C. LA CRISE SANITAIRE N'A PAS REMIS EN CAUSE LES ORIENTATIONS À LONG TERME DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT
1. La crise sanitaire a appelé à des réponses immédiates en matière d'aide publique au développement
Les conséquences économiques, sociales, et sanitaires de la crise de la covid-19 ont fragilisé des pays déjà en difficulté, appelant une mobilisation spécifique en matière d'aide publique au développement.
Au plan bilatéral , des crédits ont été redéployés pour répondre à l'urgence sanitaire. Ainsi, la direction générale de la mondialisation a indiqué aux rapporteurs spéciaux que le Centre de crise et de soutien (CDCS) du MEAE a mobilisé une partie de ses crédits pour financer des projets mis en oeuvre au niveau local par des ONG, notamment dans les pays du Levant, au Sahel, en Libye, en République démocratique du Congo, en Birmanie et au Venezuela.
S'agissant de l'AFD, elle a octroyé le 16 mars 2020 un financement de 1,5 million d'euros à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour améliorer la veille sanitaire et assurer une prise en charge adéquate dans cinq pays d'Afrique francophone.
De plus, le conseil d'administration de l'AFD a approuvé en avril l'initiative « santé en commun », dotée de 150 millions d'euros en subventions et 1 milliard d'euros en prêts , financée via les crédits des programmes 209 et 110, dont 70 millions de don-projet. Fin octobre, 963 millions d'euros avaient déjà été engagés 25 ( * ) . En complément de cette initiative, l'AFD a engagé des projets dits « Covid élargis » répondant quant à eux à la crise économique et sanitaire essentiellement hors continent africain, pour un montant de 1,6 milliard d'euros.
Enfin, un soutien additionnel de 2 millions d'euros a été alloué à l'Institut Pasteur , sur les projets FSPI qui n'ont pu être mis en oeuvre du fait de la crise sanitaire, afin de financer des projets de lutte contre la pandémie en Afrique.
Au niveau multilatéral, les fonds multilatéraux ont réorienté une partie de leurs financements vers la lutte contre l'épidémie . À titre d'exemple, le fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme (FMSTP) a encouragé ses récipiendaires à redéployer 5 % de leurs subventions vers la réponse à la crise sanitaire.
Enfin, les ministres des finances du G20 et les pays membres du Club de Paris, se sont accordés en avril dernier sur la mise en oeuvre de l'Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) en faveur des pays les plus pauvres.
Comme l'a indiqué la direction générale du Trésor aux rapporteurs spéciaux, cette initiative constitue une mesure de liquidité pour les pays bénéficiaires, essentiellement des pays appartenant à la catégorie des pays les moins avancés (PMA). Il ne s'agit pas d'une annulation de dette, mais d'un rééchelonnement des paiements qui étaient prévus entre mai et la fin de l'année 2020. À ce stade, la valeur des créances reste inchangée . Par conséquent, cette initiative devrait entraîner une perte de recettes en 2020 pour la France, qui sera compensée par un surcroît de recettes à partir de 2022.
La mise en oeuvre de l'ISSD se traduit, pour 2021, par une baisse des crédits du programme 209 dédiés aux contrats de désendettement et de développement (C2D) . Cet instrument budgétaire permet de convertir la dette des pays bénéficiaires en subventions. En effet, aux termes de ces contrats, lorsque le pays rembourse sa créance à la France, la somme correspondante au remboursement lui est reversée sous forme de dons, permettant ainsi de favoriser conjointement le désendettement de ces pays, et le soutien à des politiques de développement.
D'après la direction générale de la mondialisation, l'ISSD s'est traduite par la suspension des remboursements au titre du C2D en Guinée Conakry , au Cameroun , en République démocratique du Congo , et en Côte d'Ivoire . Faute de remboursement, ces créances ne peuvent donner lieu au versement de crédits au titre des C2D. Ainsi, pour 2021, les crédits sont réduits de 40 %, pour s'établir à 24 millions d'euros.
Les rapporteurs spéciaux constatent que les réponses à la crise sanitaire ont permis de faire preuve de réactivité, sans modifier les priorités de long terme de l'aide publique au développement de la France .
2. La poursuite de la trajectoire budgétaire à la hausse, malgré des finances publiques dégradées, renforce l'exigence de « redevabilité »
L'objectif d'une montée en charge de l'aide publique au développement fixé en 2018 reste inchangé par la crise sanitaire. Si les rapporteurs spéciaux saluent la préservation d'un budget crucial pour le rayonnement diplomatique de la France et le financement des biens publics mondiaux, ils rappellent toutefois que, dans un contexte de finances publiques dégradées, la question de l'évaluation, de la transparence, et de la « redevabilité » de cette politique publique devient de plus en plus importante .
Une refonte de la culture de l'évaluation de l'aide publique au développement apparaît d'autant plus nécessaire qu'actuellement les moyens consacrés en ce sens sont répartis entre la direction générale de la mondialisation du MEAE, la direction générale du Trésor du ministère de l'économie, des finances et de la relance, et l'AFD . Chacun de ces « pôles » d'évaluation traite des projets financés par leur programme budgétaire respectif.
Outre un éclatement fonctionnel, la conduite actuelle de l'évaluation laisse apparaître des lacunes . Ainsi, au sein du MEAE, certains projets, tels que les FSPI, sont évalués par les agents qui suivent leur mise en oeuvre. Au sein de la direction générale du Trésor, « compte tenu des moyens humains et financiers dont elle dispose, l'unité d'évaluation des activités de développement (UEAD) n'est pas en mesure de piloter l'évaluation exhaustive de toutes les activités de développement relevant des programmes 110 et 851 » 26 ( * ) .
Les rapporteurs spéciaux considèrent que des gains d'efficience devraient pouvoir être réalisés afin de garantir une meilleure couverture des projets réalisés . Le projet de loi d'orientation à venir devrait comporter des dispositions en ce sens, notamment avec la proposition de créer une commission indépendante d'évaluation, dont les contours restent à définir ( cf. supra ).
* 25 D'après les données transmises par l'AFD.
* 26 Réponse au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux.