EXAMEN EN COMMISSION
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M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, je vous informe que, à la suite de l'examen des deux rapports législatifs inscrits à notre ordre du jour, je vous ferai une communication sur les problèmes posés par la reprise des cultes à la suite de l'ordonnance du Conseil d'État.
Nous examinons tout d'abord le rapport de M. Alain Marc sur la proposition de loi de Mme Josiane Costes, ici présente. M. Alain Marc interviendra par visioconférence. En attendant d'être connectés avec lui, nous allons entendre Mme Véronique Guillotin, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, à laquelle nous avons délégué les articles 5, 6 et 9.
Mme Véronique Guillotin , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - La commission des affaires sociales a reçu délégation de la commission des lois pour l'examen au fond des articles 5, 6 et 9 de la proposition de loi.
À l'article 5, l'intention de l'auteure, qui est de permettre l'agrément d'un assistant familial pour l'accueil d'un seul mineur placé, est en fait déjà satisfaite par le droit en vigueur. Rien ne s'oppose dans la loi à ce que les familles d'accueil soient agréées pour accueillir un seul enfant.
Concernant l'article 6, qui a pour objet de rendre obligatoire l'accompagnement par l'aide sociale à l'enfance (ASE) des mineurs émancipés et des majeurs de moins de 21 ans en situation de vulnérabilité, la commission des affaires sociales a émis plusieurs réserves. D'une part, cette mesure risquerait de créer d'importantes charges non compensées pour les conseils départementaux, en particulier dans le contexte de la crise sanitaire actuelle. D'autre part, il n'est pas certain qu'une telle obligation améliore substantiellement l'accompagnement des jeunes majeurs, dont le contenu resterait à l'appréciation des départements, et dont le caractère systématique n'apparaît pas adapté à toutes les situations. En outre, des mesures sont en train d'être mises en oeuvre dans le cadre d'une contractualisation avec l'État rendue possible par la « stratégie pauvreté », visant à prévenir les sorties sèches de l'ASE. C'est bien là tout l'enjeu.
L'article 9 prévoit que l'attribution des allocations familiales dues au titre d'un enfant confié à l'ASE ne peut être maintenue que partiellement au bénéfice de la famille, sur décision du juge. La commission des affaires sociales a considéré que le droit en vigueur et son application assurent un équilibre satisfaisant entre maintien et retrait des prestations familiales dues au titre d'un enfant confié à l'ASE. Le juge peut ainsi, dans le cadre actuel, agir au cas par cas, dans l'intérêt de l'enfant, bien sûr, et il ressort des quelques données disponibles qu'il n'est pas systématiquement dérogé au principe posé par la loi, qui prévoit le versement des allocations familiales à l'ASE pour les enfants placés.
En outre, je rappelle que, depuis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, les familles ayant au moins un enfant placé se voient retirer le versement de l'allocation de rentrée scolaire pour ce dernier. Cette allocation est versée à la Caisse des dépôts et consignations, puis récupérée par l'enfant à sa majorité.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales, après avoir examiné au fond ces trois articles, propose à votre commission de ne pas les adopter. La discussion de ce texte, qui met en lumière les fragilités réelles de l'accompagnement des mineurs vulnérables, sera cependant l'occasion d'échanger avec le Gouvernement sur les nécessaires réformes à engager pour améliorer la protection de l'enfance.
M. Philippe Bas , président . - Avant de céder la parole à M. Alain Marc, je veux demander à Mme Costes de réagir aux propositions de la commission des affaires sociales.
Mme Josiane Costes , auteure de la proposition de loi . - La présente proposition de loi intéresse au premier chef les départements, qui ont déjà des finances très fragilisées. Actuellement, on le sait, il y a un faible pourcentage - environ 30 % - de mineurs accompagnés jusqu'à 21 ans. Malheureusement, les sorties sèches sont très périlleuses. Les mineurs sortis brutalement de l'ASE ou d'un foyer ont souvent des difficultés d'insertion sociale et professionnelle. Les risques sont grands de les retrouver sans domicile fixe ou en très grande difficulté. Je voulais attirer votre attention sur ces problèmes. Je connais les difficultés financières des départements, mais nous sommes face à un péril, tant pour ces jeunes que pour la société. L'effort financier que représente ma proposition n'est certainement pas inutile.
M. Alain Marc , rapporteur . - La proposition de loi de notre collègue Josiane Costes comporte une série de dispositifs concernant les mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance et les mineurs isolés étrangers. Elle a conçu ce texte - si je ne la trahis pas - en se fondant sur son expérience locale, notamment les visites et auditions qu'elle a faites en tant que rapporteure pour avis de la mission budgétaire sur la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Initialement inscrite à l'ordre du jour du Sénat au titre de l'espace réservé du groupe RDSE, le 2 avril dernier, cette proposition de loi sera finalement discutée en séance le 28 mai prochain.
La commission des affaires sociales a été saisie pour avis avec une délégation de fond sur les articles 5, 6 et 9 - sur quinze articles au total - qui concernent l'aide sociale à l'enfance, que notre collègue Véronique Guillotin vient de nous présenter.
À titre liminaire, je souligne que les sujets abordés par la proposition de loi sont tout à fait d'actualité. Le travail de notre collègue s'inscrit dans une large réflexion menée sur la politique publique en matière de protection de l'enfance, dont chacun s'accorde à dire qu'elle doit être améliorée. De nombreux travaux ont été publiés au cours des derniers mois, parmi lesquels je citerai le rapport sur l'adoption de notre collègue Corinne Imbert et de la députée Monique Limon, remis au Premier ministre en octobre dernier, ou encore l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), publié le 7 mai dernier.
De son côté, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance pour les années 2019-2022. Cette stratégie est principalement fondée sur une contractualisation pluriannuelle entre l'État et les départements, mais elle comprend aussi un volet qui devra être mis en oeuvre par voie législative, en particulier sur l'adoption. Par ailleurs, la crise du Covid-19 et le confinement qui s'en est suivi ont mis en lumière avec acuité la difficile situation des enfants victimes de violences intrafamiliales et de ceux qui vivent dans des foyers de l'aide sociale à l'enfance ou dans des familles d'accueil.
La proposition de notre collègue se fonde sur un certain nombre de constats et d'objectifs mis en lumière par les travaux précédemment évoqués, et comprend de nombreuses mesures sur un champ très étendu. Toutefois, après audition des administrations centrales concernées, relevant des ministères de la justice, de la santé et de l'intérieur, ainsi que de l'Assemblée des départements de France, et après consultation de magistrats spécialisés, il me semble que le texte proposé n'apporte pas de réponse suffisamment efficace et globale aux problèmes actuels.
Surtout, il y a un point qui me semble particulièrement bloquant pour réformer le droit existant : le manque total de recul sur les différents dispositifs en place et leurs effets à long terme. Par exemple, sur les bénéfices comparés de l'adoption et du placement stable dans une famille d'accueil, il n'y a pas assez de connaissances chiffrées et de travaux de recherche menés dans la durée sur des cohortes d'enfants, ce que l'on appelle des études longitudinales. Il est très difficile de connaître de manière statistique et qualitative les parcours en protection de l'enfance des enfants, afin de comprendre quelle peut être la conséquence de telle ou telle décision les concernant, notamment en matière de délinquance ou de scolarité. On ne connait finalement que les cas dans lesquels les choses se sont très mal passées.
Ce besoin « d'objectiver » l'efficacité des mesures prises est reconnu, notamment par le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) ou, dernièrement, par le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE), qui a considéré que c'était « un préalable nécessaire à toutes les propositions d'amélioration ». C'est notamment la mission de l'Observatoire national de la protection de l'enfance, qui est en train de développer une base nationale d'observation longitudinale, dite « Olinpe », qui comprendra l'ensemble des données anonymisées des départements, et où chaque enfant ayant bénéficié de mesures en protection de l'enfance sera identifié par un numéro unique.
Je m'attacherai maintenant à vous présenter les principaux dispositifs et, si vous le souhaitez, je reviendrai, à votre demande, sur les autres articles dans un second temps.
Les articles 1 er et 2 visent à accélérer la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental dans le but d'offrir le plus tôt possible une prise en charge pérenne des enfants via l'adoption. Cette procédure a été créée par la loi du 14 mars 2016, et a remplacé la procédure de déclaration d'abandon, qui existait depuis cinquante ans. En vigueur depuis quatre ans, elle commence à montrer des résultats, et on observe une augmentation régulière du nombre de pupilles de l'État, qui est expliquée par un recours accru au délaissement - plus de 8 % en 2018 par rapport à 2017 avec 3 010 pupilles au total recensés au 31 décembre 2018. Je précise que le délaissement peut être prononcé à l'égard d'un seul parent. Ce n'est que lorsqu'il concerne les deux parents qu'il permet l'admission de l'enfant en tant que pupille de l'État, puis son éventuelle adoption.
Le texte prévoit de pouvoir constater le délaissement au bout de six mois seulement, et non plus un an, pour les enfants âgés de moins de trois ans. Il a aussi pour objet de supprimer l'obligation préalable de proposer des mesures de soutien appropriées aux parents. Il impose aux tribunaux judiciaires de statuer dans un délai de deux mois, réduit à un mois si l'enfant a moins de trois ans, à compter du dépôt de la requête.
Or il me semble hâtif de considérer qu'accélérer la procédure de délaissement parental améliorerait automatiquement l'adoptabilité des enfants . Tous les enfants délaissés ne deviennent pas pupilles de l'État et tous les pupilles de l'État ne sont pas nécessairement adoptables. Par ailleurs, le délai d'un an semble raisonnable au regard des difficultés que traversent les familles concernées. Le fait de devoir proposer aux parents des mesures de soutien appropriées pendant cette période est respectueux de l'article 18 de la Convention internationale des droits de l'enfant, et permet de mieux caractériser ensuite l'absence d'implication des parents. Enfin, contraindre les juges à statuer dans un délai de deux ou un mois ne semble ni réaliste ni souhaitable au vu de la complexité et des enjeux de ces dossiers, ainsi que de la nécessité de procéder à des investigations. Je vous rappelle que notre commission avait déjà rejeté en 2016 la proposition de fixer ce délai à six mois.
L'article 3 a pour objet de promouvoir un recours plus précoce à l'adoption simple, pour permettre, si tel est l'intérêt de l'enfant, de maintenir le lien avec sa famille biologique, même défaillante. Cependant, le dispositif proposé, qui consiste à faire préciser aux parents leur choix entre adoption plénière et adoption simple au moment de la remise au service d'aide sociale à l'enfance, ne paraît pas en mesure d'atteindre ce but. Un véritable changement de culture semble nécessaire, ainsi qu'une meilleure articulation des deux formes d'adoption au sein du code civil. Par ailleurs, un projet d'adoption doit pouvoir évoluer dans le temps et tenir compte des besoins et de la volonté exprimée par l'enfant. Il n'appartient pas aux parents qui confient leur enfant au service de l'aide sociale à l'enfance de faire ce choix pour lui.
L'article 4 rend plus difficile la reprise d'un enfant placé à l'initiative de l'un ou de ses parents auprès des services de l'ASE pendant la période de réflexion de deux mois qui leur est accordée. Deux formalités seraient imposées : un entretien avec le tuteur et la convocation du conseil de famille, mais il n'est pas précisé si celui-ci a la possibilité de s'opposer à la restitution de l'enfant. Ce dispositif me paraît susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits des parents de mener une vie familiale normale. La durée de réflexion est déjà suffisamment brève, sans qu'il soit besoin d'y ajouter des obstacles.
Dans un second temps, la proposition de loi entend également faciliter les démarches administratives sur le sol français des mineurs isolés étrangers, et leur permettre de s'intégrer le plus rapidement possible. Je vous en présenterai, là encore, les principaux articles.
L'article 10 instaure une présomption de désintérêt à l'égard des parents de mineurs étrangers arrivés sur le territoire national, et qui s'y trouveraient isolés. Il s'agit ainsi de faciliter la délégation de leur autorité parentale. Ce dispositif a déjà été rejeté par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; il me semble inutile, car les textes en vigueur permettent déjà au juge de prononcer une délégation d'autorité parentale pour un mineur isolé étranger quand c'est nécessaire. Il apparaît aussi attentatoire aux droits des parents de ces enfants, qui, souvent, suivent de près le parcours migratoire de leur enfant et ne sont donc pas tous « délaissants ».
L'article 11 permet l'attribution automatique de la nationalité française au mineur adopté en forme simple, et donc dans les mêmes conditions que celles qui sont actuellement prévues pour l'adoption plénière. Cette nouvelle modalité d'octroi de la nationalité ne semble pas nécessaire pour faciliter l'intégration de ces mineurs, qui disposent d'ailleurs d'une voie spéciale d'accès à la nationalité. Une telle mesure opérerait surtout un renversement très important de notre droit et modifierait la nature même de l'adoption simple.
L'article 13 vise à étendre le « droit au compte en banque » à tout mineur étranger dont les parents ne résident pas sur le sol français... mais ce droit concerne déjà « toute personne physique ou morale domiciliée en France » ! Le droit en vigueur permet donc déjà juridiquement l'exercice du « droit au compte » par des mineurs étrangers domiciliés en France, y compris si leurs parents ne résident pas sur le sol français. Le principal problème est d'ordre pratique : il concerne les obligations d'identification et de vérification de l'identité des mineurs isolés étrangers. Il ne provient pas de la rédaction actuelle de la loi. Il faudrait, de manière très concrète, une meilleure concertation entre les réseaux bancaires et les services départementaux chargés de la protection des mineurs étrangers.
Pour conclure, je salue l'intention de notre collègue Josiane Costes, qui, par ces propositions, souhaite améliorer des situations parfois très difficiles, et auxquelles nous sommes tous sensibles, mais je proposerai à la commission des lois, pour les raisons que j'ai développées, de ne pas adopter, à ce stade, ce texte. Cela permettra à notre collègue de présenter son texte dans sa rédaction initiale en séance et de défendre tous ces sujets qui lui tiennent à coeur, quitte éventuellement à retravailler certains articles, en proposant des améliorations par voie d'amendements.
Mme Josiane Costes . - Malgré l'urgence sanitaire, je me félicite de ce que le groupe RDSE ait maintenu l'examen de cette proposition de loi. En effet, bien que de nombreux progrès soient intervenus depuis l'adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant en 1989, l'intérêt et la parole de l'enfant étant mieux pris en compte, nos institutions restent perfectibles.
Lors des visites et auditions que j'ai menées, j'ai constaté à quel point les politiques de la protection de l'enfance pouvaient varier d'un département à un autre, en fonction des moyens alloués et de l'implication des professionnels qui en sont chargés.
Le premier objectif de cette proposition de loi est d'uniformiser les pratiques afin d'instaurer plus d'égalité entre les mineurs concernés, et, partant, une meilleure égalité des chances. Ensuite, considérant les problèmes budgétaires et afin de proposer un rééquilibrage des institutions de la protection de l'enfance, ce texte vise à renforcer l'adoption simple, qui me paraît respectueuse du droit à connaître ses origines, et qui offre à l'enfant un cadre protecteur. Il s'agit de se placer ni du côté des adoptants ni du côté des familles fragilisées, mais à hauteur de l'enfant, afin de prendre en compte son intérêt supérieur et d'éviter de lui faire connaître des parcours chaotiques très préjudiciables pour son avenir. Nous devons faire en sorte de lui assurer plus de stabilité pour son épanouissement et une meilleure insertion à l'âge adulte.
Mes chers collègues, je sais que je ne parviendrai pas à convaincre certains d'entre vous sur la nécessité d'agir envers les mineurs isolés étrangers. Cependant, la pandémie que nous venons de vivre a quand même mis en évidence leur extrême fragilité.
Je voudrais attirer votre attention sur un point très particulier : l'ouverture des comptes bancaires. Effectivement, il est actuellement possible d'ouvrir un compte, mais la procédure est si longue que, parfois, le mineur est devenu majeur lorsque le compte peut être ouvert. Or c'est un facteur très fragilisant pour les mineurs, car, étant en possession d'argent liquide, ils peuvent être victimes d'agressions sur la voie publique. C'est donc aussi un problème d'ordre public. Je vous rappelle qu'un mineur non accompagné est décédé au mois de février dernier en Seine-Saint-Denis sous les coups d'un agresseur qui en voulait à son petit pécule.
Pour conclure, permettez-moi de rendre hommage aux travaux de la chambre haute, où a débuté en 2016 le parcours de la loi précitée, sur l'initiative de Mmes Meunier et Dini, de façon totalement transpartisane. J'aimerais que cet état d'esprit constructif puisse prévaloir lors de l'examen de ce texte en séance pour que nous puissions mieux protéger les mineurs. Je souligne que c'est souvent sur des initiatives parlementaires que des progrès ont été faits dans ce domaine.
M. Philippe Bas , président . - Comme Alain Marc et vous-même, j'ai aussi eu des échanges avec le secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance, M. Adrien Taquet, et j'ai compris que c'était bien l'intention du Gouvernement de remettre l'ouvrage sur le métier. Votre proposition de loi est très ambitieuse puisqu'elle comporte à la fois des dispositions destinées à faciliter l'adoption, simple ou plénière, et à traiter le problème des mineurs isolés étrangers. Elle va permettre au débat de s'engager, même si nous ne nous sentons pas en mesure d'adopter ce texte tel quel et dès aujourd'hui.
Mme Josiane Costes . - Vous avez raison, ce texte est ambitieux, mais le sujet me tient beaucoup à coeur. Tout au long de ma vie politique, j'ai été témoin de véritables drames humains.
Par ailleurs, ces jeunes ont beaucoup de mal à s'insérer professionnellement, même dans des départements comme le mien, où il y a un fort besoin de main-d'oeuvre peu qualifiée, et ce malgré leur bonne volonté. À cet égard, j'y insiste, le problème des comptes bancaires n'est pas anodin, puisqu'il peut constituer un frein pour l'obtention d'un contrat d'apprentissage.
J'ai été longtemps enseignante et j'ai eu à connaître nombre d'enfants délaissés, ballottés de foyer en foyer ou de famille d'accueil en famille d'accueil. Cette insécurité affective est très préjudiciable. Les études montrent que les enfants adoptés vivant dans une famille stable, pérenne, protectrice réussissent mieux dans la vie. Il faut savoir que 40 % des SDF ont vécu des parcours très chaotiques pendant leur enfance. Par ailleurs, 30 % des mineurs délaissés s'insèrent très mal et connaissant de sérieux problèmes psychiatriques.
Enfin, j'ai des petits-enfants, et je puis vous dire que, à dix-huit ans, les jeunes, a fortiori en souffrance, ne sont pas prêts à affronter la vie. Je souhaite qu'une réflexion s'engage sur ces sujets.
M. Philippe Bas , président . - Ma chère collègue, permettez-moi de vous dire que je partage votre engagement. J'ai même eu le privilège, en tant que ministre, de faire voter au Parlement une loi sur l'adoption, à l'origine de la création de l'Agence française de l'adoption, et une autre sur la maltraitance et sa prévention. Je suis, comme vous, convaincu qu'une plus grande stabilité est indispensable à ces enfants pour éviter qu'ils ne plongent plus tard dans la précarité. Cela étant, j'ai pu aussi constater que les réponses apportées par la loi ne suffisent pas.
Mme Josiane Costes . - Bien sûr.
M. Philippe Bas , président . - La meilleure loi du monde n'efface pas de telles souffrances.
M. Jean-Yves Leconte . - Nous partageons beaucoup de points de l'analyse de Mme Costes sur l'aide sociale à l'enfance. Le droit au compte nous permet de revenir sur un débat que nous avons eu hier soir en séance publique au sujet des Français de l'étranger. C'est en effet primordial pour les étudiants mineurs boursiers en France, dont les parents sont à l'étranger, et qui mettent parfois six mois à toucher leur bourse.
Je suis aussi très préoccupé par le sort des mineurs isolés étrangers, que l'on ne peut pas lâcher dans la nature. C'est aussi un vrai problème pour l'ASE. C'est pour cette raison que nous avions défendu un certain nombre d'amendements dans le cadre de la loi dite « asile, immigration et intégration » de 2018. Il est impensable de passer brutalement de l'accompagnement à plus d'accompagnement du tout.
Je partage, en revanche, un certain nombre d'observations et de réserves de M. le rapporteur, en particulier sur l'article 4. Je comprends ce que nous dit Mme Costes sur l'intérêt supérieur de l'enfant, mais il importe aussi de conserver le plus de liens possible avec les parents biologiques. Cela fait partie de la définition de l'intérêt supérieur de l'enfant dans les conventions internationales dont nous sommes signataires. J'aurais donc plutôt tendance à m'aligner sur la position de notre rapporteur. Il en est de même pour les dispositions qui ne permettraient pas aux parents d'être suffisamment aidés pour restaurer des liens affectifs avec l'enfant après une période difficile.
De même, concernant l'article 10, vous proposez de faciliter l'accès à la nationalité française par le biais de l'adoption simple, mais il est parfois difficile de préjuger la volonté du mineur isolé étranger de ne pas conserver de liens avec son pays d'origine, d'autant que le cumul avec la nationalité française n'est pas possible avec tous les pays.
Mme Esther Benbassa . - Je félicite Mme Costes pour la qualité de son travail. J'ai été jeune enseignante dans une région où l'on plaçait beaucoup d'enfants, et je pouvais suivre leur évolution difficile. Peu d'entre eux allaient au lycée.
À mon sens, nous devrions élargir le débat aux mineurs isolés étrangers.
Enfin, je n'ai pas compris le problème qui se pose concernant le compte bancaire pour les mineurs. Pourriez-vous m'éclairer ?
Mme Josiane Costes . - Les mineurs étrangers non accompagnés ont du mal à ouvrir un compte bancaire, car il faut une décision du juge, en général très longue à obtenir. Or il est impossible de signer un contrat d'apprentissage sans compte bancaire. Le mineur touche donc en liquide les quelque 660 euros donnés par l'ASE, ce qui peut occasionner des troubles à l'ordre public.
Je ne suis pas juriste. J'admets donc que ma proposition de loi comporte des faiblesses. Néanmoins, j'ai pu observer un certain nombre de réalités qui, me semble-t-il, méritent d'être corrigées.
S'agissant de la nationalité, il me semble qu'un mineur de 15 ou 16 ans est capable de dire s'il veut être adopté ou pas, et, dans l'affirmative, s'il veut être Français ou pas. Pour moi, il n'est pas question d'imposer quoi que ce soit. Le mineur est consulté.
M. Philippe Bas , président . - Je profite de l'occasion pour rappeler qu'il n'est pas nécessaire d'être juriste pour faire partie de la commission des lois. C'est l'expérience qui compte pour apporter des solutions aux problèmes. Ensuite, tout est question de mise en forme, et nous pouvons compter sur l'assistance de nos collaborateurs. En ce qui me concerne, j'apprécie tout particulièrement votre contribution à nos travaux. Si ce sujet était facile à régler, il y a longtemps que cela serait fait.
Le problème, en l'occurrence, n'est pas forcément juridique. Toutes les situations sont particulières, et il n'est pas aisé de leur appliquer une règle uniforme. L'attention humaine est primordiale. À partir de quel degré de difficulté familiale faut-il placer un enfant ? Quel degré de délaissement peut-il justifier une adoption ? Je ressens une grande difficulté à régler tous ces problèmes par des mesures législatives qui peuvent tomber comme des couperets, quels que soient les délais que l'on aura retenus.
Mme Josiane Costes . - Il faut apporter de l'humain. Toute la difficulté est d'évaluer la souffrance des uns et des autres. Il y a quand même des professionnels qui sont capables de mesurer la toxicité d'un parent, mais, parfois, plus un parent est toxique, plus l'enfant a du mal à se dégager affectivement de lui, et il reproduira souvent les mêmes schémas plus tard. À mon sens, il faut tout de même un cadre juridique, pas trop rigide, sans doute, pour appréhender toutes ces situations.
M. Philippe Bas , président . - Ce qui rend difficile la tâche du législateur, c'est d'apporter, dans un texte, des réponses en fonction d'une situation abstraite alors que chaque situation est particulière.
Mme Brigitte Lherbier . - Je suis enchantée que Mme Costes aborde ce sujet avec autant de sincérité.
Monsieur le président, ne sous-estimez pas votre action. Depuis les années 1980, j'ai eu à travailler avec ces enfants placés auprès de ce que l'on appelait autrefois l'assistance publique. Toutes les réformes successives, souvent sur initiative parlementaire, ont été déterminantes. J'ai vu les choses bouger sur le terrain lorsque vous êtes intervenu, monsieur le président.
J'ai longtemps été présidente d'un conseil de famille des pupilles de l'État et je puis vous assurer que l'adoption reste quand même une belle idée. Les dossiers qui nous arrivaient concernaient des enfants qui avaient franchi tous les obstacles de la procédure de délaissement. Ce dernier terme a remplacé la notion d'abandon pour que les services sociaux ne culpabilisent pas, car, le problème, c'est que les dossiers restent souvent très longtemps dans les services sociaux. Ce qu'ils font en essayant de maintenir les liens parents-enfants est très courageux, mais le temps qui passe joue contre les enfants. Malheureusement, les juges ne sont pas, à ce stade, au courant de ces affaires, et, quand ils sont saisis, les enfants sont déjà très abîmés psychologiquement.
L'adoption peut être envisagée même quand les enfants ont grandi. On a vu de belles histoires avec des enfants de 7 ou 8 ans. Tout ne se joue pas avant 4 ans. Mais c'est vrai que ces enfants auraient pu être adoptés plus facilement en adoption simple. Les services sociaux et le juge ont moins de scrupules à maintenir le lien avec une mère droguée ou schizophrène s'il y a, à côté, des parents adoptifs solides. Beaucoup de candidats à l'adoption sont d'accord pour suivre une telle procédure.
On peut encore faire avancer les choses, mais je pense, madame Costes, que ces problèmes de délai ne sont pas forcément les plus faciles à régler, car les juges ne sont pas au courant des dossiers suivis par les services de l'ASE. À mon sens, c'est sur ce point qu'il faut agir.
M. Philippe Bas , président . - Madame la sénatrice, vos observations me vont droit au coeur, connaissant tout l'intérêt que vous portez à ce sujet.
Mme Marie Mercier . - Madame Costes, j'ai travaillé avec vous sur la question de la protection de l'enfance et je voulais vous dire combien j'avais apprécié votre hauteur de vue. Votre proposition de loi ouvre des pistes et permettra une prise de conscience salutaire pour les enfants « cabossés ». Merci, madame !
M. Alain Marc , rapporteur . - Mme Costes a abordé la question des départements et de l'agrément. En 2017, 732 pupilles ont été confiées à des conseils de famille en vue de l'adoption : 80 % d'entre eux ont été confiés à une famille de leur département ; 8 % ont trouvé une famille hors département ; et 12 % sont restés confiés à une famille d'accueil.
Monsieur Leconte, il se trouve que le droit au compte existe déjà et que l'on devrait être capable de régler cela soit par une circulaire, soit en négociant directement avec les banques.
Enfin, madame Lherbier, vous avez raison, le raccourcissement des délais ne serait pas forcément une bonne solution. Tous les cas sont différents et ils nécessitent beaucoup d'investigations.
Je confirme donc ma proposition de rejet du texte, tout en réaffirmant le besoin de travailler plus profondément sur ces sujets. Je vous donne rendez-vous pour la discussion en séance publique le 28 mai.
Mme Josiane Costes . - Je veux simplement rappeler que l'adoption simple n'efface pas les liens biologiques. S'agissant des comptes bancaires, je sais que la possibilité existe, mais les délais sont beaucoup trop longs.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article additionnel avant le titre I
er
:
|
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COM-1 rect. |
Respect mutuel entre les parents et les enfants |
Satisfait ou sans objet |
|
Interdiction des violences physiques ou psychologiques en matière de formation scolaire |
Satisfait ou sans objet |
||
Interdiction des violences physiques ou psychologiques en matière d'éducation |
Satisfait ou sans objet |