II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Un retour à la hausse des frais de justice
Les frais de justice constituent l'un des enjeux budgétaires de la mission « Justice », du fait des difficultés à les piloter, de leur montant (un demi-milliard d'euros) et d'une sous-budgétisation récurrente.
Ainsi, la dotation initiale pour 2018 était inférieure à l'exécution constatée en 2017. Votre rapporteur estimait que cette prévision des frais de justice était ambitieuse , notamment en ce qui concerne les économies permises par le recours à la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) (estimées à 50 millions d'euros par an), même si le recours à la PNIJ permet de supprimer les frais de location de matériel d'interception et de bénéficier d'un tarif 33 % inférieur auprès des opérateurs de communication électronique par rapport à l'utilisation d'un autre outil de réquisition.
En 2018, les frais de justice ont représenté 527,9 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 32,4 millions d'euros par rapport à 2017 (+ 6,5 %).
Évolution des frais de justice depuis 2011
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
En outre, le montant exécuté est supérieur de près de 50 millions d'euros aux prévisions faites en loi de finances initiale pour 2018 (478,5 millions d'euros), ce qui représente une sur-exécution supérieure à celle de l'an dernier (27 millions d'euros).
Pour la première fois depuis 2012, les frais de justice s'orientaient véritablement à la baisse en 2017 . L'exécution 2018 marque donc un nouvel infléchissement à la hausse des frais de justice .
S'ils ne retrouvent pas leur niveau de 2016 (550 millions d'euros), il s'agit toutefois du montant le plus important depuis 2011.
Alors que les frais de justice civile et commerciale diminuent de 12,6 % entre 2017 et 2018, la dépense afférente aux frais de justice pénale augmente de 9 % . Le rapport annuel de performance met en exergue plusieurs facteurs de hausse : « une activité pénale importante » qui a notamment « entraîné une augmentation forte des besoins en interprétariat et traduction » (+4,8 millions d'euros) ; « une intensification de la lutte anti-terroriste » ; les analyses génétiques (+4,6 millions d'euros) et toxicologiques (+5,4 millions d'euros), ainsi que les examens et expertises médicales (+12,2 millions d'euros).
À l'inverse, des économies ont été réalisées grâce à la mise en place de la plate-forme nationale d'interceptions judiciaires (PNIJ) (26 millions d'euros d'économies en 2018, soit moins que les économies escomptées).
2. Une moindre hausse des effectifs pour la justice judiciaire
Les dépenses de personnel du programme « Justice judiciaire » ont augmenté de 2,1 % , atteignant 2,32 milliards d'euros.
Le projet annuel de performance prévoyait la création nette de 148 emplois ; au total, 126 postes nets ont été créés , contre 568 en 2017 et 751 en 2016. 105 postes de magistrats ont été créés contre 209 l'année précédente. Le schéma d'emploi concernant les métiers du greffe a été sous-exécuté (85 postes créés contre 108 prévus), cette sous-exécution étant liée, d'après le rapport annuel de performance, au plan de charge de l'École nationale des greffes, qui n'a pas permis d'atteindre les objectifs 2018.
Évolution comparée du plafond d'emplois
et de la réalisation
sur le programme 166 « Justice
judiciaire »
(en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
Le plafond d'emplois (33 327 ETPT) a quant à lui été respecté.
Évolution de la prévision et de la
consommation des dépenses de personnel
du programme 166
« Justice judiciaire »
(en millions d'euros) (en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
Le taux d'exécution des dépenses de personnel est quasiment identique à celui de 2017 et atteint 99 %.
En 2018, les suppressions de postes concernent uniquement les personnels de catégorie C, tandis que les créations de postes permettent un renforcement des effectifs de magistrats et de personnels de catégorie B et principalement de personnels des greffes. Comme le rapporteur l'avait souligné lors de l'examen de la budgétisation initiale, cette tendance conduit un repyramidage des effectifs, avec des conséquences importantes à terme sur la masse salariale, en raison des écarts de rémunération entre ces différentes catégories de personnels .
3. La mise en oeuvre du protocole de sortie de crise dans l'administration pénitentiaire a entraîné une sur-exécution du schéma d'emplois
Les dépenses de personnel sont en hausse de 4 % sur le programme « Administration pénitentiaire » et atteignent 2,43 milliards d'euros . Leur taux d'exécution par rapport à la loi de finances s'élève à 99,6 %.
Évolution de la prévision et de la
consommation des dépenses de personnel
du programme 107
« Administration pénitentiaire »
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
Le début de l'année 2018 a été marqué par un conflit social qui a paralysé plusieurs établissements pénitentiaires et s'est achevé par la signature d'un protocole entre les représentants des personnels pénitentiaires et l'administration, le 29 janvier, comprenant outre l'amélioration de la gestion des détenus radicalisés et violents, un objectif d'accélération des recrutements et de fidélisation, par le renforcement des dispositifs indemnitaires 185 ( * ) . La mise en place de la prime de fidélisation a toutefois été repoussée en 2019, principalement en raison des contraintes budgétaires.
Alors que la loi de finances initiale pour 2018 prévoyait la création de 732 emplois, la réalisation globale du schéma d'emplois du programme est de 873 ETP. En gestion, le schéma d'emplois a été porté à 954 ETP pour intégrer le rattrapage de la sous-exécution 2017 (122 ETP) et les 100 recrutements supplémentaires autorisés dans la cadre du relevé de conclusions du 29 janvier 2018 : le schéma d'emploi est donc sous-exécuté de 81 ETP par rapport à cette cible ajustée.
Cependant d'après le rapport annuel de performance, « ce résultat traduit un progrès significatif par rapport à la sous-exécution constatée en 2017. Le schéma d'emplois initial et le recrutement des 100 emplois supplémentaires ont été intégralement réalisés, tandis que le rattrapage de la sous-exécution 2017 a été partiellement effectué ».
Toutefois, la sous-exécution porte notamment sur les surveillants pénitentiaires. Face à la difficulté à pourvoir les postes de surveillant pénitentiaire, l'administration pénitentiaire a engagé une réforme de la formation des surveillants, qui devrait permettre d'accélérer et de rendre plus régulier le rythme des arrivées de stagiaires sur le terrain.
Réalisation du schéma d'emploi des
surveillants pénitentiaires
en 2016, 2017 et 2018
(en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
4. L'aide juridictionnelle : une augmentation moins élevée qu'anticipé
L'aide juridictionnelle est financée principalement par des crédits budgétaires et, de plus en plus, par des ressources extrabudgétaires. La contribution pour l'aide juridique (CPAJ) a ainsi été remplacée par un panier de ressources : la taxe spéciale sur les contrats de protection juridique (45 millions d'euros en 2017) ou le produit de certaines amendes pénales (38 millions d'euros en 2017).
Le protocole d'accord signé le 28 octobre 2015 par le ministère de la justice et les représentants de la profession d'avocat a modifié le fonctionnement de l'aide juridictionnelle : en particulier, l'unité de valeur servant au calcul de la rétribution des avocats a été augmentée, la modulation géographique de cette rétribution a été supprimée et le barème de cette rétribution a été revu. De plus, la présence d'un avocat lors de la garde à vue d'un mineur est désormais obligatoire.
Partant, les dépenses au titre de l'aide juridictionnelle sont en hausse. Elles ont ainsi augmenté de 13 % en 2018 par rapport à 2017 et atteignent 388,8 millions d'euros . Cette évolution a cependant été relativement bien anticipée lors de la budgétisation : les crédits de la loi de finances initiale étaient en hausse de 7 %.
Évolution des crédits budgétaires consacrés à l'aide juridictionnelle
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
La hausse des crédits budgétaires de l'aide juridictionnelle a toutefois été moins élevée que prévue, d'où l'annulation de 7 millions d'euros d'AE et de CP par la loi n° 2018-1104 du 10 décembre 2018 de finances rectificative pour 2018.
5. Des restes à payer importants s'agissant du programme 107
Au niveau de la mission, les reports de crédits de paiement sont en diminution par rapport à 2017 (10,9 millions d'euros, contre 75,5 millions d'euros en 2017), tout comme les charges à payer (386,4 millions d'euros, contre 428,7 millions d'euros en 2017).
Toutefois, l'exécution 2018 interroge sur la soutenabilité de la mission à moyen terme, en particulier s'agissant de dépenses constituant des charges pérennes.
Ainsi, le montant des restes à payer , qui correspondent aux AE engagées en 2018 n'ayant pas entraîné de consommation de crédits, s'élève à 6,5 milliards d'euros, en nette augmentation par rapport aux années précédentes - dont 4,6 milliards d'euros portés par le programme 107 « Administration pénitentiaire ».
D'après le rapport annuel de performances, ceux-ci concernent notamment les loyers dus au titre des contrats de partenariat, les marchés de gestion déléguée des centres pénitentiaires, les opérations immobilières.
Le montant des restes à payer sur le programme 107 est plus élevé que les crédits de paiement exécutés du programme en 2018 (3,5 milliards d'euros). Votre rapporteur spécial partage le constat de la Cour des comptes, qui estime que cela « obère nettement les marges de manoeuvre du responsable de programme sur ses nouveaux engagements », d'autant que « 3,25 milliards d'euros devront être ouverts au-delà de 2021 pour honorer les engagements antérieurs à 2019 ».
* 185 Comme le rappelle le rapport annuel de performances annexé à la présente mission, « l'indemnité pour charges pénitentiaires des surveillants pénitentiaires a augmenté de 40 % au 1 er janvier 2018 pour être portée à 1 400 euros, l'indemnité dimanches et jours fériés a augmenté de 10 euros au 1 er mars 2018 et la prime de sujétions spéciales augmentera pour l'ensemble des personnels de surveillance en plusieurs étapes, dont 0,5 point au 1 er janvier 2018 ».