II. LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE REPRÉSENTE PRÈS DE LA MOITIÉ DES RESTITUTIONS DU PROGRAMME 200
A. LES RESTITUTIONS DE TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE, UN ENJEU MAJEUR DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE
La fraude à la TVA constitue chaque année une perte de recettes particulièrement importante pour les finances de l'État. Plusieurs montages frauduleux, pour des montants souvent très élevés, utilisent le mécanisme des restitutions de TVA.
Tel est le cas, notamment, de la fraude au carrousel, schéma régulièrement utilisé par les fraudeurs . Elle implique des transactions financières transfrontalières entre différentes sociétés et consiste à faire déduire par un acheteur final la TVA facturée mais non reversée par une société dite « taxi ».
Les montages auxquels ont recours les fraudeurs se sont peu à peu complexifiés avec une multiplication de sociétés écrans dont la durée de vie est parfois très courte .
Outre la fraude au carrousel, les fraudes relèvent de divers schémas. Les modèles les plus communs visent à dissimuler des recettes encaissées ou à les effacer de la comptabilité 10 ( * ) tandis que d'autres consistent à minorer le coût de certaines ventes à distance 11 ( * ) ou à faire appel à des schémas plus complexes, comme la fraude au « régime 42 » 12 ( * ) ou l'usage abusif du régime de la marge 13 ( * ) .
Le chiffrage global de la fraude à la TVA pose cependant question. Le rapporteur spécial considère que l'absence d'estimation précise par le Gouvernement du niveau de la fraude et de ces composantes reste un problème majeur.
De ce point de vue, le rapport relatif à la fraude aux prélèvements obligatoires rendu par la Cour des comptes en novembre 2019 apporte certaines précisions sans pour autant offrir de chiffrage définitif. La Cour a estimé la fraude à la TVA à près de 15 milliards d'euros tout en signalant que « la fraude [était] un phénomène multiforme, en constante évolution, qui reste difficile à appréhender ».
Le rapporteur spécial considère qu'un chantier de grande ampleur et de plus long terme doit être mené afin de parvenir à une estimation fiabilisée. La mobilisation de l'ensemble des administrations concernées doit permettre de corriger les biais de sélection et de détection .
Il est en effet particulièrement urgent de communiquer publiquement sur les montants estimés pour les différents types de fraude, fussent-il objets de réserves.
Les difficultés liées à l'estimation de la fraude à la TVA L'estimation du niveau de la fraude à la TVA s'avère complexe à établir dans la mesure où elle relève de données dont l'administration fiscale, par définition, ne dispose pas. Surtout, la notion d'écart de TVA ne constitue pas une mesure suffisamment précise du niveau de la fraude. En effet, son calcul implique l'estimation du montant de TVA théorique. Celui-ci ne peut être fait que sur la base des données disponibles, ce qui ne permet pas de prendre en compte la fraude aux liasses fiscales. De plus, l'application des différents taux de TVA en fonction des produits et les fluctuations dans les délais de paiement constituent une difficulté importante pour le calcul. Des estimations ont pu être réalisées par les comptables nationaux sur la base de l'extrapolation des contrôles fiscaux effectués par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sur un certain nombre de domaines affectant la TVA. Ces estimations ne sont cependant pas publiques et ne semblent pas avoir été actualisées. Source : rapport remis par le Gouvernement au Parlement 14 ( * ) |
Comme le soulignait déjà le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de juin 2015, « le faible niveau d'information publique empêche ainsi une évaluation consensuelle du phénomène et retarde la mobilisation de moyens de plus grande envergure pour lutter contre la fraude à la TVA. » 15 ( * )
Le rapporteur spécial encourage par conséquent le Gouvernement à mieux proportionner les moyens de la lutte contre la fraude à la TVA et à s'inscrire dans une stratégie de long terme de lutte contre la fraude.
Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de décembre dernier, « le délai imparti à la Cour par la saisine gouvernementale n'a permis que de préciser les fragilités de l'estimation faite par l'Acoss sans pouvoir y remédier, et de produire une estimation de la fraude et des irrégularités à la TVA reposant sur une méthode partant des données du contrôle fiscal . » Le rapporteur spécial considère, à l'instar de la Cour des comptes, que les estimations de la fraude doivent s'inscrire dans une temporalité plus longue. En s'inspirant de plusieurs exemples étrangers, la Cour estime en effet qu'il faudrait entre deux et quatre ans pour parvenir à une estimation plus complète du niveau de la fraude.
La Cour indique que l'une des principales difficultés réside dans le caractère non représentatif des données issues du contrôle fiscal. Les données font l'objet d'un biais de sélection, les contrôles portant sur des situations où une fraude est pressentie.
Si la Cour recommande le recours à des contrôles aléatoires, ceux-ci ne peuvent être généralisés sans diminuer l'efficacité globale des contrôles. De plus, les contrôles aléatoires ne doivent concerner que certains impôts.
Les recommandations de la Cour des comptes
- Des campagnes « générales » plus fréquentes permettant une véritable actualisation des estimations ; - un élargissement du champ des contrôles, d'un point de vue sectoriel et des prélèvements concernés, un traitement particulier devant être prévu pour les départements et régions d'outre-mer et les travailleurs indépendants sans compte d'employeur ; - une supervision de ces contrôles de nature à garantir une certaine uniformité des pratiques sur tous les territoires, c'est-à-dire entre inspecteurs et équipes d'inspecteurs, et donc de minimiser les écarts imputables aux contrôles eux-mêmes ; - une expérimentation de formules visant à la réduction des biais de détection, sur le modèle de ce qui existe déjà à l'étranger ; - l'utilisation d'enquêtes et sondages spécifiques, éventuellement de type « top down », aux fins d'essayer de déterminer la fraude commise par les particuliers employeurs ainsi que dans le cadre d'activités totalement non déclarées ; - des contrôles aléatoires plus nombreux afin de renforcer la validité statistique des résultats et de limiter certains facteurs de sous-estimation, comme les phénomènes de concentration de la fraude. Source : rapport de la Cour des comptes |
Il est urgent de décloisonner l'information et d'aller vers une véritable coordination des travaux de l'ensemble des services de l'État. Une stratégie efficace de lutte contre la fraude permettrait de limiter « l'hémorragie fiscale » dont est victime la TVA.
Ces chantiers doivent être engagés de toute urgence.
* 10 L'Association des constructeurs, éditeurs, distributeurs et installateurs de systèmes d'encaissement (Acédise) estimait en 2015 que la perte de recettes pour l'État pouvait atteindre jusqu'à 10 milliards d'euros par an. Par exemple, en 2011-2012, de nombreux contrôles fiscaux opérés dans des officines de pharmacie ont mis en lumière des systèmes de caisse frauduleux permettant d'effacer certaines transactions. Cette série de contrôles, baptisée « opération Caducée », a connu un certain succès médiatique et a permis de recouvrer près de 50 millions d'euros.
* 11 La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) n'a pas les moyens humains ni matériels de contrôler les 7 millions de petits colis soumis à déclaration qui transitent chaque année.
* 12 Le régime 42 est un régime de transit douanier, pouvant être détourné lorsque la marchandise est consommée dans le pays de première importation ou lorsque la TVA n'est ensuite pas réglée dans l'État membre où la marchandise est transférée pour être effectivement consommée.
* 13 Régime dérogatoire réservé aux biens d'occasion permettant de n'imposer une transaction que sur la marge réalisée par le revendeur et non sur sa valeur totale.
* 14 Ibid.
* 15 Conseil des prélèvements obligatoires, La taxe sur la valeur ajoutée, la gestion de l'impôt et la fraude à la TVA, Jérôme Dian, juin 2015.