III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : ENCOURAGER LES EFFORTS POUR RENDRE NOTRE DROIT PLUS LISIBLE
A. UNE INITIATIVE BIENVENUE
Votre commission a adopté la proposition de loi n° 8 (2018-2019) de notre collègue Vincent Delahaye et de plusieurs de ses collègues, considérant qu'elle poursuivait les objectifs constitutionnels de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi .
Exclusivement dédiée à l'abrogation de textes manifestement obsolètes , la proposition de loi se distingue des lois de simplification précitées : « elle procède d'une démarche qui est à ce stade essentiellement technique et qui ne vise pas en tant que telle à la simplification de ce droit » 44 ( * ) . Elle évite ainsi les principaux écueils des lois de simplification, devenues sources d'inflation normative (voir supra ).
Certes, la proposition de loi devrait être « sans incidence sur l'état du droit applicable », pour reprendre l'expression du Conseil d'État. Les lois qu'elle tend à abroger ne sont, en effet, plus appliquées depuis plusieurs dizaines d'années.
Votre rapporteure considère toutefois que ces « fossiles législatifs » doivent être abrogés afin de réduire le stock de normes, d'éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d'améliorer la lisibilité du droit .
Dès 2006, le professeur Nicolas Molfessis appelait à « dresser l'inventaire, en tous domaines, des règles inutiles, parce que superflues, obsolètes, redondantes, etc . afin de proposer leur abrogation expresse. Une loi de plus peut-être, mais pas n'importe laquelle : une loi d'abrogation des textes inutiles » 45 ( * ) .
Enfin, cette proposition de loi tend à « amorcer la pompe » de la « mission B.A.L.A.I » . Rappelant les conséquences négatives de la sédimentation des normes, elle permet de mieux appréhender les méthodes de travail de cette mission sénatoriale.
Comme l'a reconnu notre collègue Vincent Delahaye, les prochaines propositions de loi de la « mission B.A.L.A.I » pourraient soulever plus de difficultés, notamment parce qu'elles tendront à abroger des lois plus récentes ou présentant des contradictions de fond avec d'autres normes.
B. LES AJUSTEMENTS OPÉRÉS PAR VOTRE COMMISSION
Votre rapporteure a analysé les 44 lois concernées par la proposition de loi en précisant, pour chacune d'entre elles, leur historique, les dispositions encore en vigueur et les motifs justifiant leur abrogation 46 ( * ) .
Votre commission a adopté 15 amendements, dont 12 de sa rapporteure et trois du Gouvernement, afin de préciser le cadre général de la proposition de loi et de s'assurer de la pertinence des abrogations proposées .
Au total, le texte de votre commission tend à abroger intégralement ou partiellement 49 lois adoptées entre 1819 et 1940 .
1. Cadre général de la proposition de loi
À titre de précaution, votre commission a précisé que les lois mentionnées par la proposition de loi « sont et demeurent abrogées » , dans l'hypothèse où certaines d'entre elles aient déjà été abrogées.
Dans la même logique, elle a spécifié que ces abrogations valent « sur tout le territoire de la République » , certaines lois ainsi abrogées ayant « pu faire l'objet de mesures particulières d'adaptation ou d'extension dans les collectivités d'outre-mer » 47 ( * ) .
Votre commission a également adopté plusieurs amendements techniques, notamment pour corriger l'intitulé de certaines lois du XIX ème siècle et pour éviter d'abroger la loi du 29 octobre 1885 48 ( * ) , qui relève du domaine réglementaire.
2. Le maintien de dispositions non obsolètes
À l'initiative de sa rapporteure, votre commission a souhaité maintenir les dispositions qui ne lui ont pas semblé obsolètes .
• L'interdiction d'exploiter un casino à proximité de Paris
Toujours en vigueur, l'article 82 de la loi du 31 juillet 1920 49 ( * ) interdit d'ouvrir un casino à moins de 100 kilomètres de Paris, à l'exception du casino d'Enghien-les-Bains.
En conséquence, des cercles de jeux se sont développés dans la capitale. À la différence des casinos, ils n'étaient pas autorisés à exploiter des machines à sous.
Les cercles sont aujourd'hui remplacés par des clubs de jeux , soumis à des exigences plus strictes en matière de sécurité et de transparence financière. L'exploitation de ces clubs de jeux est autorisée, à titre expérimental , jusqu'au 31 décembre 2020.
Dès lors, il n'est pas opportun de déstabiliser cette expérimentation en autorisant l'ouverture de casinos à proximité de Paris . À l'inverse, l'article 100 de cette même loi du 31 juillet 1920, qui concerne l'aide à la construction des chemins forestiers, est obsolète et peut être abrogé.
• La mort civile
Issue du droit romain, la mort civile visait à priver l'individu de ses droits civils (droit de propriété, de mariage, d'ester en justice, etc .), notamment à la suite d'une condamnation aux galères ou au bannissement de la cité.
Elle a été définitivement supprimée par l'article 1 er de la loi du 31 mai 1854 50 ( * ) , qui dispose que « la mort civile est abolie ».
Comme l'a souligné le Conseil d'État, cet article conserve « un intérêt historique et une valeur symbolique » 51 ( * ) , notamment au regard de la protection des libertés fondamentales.
Votre commission l'a donc maintenu, tout en abrogeant l'article 5 de cette même loi du 31 mai 1854, qui comportait une clause transitoire devenue sans objet.
• La ligne ferroviaire Nice-Digne-les-Bains
Dans la même logique, votre commission a conservé la loi du 29 juillet 1889 52 ( * ) , qui sécurise l'exploitation de la ligne ferroviaire Nice-Digne-les-Bains.
Cette ligne est en effet concédée à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) , par dérogation au monopole de SNCF Réseau sur les lignes ferroviaires nationales. Elle devrait être définitivement transférée à la région PACA dans les prochaines années. Dans l'attente, il convient de maintenir la loi du 29 juillet 1889 précitée, comme l'a confirmé le ministère des transports à votre rapporteure.
• La communication de documents aux bibliothèques des assemblées parlementaires
Conformément à une loi du 29 juillet 1881 53 ( * ) , les administrations publiques, les établissements publics et les entreprises nationalisées doivent adresser « un exemplaire de tous documents qu'ils feront imprimer » à la bibliothèque de l'Assemblée nationale et à celle du Conseil de la République .
Certes, ce droit de communication n'est pas appliqué par toutes les administrations. Il permet toutefois aux bibliothèques des assemblées parlementaires d'obtenir certains documents à titre gratuit, comme les rapports édités par La Documentation française ou les catalogues de la Réunion des musées nationaux (RMN).
Dès lors, votre commission a souhaité préserver ce droit tout en le rendant plus lisible (nouvel article 3 de la proposition de loi) .
La bibliothèque de l'Assemblée nationale ou celle du Sénat pourrait demander aux administrations qu'elles lui transmettent, à titre gratuit, un exemplaire d'un document qu'elles ont publié et présentant un intérêt particulier pour les assemblées parlementaires.
La loi du 29 juillet 1881 précitée serait abrogée en conséquence.
3. L'abrogation d'autres lois devenues sans objet
Sur proposition de sa rapporteure, votre commission a souhaité compléter la proposition de loi initiale en abrogeant 8 lois obsolètes supplémentaires .
Lois obsolètes ajoutées à la proposition de la loi initiale
Date de promulgation |
Intitulé |
Motif d'abrogation |
3 août 1844 |
Loi relative au droit
|
Les droits d'auteur des artistes sont définis
|
8 juin 1864 |
Loi fixant le budget pour 1864
|
Les règles applicables aux conservateurs
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7 juillet 1881 |
Loi qui rend exclusivement obligatoire l'alcoomètre
centésimal
|
Les alcoomètres de Gay-Lussac ont été
remplacés par des alcoomètres plus récents
|
6 juin 1889 |
Loi qui rend obligatoires
|
Les densimètres ont été
remplacés
|
10 juillet 1894 |
Loi relative à l'assainissement de Paris
|
Le seul article en vigueur (article 2) concerne
|
22 juillet 1895 |
Loi relative à l'application
|
Son article unique renvoie à l'article 14 de la
loi
|
14 août 1918 |
Loi rendant obligatoire
|
Les thermomètres sont désormais
régis
|
13 août 1926 |
La loi complétant la loi
|
Concerne un mode d'assainissement aujourd'hui révolu |
Source : commission des lois du Sénat
*
* *
Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
* 44 Avis n° 396251 précité du Conseil d'État.
* 45 « Combattre l'insécurité juridique ou la lutte du système juridique contre lui-même », op. cit. , p. 398.
* 46 Voir, pour plus de précisions, le commentaire de l'article 1 er de la proposition de loi.
* 47 Avis n° 396251 précité du Conseil d'État.
* 48 Loi portant création de succursales de la Caisse nationale d'épargne à l'étranger.
* 49 Loi portant fixation du budget général de l'exercice 1920.
* 50 Loi portant abolition de la mort civile.
* 51 Avis n° 396251 précité du Conseil d'État.
* 52 Loi ayant pour objet la déclaration d'utilité publique et la concession définitive de divers chemins de fer à la compagnie des chemins de fer du sud de la France (Grasse à Nice et Nice à Puget-Théniers).
* 53 Loi portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1882.