N° 224
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 janvier 2019 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île - de - France ,
Par Mme Sophie PRIMAS,
Sénateur
Procédure de législation en commission,
en application de l'article 47 ter du Règlement
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot . |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
2152 , 2435 et T.A. 354 |
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Sénat : |
159 et 225 (2019-2020) |
La commission a examiné cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission, en application de l'article 47 ter du Règlement.
En conséquence seuls sont recevables en séance, sur cette proposition de loi, les amendements visant à :
- assurer le respect de la Constitution,
- opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur,
- procéder à la correction d'une erreur matérielle.
L'ESSENTIEL : PÉRENNISER UNE EXPÉRIMENTATION RÉUSSIE POUR PROTÉGER UNE FORÊT FRANCILIENNE PARTICULIÈREMENT MENACÉE PAR LE MITAGE ET LA « CABANISATION »
Présentation générale - La proposition de loi n° 159 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France a pour but de pérenniser une expérimentation lancée il y a bientôt trois ans. Le Sénat avait lancé cette initiative au cours de la discussion du projet devenu loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain.
Prévu pour une durée de trois ans, ce dispositif expérimental a démontré son utilité sur le terrain mais il arrive bientôt à son terme et risque de s'éteindre si le législateur n'intervient pas pour le pérenniser.
- Il s'agit de protéger la forêt francilienne, « poumon vert » de la région la plus densément peuplée de l'hexagone, mais particulièrement exposée au phénomène de « mitage forestier ». Concrètement, des parcelles de petite taille sont vendues, pour un prix élevé, à des particuliers et font ensuite l'objet d'un usage non conforme à leur vocation naturelle ou à leur classement dans les documents d'urbanisme : il en résulte un processus de « cabanisation ».
- Le mécanisme retenu pour contrecarrer cette évolution a été de créer un droit de préemption de petites parcelles forestières au profit de la seule société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) d'Île-de-France (art. L. 143-2-1 du code rural introduit par la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain).
- Pour satisfaire les exigences constitutionnelles, le législateur a choisi d'adopter un dispositif expérimental, conformément à la méthode définie par l'article 37-1 de la Constitution et aux conditions posées et par la jurisprudence. Notre droit admet ainsi certaines dérogations au principe d'égalité sous réserve de leur caractère explicite, de leur limitation dans le temps et de la réalisation d'un bilan de l'expérimentation.
- Le délai butoir de ce dispositif est de trois ans et, à défaut de pérennisation, il prendrait fin en mars 2020.
L'examen du texte par l'Assemblée nationale - Les députés ont examiné ce texte en commission des affaires économiques puis l'ont adopté le 28 novembre en procédure simplifiée.
La perspective d'un élargissement du périmètre du dispositif ou d'un assouplissement de ses critères d'application a été écartée. À l'initiative de la rapporteure Aude Luquet, un texte identique au droit en vigueur a été adopté - en supprimant, bien entendu, le délai d'expérimentation de trois ans. Une telle rédaction est plus restrictive que celle de la proposition de loi initiale qui envisage d'assouplir le critère de zonage prévu par l'article L. 143-2-1 du code rural. Elle permet cependant d'écarter le risque de non-conformité à la Constitution.
Les observations de la commission des affaires économiques
- Le succès de l'expérimentation est le critère fondamental pour permettre au législateur d'évaluer le bien-fondé d'une pérennisation. C'est également une condition de validité essentielle selon le juge constitutionnel : celui-ci vérifie, en effet, que la pérennisation ou la généralisation d'un dispositif dérogatoire repose bien sur une évaluation de sa mise en oeuvre solide et convaincante.
Or le bilan de la mise en oeuvre du nouveau droit de préemption du 28 février 2017 au 31 octobre 2019 transmis par la SAFER de l'Île-de-France démontre bien la nécessité de pérenniser le dispositif. En effet, sur presque 200 cas de mise en oeuvre du droit de préemption de parcelles forestières, la moitié n'aurait pas été possible sans actionner le dispositif expérimental.
Plus en détail, quantitativement, depuis février 2017, l'objectif de protection et de mise en valeur de la forêt a figuré parmi les motifs invoqués par la SAFER dans 198 procédures de préemption, soit 39 % des 510 préemptions exercées au total : cet outil juridique est donc pleinement opérationnel .
On constate surtout que, dans 107 cas, le principal objectif invoqué a été la protection et la mise en valeur de la forêt. Par conséquent, et comme l'ont opportunément souligné les députés, en l'absence de cette disposition, dans ces 107 cas, soit environ 20 % des préemptions de la SAFER, celle-ci n'aurait pas pu empêcher la vente des parcelles et l'accroissement du mitage forestier qui en aurait résulté.
En outre, qualitativement, la mise en oeuvre de ce droit permet de contrecarrer la tendance au morcellement extrême de la forêt francilienne . Les 198 ventes sur lesquelles la SAFER est intervenue représentent une surface totale d'environ 105 hectares de foncier forestier. Il en ressort une surface moyenne de 5 289 m 2 par opération, soit environ le sixième du plafond de 3 hectares (30 000 m 2 ) prévu par la loi. Tout en luttant contre l'émiettement forestier, ce dispositif est donc mis en oeuvre de façon mesurée et trouve à s'appliquer à des parcelles de très petite surface, ce qui minimise d'éventuelles atteintes aux droits des propriétaires forestiers.
En pratique, il convient de signaler que seules 24 % des préemptions fondées sur un objectif forestier ont donné lieu, pendant l'expérimentation, à une acquisition. En effet, lorsque la SAFER souhaite exercer son droit de préemption, elle peut émettre, si le prix de la parcelle est jugé excessif, une contre-offre. Le propriétaire du bien préempté est alors tenu, dans un délai de six mois, d'accepter cette offre, d'annuler la vente ou de contester ce prix. Ce n'est qu'à l'expiration de ce délai que le sort de la parcelle est connu. La SAFER de l'Île-de-France estime que deux tiers des dossiers instruits en révision de prix aboutissent à un retrait de vente, ce qui permet d'éviter le mitage. L'efficacité du dispositif comporte donc un volet préventif et dissuasif particulièrement utile . En effet, lorsqu'une parcelle est vendue, illégalement défrichée et artificialisée, il est particulièrement difficile, pour les communes, d'intervenir, car notre droit prévoit un certain nombre de souplesses permettant de s'installer à titre provisoire dans certains habitats démontables ou mobiles.
- S'agissant de la conformité juridique de ce texte, qui ne s'applique que sur une portion du territoire hexagonal, on peut d'abord citer, comme précédent, la décision du Conseil constitutionnel (n° 89-270 DC) qui a validé la création d'une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France. Pour écarter l'argument de la violation du principe d'égalité, le juge a pris en considération les « difficultés spécifiques » qui se manifestent sur ce territoire « avec une acuité particulière ». D'autre part, un récent arrêt Conseil d'État (C.E. 6 novembre 2019 n° 422207), indique, à propos d'un décret relatif au traitement des demandes d'asile en Guyane, que la pérennisation locale d'une expérimentation n'est pas incompatible avec le droit en vigueur si elle est justifiée par une différence de situation. L'expérimentation n'a pas nécessairement vocation à être généralisée au-delà de son champ d'application car la différence de traitement ne doit pas être manifestement disproportionnée avec la différence de situation.
Pour justifier la nécessité d'un dispositif spécifique à la forêt francilienne, il convient de rappeler que celle-ci est trois fois plus morcelée que dans l'ensemble de l'hexagone, avec des parcelles d'une superficie moyenne d'un hectare, ce qui affaiblit son potentiel de gestion et de protection. Sa superficie de 261 000 hectares correspond à un taux de boisement de 21 % pour l'Île-de-France, contre 31 % en moyenne hexagonale mais cet espace forestier doit être d'autant plus préservé qu'il bénéficie à 12 millions d'habitants dans la région la plus densément peuplée de l'hexagone , avec 1 006 habitants au kilomètre carré. Les forêts franciliennes doivent donc rester en mesure de bénéficier de ce que les scientifiques appellent l'« effet fertilisant » du CO 2 qui permet aux arbres de se développer en capturant du carbone (C) tout en diffusant de l'oxygène (O 2 ) dans l'atmosphère francilienne. De plus ces peuplements forestiers sont les garants d'une certaine fraicheur climatique pour les franciliens puisqu'un arbre d'assez grande taille puise environ 100 litres d'eau par jour dans le sol et en vaporise une grande proportion dans l'air.
Réunie le mercredi 8 janvier 2020, sous la présidence de Mme Sophie Primas, la commission des affaires économiques a examiné le rapport également présenté par cette dernière. Sur ses recommandations, la commission a adopté sans modification, selon la procédure de législation en commission, la proposition loi n° 159 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France.
La proposition de loi sera examinée en séance publique le mardi 14 janvier 2020 à la demande de la commission des affaires économiques. Conformément aux articles 47 ter et 47 quinquies du Règlement du Sénat adopté le 14 décembre 2017, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement sur les articles concernés s'est exercé uniquement en commission, tandis que la séance plénière sera centrée sur les explications de vote et le vote lui-même.
La commission des Affaires économiques a adopté la proposition de loi sans modification. |