III. L'ACCROISSEMENT DES DÉPENSES CARACTÉRISE L'ABANDON DES AMBITIONS INITIALES DU GOUVERNEMENT
Le Gouvernement affichait en 2017, puis dans le cadre du processus « Action publique 2022 », une volonté de réduction marquée des dépenses et des emplois publics qui aurait constitué l'indispensable contrepartie à la diminution des prélèvements obligatoires, de manière à assainir sur cinq ans la situation des finances publiques.
Un premier bilan à la moitié du quinquennat amène à constater que la politique menée sur les dépenses de l'État s'est en réalité placée dans la continuité de la fin du quinquennat précédent, caractérisée par une absence complète de maîtrise.
A. LES DÉPENSES DES MINISTÈRES POURSUIVENT LEUR CROISSANCE
1. Le budget 2020 acte une augmentation importante des dépenses de l'État sur la période 2018-2022
Le Gouvernement décrit dans l'exposé général du projet de loi de finances une progression « maîtrisée » des dépenses de l'État, qui seraient en 2020 de 278,8 milliards d'euros, en augmentation à périmètre constant de 5,1 milliards d'euros, soit 1,9 % en valeur ou de 0,9 % en volume .
Si l'on compare toutefois la prévision présentée pour 2020 à la prévision d'exécution en 2019 et non au montant prévu en loi de finances initiale, l'augmentation du niveau des dépenses pilotables est de 6,6 milliards d'euros , soit 2,5 % en valeur ou 1,5 % en volume .
En outre, une analyse pluriannuelle, à partir des prévisions données par le projet de loi de finances pour les années 2020 à 2022, permet de constater que le Gouvernement a abandonné les ambitions de maîtrise de la dépense de l'État affichées au début du quinquennat , se reposant, comme votre rapporteur général l'a déjà fait observer, sur les économies constatées sur la charge de la dette ou réalisées par les autres secteurs des administrations publiques.
Évolution de la norme de dépenses pilotables de 2018 à 2022
En milliards d'euros
Note de lecture : dépenses pilotables en exécution pour 2018, en prévision révisée pour 2019 et estimées pour 2020 à 2022, en retraitant les mesures de périmètre et de transfert survenues en 2019 et 2020.
Source : commission des finances du Sénat, à partir des projets de loi de finances pour 2019 et 2020
Seule l'année 2018, en effet, aura connu des dépenses respectant le plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques, les années ultérieures s'en écartant de plus en plus sensiblement. Encore la sous-exécution, en 2018, a-t-elle été due à hauteur de 600 millions d'euros à une économie de constatation sur les dépenses du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » 34 ( * ) .
Sur cinq ans, les dépenses pilotables cumulées seront supérieures de 34,1 milliards d'euros à la prévision faite il y a seulement deux ans . Un tel montant est égal à 1,9 % de la dette de l'État, qui s'élevait en 2018 à 1 842,3 milliards d'euros.
Votre rapporteur général comprend bien qu'il est difficile de prévoir avec exactitude l'évolution des besoins au cours d'une période de programmation pluriannuelle. Néanmoins, il rappelle que la loi de programmation avait précisément prévu la mise en place , au sein de la norme de dépenses pilotables, d'une « réserve centrale de budgétisation » d'un montant de 700 millions d'euros , destinée à permettre le relèvement du plafond des dépenses de missions qui, pendant la période de programmation, auraient été soumises à des dépenses plus dynamiques que prévues, voire imprévisibles 35 ( * ) .
L'utilisation dans le cadre du budget 2020 de cette réserve de précaution, comme le font observer nos collègues Claude Nougein et Thierry Carcenac, rapporteurs spéciaux de la mission « Crédits non répartis » à laquelle cette réserve était rattachée dans la loi de programmation, n'est toutefois pas documentée par le Gouvernement. En tout état de cause, elle se révèle très insuffisante , puisque les dépenses pilotables dépasseront la cible fixée en programmation de 8,2 milliards d'euros , alors même que cette cible incluait le montant de cette réserve.
D'une manière générale, votre rapporteur général constate l'opacité de l'utilisation des crédits non répartis , et tout particulièrement de l'enveloppe destinée aux dépenses accidentelles et imprévisibles. L'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances prévoit que cette ligne budgétaire est affectée uniquement à « une dotation pour dépenses accidentelles, destinée à faire face à des calamités, et pour dépenses imprévisibles ». Or, alors qu'elle était inférieure à 20 millions d'euros dans les années précédant la mise en oeuvre de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, cette enveloppe dépasse désormais chaque année les 100 millions d'euros, sans que les éléments nécessaires soient apportées pour démontrer que son utilisation en cours d'exercice est conforme aux motifs prévus par la loi organique.
2. Les grandes masses du budget général
La principale mission du budget général, hors remboursements et dégrèvements, demeure la mission « Enseignement scolaire », avec des crédits de paiement de 74,0 milliards d'euros, soit 22 % des crédits du budget général.
Pour mémoire, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » demandés en 2020 sont presque égaux au double de ce montant, soit 141,0 milliards d'euros.
Les missions du budget général
(en milliards d'euros, hors « Remboursements et dégrèvements »)
2
Rég. soc. retr. : Régimes sociaux et de retraite - AGTE : Administration générale et territoriale de l'État - RCT : Relations avec les collectivités territoriales - APD : Aide publique au développement - Cult. : Culture - Agri. : Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales - Ext : Action extérieure de l'État - OM : Outre-mer - Éco : Économie - A : Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation - I : Immigration, asile et intégration - S : Sport, jeunesse et vie associative - T : Santé - P : Pouvoirs publics - D : Direction de l'action du Gouvernement - C : Conseil et contrôle de l'État - M : Médias, livre et industries culturelles - 1 : Action et transformation publiques - 2 : Crédits non répartis
Source : commission des finances du Sénat, à partir de l'état B annexé au projet de loi de finances
La maquette budgétaire n'ayant connu que des modifications limitées lors des trois derniers projets de loi de finances, les neuf premières missions du budget général sont restées les mêmes qu'en 2018.
Alors que les crédits de la mission « Défense » étaient, en 2018, comparables à ceux de la mission « Engagements financiers de l'État », qui porte principalement la charge de la dette, l'augmentation des crédits militaires et la baisse des taux d'intérêt ont creusé un écart de plus de 20 % entre les crédits de la première mission, qui sont de 46,1 milliards d'euros dans le présent projet de loi de finances, et ceux de la seconde, d'un montant de 38,5 milliards d'euros.
Évolution des crédits des principales missions
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires
Ces montants correspondent aux dépenses totales de chaque mission. Afin d'analyser plus précisément l'évolution des politiques publiques, les crédits de chaque mission seront présentés infra sur la norme de dépenses pilotables , c'est-à-dire en excluant la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Ces crédits seront analysés d'abord sur l'année 2020, dans le cadre du présent projet de loi de finances, puis en prenant une perspective pluriannuelle permettant de dresser un bilan d'étape à la moitié du quinquennat.
3. Une seule mission du budget général voit ses crédits diminuer significativement en 2020
L'examen des crédits alloués aux missions du budget général par le présent projet de loi de finances permet de constater que neuf missions voient leurs crédits augmenter de 200 millions d'euros et plus , alors qu'une seule, la mission « Cohésion des territoires », présente une diminution notable de ses crédits.
Évolution des crédits des missions
(en milliards d'euros, au format PLF 2020, hors CAS
Pensions,
investissements d'avenir et remboursements et
dégrèvements)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des projets annuels de performance annexés au projet de loi de finances pour 2020
Les crédits de la mission « Défense » augmentent de 1,7 milliard d'euros , en application de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025.
L'accroissement de 1,1 milliard d'euros des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est dû au dynamisme naturel des prestations servies par les programmes de cette mission, mais aussi aux mesures de revalorisation exceptionnelle de l'allocation adulte handicapés et de la prime d'activité.
La hausse de 1 milliard d'euros des crédits de la mission « Enseignement scolaire » est liée à l'évolution des crédits de personnel et à la reprise du protocole « Parcours professionnel, carrières et rémunérations » (PPCR).
Les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » augmentent de 0,5 milliard d'euros dans le cadre du plan étudiants, de la réforme des études de santé et d'une hausse de la contribution à l'Agence spatiale européenne. La mission « Sécurités » connaît une augmentation de crédits du même ordre, qui permet notamment de recruter des personnels et de financer des mesures indemnitaires prises après les mouvements sociaux de la fin 2018.
La seule diminution de crédits supérieure à 100 millions d'euros concerne les crédits budgétaires consacrés aux aides au logement dans la mission « Cohésion des territoires », en diminution de 1,5 milliard d'euros de crédits de paiement .
Cette réduction ne correspond toutefois pas à un effort réel sur les dépenses de l'État , puisqu'il s'agit, d'une part, d'un nouveau mécanisme de versement des aides qui permettra de les supprimer plus rapidement pour les personnes qui n'y ont plus droit et, d'autre part, d'une réduction exceptionnelle de la subvention d'équilibre affectée à ces aides, permise par un prélèvement sur les ressources issues de la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), que gère le groupe Action Logement.
4. Le cadre fixé par la loi de programmation des finances publiques est largement dépassé
a) Des écarts importants avec la loi de programmation
À la moitié du quinquennat, la loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui porte sur les années 2018 à 2022 36 ( * ) , apparaît comme obsolète.
L'annexe 4 de cette loi disposait que « chaque année, le Gouvernement établit et transmet au Parlement, au plus tard avant le débat d'orientation des finances publiques prévu par l'article 48 de la LOLF, un bilan des ajustements opérés par rapport aux plafonds fixés dans le budget pluriannuel, tant en ce qui concerne le plafond global de dépenses sous norme de dépenses pilotables que les plafonds par mission. »
Cette exigence n'a pas été respectée : le débat d'orientation du mois de juillet dernier a certes été accompagné d'une répartition des crédits, mais par ministère et non par mission, ce qui ne facilite pas le contrôle du respect de la programmation.
Or la comparaison des crédits demandés pour les missions dans le présent projet de loi de finances avec ceux qui avaient été prévus par la loi de programmation permet de constater des écarts importants .
Écart entre les crédits 2020 et les
crédits prévus en
loi de programmation des finances publiques
pour 2018-2022
en milliards d'euros
Lecture : les prévisions de la LPFP par mission sont retraitées de la différence entre l'inflation prévue et l'inflation constatée en 2018 et estimée en 2019. Les crédits des missions en 2020 sont considérés sur le périmètre de la norme de dépenses pilotables, et retraités des mesures de transfert et de périmètre survenues sur les missions dans la loi de finances initiale pour 2019 et le projet de loi de finances pour 2020.
Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires
En outre, le rapport annexé à la loi de programmation des finances publiques prévoyait que les plafonds fixés dans la loi seraient même abaissés afin de dégager un montant global d'économies de 4,1 milliards d'euros dans le cadre du processus « Action publique 2022 ». Votre rapporteur général constate que cette économie supplémentaire n'a pas été mise en oeuvre, comme le montre l'importance des dépassements.
Le plus important de ces écarts résulte des mesures d'urgence prises en décembre 2018 , s'agissant des dépenses de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » : le coût de la prime d'activité est de 10,7 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2020, alors qu'il était de 5,7 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2018. L'accélération de la revalorisation de cette prime entraîne un surcoût important par rapport à celui prévu fin 2017, qui était de 1,2 milliard d'euros seulement sur le quinquennat 37 ( * ) .
La loi de programmation des finances publiques prévoyait une stabilité, voire une légère diminution des crédits, de la mission « Immigration, asile et intégration » , ce qui n'était pas tenable compte tenu de l'accroissement continu, année après année, des dépenses liées à l'accueil des migrants. Les dépassements sont ainsi liés à la sous-estimation manifeste du nombre de demandeurs d'asile et à la sous-budgétisation chronique des dépenses d'asile.
S'agissant de la mission « Sécurités » , des coûts supplémentaires ont été occasionnés par les mesures indemnitaires obtenues par les personnels en raison de la suractivité qu'ils ont connue lors des mouvements sociaux très importants de la fin 2018, ainsi que par les effets non pleinement anticipés du PPCR.
Les crédits de la mission « Justice » sont pour leur part inférieurs de 200 millions d'euros environ aux objectifs fixés aussi bien dans la loi de programmation des finances publiques que dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Votre rapporteur général ne peut que le regretter, étant donné le caractère prioritaire de ces crédits .
Enfin, les crédits de la mission « Cohésion des territoires » sont inférieurs d'environ 300 millions d'euros à la programmation. Les crédits de cette mission relèvent pour une très large part des aides au logement, dépense de guichet qui, par nature, ne peut être prévue avec exactitude. Elle a de surcroît connu des réformes importantes avec d'une part la réduction de loyer de solidarité, dont la trajectoire a été partiellement remise en cause en 2019, et d'autre part les économies attendues de la mise en place en 2020 du versement en temps réel.
b) Une réorientation de certaines missions sur la deuxième partie du quinquennat
La discussion du projet de loi de finances pour 2020 permet de constater l'évolution pour chaque mission pendant la première et, en prévision, la seconde moitié du quinquennat.
Évolution prévisionnelle des moyens consacrés aux missions entre 2017 et 2022
(Évolution des crédits des missions du budget
général sur le périmètre de la norme de
dépenses pilotables, y compris taxes et recettes affectées,
en milliards d'euros)
Lecture : pour chaque mission, la barre de couleur foncée représente l'évolution de 2017 à 2020 (à périmètre courant) et la barre de couleur claire indique l'évolution prévisionnelle de 2020 à 2022 (montants courants). Les montants inférieurs ou égaux à 0,1 milliard d'euros ne sont pas indiqués pour des raisons de lisibilité.
Source : commission des finances du Sénat, à partir du projet de loi de finances pour 2020.
Les missions qui ont connu les plus fortes diminutions de moyens, c'est-à-dire les missions « Travail et emploi », « Cohésion des territoires » et, dans une moindre mesure, « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », devaient connaître une légère croissance de leurs moyens au cours des deux dernières années du quinquennat en valeur courante, c'est-à-dire une légère baisse en termes réels.
S'agissant des hausses, la mission « Défense » devrait voir ses moyens augmenter comme l'a prévu la loi de programmation militaire, tandis que les autres missions ayant connu une nette augmentation de leurs moyens pendant les trois premières années du quinquennat devraient voir leur moyens se stabiliser, voire se réduire comme c'est le cas de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
* 34 Voir le rapport n° 129 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 14 novembre 2018, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2018.
* 35 Rapport annexé à la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
* 36 Loi n o 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
* 37 Projet de loi de finances pour 2018, exposé des motifs, p. 11.