TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES

Réunie le mercredi 27 septembre 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis rendu par le Haut Conseil sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Mme Michèle André , présidente . - La période de transition que connaît notre assemblée ne doit pas empêcher le Sénat d'être informé, en même temps que l'Assemblée nationale, des principaux éléments du projet de loi de finances, du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 que les ministres viendront nous présenter à partir de 16 heures.

Les éléments d'information que nous recueillerons aujourd'hui nourriront la réflexion de ceux qui nous succèderont la semaine prochaine et nous interrogerons les ministres en tenant compte des éléments que nous fournira, dans quelques instants, le Premier président Didier Migaud en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques.

L'article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012 dispose que le Haut Conseil est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques et de l'estimation du PIB potentiel sur lequel repose le projet de loi de programmation des finances publiques et qu'il doit apprécier la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif à moyen terme retenu en raison des engagements européens de la France.

L'article 14 de la même loi organique prévoit que le Haut Conseil est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale de l'année et qu'il apprécie la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définis dans la loi de programmation des finances publiques.

Le Haut Conseil s'est prononcé sur l'ensemble de ces éléments le 24 septembre dernier ; il a rendu des avis que le président Migaud va nous présenter.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques . - Je vais vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons adoptés le 24 septembre dernier. Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint et Paul Bérard, rapporteur.

Comme vous le savez, le Haut Conseil est une jeune institution, créée en 2013. Elle est née du traité qui a réformé en 2012 la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne et plus particulièrement de la zone euro en réponse aux crises des dettes souveraines. La France a rapidement adapté son organisation et ses règles à ce nouvel ordre budgétaire, notamment grâce à la loi organique de 2012. Les dix-neuf pays de la zone euro et la plupart des autres pays de l'Union ont désormais mis en place des comités budgétaires indépendants. Si leurs missions précises et leurs contours institutionnels diffèrent selon les États, ils visent tous à apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques et des trajectoires des finances publiques associées aux textes financiers.

J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter vingt avis et je vais vous présenter les deux suivants. Nos avis s'appuient sur l'ensemble des informations disponibles et sur celles communiquées par les administrations dans le cadre de procédures écrites, puis orales. Nous réalisons des auditions de personnalités qualifiées. C'est la deuxième fois que le Haut Conseil se prononce sur un projet de loi de programmation, la première remontant à 2014 sur le projet de loi qui portait sur la période 2014 à 2019.

Au terme de l'article 13, nous devons apprécier l'estimation du PIB potentiel proposée par le Gouvernement, nous devons ensuite nous prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées à ce projet et nous devons enfin examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme retenu et des engagements européens de la France.

Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c'est-à-dire celle pouvant être réalisée sans engendrer d'effets inflationnistes ou désinflationnistes. La croissance potentielle correspond à la croissance du PIB potentiel. Entre le PIB potentiel et le PIB effectif, il existe un « écart de production » qui permet de mesurer la position de l'économie dans le cycle. Cet écart de production est négatif dans les périodes d'activité médiocre, comme celle que nous vivons depuis une dizaine d'années. Il permet alors de prendre la mesure de capacité de rebond du pays. À l'inverse, un écart positif est constaté dans les périodes de bonne conjoncture, ce qui permet d'anticiper un ralentissement de la croissance. Appliqué au domaine des finances publiques, l'écart de production permet d'identifier la composante conjoncturelle du déficit et ce solde conjoncturel traduit l'impact du cycle économique et la sensibilité des différentes composantes du budget à la conjoncture. Le solde structurel se calcule par différence et correspond à la part du solde budgétaire indépendant de la position de l'économie dans le cycle : il résulte donc directement des orientations de la politique budgétaire. Ces deux notions d'écart de production et de croissance potentielle ne sont pas des données statistiques ou comptables. Elles procèdent d'estimations qui peuvent toujours être critiquées. L'ampleur exceptionnelle de la crise financière et les difficultés à apprécier ses conséquences sur l'économie invitent à considérer les écarts de production avec prudence. Ces derniers font l'objet d'importantes révisions ex post . Les incertitudes sur les écarts de production se transmettent par construction à la mesure du solde structurel qui dépend également de la sensibilité des recettes à la croissance.

Bien qu'incertaine et fragile dans l'estimation de son niveau, la mesure du solde structurel n'en est pas moins indispensable pour calculer la part, dans l'amélioration ou la détérioration des soldes budgétaires, de ce qui relève de la politique budgétaire elle-même et de ce qui relève de la conjoncture.

J'en arrive aux estimations du Gouvernement. L'estimation de l'écart de production de 2016 est sensiblement réduite par rapport à celle retenue dans le programme de stabilité d'avril 2017 : moins 1,5 % du PIB au lieu de moins 3,1 %. Selon cette estimation, nous sommes au-dessous du PIB potentiel mais nous en sommes moins éloignés que lors des évaluations antérieures. Cette forte révision à la baisse va dans le sens des observations formulées à plusieurs reprises par le Haut Conseil selon lesquelles cet écart était largement surestimé dans les textes financiers de ces dernières années.

Quand l'écart de production négatif est surestimé, le déficit structurel, lui, est minoré. La révision opérée par le Gouvernement conduit à rehausser sensiblement l'estimation du déficit structurel à 2,5 points de PIB en 2016 contre 1,5 point dans les estimations précédentes. La nouvelle estimation de l'écart de production se situe dans la partie basse des évaluations des organisations internationales, mais le Haut Conseil la juge plus réaliste : en augmentant l'estimation des déficits structurels, elle révèle aussi la nécessité d'un effort accru pour redresser les finances publiques, à partir du moment où la composante structurelle est plus importante.

Les hypothèses de croissance potentielle du Gouvernement sont révisées à la baisse pour les années 2017 à 2020 par rapport au programme de stabilité d'avril 2017 : 1,25 % pour chacune des quatre années au lieu de 1,3 % à 1,5 % dans le dernier programme de stabilité. Ce scénario se situe dans la moyenne des estimations disponibles. Nous considérons qu'il constitue une base raisonnable pour asseoir la programmation des finances publiques à moyen terme.

J'en viens à la deuxième mission assignée par la loi organique : l'appréciation des prévisions macroéconomiques associées au projet de loi pour la période 2018 - 2022.

Le Gouvernement retient des taux de croissance du PIB peu différenciés sur toute la période, soit 1,7. Par rapport aux projections de moyen terme présentées en avril dernier dans le programme de stabilité, les prévisions de croissance sont légèrement relevées pour 2017 et pour 2018 (1,7 % au lieu de 1,5 %) et pour 2019 (1,7 % au lieu de 1,6 %). La prévision est en revanche inchangée pour 2020 (1,7 %). Le scénario de croissance du Gouvernement conduit à une fermeture de l'écart de production négatif à l'horizon 2020 puis à un écart de production positif et croissant en fin de période. Compte tenu des tendances à l'oeuvre, la croissance devrait en effet être supérieure à son rythme potentiel en 2017 et 2018. Pour la première fois depuis 2011, l'écart de production est donc en voie de réduction. La fermeture totale au cours de la période de projection est vraisemblable, en l'absence de nouvelle crise majeure. Le scénario de croissance du Gouvernement n'appelle donc pas d'observation à l'horizon 2020. En revanche, le passage à un écart de production positif en fin de période constitue une hypothèse plutôt optimiste, même si on ne peut exclure qu'un tel scenario se réalise. L'hypothèse de croissance retenue dans le scénario pour les années 2021 et 2022, si elle est neutre sur la trajectoire du solde structurel présenté, conduit toutefois à réduire le déficit effectif affiché et à présenter une trajectoire de dette publique plus favorable.

J'en viens à la troisième mission, celle qui nous impose de nous prononcer sur la cohérence de la programmation, notamment au regard des engagements européens de la France. Dans notre avis, nous présentons la nature de ces engagements, qui résultent du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire de 2012, mais également du pacte de stabilité et de croissance ainsi que des règlements européens.

La France est, après l'Espagne, le pays de la zone euro dont le déficit public est le plus élevé. Ces deux pays étaient les seuls de la zone euro à connaître encore en 2016 un déficit supérieur à 3 % du PIB et ce sont, depuis hier, les deux seuls pays à demeurer dans la procédure de déficit excessif, la Grèce en étant sortie. À cet égard, la trajectoire présentée par le Gouvernement respecte la recommandation faite à la France depuis 2015 par le Conseil de l'Union européenne de ramener son déficit effectif au-dessous de 3 points du PIB en 2017. Sous réserve de l'appréciation de la Commission européenne et du Conseil, la France pourrait alors sortir de la procédure de déficit excessif en 2018 et entrer dans le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance. Dans ce cadre, le déficit structurel doit être réduit, jusqu'à atteindre l'objectif de moyen terme de solde structurel qui est fixé à moins 0,4 point de PIB par le projet de loi de programmation. Sur ce point, le Haut Conseil souligne que la trajectoire s'écarte des engagements européens de la France en retenant un ajustement structurel annuel inférieur à celui prévu par les règles européennes. Le règlement européen prévoit en effet un ajustement structurel supérieur à 0,5 point du PIB par an pour les États membres qui n'ont pas atteint leur objectif à moyen terme et dont la dette est supérieure à 60 % du PIB. Or l'ajustement structurel n'est que de 0,3 point de PIB en moyenne entre 2018 et 2022. Dans la trajectoire présentée par le Gouvernement, il est même limité à 0,1 point en 2018. Une conséquence de cet effort limité est de repousser l'atteinte de l'objectif de moyen terme de solde structurel au-delà de l'horizon de la programmation.

Lorsqu'ils examinent la programmation d'un État membre, la Commission et le Conseil disposent de marges de flexibilité. Ils peuvent tenir compte de la mise en oeuvre de réformes structurelles majeures ou de circonstances inhabituelles pour l'autoriser à s'écarter temporairement de sa trajectoire d'ajustement, mais le Haut Conseil, pour sa part, ne saurait préjuger de l'issue de cet examen.

J'en arrive à notre deuxième avis. Comme chaque année en septembre, le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Tout d'abord, les prévisions macroéconomiques. Dans un contexte européen favorable, l'activité en France s'est sensiblement redressée au cours des trois derniers trimestres à la faveur d'une demande intérieure qui est tirée par l'investissement des entreprises et les dépenses des ménages et d'une contribution moins négative des échanges extérieurs à la croissance. De plus, les résultats des enquêtes de conjoncture dont l'amélioration se poursuit, indiquent des perspectives d'activité favorables à court terme. Pour 2017, l'acquis de croissance au deuxième trimestre est de 1,4 % si bien qu'une croissance de 0,4 % aux troisième et quatrième trimestres suffirait pour atteindre la prévision du Gouvernement à 1,7 %. En conséquence, le Haut Conseil considère que cette prévision est prudente.

Pour 2018, le scénario du Gouvernement repose sur le maintien de la dynamique actuelle de l'environnement international et sur une progression toujours soutenue de la demande intérieure. La prévision à 1,7 % est proche de celle des organisations internationales. Le Haut Conseil considère que cette prévision est raisonnable. En outre, il estime que les prévisions d'emploi et de masse salariale du Gouvernement pour 2017 et 2018 sont prudentes, tandis que les prévisions d'inflation pour ces deux années sont raisonnables. Au total, il considère que le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement est prudent pour l'année 2017 et qu'il est raisonnable pour 2018.

J'en arrive à la cohérence du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Dans l'attente du vote de la loi de programmation portant sur 2018 - 2022, la loi de programmation pour la période 2014 - 2019 reste en vigueur. Toutefois, l'appréciation de la cohérence avec cette dernière a perdu largement de sa signification. Le Haut Conseil avait souligné en juin dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2016, que la loi de programmation de 2014 ne fournissait plus un cadre pertinent pour une juste appréciation de la trajectoire des finances publiques, en raison notamment du caractère peu vraisemblable des hypothèses de PIB potentiel.

Au-delà, la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances avec les orientations pluriannuelles de solde structurel présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 est assurée, par construction, puisque les deux projets sont présentés simultanément.

Il convient à nouveau d'insister sur l'ajustement et l'effort structurel en 2017 et en 2018. L'ajustement structurel, c'est-à-dire la variation du solde structurel, serait faible en 2017 et 2018, respectivement de 0,2 point et de 0,1 point. Il en est de même pour l'effort structurel, (0,1 puis 0,2 point de PIB) qui représente la partie de l'ajustement structurel directement liée à un effort en dépenses ou à de nouveaux prélèvements obligatoires. En 2018, cet effort structurel résulterait d'un effort sensible sur les dépenses de 0,4 point de PIB quasiment compensé par des mesures nouvelles de baisse de prélèvements obligatoires (0,3 point de PIB). Comme je vous l'indiquais dans la présentation de l'avis relatif au projet de loi de programmation, le Haut Conseil constate que les ajustements structurels prévus pour 2017 ou 2018 s'écartent des engagements européens de la France. Les ajustements structurels devront être débattus au niveau de la Commission et du Conseil dans le cadre des marges de flexibilité qu'ils se donnent.

Enfin, le Haut Conseil s'est attaché à identifier les risques qui affectent les prévisions de recettes et de dépenses pour 2017 et 2018 sur la base des informations dont il dispose. Une remarque préalable par rapport à l'audit de finances publiques de la Cour des comptes, publié en juin dernier : un certain nombre d'informations nouvelles sont apparues. L'appréciation du Haut Conseil prend en compte naturellement l'ensemble de ces informations nouvelles qui concernent en particulier l'amélioration sensible de la conjoncture économique, ainsi que les recettes fiscales effectivement constatées. En outre, l'actuel Gouvernement a pris au cours de l'été, des mesures de correction en dépenses à la suite de cette publication.

Pour ce qui est des recettes fiscales, le Gouvernement a révisé à la hausse l'estimation de leur montant en 2017 par rapport au programme de stabilité d'avril, ce qui conduit à une élasticité de ces recettes de 1,3 pour 2017 contre 1 avant l'été. Les prélèvements sociaux, notamment, ont été revus à la hausse en lien avec un relèvement d'un demi-point de la prévision de la masse salariale. Le Haut Conseil considère que, au vu des rentrées fiscales de ces derniers mois, les recettes tirées des prélèvements obligatoires en 2017 pourraient être supérieures à ce qui est attendu dans le projet de loi de finances. À titre d'exemple, les recettes de TVA, avec une croissance sur les sept premiers mois de l'année de plus de 5 % à champ constant, apparaissent plus dynamiques que prévu.

Pour 2018, les mesures nouvelles représentent environ 7 milliards d'euros de baisse nette des prélèvements obligatoires. Ces mesures correspondent à la somme des décisions prises par le précédent Gouvernement, qui ont un effet en 2018, et à celles prises par l'actuel Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2018, à savoir l'accroissement du taux du CICE, la baisse de l'impôt sur les sociétés, l'exonération d'une fraction de la taxe d'habitation, la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière. Elles sont partiellement compensées par des hausses de fiscalité, parmi lesquelles l'accroissement de la fiscalité énergétique, celle portant sur le tabac et la bascule des cotisations salariales sur la CSG.

Sous réserve des incertitudes qui portent sur le chiffrage des mesures nouvelles, le Haut Conseil estime que l'hypothèse d'élasticité des recettes au PIB retenue pour 2018 supposée égale à 1 en 2018 après 1,2 en 2016 et 1,3 en 2017, et donc la prévision de recettes tirées des prélèvements obligatoires, est prudente. Il relève que les objectifs de maîtrise de la dépense pour 2018 sont plus exigeants que ceux des années précédentes. Il note qu'un effort visant à une budgétisation plus réaliste a été effectué sur le budget de l'État, notamment en ce qui concerne l'allocation aux adultes handicapés, la prime d'activité, l'hébergement d'urgence, l'aide médicale d'État. Il reste néanmoins quelques sous-budgétisations pour certaines dépenses comme les Opex, ou bien des apurements communautaires, même si le Gouvernement a prévu des sommes supérieures à celles inscrites pour 2017.

Toutefois, des risques significatifs existent sur les économies prévues dans le champ des administrations publiques. C'est le cas pour les collectivités territoriales : leurs dépenses et, plus largement, celles des administrations publiques locales, décélèreraient en passant de 1,8 % en valeur en 2017 à 1,2 % en 2018 sous l'effet de la mise en place de contrats passés entre les représentants de l'État et les plus grandes collectivités territoriales. Cet objectif repose sur le pari que la démarche contractuelle conduira à un infléchissement substantiel des dépenses. Ces risques existent également dans le champ social : le respect de l'Ondam à 2,3 % dans le scénario du Gouvernement nécessitera un quantum d'économies supérieur à ce qui a été réalisé au cours des dernières années

Pour l'État, le Gouvernement fait reposer sa prévision sur des économies substantielles en particulier sur les aides au logement. Ces prévisions devront bien sûr se concrétiser en 2018.

Au total, la prévision du Gouvernement d'un déficit à 2,9 % du PIB en 2017 peut être considérée comme plausible, tandis que celle d'un déficit à 2,6 % en 2018 nous apparaît atteignable. Dans la mesure où les nouvelles estimations du Gouvernement le font apparaître, le niveau du déficit structurel en France est très élevé pour 2018 et sa réduction prévue est faible. Pour respecter les objectifs de maîtrise de la dépense, il sera nécessaire d'être particulièrement strict. Même si les recettes venaient à être meilleures que prévu, le solde effectif s'améliorerait mais pas le solde structurel.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - J'ai bien noté l'évolution sémantique de votre présentation. L'année dernière, vous estimiez la réduction des déficits « improbable » et le retour du déficit nominal en dessous de 3 % du PIB « incertain ». Désormais, cette réduction est « plausible ». Il est vrai que certaines des dispositions du projet de loi de finances vont dans le bon sens. Néanmoins, passer d'incertain à plausible implique des efforts considérables sur les dépenses, tandis que les recettes devront être au rendez-vous.

Vous avez dit que les estimations de recettes étaient prudentes, mais vous émettez une réserve sur le chiffrage des mesures nouvelles. Pourriez-vous être plus précis ? Ainsi, quel sera le coût réel de la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière ?

J'en viens aux dépenses. Vous venez de dire qu'il y avait un risque significatif sur la réalisation des économies dans le champ des administrations publiques. L'objectif est en effet très ambitieux pour les administrations de l'État, pour la sécurité sociale et pour les collectivités locales. La contractualisation peut-elle permettre des économies suffisantes ? Ce matin, les départements ont annoncé collectivement qu'ils refusaient la contractualisation.

Vous avez parlé des engagements européens de la France. Nous nous éloignons ainsi significativement de nos engagements concernant les déficits structurels. Le Haut Conseil ne parle cependant pas du respect de la règle de la dette alors que cette dernière nous sera pleinement applicable à compter de 2021. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Didier Migaud . - Si les termes que nous employons changent, c'est parce que la réalité a également changé. Nous nous adaptons aux projets qui nous sont présentés.

Nous ne pouvons entrer dans le détail des estimations concernant les recettes, surtout pour les nouvelles recettes fiscales prévues dans le projet de loi de finances. Au niveau des recettes fiscales traditionnelles, le taux d'élasticité, égal à 1, nous apparaît prudent, alors même que ce taux sera de 1,3 en 2017 et qu'il a été de 1,2 en 2016. Si ce taux d'élasticité est plus important, il y aura des recettes supplémentaires importantes. En revanche, il est difficile d'apprécier le montant des recettes nouvelles.

La trajectoire de l'évolution des dépenses est plus exigeante que dans les années passées, notamment lorsqu'on raisonne en volume. Si nous parlons de risques, c'est que ces efforts doivent se traduire dans la réalité. Les prévisions de décélération des dépenses des collectivités territoriales reposent sur des contrats, mais ceux-ci ne sont pas encore signés. Tant qu'ils ne le sont pas et que les dépenses n'ont pas décéléré, le risque est réel. Même remarque pour les dépenses de sécurité sociale : comme nous notons de nouvelles dépenses prévues en 2018, il faudra que les économies soient plus importantes qu'en 2017. Il en va de même pour les économies attendues dans les administrations de l'État. Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin, la Cour des comptes sera en mesure de présenter une première analyse sur l'exécution du projet de loi de finances durant les premiers mois de 2018. Nous saurons alors si les engagements pris sont effectivement tenus.

J'en viens à la dette. L'Union européenne a édicté beaucoup de règles en la matière mais certaines priment sur d'autres. Lorsqu'un pays est en procédure de déficit excessif et qu'il se rapproche du seuil de 3 % du PIB, c'est le déficit nominal qui est pris en compte. Lorsqu'il passe dans le volet préventif, situation que nous devrions connaître à partir de l'année prochaine, c'est le déficit structurel qui prime. Quant à la règle de dette, qui consiste à réduire chaque année la dette d'un vingtième de l'écart par rapport au seuil de 60 % du PIB, elle est neutralisée pendant trois ans quand un pays sort de la procédure de déficit excessif. Ce sera sans doute la situation que connaîtra la France dans les prochaines années.

M. Vincent Delahaye . - Les gouvernements changent, mais les réalités sont têtues. Je suis sceptique sur les hypothèses de croissance présentées par le Gouvernement. Je ne crois pas à un retour à l'équilibre des finances publiques d'ici cinq ans. Il est étonnant que le Haut Conseil valide cette hypothèse. J'ai toujours pensé que les estimations devaient être minorées de 0,5 point. Ce serait déjà une bonne chose si notre pays connaissait une croissance moyenne de 1,2 % par an durant les cinq prochaines années. Durant les dix dernières années, la moyenne a été de 0,76 % et de 2004 à 2016, la croissance annuelle s'est établie à 1,1 %. Une croissance à 1,7 % ne me semble pas réaliste.

Comment expliquer que le déficit structurel soit, en fin de parcours, supérieur au déficit effectif ? C'est totalement incompréhensible.

M. Claude Raynal . - Je me réjouis de votre présentation qui, d'année en année, suit le même schéma : cela nous permet de nous y retrouver.

J'ai repris votre synthèse de l'an dernier : vous commenciez par le scénario macroéconomique. « Pour l'année 2017, le Gouvernement a maintenu sa prévision d'avril, soit 1,5 %, alors que la plupart des organisations ont donné 1,2 %. Le Haut Conseil estime que cette hypothèse de croissance est optimiste compte tenu des facteurs baissiers ».

La réalité, c'est que la croissance sera de 1,7 %, au lieu du 1,5 % pourtant considéré comme optimiste. C'est ce que l'on appelle un « gap » ! Dans le document de cette année, le scénario devient « prudent » pour 2017 et « raisonnable » pour 2018. On aurait aimé de tels qualificatifs pour les années précédentes, cela nous aurait évité bien des débats !

Or vos commentaires ne sont pas sans effet. Nous sommes une instance politique où les mots ont leur importance. À la fin de l'année 2016, le rapporteur général de la commission des finances se fondait sur les vôtres pour avancer, dans son rapport général, cette phrase définitive : « Une prévision de croissance économique pour 2017 qui frôle l'irréalisme ». Or les objectifs ont été atteints et même dépassés. Il est vrai que c'était une période particulière, située juste avant le tsunami électoral. Cela peut expliquer le caractère énergique des propos tenus alors par le rapporteur général, qui faisait plutôt l'hypothèse d'une croissance de 1,2 %, et dressait le tableau d'une France au bord du gouffre !

Mme Fabienne Keller . - Votre question !

M. Claude Raynal . - Un mot sur la notion d'ajustement structurel, qui obéit, on le sait, à plusieurs définitions. Sous le précédent Gouvernement, nous considérions qu'un tel ajustement pouvait se faire s'il était mené petit à petit. Nous aurons la même exigence avec ce Gouvernement. Quant à l'Europe, elle a, ce me semble, une attitude bienveillante sur ce sujet.

J'aimerais, pour terminer, connaître votre avis sur la réforme annoncée du CICE, qui doit être transformé en un dispositif de baisse de charges. Cette réforme risque bien, en 2019, de nous faire repasser au-dessus de la barre des 3 % de déficit, et ce alors même que les organisations patronales ne le demandent plus.

M. Marc Laménie . - Les pages 22 et 23 de votre présentation font état d'économies substantielles, qui ont fait l'actualité récente : la baisse des aides au logement et la suppression des contrats aidés, notamment. Ces économies font peser un vrai risque sur les finances des collectivités territoriales.

Par ailleurs, la page 15 témoigne d'une progression importante de l'investissement, qui progresserait de 2,8 % en 2016 puis de 3,9 % en 2018. Est-ce réalisable ?

M. Maurice Vincent . - Mon propos porte sur l'Ondam, dont le graphique de la page 24 retrace l'évolution prévue. On constate que, pour l'année 2018, même avec un plan d'économies rigoureux, sa progression, de 2,3 %, sera supérieure à l'inflation. Ce qui signifie donc qu'en dépit des efforts de rigueur, notre modèle social continuera de bénéficier de ressources dont l'augmentation est plus importante que l'inflation. On essaie donc de faire des économies tout en renforçant le système de soins.

Je ne comprends pas en revanche pourquoi vous avez dit, monsieur le président, que l'effort à produire en 2018 serait plus important qu'en 2017, alors qu'il est, pour ces deux années, de 2,2 % par rapport à la croissance spontanée des dépenses. Pouvez-vous nous l'expliquer ?

M. Didier Migaud. - Les hypothèses de croissance présentées par le Gouvernement sont en ligne avec pratiquement tous les organismes internationaux, qui les ont tous révisées à la hausse pour 2017 et 2018. Notre sentiment, appuyé par les enquêtes de conjoncture, notamment, est que nous vivons un moment de consolidation de la croissance en France et en Europe. Nous sommes bien sûr plus prudents au-delà de 2020. La programmation budgétaire à cinq ans est un passage obligé : il est difficile d'avoir des hypothèses affirmées à cet horizon, mais disons que le point de départ apparaît prudent.

J'insiste aussi sur un point : nous raisonnons toutes administrations publiques confondues, c'est-à-dire y compris la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Vous êtes d'ailleurs bien placés pour savoir que ces dernières ont contribué à une amélioration des comptes. Alors, bien sûr, le budget de l'État a tendance à prendre en charge toutes les compensations des mesures qu'il décide.

J'en viens à la question de Vincent Delahaye sur les notions de déficit structurel et conjoncturel. La composante conjoncturelle du déficit est liée à l'écart de production. Il se peut donc très bien qu'il n'y ait plus de composante conjoncturelle dans le déficit. À mesure que l'écart de production diminue, la composante conjoncturelle s'amenuise. Je l'ai dit, cela ne résout pas tous les problèmes. En cas de nouvelle crise, la composante conjoncturelle retrouvera un niveau élevé, qui s'additionnera à la composante structurelle.

Je vais tenter de répondre à l'observation malicieuse de Claude Raynal. Les hypothèses s'apprécient au moment où on les formule. En septembre 2016, lorsque le Haut Conseil des finances publiques a considéré que les hypothèses de croissance faites pour 2017 par le précédent Gouvernement étaient élevées, cette position faisait consensus. Le deuxième trimestre affichait même une croissance de 0 % ! Au moment, donc, où le Gouvernement arrête ces hypothèses, elles sont optimistes. Puis la conjoncture a changé.

Les prévisionnistes ne sont pas Madame Soleil. Ils raisonnent à partir de données objectives. Mais il y a aussi une part de psychologie dans l'économie. Les conséquences du Brexit pour 2017 ont par exemple été surestimées par les économistes ; elles se feront sentir dans le temps long.

Quand le précédent Gouvernement a présenté son programme de stabilité, ces hypothèses étaient encore considérées comme optimistes. Mais le Haut Conseil avait alors indiqué qu'elles lui apparaissaient comme plausibles. Il avait en effet des éléments pour modifier son appréciation. Le Haut Conseil doit partir d'analyses objectives, prendre en compte les aléas, mais la situation peut évoluer, en bien ou mal. Et de manière générale, nous préférons les bonnes nouvelles aux mauvaises.

D'ailleurs, même l'ancien Gouvernement n'avait pas prévu cette accélération de croissance, puisqu'il en était resté à 1,5 %.

Aujourd'hui, nous estimons que la prévision de 1,7 % est prudente car elle est déjà, pour partie, réalisée, l'acquis de croissance étant de 1,4 % ! Cela n'était pas le cas l'année passée. Certains aléas ont disparu, les élections sont derrière nous, la croissance se consolide au niveau mondial, aux États-Unis, dans les pays en développement, en Europe, et la France en tire parti.

Vous me posez également la question de la transformation du CICE en baisse de charges. Ce sujet n'est pas, pour l'heure, de la responsabilité de la Cour des comptes et du Haut Conseil. Quand nous aurons à apprécier ces dispositifs, nous le ferons. Mais il s'agit, pour l'instant, d'une décision politique, qu'il vous appartient d'examiner.

J'en viens à la question des risques en dépenses. Des économies substantielles ont été annoncées, sur les aides au logement notamment. Nous sommes comme saint Thomas : nous attendons de le voir pour le croire.

Néanmoins, les engagements pris en dépenses par le Gouvernement doivent être tenus pour que la trajectoire de déficit qu'il s'est fixée soit respectée. Je l'ai dit, le scénario du Gouvernement est prudent sur les recettes. Mais la France a plutôt des problèmes du côté des dépenses. Les objectifs affichés ne sont pas toujours tenus, et il y a un vrai décalage entre le niveau de dépenses et l'efficacité des politiques publiques. Pour améliorer notre déficit structurel, il nous faut donc respecter nos engagements en matière d'économies et de dépenses.

Pour ce qui est des prévisions relatives aux dépenses de l'assurance maladie, notre graphique s'explique par le fait que des dépenses nouvelles vont peser sur l'année 2018 ; elles sont l'effet de conventions récentes passées avec les professionnels de santé, de la poursuite de la mise en oeuvre du protocole Parcours professionnel à l'hôpital, de l'arrivée de plusieurs médicaments innovants, etc. L'évolution tendancielle des dépenses a même été augmentée par le Gouvernement. Cela requiert donc un quantum d'économies plus important, par rapport à 2017, pour tenir un objectif exigeant d'économies.

Mme Michèle André , présidente . - Une dernière question, monsieur le président : quel jugement portez-vous sur le Haut Conseil, dont vous avez rappelé tout à l'heure le contexte de la création et le bilan statistique ? Qu'apporte-t-il au débat public et aux travaux du Parlement ? Avec André Gattolin nous avions déposé un amendement pour que la composition du Haut Conseil soit paritaire, ce qui avait paru poser problème à l'époque. La parité a finalement été instituée. Pouvez-vous nous dire si vous avez eu des surprises ? Les femmes nommées ont-elles trouvé leur place ?

M. Didier Migaud . - Je n'ai pas été surpris de la qualité des femmes présentes au Haut Conseil : si je l'avais été, cela aurait voulu dire que j'avais un a priori défavorable ! Tout le monde s'entend très bien et travaille de façon complémentaire. Nous avons des réunions denses, des auditions de membres d'instituts, d'économistes, mais aussi avec les administrations.

Comme vous, nous siégeons la nuit. Nous avons eu vendredi une réunion qui a commencé à quinze heures et s'est achevée à six heures du matin, réunion que nous avons d'ailleurs reprise le dimanche après-midi pour que le Conseil d'État puisse s'en saisir et transmettre le texte au Conseil des ministres ce matin.

Nous avons des débats très denses à propos des écarts de production, par exemple. Chacun des mots que nous utilisons est pesé, ils sont le fruit de longs débats et d'un consensus final.

Je pense que l'existence d'un comité budgétaire indépendant, en France comme ailleurs, a son utilité. Il implique une certaine prudence pour le Gouvernement dans ses scénarios économiques et budgétaires.

Mme Michèle André , présidente . - Puisqu'il s'agit de ma dernière séance en ces lieux, je me permettrai de vous offrir un cadeau, monsieur le président. Pour illustrer le travail de ses commissions, le Sénat a choisi de publier sur Instagram un dessin représentant une séance de la commission des finances, dessin où vous figurez. Je tenais à vous l'offrir.

M. Didier Migaud . - Merci, c'est un cadeau que je peux accepter !

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