N° 406

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 avril 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1)
sur le projet de loi de
finances rectificative , adopté par l'Assemblée nationale,
pour
2020 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Jean Bizet, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

2820 , 2822 et T.A. 415

Sénat :

403 (2019-2020)

PREMIÈRE PARTIE

UNE TRAJECTOIRE DES FINANCES PUBLIQUES
DE NOUVEAU FORTEMENT BOULEVERSÉE
PAR LA CRISE SANITAIRE

I. L'ANTICIPATION D'UN RECUL DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT SANS PRÉCÉDENT, MALGRÉ UN SCÉNARIO DE REPRISE VOLONTARISTE

Moins d'un mois après l'adoption de la première loi de finances rectificative pour 2020, déjà marquée par une forte révision à la baisse de l'hypothèse d'évolution du produit intérieur brut (PIB) pour 2020 (- 1 %, contre + 1,3 % en loi de finances initiale), le présent projet de loi repose sur un scénario de croissance radicalement différent (- 8 %) .

A. LA PROLONGATION DU CONFINEMENT ET LES PREMIÈRES ESTIMATIONS DE SES EFFETS SUR L'ACTIVITÉ CONDUISENT LE GOUVERNEMENT À REVOIR FORTEMENT À LA BAISSE SA PRÉVISION DE CROISSANCE

La prévision gouvernementale reste fondée sur l'hypothèse d'une absence de rebond de l'épidémie de Coronavirus au second semestre. Dès lors, le scénario de croissance pour 2020 dépend de quatre principaux paramètres :

- le profil de la croissance 2019 ;

- l'évolution de l'activité du 1 er janvier 2020 au début du confinement ;

- la perte d'activité liée au confinement ;

- la rebond de l'économie française en sortie de confinement.

1. La chute de l'activité pendant le confinement devrait conduire à un recul de l'activité inédit dès le premier trimestre 2020

Les nouveaux développements intervenus depuis la première loi de finances rectificative n'ont pas modifié l'appréciation portée sur les deux premiers paramètres.

S'agissant du profil de la croissance 2019, celui-ci est défavorable, compte tenu notamment de la baisse non anticipée du PIB de 0,1 % au dernier trimestre de l'année , dont l'Insee a fait état lors de la publication des comptes trimestriels le 28 février 2020.

À titre de rappel, plus le profil infra-annuel de la croissance de l'année précédente est ascendant, plus l'économie dispose d'une « rampe de lancement » favorable pour l'exercice à venir. À l'inverse, un profil descendant est fortement handicapant pour la croissance de l'exercice suivant.

L'acquis de croissance, qui correspond à la croissance qui serait enregistrée sur l'ensemble de l'année si l'activité restait au même niveau qu'au dernier trimestre de l'exercice précédent, permet à cet égard de quantifier la « rampe de lancement » dont dispose l'économie en début d'exercice.

Pour l'exercice 2020, l'acquis de croissance est limité à 0,2 %. Autrement dit, si la croissance de trimestre à trimestre était nulle tout au long de l'exercice 2020, la croissance 2020 s'élèverait malgré tout à 0,2 %.

Acquis de croissance pour 2020

(produit intérieur brut trimestriel, en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)

Il faut ainsi remonter à 2013 pour trouver une « rampe de lancement » aussi peu favorable pour l'économie française.

Acquis de croissance en début d'année

(taux d'évolution du PIB en volume)

2013

0,0

2014

0,5

2015

0,4

2016

0,4

2017

0,5

2018

1,1

2019

0,6

2020

0,2

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)

S'agissant de l'évolution de l'activité du 1 er janvier 2020 jusqu'au début du confinement, elle devrait logiquement se situer au voisinage de zéro .

En effet, il paraît acquis que l'épidémie de Coronavirus a pesé sur l'économie dès le début de l'année, par son effet sur la production chinoise.

Les mesures de confinement drastiques mises en place en Chine se sont vraisemblablement traduites par une diminution de la demande adressée à la France - la Chine représentant 4,2 % des exportations françaises 1 ( * ) - et une perturbation des chaînes de production des entreprises françaises.

Ainsi, l'Institut des politiques publiques (IPP) estime qu'un choc négatif de 10 % sur la production chinoise pourrait réduire le PIB français de 0,3 % uniquement à travers les chaînes de valeur, ce qui serait « suffisant pour que la croissance de 0,2 % sur le premier trimestre 2020 qui était prévue par l'Insee en décembre 2019 se transforme en réduction de l'activité » 2 ( * ) .

Or, les premières données publiées par les autorités chinoises indiquent que la chute de l'activité intervenue au premier trimestre 2020 s'élèverait à 9,8 % par rapport au dernier trimestre 2019 3 ( * ) .

Si ces deux premiers paramètres étaient connus lors de l'examen du premier projet de loi de finances rectificative, la durée du confinement décidé en France pour lutter contre la diffusion rapide de l'épidémie et son effet sur l'activité restaient très incertains.

Sur ce dernier point, la commission des finances avait certes fait état de premières données chinoises préoccupantes 4 ( * ) , qui l'avaient d'ailleurs conduite à considérer que la prévision de croissance gouvernementale était optimiste, mais celles-ci restaient parcellaires et difficilement transposables au cas français.

Depuis lors, différentes évaluations, dont certaines s'appuient sur la mobilisation en temps réel de données inédites sur l'activité française, sont venues confirmer l'impact massif du confinement au plan économique, avec une baisse du PIB comprise entre 25 % et 36 % par rapport à la normale.

Perte d'activité instantanée liée au confinement
par rapport à une période « normale »

(baisse du PIB, en pourcentage)

Insee

- 36

OCDE

- 25

OFCE

- 32

Banque de France

- 32

Source : commission des finances du Sénat (à partir de : Insee, « Point de conjoncture », 9 avril 2020, p. 8)

Ainsi, chaque quinzaine de confinement ferait perdre environ 1,5 point de PIB annuel et 6 points de PIB trimestriel à l'économie française.

À partir de ces travaux, la Banque de France estime que le PIB aurait reculé de 6 % au premier trimestre , marqué par une première quinzaine de confinement à la fin du mois de mars, après deux mois et demi d'activité au voisinage de zéro 5 ( * ) .

Il s'agirait du plus fort recul trimestriel du PIB de l'après-guerre.

Comparaison de la prévision de croissance de la Banque de France pour le premier trimestre 2020 avec les plus bas niveaux atteints depuis 1949

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)

2. La prolongation du confinement conduit le Gouvernement à anticiper une chute du PIB de 8 % en 2020

Si les effets du confinement sur l'activité française sont aujourd'hui mieux appréhendés, sa durée a également été révisée .

Alors que le scénario macroéconomique sous-jacent à la première loi de finances rectificative reposait sur une durée de confinement d'un mois, ce dernier devrait finalement durer au moins deux mois.

Près de la moitié du second trimestre serait donc concerné par le confinement , dont la prolongation jusqu'au 11 mai 2020 a été annoncée par le Président de la République. Si le Gouvernement a malheureusement refusé de transmettre au Parlement le profil infra-annuel de sa prévision de croissance, cela devrait en toute logique entraîner une chute encore plus grande de l'activité au deuxième trimestre, avant un rebond au second semestre.

Sur l'ensemble de l'année, le Gouvernement estime que la chute du PIB s'élèverait à 8 %, contre 1 % dans le cadre de la première loi de finances rectificative.

Évolution de l'hypothèse gouvernementale
de croissance du PIB pour l'année 2020

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Il s'agirait là aussi de la plus mauvaise performance de l'après-guerre .

Comparaison de la prévision de croissance pour 2020
avec les plus bas niveaux atteints depuis 1949

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)


* 1 Camille Bortolini et Estelle Jacques, « Les relations commerciales entre la France et la Chine en 2018 », direction générale du Trésor, 4 avril 2019.

* 2 Institut des politiques publiques, « Propagation des chocs dans les chaînes de valeur internationales : le cas du coronavirus », Note IPP n° 53, mars 2020.

* 3 Les Échos, « Coronavirus : le grand bond en arrière du PIB chinois », 17 avril 2020.

* 4 Rapport n° 385 (2019-2020) d'Albéric de Montgolfier sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2020, fait au nom de la commission des finances et déposé le 20 mars 2020, p. 11.

* 5 Banque de France, Point sur la conjoncture française à fin mars 2020, 8 avril 2020.

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