N° 2453
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUINZIÈME LÉGISLATURE |
N° 156
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020 |
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Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 novembre 2019 |
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI visant à agir contre les violences au sein de la famille ,
PAR M. Aurélien PRADIÉ, Rapporteur,
Député
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PAR Mme Marie MERCIER,
Sénateur
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(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas, sénateur, président ; Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente ; Mme Marie Mercier, sénateur, M. Aurélien Pradié, député, rapporteurs .
Membres titulaires : Mmes Catherine Di Folco, Annick Billon, Marie-Pierre de la Gontrie, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Françoise Cartron, sénateurs ; M. Guillaume Vuilletet, Mme Fiona Lazaar, MM. Guillaume Gouffier-Cha, Antoine Savignat et Mme Josy Poueyto, députés.
Membres suppléants : Mme Muriel Jourda, M. François-Noël Buffet, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé, Mmes Laurence Rossignol, Esther Benbassa et Josiane Costes, sénateurs ; Mme Alexandra Louis, M. Dimitri Houbron, Mmes Marietta Karamanli, Sophie Auconie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Caroline Fiat et M. Stéphane Peu, députés .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
Première lecture :
2201, 2283
et
T.A.
344
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Sénat : |
Première lecture :
57, 96, 97
et
T.A.
24
(2019-2020)
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Mesdames, Messieurs,
La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille s'est réunie au Sénat le mercredi 27 novembre 2019.
Le bureau a été ainsi constitué :
- M. Philippe Bas, sénateur, président ;
- Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente.
La commission a désigné :
- Mme Marie Mercier, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;
- M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
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* *
La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Nous délibérons aujourd'hui d'une proposition de loi d'une grande importance, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale - le Sénat a été moins heureux... ou chanceux -, mais nous nous réjouissons qu'un large accord se soit dessiné autour des principales dispositions.
Ce texte s'inscrit dans une démarche qui dépasse le travail parlementaire dans la mesure où le Gouvernement a organisé un Grenelle des violences conjugales, à la suite duquel le Premier ministre a annoncé des décisions importantes au début de cette semaine. Nous avons de bonnes raisons de vouloir continuer à travailler dans cet esprit de consensus et de mobilisation nationale pour faire reculer les violences faites essentiellement aux femmes, et notamment les plus graves appelées aujourd'hui « féminicides ».
Mme Marie Mercier , sénateur, rapporteur pour le Sénat . - Le Sénat a adopté en première lecture, le 7 novembre dernier, la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille qui nous avait été transmise par l'Assemblée nationale.
La discussion de ce texte en séance publique a été moins consensuelle au Sénat qu'elle n'avait pu l'être à l'Assemblée nationale, comme vient de le souligner le président Bas. Plusieurs de nos collègues auraient souhaité enrichir le texte, en y ajoutant notamment des dispositions évoquées dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. Notre commission a adopté, sur certains points, une position plus prudente, considérant qu'elle n'avait pas eu le temps d'examiner de manière approfondie, dans le court délai qui lui a été imparti, tous ces sujets, qui sont, pour certains, forts complexes. Cette différence d'approche a pu entraîner des incompréhensions, qui ne nous empêcheront pas, je l'espère, d'aboutir ce soir à un large accord sur ce texte attendu par nos concitoyens.
Cette position de prudence ne nous a pas empêchés d'adopter vingt-trois amendements dans le cadre de nos travaux en commission, puis treize amendements supplémentaires au cours du débat en séance publique.
Permettez-moi de revenir brièvement sur les principaux apports du Sénat.
Sur l'initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain, nous avons tout d'abord adopté un amendement, devenu l'article 1 er A, prévoyant que la question de la lutte contre les violences conjugales sera abordée au cours de la journée Défense et citoyenneté (JDC).
Toujours à l'initiative du groupe socialiste et républicain, deux amendements ont ensuite été adoptés, malgré l'avis défavorable de la commission et du Gouvernement : le premier, à l'article 1 er B, aurait pour effet d'interdire à une victime de violences conjugales d'inscrire une main courante en lui imposant de déposer une plainte ; le second, à l'article 1 er , vise à imposer le recours à la voie administrative pour l'assignation du défendeur dans le cadre d'une ordonnance de protection ; l'assignation par huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception ne serait donc plus possible. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces deux sujets dans la suite de notre discussion.
Le Sénat a voté conforme l'article 2, relatif à l'ordonnance de protection, de manière à préserver l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale. Compte tenu des interrogations qui se sont exprimées au cours des auditions, il nous a cependant paru opportun de donner un caractère expérimental, pour une durée de trois ans, à la mesure permettant au juge aux affaires familiales (JAF) d'ordonner l'utilisation du bracelet anti-rapprochement (BAR). Tel est l'objet de l'article 2 quater sur lequel nous aurons également l'occasion de revenir.
Adopté sur proposition du Gouvernement, l'article 2 ter prévoit que les personnes soumises à une interdiction de détenir ou de porter une arme, en application d'une ordonnance de protection, seront inscrites au Fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (Finiada), ce qui nous a paru parfaitement cohérent.
À l'article 2 quinquies , nous avons adopté, sur la proposition de notre collègue Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, une demande de rapport sur la question du retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation pour violences conjugales. Nous avons souhaité ainsi marquer notre intérêt pour cette question importante sur laquelle nous voulions poursuivre la réflexion.
Les articles 2 sexies , septies et octies ont été adoptés sur la proposition de plusieurs de nos collègues du groupe socialiste et républicain. Les deux premiers articles visent à exclure de la succession le conjoint condamné pour des faits de violence envers le défunt. Le troisième vise à exclure, en cas de divorce, l'ex-conjoint survivant du bénéfice de la pension de réversion. Il nous a semblé que ces trois mesures enverraient un signal fort : la solidarité qui existe normalement entre conjoints ou ex-conjoints n'a plus lieu d'être en cas de violences conjugales.
Concernant le volet pénal, le Sénat a surtout adopté, à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Grand, des dispositions visant à préciser la manière dont la personne qui dépose plainte est informée de la possibilité de bénéficier d'un bracelet anti-rapprochement. Le Sénat a adopté sans modification l'article relatif au téléphone grave danger (TGD).
Concernant le volet logement, nous avons approuvé les expérimentations proposées, qui sont destinées à faciliter le relogement des victimes. Nous n'avons pas jugé utile de prévoir dans la loi la création d'un comité de pilotage de ces expérimentations, mais il s'agit là d'une question assez secondaire sur laquelle nous pouvons évoluer. Le Sénat a également supprimé l'article 7 ter , qui nous a paru satisfait par le droit en vigueur et ne relève pas du domaine législatif.
Le Sénat a enfin supprimé aux articles 10 A et 10 B des demandes de rapport, qui ne nous ont pas semblé indispensables, et il a procédé à des ajustements à l'article sur l'application outre-mer.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je vous remercie de cet exposé très détaillé et pédagogique, inspiré par les valeurs d'humanisme dont vous êtes porteuse sur tous les sujets que vous traitez.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Comme nous tous !
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je souligne d'ailleurs que nous sommes réunis dans cette salle, sous une reproduction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui ne peut qu'inspirer de sages décisions...
M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - Je remercie tout d'abord le président Bas de nous accueillir au Sénat.
Permettez-moi d'évoquer les deux contextes dans lesquels s'inscrit le texte dont nous discutons ce soir.
Je rappellerai en premier lieu le contexte national. Lorsque j'ai présenté cette proposition de loi le 15 octobre devant l'Assemblée nationale, j'avais décompté le nombre de femmes tombées sous les coups de leur compagnon, non par mise en scène, mais pour que chacun mesure la responsabilité qui était la sienne. Aujourd'hui, je devrais compter 138 femmes, contre 117 il y a seulement quelques semaines.
La responsabilité qui nous incombe est singulière. Toutes les commissions mixtes paritaires sont importantes en ce qu'elles sont l'aboutissement du travail législatif, mais celle-ci l'est tout particulièrement. Aussi, dans les discussions qui vont suivre, chacune et chacun d'entre nous ne doit-il jamais perdre de vue la question de fond : tout faire pour faire avancer la cause des victimes de violences, et le plus tôt sera le mieux. Une seule bataille mérite d'être menée, celle de la protection des femmes ; toutes les autres sont secondaires et négligeables - gardons cela à l'esprit.
Le second contexte est législatif. Le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale a souhaité consacrer, dès l'été dernier, sa journée d'ordre du jour réservée à l'examen de deux textes relatifs à la défense des femmes victimes de violences, de leurs enfants et de leur famille. D'ailleurs, le titre de cette proposition de loi a évolué : il s'agit désormais d'« agir contre les violences au sein de la famille. » Nous l'avons fait à un moment où le Gouvernement avait pris l'initiative d'organiser un Grenelle des violences conjugales. Personne n'a cherché à concurrencer l'autre ; l'essentiel était que nous avancions. Les deux calendriers se sont non pas télescopés, mais parfaitement complétés.
Une seule lecture a eu lieu dans chacune des assemblées parce que le Premier ministre a souhaité la procédure accélérée sur ce texte. Ne l'oublions pas dans notre exigence de rédaction et dans celle de faire en sorte que la commission mixte paritaire soit conclusive ! Je n'imagine pas, je le dis très clairement, que nous ne parvenions pas à un accord. Nous y passerons le temps qu'il faudra ; chacun devra sûrement faire des concessions nouvelles, mais il faudra réussir parce que la responsabilité qui est la nôtre l'exige.
Par ailleurs, l'entrée en vigueur des mesures adoptées est attendue avant la fin de l'année. Plusieurs d'entre elles sont de nature à changer véritablement la donne ; je pense au bracelet anti-rapprochement, un dispositif qui doit être mis en place au début de l'année prochaine, ainsi qu'à la réduction du délai de délivrance de l'ordonnance de protection à six jours, le Sénat ayant adopté l'article 2 en des termes identiques à ceux de l'Assemblée nationale. Il y a là une attente considérable.
Le temps d'examen de ce texte a été court et long à la fois : entre la première lecture à l'Assemblée nationale et aujourd'hui, je l'ai dit, ce sont non plus 117 femmes qui ont été victimes des violences de leur compagnon, mais 138. Des prises de conscience ont eu lieu, y compris celle de la garde des sceaux - je salue le travail qu'elle a mené tant avec les députés qu'avec les sénateurs -, déclarant publiquement dans la presse qu'elle avait pleinement conscience des failles, pour certaines abyssales, dans l'organisation de la protection des femmes. Elle a également rappelé que, désormais, seul le temps de l'action devait nous importer. Depuis lors, de nouvelles propositions relatives à cette question ont vu le jour, autant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Observons toutes ces propositions avec attention !
Il n'est pas question de marcher sur les plates-bandes des uns ou des autres ; il n'y a pas de sujet réservé. L'essentiel est, je le répète, que nous trouvions un accord de nature à enrichir encore ce texte avant un temps d'action politique nouveau, avec une nouvelle proposition de loi de la majorité annoncée en janvier prochain. J'ai eu une discussion avec quasiment chacune et chacun d'entre vous de manière très franche et libre : il faut que chacun se retrouve dans cette loi, tant les parlementaires que le Gouvernement.
Je ne suis pas le député le plus consensuel de l'Assemblée nationale. Je parle ici devant des femmes et des hommes dont l'engagement est, pour beaucoup d'entre vous, très ancien, et j'ai beaucoup de respect pour vous. J'ai toujours été transparent avec les uns et les autres, ne faisant jamais de « coups tordus » à qui que ce soit, mais je n'ai rien cédé quand le fond du sujet l'exigeait. Toutes les informations que vous avez sont celles que je détiens aujourd'hui. J'ai notamment fait des propositions pour que chacun puisse s'y retrouver ; je les défendrai fermement pour que la Représentation nationale puisse être aussi digne qu'elle l'a été depuis le début de l'examen de ce texte.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je constate que nos rapporteurs sont l'un et l'autre dans de très bonnes dispositions d'esprit et situent parfaitement les enjeux. Nous ne pouvons que partager leur souhait de voir nos travaux aboutir.
M. Guillaume Vuilletet, député . - Le temps parlementaire et le temps gouvernemental se sont coordonnés, mais nous y avons travaillé en proposant des dispositions de nature à accroître la sécurité des femmes - puisqu'il s'agit essentiellement de femmes - victimes de la violence de leur conjoint. Tout cela n'a pas été une évidence jusqu'au moment où cela l'est devenu : la réalité est tellement insupportable que ce texte a été examiné en procédure accélérée ; il a fait l'objet d'un consensus. À cet égard, le travail réalisé à l'Assemblée nationale a été couronné de succès, avec un vote à l'unanimité. Je retiens la volonté des uns et des autres de faire en sorte que cette commission mixte paritaire aboutisse. Toutefois, j'apporterai un bémol.
Dans cette recherche de consensus, nous avons travaillé longuement sur de nombreux sujets. Mon collègue Aurélien Pradié veut que nous prenions le temps nécessaire pour parvenir à un consensus ; j'en prends acte, mais il y a du travail, car les propositions de rédaction que je lis traitent de nouveaux sujets - j'estime que c'est là un peu une mauvaise façon d'agir -, et je m'interroge sur la recevabilité de certaines d'entre elles. Nous allons voir ce qu'il en est.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je constate que certaines propositions de rédaction peuvent poser problème, mais nous sommes réunis pour en discuter. Je mettrai tout en oeuvre pour que nos travaux aboutissent.
Mme Annick Billon , sénatrice . - Je salue l'auteur de la proposition de loi : c'est avec enthousiasme que le Sénat a accueilli ce texte, qui apporte des réponses concrètes à une problématique soulevée depuis de nombreuses années, y compris par les lanceurs d'alerte, dont la délégation aux droits des femmes. En mars dernier, j'avais posé une question d'actualité à ce propos, puisque le nombre de féminicides avait doublé par rapport à celui de l'année précédente à la même période. Les sénateurs se sont rapidement engagés sur ce sujet même si, il faut le dire, ce n'était pas forcément dans la culture de la Haute Assemblée : une tribune a été cosignée par plus de 150 sénateurs, qui a été largement relayée dans la presse.
Je regrette que nous n'ayons pas eu la possibilité d'améliorer considérablement le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale puisque certaines propositions n'ont pu aboutir. Il serait donc légitime, comme l'a suggéré le rapporteur Marie Mercier, que nous avancions sur ces sujets essentiels, tels que l'autorité parentale et l'indignité successorale, avec des propositions formulées par des sénateurs et des sénatrices très engagés au sein de la délégation notamment.
Nous avons une obligation vis-à-vis de toutes ces femmes d'aboutir à une commission mixte paritaire conclusive. Je n'imagine pas que l'on sorte de cette salle sans accord eu égard à la gravité du sujet, même si cela doit perturber le calendrier de certains.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Merci, ma chère collègue, d'avoir rappelé les enjeux. Je salue le travail réalisé par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, qui s'est saisie de ces questions depuis plusieurs années déjà.
M. Guillaume Gouffier-Cha, député . - Je tiens à prendre la parole maintenant, car je vais devoir rejoindre ma circonscription; ma collègue Alexandra Louis me suppléera.
Nous partageons tous le même constat et nous poursuivons les mêmes objectifs : aboutir à une commission mixte paritaire conclusive. J'espère que nous aurons le même allant pour traiter les sujets qui demeurent sur la table et qui devront être examinés dans les mois qui viennent en vue de mieux protéger et accompagner les victimes, qu'il s'agisse des adultes ou des enfants, mieux reconnaître les violences, qu'elles soient physiques, psychologiques, économiques, administratives ou numériques, et mieux sanctionner leurs auteurs.
Cela étant, nous devons rester vigilants et oeuvrer dans le respect du débat parlementaire. Je suis quelque peu désarçonné de devoir me positionner sur certaines mesures adoptées par le Sénat, mais qui n'ont absolument pas été discutées à l'Assemblée nationale.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - C'est la règle du bicamérisme.
M. Guillaume Gouffier-Cha, député . - Je le dis, car cette remarque nous est parfois opposée lorsque des dispositions n'ont pas été débattues par le Sénat...
M. Jean-Pierre Sueur , sénateur . - Il faut refuser la procédure accélérée.
M. Guillaume Gouffier-Cha, député . - Nous pouvons échanger sur l'indignité successorale et sur les pensions de réversion, mais je tenais à préciser que nous n'avons pas examiné ces questions avec nos collègues députés.
Sur le sujet de l'autorité parentale, je découvre ce soir une rédaction que nous n'avons pas expertisée à l'Assemblée nationale, même si notre rapporteur Aurélien Pradié nous a sensibilisés sur le sujet ce matin, et je l'en remercie. Or, nous menons d'autres réflexions sur cette thématique, nous procédons à des auditions. Il me semble donc « cavalier » de découvrir un tel sujet en commission mixte paritaire.
Ce débat est attendu, des engagements particulièrement forts ont été pris, nous aboutirons. Mais nous avons besoin de temps pour mener des discussions et bien mesurer les tenants et les aboutissants d'une telle mesure. À ce stade, j'émets donc quelques réserves.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Permettez-moi de vous rappeler que, à chaque fois que le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque chambre, la première assemblée saisie découvre des dispositions qui ont été adoptées par la seconde. Le seul moyen d'éviter ce désagrément est de laisser se poursuivre la navette parlementaire, afin que la délégation de la première chambre saisie puisse, en commission mixte paritaire, s'adosser au vote de sa propre assemblée sur les dispositions adoptées par la deuxième assemblée saisie : c'est le fonctionnement normal de la procédure législative. Mais nous sommes tellement habitués à la procédure accélérée qu'elle nous semble être désormais de droit commun. Vous avez relevé ses inconvénients à juste titre.
Les propositions de rédaction des rapporteurs ont fait l'objet de négociations et elles nous parviennent donc tardivement. Moi-même, je n'ai pas encore pu élaborer d'appréciation personnelle approfondie et j'attends de notre débat qu'il me permette de prendre position.
J'espère simplement que nos rapporteurs ne s'écartent pas des annonces rendues publiques par le Gouvernement à l'issue du Grenelle.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Nous sommes devant un objet parlementaire inédit et je tiens à saluer la force de conviction du rapporteur de l'Assemblée nationale ainsi que l'ouverture d'esprit de l'ensemble des parlementaires. Nous avons travaillé au Sénat dans de mauvaises conditions, en séance comme en commission, en raison du calendrier imposé par le Gouvernement. Depuis l'examen de ce texte au Sénat, le 6 novembre dernier, neuf femmes sont mortes. L'objectif de notre groupe est que ce phénomène soit combattu efficacement.
La question de l'autorité parentale a été longuement débattue dans l'hémicycle du Sénat, notamment lors de l'examen de l'amendement de notre collègue Françoise Cartron. Nous travaillons sur ce sujet depuis déjà fort longtemps. Le Premier ministre a fait des annonces le 3 septembre et il les a réitérées le 25 novembre dernier - et pourtant la garde des sceaux n'a pas donné d'avis favorable à l'amendement, c'était baroque !
Le groupe socialiste et républicain du Sénat est un groupe minoritaire, mais qui travaille sérieusement et fait des propositions, sans se préoccuper de la paternité des textes. Notre objectif est de faire avancer les sujets et d'aboutir à des mesures expertisées et travaillées. Notre seul guide : que ces dispositifs soient efficaces ! Cela sera notre fierté de parlementaires.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je salue la noblesse et la sensibilité de vos propos.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Vous oubliez leur humanisme !
Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Nous partageons la même exigence de respect du droit. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que vous avez citée et qui trône dans cette pièce n'a pas été rédigée par quelques personnes, dans une pièce, à la faveur d'une nuit d'échanges peut-être agités, mais ...
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Permettez-moi de vous interrompre, pour le seul plaisir historique. Entre le mois de juillet et la fin du mois d'août 1789, plusieurs ébauches de cette déclaration ont été rédigées ; toutes avaient un auteur, et toutes ont été successivement rejetées. C'est finalement un bureau - on dirait aujourd'hui une commission - de l'assemblée constituante qui a élaboré le texte définitif, qui ne peut donc être attribué à aucun auteur en particulier. J'aimerais qu'aujourd'hui encore il soit impossible d'attribuer un texte à un auteur, car il aura été discuté collectivement par les représentants de la Nation. C'est la quintessence de la belle ouvrage parlementaire.
Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Comme vous le dites si bien, la Déclaration a fait l'objet de versions successives et donné lieu à de longs débats, ce qui n'est pas le cas du texte que nous allons probablement adopter ce soir. Je partage l'avis de ceux qui considèrent que nous ne pouvons pas conclure cette commission mixte paritaire sur un désaccord. Mais invoquer la cause des femmes à tout bout de champ est un peu démagogique !
Mme Annick Billon , sénatrice . - Ce n'est pas ce que nous avons dit !
Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Pour sortir grandis de ce débat, sachons rester sérieux et faire du droit jusqu'au bout ! Une commission mixte paritaire n'a pas pour objet d'enrichir un texte, mais de trouver un consensus sur des dispositions adoptées par nos deux assemblées, de faire la synthèse des deux rédactions pour qu'elles n'en fassent plus qu'une.
Lorsque j'ai reçu les propositions de rédaction des deux rapporteurs, j'ai eu deux surprises. D'abord, c'est la première fois, en 25 ou 26 commissions mixtes paritaires depuis le début de la législature, que je reçois le tableau comparatif aussi tardivement - à 16 heures. C'est anormal et je tenais à protester.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Nous l'avons découvert sur table : vous avez de la chance !
Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Il s'agit de mon rôle institutionnel de présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Si nous devons aboutir, notre texte doit être viable, nous devons donc être précautionneux et examiner chacune des virgules, chacun des mots.
Mon deuxième motif de surprise tient à la présence, au sein de ces propositions, d'une disposition entièrement nouvelle relative à l'autorité parentale. Ce sujet n'a pas été débattu à l'Assemblée nationale, car il figurait dans une autre proposition de loi du groupe Les Républicains qui n'a d'ailleurs pas été examinée en séance publique. Cette disposition n'a été ni discutée ni votée au Sénat.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie , sénatrice . - Elle a été discutée.
Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente . - Soit, mais elle n'a pas été votée. Dans le texte adopté par le Sénat, la seule disposition relative à l'autorité parentale est une demande de rapport adressée au Gouvernement. Nous sommes ici pour faire du droit. Or, le Conseil constitutionnel, de jurisprudence constante, censure toute disposition ajoutée après la première lecture qui ne présente pas de lien direct avec une disposition restant en discussion, et il considère que la demande d'un rapport ne permet pas d'établir ce lien. La question de l'autorité parentale ne peut donc pas être traitée dans ce texte, sous peine d'inconstitutionnalité. Je suis favorable à un consensus, mais pas à n'importe quel prix.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Je m'associe à vos propos concernant le calendrier de mise à disposition des propositions communes de rédaction des rapporteurs. J'ai été logé à la même enseigne et n'ai pas disposé de davantage de temps que Mme Braun-Pivet pour en apprécier le contenu.
Nous devrons trancher, le moment venu, la question de recevabilité que vous soulevez à juste titre. Nous devrons alors décider en droit et non en opportunité : nous sommes sur une ligne de crête.
Mme Françoise Cartron , sénatrice . - En tant qu'auteur de l'amendement sur l'autorité parentale qui a été rejeté au Sénat, je m'interroge comme vous sur la recevabilité de la disposition qui nous est proposée.
M. Guillaume Vuilletet, député . - Pourquoi sommes-nous ici avec une chance d'aboutir ? Parce que le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée au vu de l'urgence de la situation. Mais le sujet de l'autorité parentale n'est pas soumis au même impératif de célérité que le bracelet anti-rapprochement par exemple. Tout ne doit pas être mis sur le même plan. En dépit de tout le respect que j'ai pour les sénateurs, l'apparition de cette disposition au motif de l'urgence me semble légèrement tirée par les cheveux.
M. Philippe Bas , sénateur, président . - Votre respect nous touche, mais les positions des sénateurs et des députés ne me semblent pas antagoniques sur ce point. Nous aurons un double débat - sur les questions juridiques et les questions de fond - qui promet d'être intéressant.
Mme Annick Billon , sénatrice . - Pour avoir beaucoup travaillé sur ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat, mais aussi à l'occasion de l'examen du projet de loi de Mme Marlène Schiappa, je sais que le retrait de l'exercice de l'autorité parentale est un outil majeur pour lutter contre les violences conjugales. Le Premier ministre l'a reconnu lorsqu'il a évoqué le phénomène de l'emprise.