II. PRINCIPALES OBSERVATIONS SUR LES PROGRAMMES « ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR » (RAPPORTEUR SPÉCIAL : M. PHILIPPE ADNOT)
1. Un maintien des efforts budgétaires en faveur de l'enseignement supérieur
Exécution des crédits des programmes relatifs à l'enseignement supérieur en 2017
(en millions d'euros et en %)
N° |
Intitulé du programme |
Crédits exécutés 2016 |
Crédits votés LFI 2017 |
Crédits exécutés 2017 |
Écart exécution 2017 / exécution 2016 |
Écart exécution 2017 / LFI 2017 |
|
150 |
Formations supérieures et recherche universitaire |
AE |
12 945,5 |
13 264,4 |
13 147,5 |
1,56% |
-0,88% |
CP |
12 807,5 |
13 226,9 |
13 133,6 |
2,55% |
-0,71% |
||
231 |
Vie étudiante |
AE |
2 577,0 |
2 691,4 |
2 642,7 |
2,55% |
-1,81% |
CP |
2 546,9 |
2 688,1 |
2 643,7 |
3,80% |
-1,65% |
||
Total « Enseignement supérieur » |
AE |
15 522,5 |
15 955,8 |
15 790,2 |
1,72% |
-1,04% |
|
CP |
15 354,4 |
15 915,0 |
15 777,3 |
2,75% |
-0,87% |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
La loi de finances pour 2017 avait doté l'enseignement supérieur (programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et programme 231 « Vie étudiante ») de crédits en forte progression , par rapport à 2016, avec 15,9 milliards d'euros inscrits en autorisations d'engagement et en crédits de paiement pour 2017 (respectivement + 2,85 % et + 3,71 %).
L'exécution budgétaire sur 2017 confirme les efforts réalisés en faveur de cette mission. Ainsi, les programmes consacrés à l'enseignement supérieur enregistrent un fort taux de consommation, avec 99 % en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. Par rapport à l'exécution 2016, les crédits consommés en 2017 progressent également de 1,72% en autorisation d'engagement et de 2,75% en crédits de paiement.
Mouvements de crédits opérés au sein des programmes 150 et 231 en 2017
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les données du ministère du budget
S'agissant des mouvements de régulation budgétaire , le programme 150 bénéficie d'un certain nombre de règles dérogatoires du droit commun concernant la réserve de précaution. Une mise en réserve forfaitaire est appliquée aux crédits consacrés aux opérateurs , lesquels représentent 12,5 milliards d'euros (AE=CP), soit plus de 80 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement inscrits sur le programme en loi de finances initiale. La Cour des comptes estime ainsi, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission, que cette dérogation exonère les opérateurs de l'essentiel de leurs efforts en matière de réserve puisque la mise en réserve aurait dû s'élever - selon les calculs de la Cour des comptes - à plus de 250 millions d'euros pour les seules subventions allouées aux universités (environ 10,5 milliards d'euros).
Toutefois, bien que les crédits alloués à l'enseignement supérieur soient en hausse, les programmes 150 et 241 ont fait l'objet, en cours de gestion, d'annulations plus importantes qu'en 2016 . Alors que 33,4 millions d'euros en crédits de paiement avaient été annulés par décret d'avance en 2016, ce sont 163,4 millions d'euros qui ont été annulés par les décrets d'avance de juillet et novembre 2017 . Toutefois, compte tenu des ouvertures de crédit dont ont également bénéficié les programmes, le solde des mouvements intervenus s'élève à - 80 millions d'euros.
2. Des financements extra-budgétaires conséquents
En sus des crédits budgétaires mentionnés, l'enseignement supérieur a bénéficié, en 2017, de crédits issus des programmes d'investissement d'avenir (1,2 181 ( * ) et 3), dont 2,9 milliards d'euros d'autorisations d'engagement dans le cadre du PIA 3. Tout en se félicitant des crédits supplémentaires ainsi accordés à l'enseignement supérieur, votre rapporteur regrette - comme il l'a souligné à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2017 - l'absence de crédits de paiement associés en 2017, dans le cadre du PIA 3.
Exécution des crédits du programme 421 du PIA 3 en 2017 (en AE)
PL2017 |
Exécution 2017 |
Taux de consommation |
|
PROGRAMME 421
|
|||
action 01 «Nouveaux cursus à l'université» |
250 |
250 |
100 % |
action 02 « Programmes prioritaires de recherche |
400 |
400 |
100 % |
action 03 «Équipements structurants de recherche |
350 |
350 |
100 % |
action 04 «Soutien des grandes universités de recherche» |
700 |
700 |
100 % |
action 05 «Constitution d'écoles universitaires de recherche» |
300 |
300 |
100 % |
action 06 «Créations expérimentales de sociétés universitaires et scientifiques» |
400 |
0 |
0 % |
action 07 «Territoires d'innovation pédagogique» |
500 |
0 |
0 % |
Sous-total |
2 900 |
2 000 |
69 % |
(en millions d'euros et en %)
Source : Contribution de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Investissements d'avenir »
L'exécution révèle que le programme 421 « Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche », qui tend à soutenir l'investissement dans l'enseignement, principalement dans l'enseignement supérieur et la recherche, enregistre le taux de consommation le plus élevé (69 %), malgré l'absence d'engagements 182 ( * ) en 2017 pour l'action 06 « Créations expérimentales de sociétés universitaires et scientifiques » . Cette action -qui vise à renforcer l'autonomie des universités, des écoles ou de leurs regroupements en soutenant les établissements qui souhaitent expérimenter de nouveaux modes de gestion leur permettant de valoriser l'ensemble de leurs compétences et de leurs actifs - repose sur des financements correspondant à des prises de participation au capital de ces entreprises par l'État. L'absence d'engagement sur 2017 s'explique par la parution tardive de la convention du 29 décembre 2017 entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations.
Votre rapporteur regrette la signature tardive de cette convention, mais salue les efforts financiers entrepris et se félicite de l'ouverture, au titre du projet de loi de finances pour 2018, de crédits de paiement à hauteur de 142,5 millions d'euros , qu'il espère cependant voir consommés.
3. Un manque de visibilité sur la mise en oeuvre des 5 000 emplois nouveaux et une sous-consommation récurrente du plafond d'emploi
Sous le précédent quinquennat avait été mis en oeuvre un plan de création de 5 000 emplois , dont le coût cumulé est estimé par la Cour des comptes à 735 millions d'euros . Le projet de loi de finances pour 2017 prévoyait ainsi la création de 1 000 emplois nouveaux correspondant à la somme de 58,9 millions d'euros (dont 21,6 millions d'euros au titre du CAS « Pensions »).
D'après une enquête réalisée par la direction générale de l'enseignement supérieur et de la recherche auprès des établissements, 74 % des emplois auraient été effectivement créés depuis 2013 sur les emplois nouvellement notifiés. Votre rapporteur regrette néanmoins que le ministère ne puisse apporter plus de précisions quant à la mise en oeuvre effective de ces emplois nouveaux. Lors de l'examen des crédits pour 2017, il avait estimé « qu'il n'était pas acquis que ces emplois soient réellement créés ni certain que, lorsqu'ils le sont, ils conduisent véritablement à améliorer l'encadrement et les conditions d'enseignement des étudiants ».
Par ailleurs, il apparaît que les plafonds d'emplois des opérateurs du programme 150 restent largement sous-consommés , y compris en tenant compte des emplois hors plafonds. La réalisation totale des emplois sous plafond État atteint 153 199 ETPT en 2017 , soit une sous-consommation de 11 498 ETPT. Cette sous-consommation concerne majoritairement les catégories d'opérateurs « universités et assimilés » pour 9 618 ETPT, « écoles et formations d'ingénieurs » pour 850 ETPT et « autres opérateurs » pour 753 ETPT. Elle s'explique, de façon structurelle, par un taux de vacance frictionnel des emplois et par le fait que les communautés d'universités et établissements ( Comue) ont bénéficié en cours d'année de transferts d'emplois internes au programme qui ne pouvaient être prévus en loi de finances initiale.
4. Une sous-consommation des crédits consacrés aux aides directes aux étudiants, contrastant avec les années précédentes
Les aides directes aux étudiants , dont les crédits sont regroupés au sein de l'action 01 « Aides directes » du programme 231 « Vie étudiante » , représentent près de 83 % des crédits du programme . Alors que cette action avait fait l'objet d'une sur-exécution en 2016, les crédits consommés au titre de l'exercice 2017 (2,23 milliards d'euros) sont largement inférieurs aux crédits prévus en loi de finances initiale (2,26 milliards d'euros).
Répartition des dépenses d'aides sociales directes versées aux étudiants |
|||
(en millions d'euros) |
|||
Intitulé |
Montants prévus (AE=CP) |
Évolution |
|
Crédits prévus en LFI 2017 |
Crédits consommés en 2017 |
Écart crédits consommés/crédits prévus en LFI |
|
Bourses sur critères sociaux |
2 051,90 |
2 041,62 |
- 0,50% |
Aides au mérite |
44,11 |
49,94 |
13,22% |
Aides à la mobilité internationale |
25,70 |
24,19 |
- 5,88% |
Aides spécifiques |
48,78 |
41,87 |
- 14,17% |
Aide à la recherche du premier emploi (ARPE) |
58,00 |
33,66 |
- 41,97% |
Aide à la mobilité en Master |
0,00 |
6,00 |
_ |
Grande école du numérique |
0,00 |
1,50 |
_ |
Total |
2 228,49 |
2 198,78 |
- 1,33% |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires |
Cette sous-consommation s'explique principalement par :
- la sous-utilisation des crédits dédiés aux bourses sur critères sociaux, en raison d'un effectif réel de boursiers inférieur aux prévisions et de la mise en oeuvre d'une circulaire183 ( * ) sur les modalités d'attribution des bourses qui prévoit que les dépôts de dossiers de bourses après le 3 octobre ne font plus l'objet de paiements rétroactifs.
Votre rapporteur regrette néanmoins qu'aucune mesure forte n'ait été encore prise pour renforcer le contrôle d'assiduité et de présence aux examens des étudiants boursiers , contrepartie pourtant essentielle au versement des aides financières. Comme votre rapporteur spécial avait notamment pu le mettre en évidence dans le cadre d'un rapport d'information sur ce thème, les dispositifs actuellement mis en place par certains établissements universitaires (et selon les filières) ne garantissent en rien que les bénéficiaires de ces aides poursuivent effectivement leurs études 184 ( * ) , créant aussi, par la même occasion, une inégalité de traitement entre les boursiers.
- un surdimensionnement de l'aide à la recherche du premier emploi (ARPE) , qui a été créée par la loi du 8 août 2016 185 ( * ) à compter de la rentrée universitaire 2016, pour les jeunes de moins de 28 ans. Elle a pour objet l'accompagnement financier de la période d'insertion professionnelle entre la sortie des études et l'accès au premier emploi. Cette sous-consommation des crédits liés à l'ARPE n'étonne pas votre rapporteur qui avait pointé le risque de surestimation du dispositif lors de l'examen des crédits proposés par le projet de loi de finances pour 2017 . Les crédits prévus, lors de la loi de finances pour 2018, sont ainsi en baisse de 15 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2017.
5. Un meilleur suivi des regroupements d'établissements est nécessaire
Le regroupement d'universités et d'établissements a été renforcé par l'article L. 718-2 du code de l'éducation qui, issu de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche 186 ( * ) , crée une obligation de se regrouper à tous les établissements, en optant pour une fusion, une association ou une communauté d'universités et établissements (Comue).
La coopération entre les universités et les autres établissements d'enseignement supérieur ne peut qu'être soutenue , dès lors qu'elle aboutit à une mutualisation des moyens , améliore l'offre proposée et, éventuellement, rend les établissements plus visibles à l'échelle internationale . Pour autant, votre rapporteur spécial n'est personnellement pas convaincu du fait que le regroupement d'établissements tendant à « faire nombre » constitue réellement un atout pour développer l'excellence.
Par ailleurs, comme il n'a pas manqué de le signaler dans le cadre de l'examen des précédentes lois de finances, il convient de rester vigilant quant à la création de ces « superstructures » qui pourraient mener à plus de complexité et induire des coûts de fonctionnement importants . Il regrette, à l'instar de la Cour des comptes, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission, que le ministère ne dispose pas de cadre d'analyse, ni de suivi spécifique de ces coûts . Votre rapporteur sera attentif aux conclusions du rapport de l'IGAENR en cours sur les conséquences des fusions d'établissements.
6. Des progrès à réaliser s'agissant de la mesure de la performance
La mesure de la performance, s'agissant de la mission « Enseignement supérieur », à l'instar d'autres politiques publiques, conduit à formuler des observations de deux ordres:
- la nécessité de définir des indicateurs pertinents permettant de juger de la performance des établissements d'enseignement supérieur ;
- la prise en compte des résultats de ces indicateurs de performance dans le financement des établissements.
Si l'on observe les indicateurs actuels de la mission, il semble qu'ils rendent difficiles la mesure de la performance. Les programmes relatifs à l'enseignement supérieur comptent 9 objectifs, 23 indicateurs et 49 sous-indicateurs. Le rapport annuel de performances leur consacre 31 pages et pourtant, il est difficile d'appréhender, par eux-mêmes, la mesure de la performance de la politique gouvernementale en matière d'enseignement supérieur , en particulier pour le programme 150.
Dans le cadre de son contrôle budgétaire en cours sur la prise en compte de la performance dans le financement des universités , votre rapporteur réfléchit à la mise en place d'indicateurs pertinents permettant de mesurer la performance des établissements, s'agissant notamment de la réussite étudiante. Il ne s'agit pas de multiplier ces indicateurs mais de définir des outils fiables et utiles.
Parmi les indicateurs qui pourraient être pertinents , figurent la mesure de l'insertion professionnelle des étudiants dès six mois après leur diplôme, en complément des données déjà disponibles à 36 mois, mais également la mesure d'objectifs plus qualitatifs, tels que l'adéquation entre l'insertion professionnelle et la formation initiale de l'étudiant, ou la qualité des enseignements et des enseignants . Des indicateurs pertinents permettront ainsi une comparaison plus aisée des établissements, et in fine une prise en compte facilitée de leur performance dans la répartition de leur dotation.
Votre rapporteur regrette, en effet, l'absence de corrélation entre l'atteinte des cibles et le niveau des moyens alloués par l'État . La France ne dispose toujours pas de modèle d'allocation des moyens à la performance pour les universités. Le modèle SYMPA (Système de répartition des moyens à la performance et à l'activité) - mis en oeuvre en 2009 afin de répartir les moyens alloués par l'État aux universités selon des critères liés à l'activité et la performance de l'établissement - n'est plus utilisé que pour identifier les établissements bénéficiant de financement supplémentaires au titre des 5 000 créations d'emplois. Les écoles d'ingénieurs bénéficient, elles, d'un modèle appelé MODAL , système de répartition d'une enveloppe de moyens entre établissements, établie également à partir de critères d'activité et de performance.
Le contrôle budgétaire en cours de votre rapporteur conclura à des propositions et recommandations sur ce sujet .
* 181 La mission « Recherche et enseignement supérieur » a bénéficié de 18,3 milliards sur 2017 au titre des PIA 1 et 2
* 182 L'action 07 « Territoires d'innovation pédagogique » - qui vise à financer des innovations dans le domaine éducatif, principalement pour l'enseignement scolaire et la transition avec l'enseignement supérieur - relève plutôt de la mission « Enseignement scolaire ».
* 183 Circulaire 2017-059 du 11 avril 2017.
* 184 Rapport d'information n° 729 (2015-2016) de Philippe Adnot, fait au nom de la commission des finances, « Le contrôle des conditions de maintien des droits des étudiants boursiers : le scandale des "copies blanches" ».
* 185 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
* 186 Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013.