EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
La participation de députés et de sénateurs à des organismes extérieurs au Parlement, encore appelés organismes extraparlementaires (OEP), s'inscrit dans une longue tradition qui remonte au XIX ème siècle.
Elle présente une réelle utilité, et répond même à une nécessité démocratique, lorsqu'elle est de nature à renforcer le contrôle de l'action du Gouvernement, à améliorer l'évaluation des politiques publiques et à permettre aux organismes concernés de mieux appréhender, les aspirations de nos concitoyens, en bénéficiant de l'expérience et de l'ancrage territorial des élus de la Nation.
Le nombre des organismes extraparlementaires a toutefois connu une croissance exponentielle et quelque peu désordonnée depuis les débuts de la V ème République, passant de 17 en 1958 à 73 en 1981, 147 en 2004 et 202 aujourd'hui 1 ( * ) . Ces organismes sont désormais si divers qu'il est quasiment impossible d'en établir une typologie cohérente : autorités administratives et publiques indépendantes, établissements publics, commissions consultatives, comités de suivi, etc 2 ( * ) . La présence de parlementaires y est prévue par la loi pour 60 % d'entre eux et par un texte réglementaire pour 40 %.
Cette évolution n'est pas satisfaisante à plusieurs égards.
La désignation de parlementaires n'apparaît pas toujours indispensable eu égard aux missions et à l'activité de ces organismes. Elle a pour effet d'accroître les contraintes déjà lourdes pesant sur les agendas des députés et des sénateurs, au risque de pénaliser leur participation aux nombreux travaux de leur assemblée : séance plénière, commissions, délégations, structures temporaires... Enfin il est pour le moins singulier, au regard du principe de la séparation des pouvoirs, qu'une telle désignation puisse résulter d'un texte réglementaire et donc de la seule décision du pouvoir exécutif.
Aussi, à l'initiative de son président Gérard Larcher, le Sénat a-t-il engagé une réflexion en vue de rénover les règles relatives aux organismes extraparlementaires.
Au mois de mars 2015, le Bureau et la Conférence des présidents ont approuvé les préconisations de nos collègues Roger Karoutchi et Alain Richard, rapporteurs du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat mis en place à l'automne 2014 3 ( * ) . L'une d'entre elles consistait à limiter la « dispersion des sénateurs dans divers organismes afin d'encourager leur participation effective aux travaux du Sénat » et, en conséquence, à engager, « en concertation avec le Gouvernement, une réflexion à trois ans pour supprimer la participation des sénateurs à certains organismes extraparlementaires ».
À l'initiative de votre commission des lois et du Sénat, la loi organique du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a énoncé dans le code électoral un principe à la fois clair et respectueux de la séparation des pouvoirs : à compter du 1 er juillet 2018, seule une loi peut prévoir la présence d'un député ou d'un sénateur dans un organisme extraparlementaire.
Enfin, au mois de mars 2018, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale ont déposé deux propositions de loi identiques visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination. L'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de son président le 24 mai 2018, après engagement de la procédure accélérée.
Lors de sa réunion du 16 mai 2018, la Conférence des présidents du Sénat a décidé que cette proposition de loi (n° 504, 2017-2018) serait examinée selon la procédure de législation en commission (LEC), prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat, en vertu de laquelle le droit d'amendement s'exerce, sauf exceptions 4 ( * ) , uniquement en commission.
Votre commission a adopté la proposition de loi, après une large concertation menée par votre rapporteur et en poursuivant ses efforts de rationalisation.
I. LA PRÉSENCE DES DÉPUTÉS ET DES SÉNATEURS DANS LES ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
Issue d'une longue tradition républicaine, la présence de députés et de sénateurs au sein des organismes extraparlementaires (OEP) s'est affirmée sous la V ème République, notamment en réaction au parlementarisme rationalisé.
La diversité des quelque 202 organismes actuels est telle que leur seul point commun est la présence en leur sein de parlementaires .
A. UNE TRADITION QUI REMONTE AU XIXÈME SIÈCLE
1. La lente émergence des organismes extraparlementaires sous les IIIème et IVème Républiques
Dès le XIX ème siècle, la présence de députés et de sénateurs dans des organismes extraparlementaires a été un gage de contrôle du pouvoir exécutif .
Historiquement, le premier organisme extraparlementaire date de 1816 avec la création de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations 5 ( * ) . Pour M. Jean-Marie Thiveaud, « après les années de l'Empire, les deux invasions de 1814 et 1815, les durs traités qui avaient mis le pays à rançon, la France avait perdu toute confiance, les ressources subsistaient mais le crédit se refusait. Il importait que les citoyens fussent à l'abri de nouveaux actes arbitraires, il fallait un point d'appui, une force de résistance, hors de portée du pouvoir exécutif, du despotisme et de la licence, la représentation nationale offrait seule cette sécurité » 6 ( * ) .
D'abord limité au secteur financier, le champ des organismes extraparlementaires s'est progressivement étendu , notamment avec la création de la commission de contrôle de la loi sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels (1892), du Conseil des musées nationaux (1895) ou encore de la Commission supérieure d'aménagement, d'embellissement et d'extension des villes (1919).
Dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire de 1905, Eugène Pierre considère que la création des OEP ne soulève aucune objection au regard du principe de séparation des pouvoirs : « lorsqu'il s'agit d'établir auprès d'un ministre une commission consultative ayant des pouvoirs déterminés (...), la loi peut décider qu'un ou plusieurs membres des chambres, élus par leurs collègues, entreront de plein droit dans ces commissions ».
Il relève cependant que le président de la Chambre des députés, Eugène Henri Brisson, avait refusé en 1885 de recevoir une proposition de loi prévoyant qu'une commission de douze députés « assiste » le ministre des affaires étrangères, une telle disposition constituant une atteinte « au droit des ministres d'être maîtres de leur action, sous le contrôle des chambres » 7 ( * ) .
2. L'affirmation des organismes extraparlementaires dès le début de la Vème République
Le nombre d'organismes extraparlementaires augmente dès le début de la V ème République, passant de 17 en 1958, à 34 en 1969 et à 73 en 1981 8 ( * ) . À titre d'exemple, les parlementaires intègrent le Conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés en 1959, le conseil d'administration de Radio France en 1974 ou encore le Conseil supérieur de la forêt et des produits forestiers en 1978.
Comme le souligne M. Olivier Chabord en 1981, il faut y voir « le désir du Parlement de sortir progressivement du domaine limité dans lequel le constituant de la V ème République a voulu l'enfermer . Le développement de la représentation parlementaire s'inscrit très largement dans une tendance plus générale du Parlement de reprendre, petit à petit, par divers mécanismes de substitution ou de compensation, tout ou partie du terrain perdu en 1958 ».
En outre, « la présence de parlementaires fût-ce en nombre limité transforme la nature technocratique de l'organisme en lui conférant un label démocratique . C'est faire entendre à la fois la voix des élus de la Nation et celle des usagers. C'est rapprocher l'administration des administrés, et parfois même faire des administrés ou de leurs représentants des décideurs » 9 ( * ) .
3. Une activité encadrée par des règles déontologiques
L'activité des députés et des sénateurs au sein des organismes extraparlementaires est encadrée par des règles déontologiques .
La participation des parlementaires aux OEP ne peut ainsi donner lieu à aucune rémunération, gratification ou indemnité 10 ( * ) . À l'origine de cette disposition, notre collègue Jean-Pierre Sueur écrivait en 2013 : « dès lors qu'existe une indemnité parlementaire et qu'un élu est désigné dans un organisme du fait de son mandat parlementaire, il n'y a pas lieu de lui attribuer une rémunération supplémentaire particulière, à la seule exception des frais susceptibles d'être exposés et pris en charge » 11 ( * ) .
La liste des OEP est rendue publique sur les sites internet de l'Assemblée nationale et du Sénat 12 ( * ) , ce qui constitue une garantie de transparence.
En outre, l'activité des députés et des sénateurs au sein des organismes extraparlementaires est soumise au contrôle déontologique des instances compétentes de chaque assemblée. À titre d'exemple, le président du Comité de déontologie parlementaire du Sénat a conseillé en juillet 2015 à un sénateur de choisir entre son siège de président d'une fédération professionnelle et une fonction au sein d'un OEP relevant du même secteur économique, « par laquelle il aurait représenté le Sénat et ainsi incarné l'intérêt général » 13 ( * ) .
Enfin, l'article 109 du Règlement du Sénat prévoit depuis 1971 que les « sénateurs désignés pour siéger dans les organismes extraparlementaires (...) présenteront, au moins une fois par an, à la commission qui a été chargée de les désigner ou de proposer les candidatures, un rapport sur leur activité au sein de ces organismes ». Un tel exercice a été réalisé au sein de la commission des lois à l'automne 2010, sans être reproduit depuis.
* 1 Ce nombre incluant les organismes extraparlementaires créés depuis le début de l'année 2018 et des structures ad hoc comme le conseil d'administration de l'Office franco-québécois pour la jeunesse, dans lequel siège aujourd'hui un député mais pas un sénateur.
* 2 Les structures de coopération avec les assemblées parlementaires d'autres États, comme par exemple l'Union interparlementaire ou l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, n'étant pas considérées comme des organismes extraparlementaires.
* 3 « Pour un Sénat plus efficace, plus présent, plus moderne, plus garant de l'équilibre des pouvoirs et de la représentation des territoires », relevé de conclusions du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat, consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/sgp/Releve_conclusions_gr_reflexion_bureau_11mars2015.pdf .
* 4 Peuvent toutefois être présentés en séance publique les amendements visant à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur ou à procéder à la correction d'une erreur matérielle.
* 5 Voir le commentaire de l'article 67 de la proposition de loi pour plus de précisions.
* 6 « Petit livret d'identité de la Caisse des dépôts : textes statutaires et signes particuliers », Revue d'économie financière, 1991, p. 41 et 42.
* 7 Traité de droit politique, électoral et parlementaire , 1905, p. 117.
* 8 Source : Olivier Chabord, « La représentation du Parlement dans les organismes extraparlementaires », revue Pouvoirs, 1981, n° 17, p. 172.
* 9 « La représentation du Parlement dans les organismes extraparlementaires », op. cit ., p. 172.
* 10 Article L.O. 145 du code électoral.
* 11 Rapport n° 722 (2012-2013) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique, p. 42.
Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l12-722/l12-7221.pdf .
* 12 Ces listes sont consultables aux adresses suivantes : www.senat.fr/oep et
www2.assemblee-nationale.fr/deputes/liste/depute-par-organisme-extraparlementaire .
* 13 Rapport d'activité du Comité de déontologie parlementaire du Sénat pour l'année parlementaire 2015-2016, p. 13. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/sgp/Rapport_Activite_2015-2016.pdf .