B. LE CHOIX D'UNE MESURE D'APPLICATION GÉNÉRALE
Plutôt que de prendre des mesures ciblées sur la protection d'un certain type de commerce ou sur la chasse, les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix de proposer des dispositions de portée générale, en modifiant l'article 431-1 du code pénal.
L'article unique de la proposition de loi envisage deux modifications principales, qui ont en commun de chercher à élargir le champ d'application de cet article du code pénal.
La première vise à sanctionner les entraves à tout événement et à toute activité autorisés par la loi. Ainsi, les entraves qui viennent d'être évoquées pourraient être punies, sans que cela empêche de sanctionner à l'avenir des entraves à d'autres activités qui viendraient à apparaître.
La deuxième vise à permettre de sanctionner les entraves quel que soit le moyen utilisé, alors que le code pénal cite aujourd'hui une liste limitative de modes d'action.
L'analyse juridique à laquelle a procédé votre rapporteur l'a conduit à émettre des réserves sur la formulation proposée sur certains points par le texte.
C'est pourquoi la commission a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement COM-2 qui vise à préciser que l'entrave peut prendre la forme d'actes d'obstruction ou d'intrusion .
C. UNE DÉMARCHE DONT L'INTÉRÊT A ÉTÉ RÉCEMMENT MIS EN LUMIÈRE
Votre rapporteur rappelle que la proposition de loi avait été inscrite une première fois à l'ordre du jour du Sénat en décembre 2018, dans le cadre d'une semaine d'initiative sénatoriale.
Le groupe Les Républicains avait cependant décidé de le retirer pour tenir compte du contexte politique créé par le mouvement des « gilets jaunes ». Comme notre collègue Jean-Noël Cardoux l'a expliqué en séance publique le 11 avril dernier, le texte avait alors été présenté par certains 2 ( * ) comme une « provocation », alors qu'il « ne visait pas du tout les manifestations de gilets jaunes ».
Les auteurs de la proposition de loi ne souhaitent nullement apporter une réponse pénale aux légitimes revendications sociales qui se sont exprimées au cours de ce mouvement, et qui doivent recevoir une réponse politique. Comme les développements qui précèdent l'ont montré, leurs préoccupations sont d'une toute autre nature et visent à mettre fin à certains excès qui sont le fait de groupes très minoritaires. Dans le contexte de décembre 2018, leur message risquait toutefois d'être peu audible.
Certaines déclarations récentes du Gouvernement ont encouragé les auteurs de la proposition de loi à en demander à nouveau l'inscription à l'ordre du jour.
Lors de la discussion du projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, Jean-Noël Cardoux et plusieurs de nos collègues ont déposé un amendement tendant à remplacer, dans le code de l'environnement, la contravention pour entrave à la chasse par un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
S'exprimant sur cet amendement 3 ( * ) , la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon a répondu au sénateur Cardoux qu'il avait déposé une « excellente proposition de loi » qui « pose la question de savoir comment on peut créer un délit d'entrave sur toutes les activités légales, qui doivent pouvoir être exercées de façon paisible dans ce pays et qui, pour une raison ou une autre, font l'objet d'entraves ». Elle l'a invité à retirer son amendement au profit d'une « inscription rapide de ce texte à l'ordre du jour des assemblées », considérant que la question de la chasse pourrait être traitée dans ce cadre et qu'il convenait, sur une question juridique importante, de privilégier une approche transversale .
Notre collègue a maintenu son amendement, qui a été adopté par le Sénat avant d'être supprimé en commission mixte paritaire, de sorte qu'il ne figure pas dans la version du texte qui a été promulguée 4 ( * ) .
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Au cours de la réunion de la commission, des critiques ont toutefois été exprimées pour la formulation de la proposition de loi, jugée trop générale au regard de l'exigence constitutionnelle de précision et de clarté de la loi pénale. L'adoption de l'amendement de précision présenté par le rapporteur n'a pas suffi, à cet égard, à lever toutes les craintes que le texte a pu susciter en matière de libertés publiques.
Des interrogations ont également été formulées concernant l'utilité d'adopter de nouvelles dispositions législatives alors qu'il existe déjà dans le code pénal, ainsi que dans d'autres textes, diverses dispositions permettant de réprimer efficacement la plupart des infractions visées.
Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi n° 23 (2018-2019) tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des événements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi.
En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution , la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.
* 2 Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) avait notamment diffusé, le 30 novembre 2018, un communiqué de presse affirmant que la droite sénatoriale s'élevait « contre le mouvement citoyen » en présentant cette proposition de loi dirigée contre « le mouvement des gilets jaunes », mais aussi contre « les mouvements lycéens et étudiants, les salariés en lutte, ou encore certains mouvements féministes ».
* 3 Cf. le compte-rendu de la séance du 11 avril 2019.
* 4 Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement.