N° 280
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 janvier 2020 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la
proposition de loi tendant
à assurer
l'
effectivité
du
droit
au
transport
,
à améliorer les
droits
des
usagers
et à répondre aux
besoins essentiels
du
pays
en cas de
grève
,
Par Mme Pascale GRUNY,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe . |
Voir les numéros :
Sénat : |
166 et 281 (2019-2020) |
L'ESSENTIEL
I. LE LÉGISLATEUR EST COMPÉTENT POUR DÉTERMINER LES LIMITES INHÉRENTES AU DROIT DE GRÈVE
A. LE DROIT DE GRÈVE EST UN DROIT CONSTITUTIONNEL QUI CONNAÎT DES LIMITES
1. Un droit dont le constituant a prévu qu'il n'était pas absolu
Le droit de grève, c'est-à-dire pour des travailleurs de cesser de manière concertée leur travail pour défendre des revendications professionnelles, est garanti par le préambule de la Constitution de 1946.
Ce droit n'est pour autant pas un droit absolu, et le constituant a confié au législateur la tâche de déterminer le cadre dans lequel il s'exerce, afin notamment d'en assurer la conciliation avec d'autres principes de valeur constitutionnelle.
Dès 1979, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle » 1 ( * ) .
2. Un encadrement qui peut aller jusqu'à l'interdiction de la grève
Dans le secteur privé, la loi se borne à préciser que l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail hors faute lourde et à proscrire toute mesure discriminatoire envers un salarié gréviste (art. L. 2511-1 du code du travail).
Dans le secteur public, le Conseil d'État a eu l'occasion de juger qu'en l'absence de cadre législatif, il appartient à l'administration de fixer les limitations qu'il convient d'apporter à l'exercice du droit de grève pour en éviter « un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public » 2 ( * ) . Ce raisonnement a été développé dans le cas de la RATP, le Conseil d'État ayant jugé que « les organes dirigeants d'un établissement public, agissant en vertu des pouvoirs généraux d'organisation des services placés sous leur autorité, sont, sauf dispositions contraires, compétents pour déterminer » les limitations qui doivent être apportées au droit de grève « en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public » 3 ( * ) .
Le législateur est ensuite intervenu pour fixer des règles communes à l'ensemble des agents du service public, notamment en conditionnant l'exercice du droit de grève au dépôt d'un préavis (art. L. 2512-2).
Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 25 juillet 1979, que les limitations que le législateur peut apporter au droit de grève « peuvent aller jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ».
Une telle privation du droit de grève peut toucher certaines catégories d'agents de manière générale en raison de la nature des fonctions qu'ils exercent. C'est notamment le cas des militaires, des magistrats ou encore de certains agents de l'administration pénitentiaire.
Elle peut conduire, de manière plus ciblée, à ce que certains agents soient requis de rester à leur poste afin d'assurer la continuité d'une mission essentielle, par exemple dans le secteur de la navigation aérienne 4 ( * ) ou dans le service public de l'audiovisuel 5 ( * ) .
Par ailleurs, l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales permet au préfet, en cas de menace imminente à l'ordre public, de réquisitionner tout service, public ou privé et de requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service. Par exemple, le préfet des Yvelines a pu légalement requérir certains personnels de l'établissement pétrolier de Gargenville en octobre 2010 afin de faire face à un risque de pénurie de carburant dans la région Île-de-France, qui était de nature à créer un risque pour l'ordre public 6 ( * ) .
3. Un encadrement spécifique aux transports publics partiellement étendu à d'autres secteurs
Compte tenu des conséquences pour un grand nombre d'usagers que peut avoir l'exercice du droit de grève dans les services publics des transports, le législateur y a prévu un encadrement spécifique.
La loi « Bertrand » du 21 août 2007 7 ( * ) a ainsi imposé une obligation de négociation en amont des conflits pouvant survenir et a visé à garantir aux usagers, à défaut de service minimum, une certaine prévisibilité quant au service assuré.
Le Conseil constitutionnel a validé cet encadrement, considérant que le législateur est habilité à opérer la conciliation nécessaire « entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ». En ce qui concerne les services publics, le législateur peut donc apporter au droit de grève « les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ».
La loi « Diard » du 19 mars 2012 a en partie étendu ces dispositions au secteur du transport aérien 8 ( * ) .
Par ailleurs, un dispositif d'alarme sociale et de déclaration préalable d'intention de faire grève, inspiré des dispositions de la loi « Bertrand », a été mis en place s'agissant des enseignants des écoles maternelles et primaires par la loi du 20 août 2008 instituant un droit d'accueil pour les élèves 9 ( * ) .
Un préoccupation partagée en Europe La plupart de nos voisins européens ont pris des mesures permettant d'assurer la couverture des besoins essentiels de la population en cas de grève, même si leur effectivité est fortement conditionnée à la culture du dialogue social et à la responsabilité des partenaires sociaux 10 ( * ) . Il s'agit parfois d'une autorégulation prévue par les partenaires sociaux dans le cadre de conventions collectives, notamment dans les pays du nord de l'Europe. Au Royaume-Uni, où les transports publics sont largement privatisés, la réquisition de salariés grévistes est possible mais les grèves y sont rares. L'Italie est sans doute le pays qui est allé le plus loin en prévoyant un service normal aux heures de pointe et en prohibant la grève pendant les périodes de fête, de départ en vacances et en période électorale. Toutefois, les informations recueillies par le rapporteur au cours de ses auditions indiquent que le service minimum prévu par la loi n'est pas assuré en cas de mouvement social dur. Enfin, l'absence de législation sur le service minimum en Allemagne est liée au fait que les grèves dans les transports y sont très rares et généralement limitées, de l'initiative même des syndicats, à quelques heures par jour. |
* 1 Conseil constitutionnel, décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail.
* 2 Conseil d'État, 7 juillet 1950, décision n° 01645, Dehaene.
* 3 Conseil d'État, 8 mars 2006, n° 278999. En l'espèce, le Conseil d'État a jugé que, si elle était compétente pour le faire, la RATP n'était pas tenue d'instaurer un service minimal.
* 4 Loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l'aviation civile, et relative à l'exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne.
* 5 Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
* 6 Conseil d'État, 27 octobre 2010, n° 343966.
* 7 Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
* 8 Loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
* 9 Loi n° 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
* 10 Source : rapport n° 385 (2006-2007) de Catherine Procaccia au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, déposé le 12 juillet 2007.