II. LE PROJET DE LOI : UNE RÉVISION GLOBALE, INSPIRÉE DES NORMES OCDE, QUI CONSTITUE UNE AVANCÉE UTILE
Le Luxembourg a accepté en 2016 d'engager des travaux communs sur la révision de l'ensemble des dispositions de la convention fiscale du 1 er avril 1958.
Deux tours de négociation ont eu lieu : en octobre 2016 à Paris et en octobre 2017 à Luxembourg. Ils ont abouti au paraphe d'un accord entre administrations le 1 er mars 2018.
La présente convention a par la suite été signée à l'occasion du séminaire gouvernemental franco-luxembourgeois organisé à Paris le 20 mars 2018.
À l'issue des auditions de votre rapporteur, il ressort que le Luxembourg a souhaité lors de ces négociations faire droit à un nombre important de demandes françaises qui répondaient dans l'ensemble à deux préoccupations : s'inspirer des standards les plus récents du modèle de convention de l'OCDE issu de la convention multilatérale (CML) et déroger sur certains points à ces mêmes modèles pour faire valoir des spécificités du système fiscal français.
La première caractéristique de cette refonte de la convention est donc son caractère très général.
A. UNE RÉVISION GLOBALE DE L'ACTUELLE CONVENTION
Le projet de nouvelle convention a, en effet, été rédigé avec plusieurs objectifs : éviter les doubles impositions, accroître la sécurité juridique des opérateurs des deux pays et renforcer les moyens de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
S'inscrivant dans un contexte fiscal international rénové, cette convention tient compte des principales avancées obtenues dans le cadre des travaux BEPS ( Base Erosion and Profit Shifting ) conduits à partir de 2013 par l'OCDE et auxquels la France a grandement contribué dont la convention multilatérale (CML) précitée est l'aboutissement.
La convention franco-luxembourgeoise signée le 20 mars 2018 contient notamment à l'article 28 une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal (clause dite « Principal Purpose Test » ) ainsi qu'un nouveau préambule précisant que l'objet de la convention est notamment d'éliminer la double imposition sans créer de possibilité de non-imposition.
Outre les normes les plus récentes de l'OCDE en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, par exemple en ce qui concerne l'échange de renseignements ou l'assistance au recouvrement, la présente convention introduit également une définition plus précise de la résidence fiscale conforme à la pratique conventionnelle française visant à prévenir les situations abusives, notamment pour les personnes morales.
L'introduction des nouvelles règles de définition de l'établissement stable d'entreprise, telles qu'elles ont été révisées dans le cadre du projet BEPS, constitue une autre avancée importante.
L'article 5 (« Etablissement stable ») de la nouvelle convention prévoit des mesures de nature à prévenir les schémas visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable, notamment dans le cadre des accords de commissionnaire qui s'étaient multipliés dans la période récente comme l'illustraient les décisions du Conseil d'État Société Zimmer Ltd (CE, 31 mars 2010 n° 304715) et Société Iota (CE, 6 octobre 2010 n° 307680). Ces deux arrêts montraient la sophistication des schémas pouvant être rencontrés en matière d'établissement stable qui permettaient légalement d'échapper largement à l'impôt sans que l'actuelle convention ne puisse y faire obstacle.
Les nouvelles stipulations de la convention franco-luxembourgeoise issues du modèle 2017 de l'OCDE permettront désormais de considérer comme étant un établissement stable toute personne qui agit exclusivement ou quasi-exclusivement pour le compte d'une entreprise à laquelle cette personne est étroitement liée sans que des arrangements de pure forme, tels que les schémas de commissionnaire, n'interdisent une telle qualification.
Ces nouvelles stipulations permettront en outre d'imposer dans chaque État les gains en capital réalisés par des personnes physiques qui résultent de la cession d'une participation substantielle du capital d'une société établie sur son territoire.
La définition des dividendes de la nouvelle convention est conforme au modèle de convention de l'OCDE à ceci près qu'elle inclut les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'État dont la société distributrice est un résident, conformément à la politique conventionnelle française.
La convention pose le principe de l'imposition des dividendes dans l'État de résidence de leur bénéficiaire. Il prévoit également la possibilité que l'État de la source puisse les imposer à un taux n'excédant pas 15 % de leur montant brut des dividendes, sauf lorsque la société bénéficiaire détient directement au moins 5 % du capital de la société distributrice pendant une période minimale de 365 jours. Dans ce dernier cas, la retenue à la source est supprimée, conformément à la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents.
En ce qui concerne le régime applicable aux redevances . La convention ne prévoit pas une imposition exclusive dans l'État contractant dont le bénéficiaire est un résident. Il permet à l'État de la source de prélever une retenue au taux maximal de 5 % du montant brut des revenus.
S'agissant du régime applicable aux gains en capital , conformément à la pratique habituelle de la France et aux principes les plus récents posés par l'OCDE, l'article 13 permet à la France d'appliquer sa législation pour l'imposition des plus-values de cession des titres de sociétés à prépondérance immobilière non seulement lorsqu'elles résultent de l'aliénation d'actions, mais aussi de parts ou autres droits dans toute entité. Cet article permet, en outre, l'imposition en France des gains en capital réalisés par une personne physique et résultant de la cession d'une participation substantielle dans le capital d'une société française.
Enfin, la nouvelle convention tient compte de la situation des travailleurs frontaliers qui résident en France et exercent leur activité au Luxembourg en introduisant une règle permettant, pour des raisons de simplification administrative, qu'ils demeurent soumis à l'impôt dans l'État d'exercice de leur activité lorsqu'ils télétravaillent moins de 30 jours par an depuis leur État de résidence.
Ce seuil étant exclusivement fiscal, les travailleurs frontaliers pourront télétravailler plus de 29 jours par an depuis leur État de résidence, mais dans ce cas, les rémunérations reçues à ce titre ne seront imposables que dans cet État. La règle introduite dans la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise constitue donc un équilibre entre la nécessité de faciliter la mobilité transfrontalière et la préservation des intérêts du Trésor. À titre de comparaison, le Luxembourg dispose d'accords de ce type avec l'Allemagne (20 jours) et la Belgique (24 jours).
S'agissant des pensionnés, la convention a maintenu à la demande du Luxembourg le principe de l'imposition par le pays source présent dans la précédente convention, par opposition à l'imposition sur le lieu de résidence généralement privilégié par la France.