratoires, confrontés à une demande mondiale, n'augmentent pas assez vite pour satisfaire celle-ci, et des retards de livraison sont d'ores et déjà constatés. À cela s'ajoute le fait que ce nouveau type de vaccins à ARN messager soulève des difficultés logistiques importantes , en raison de leurs conditions de conservation à très basse température. L'arrivée sur le marché d'un vaccin à vecteur viral du groupe AstraZeneca pourrait, à cet égard, changer la donne.
Ces incertitudes expliquent-elles la surprenante contradiction que l'on a pu relever dans les propos du ministre des solidarités et de la santé qui, lors de son audition devant la commission des lois, a évoqué l'objectif de vacciner 15 millions de personnes en France avant l'été, et qui, le jour même, au journal télévisé de TF1, a déclaré que le nombre de personnes vaccinées se monterait à « 4 millions fin février, 9 millions au mois de mars, 20 millions à la fin d'avril, 30 millions à la fin mai, 43 millions à la fin du mois de juin, 57 millions à la fin du moins de juillet et 70 millions, c'est-à-dire la totalité de la population française, d'ici à la fin août » ? Il serait souhaitable, pour la transparence du débat public comme pour le moral de la population, que les projections fournies par le Gouvernement ne varient pas d'heure en heure...
Enfin, si les vaccins aujourd'hui mis sur le marché permettent de prévenir l'apparition des formes graves de covid-19, le doute demeure, d'une part, sur l'immunité qu'ils confèrent à moyen et long terme, d'autre part, sur leurs effets sur la transmission du virus . Lors de son audition par la commission des lois, le ministre des solidarités et de la santé a cependant fait état de premières données encourageantes sur ce second point.
* 1 Décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire .
* 2 Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 .
* 3 Loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire .
* 4 Loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire .
* 5 Source : ministère des solidarités et de la santé.
* 6 Note d'alerte du comité de scientifiques Covid-19, « Le clone anglais VUI-UK : anticiper une reprise épidémique en janvier », 22 décembre 2020.
* 7 À la date du 14 janvier 2021, selon le ministère des solidarités et de la santé, 87 cas de contamination par la variante VOC 202012/01 (variante « anglaise ») et quatre cas de contamination par la variante 501.V2 (variante « sud-africaine ») avaient été confirmés, en France, par le centre national de référence des infections respiratoires.
* 8 D'après un décompte effectué par l'Agence France presse, le taux moyen de personnes vaccinées dans l'Union européenne se situait autour de la même date à 0,68 %, le Danemark arrivant en tête avec un taux de 2 %. Au Royaume-Uni, cette proportion se montait même à 3,38 % (« Course à la vaccination : France et Pays-Bas lanternes rouges, Royaume-Uni et Danemark en tête », La Tribune , 14 janvier 2021).
* 9 À la date du 24 janvier 2021, 1 026 871 personnes avaient été vaccinées en France selon les données rendues publiques par le Gouvernement.
* 10 À savoir les personnes âgées résidant en établissement, les professionnels qui y exercent et présentent un risque élevé, tous les professionnels de santé, pompiers et aides à domicile de plus de 50 ans ou atteints de comorbidités, les personnes en situation de handicap hébergées en établissement et les personnels qui y exercent, ainsi que, depuis le 18 janvier, toutes les personnes âgées de plus de 75 ans ou atteintes de pathologies à haut risque. Un élargissement progressif est prévu à compter du mois de mars, d'abord aux personnes de plus de 65 ans, puis à l'ensemble de la population.