B. DES ÉCONOMIES QUI DEVRAIENT RESTER MODESTES EN 2018 ET TRÈS PEU DOCUMENTÉES POUR LA SUITE DU QUINQUENNAT

Malgré le surcroît de charges lié à la construction d'un budget plus sincère, la hausse des dépenses en 2018 n'était pas inéluctable et trouve sa principale explication dans la mise en oeuvre d'un programme d'économies très modeste .

1. En 2018, des économies limitées en l'absence de réformes de structure

D'après le projet de budget pour 2018, seules trois missions devraient voir leurs dépenses diminuer d'un montant supérieur à 100 millions d'euros : « Travail et emploi », « Cohésion des territoires et logement » et, quoique dans des proportions beaucoup plus réduites, « Administration générale et territoriale de l'État ».

Missions connaissant des baisses de crédits supérieures à 100 millions d'euros en 2018 (hors contributions au CAS « Pensions »)

(en milliards d'euros courants et en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Les économies sont donc ciblées sur deux missions : « Travail et Emploi » et « Cohésion des territoires », dont les plafonds de crédits sont revus à la baisse respectivement de 1,5 milliard d'euros (- 9 %) et 1,73 milliard d'euros (- 9,5 %).

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » devrait également voir ses crédits diminuer en 2018 , à hauteur de 360 millions environ (hors contribution au CAS « Pensions »), mais cette baisse résulte d'un pur effet calendaire et non d'un effort d'économies : le calendrier électoral ne prévoyant l'organisation d'aucun scrutin électoral en 2018, les dépenses du programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » diminuent de 39 % en autorisations d'engagement et 41 % en crédits de paiement.

L'analyse des dépenses par « label » (correspondant à des catégories de gestion) permet de faire ressortir une hausse de la totalité des composantes de la dépense de l'État à l'exception des dépenses d'intervention de guichet, en lien avec la réforme des aides au logement qui devait permettre d'économiser 1,7 milliard d'euros en 2018 .

Encore ces économies paraissent-elles incertaines au regard de la proposition du Gouvernement d'étaler la baisse de ces aides sur trois ans, ce qui devrait limiter le rendement budgétaire de la réforme en 2018 .

Les dépenses de fonctionnement, d'investissement, tout comme les dépenses d'intervention discrétionnaire progressent dans des proportions significatives (respectivement + 1,1 milliard d'euros et + 0,9 milliard d'euros).

Décomposition de l'évolution des dépenses de l'État entre la loi de finances initiale pour 2017 et le projet de loi de finances pour 2018

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général)

En effet, la « réforme structurelle des aides personnelles au logement » mise en exergue par le Gouvernement constitue, avec la baisse du nombre de contrats aidés , la seule réelle mesure d'économie du projet de loi de finances pour 2018.

Aucune réforme transversale n'est mise en oeuvre, en particulier concernant la masse salariale de l'État , qui augmente (hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ») de 2,1 milliards d'euros.

2. La masse salariale, un levier majeur de maîtrise des dépenses de l'État encore trop peu exploité

La masse salariale devrait connaître une nouvelle hausse en 2018 , progressant de 1,6 % par rapport à la prévision d'exécution pour 2017 - une augmentation certes d'ampleur beaucoup moins marquée que le dérapage des dépenses de personnel en 2017, dont la croissance devrait atteindre 5,8 % soit un montant inédit sur les quinze dernières années qui porte l'évolution des crédits de titre 2 à + 7,8 % sur le quinquennat 2013-2017 (contre - 6,6 % de 2008 à 2012 et une stabilité en valeur de 2003 à 2007).

Évolution annuelle de la masse salariale de l'État depuis 2003

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général et les données de la Cour des comptes

La hausse des dépenses de personnel résulte à hauteur de 0,3 milliard d'euros de la hausse des effectifs liée à l'impact des schémas d'emplois de 2017 sur l'année 2018 : en effet, les créations de postes intervenues au cours de l'exercice précédent contribuent à alourdir la masse salariale en raison de l'extension en année pleine de leur coût.

Décomposition des facteurs d'évolution de la masse salariale de l'État entre la prévision d'exécution pour 2017 et le projet de loi de finances pour 2018

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

La progression provient également des mesures catégorielles (+ 600 millions d'euros) et du glissement-vieillesse technicité (+ 300 millions d'euros).

Il convient de noter que le report de la mise en oeuvre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (dit PPCR), annoncé en octobre 2017 postérieurement au dépôt du projet de loi de finances, ne devrait pas permettre à l'État de dégager un gain net. Ce décalage d'un an, décidé pour compenser le coût de la prime dite « CSG » annoncée lors du « rendez-vous salarial » du 16 octobre 2017, n'est en effet que partiel : d'après les éléments communiqués par le Gouvernement, si plus de 400 millions d'euros de coûts étaient prévus en 2018 au titre du PPCR, tous ces coûts ne sont pas reportables, notamment pour le ministère de l'Éducation nationale où une part importante des montants budgétés correspond au coût en année pleine des reclassements opérés au 1 er septembre 2017.

Au total, la provision prévue pour 2018 au titre des « mesures de rémunération », d'un montant provisionnel de 290 millions d'euros, devrait couvrir « en grande partie » le reliquat du coût de la prime CSG une fois prise en compte les économies liées au report du PPCR. Il n'est donc pas impossible que la hausse des dépenses de personnel soit en réalité supérieure aux 2,1 milliards d'euros budgétés par le projet de loi de finances pour 2018.

La hausse de la masse salariale aurait pu être contenue grâce à un programme résolu de réduction de postes au sein de la fonction publique . Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait d'ailleurs affirmé souhaiter réduire le nombre d'agents publics de 120 000 emplois sur la durée du quinquennat, dont 50 000 postes dans la fonction publique d'État. Une telle diminution supposerait, si l'effort était équitablement réparti sur chacune des années de la période, une suppression nette d'environ 10 000 postes par an de 2018 à 2022.

L'exercice 2018 est très en-dessous de ce quantum puisque le solde global des créations et suppressions d'emplois devrait s'élever à seulement - 1 600 emplois équivalents temps plein en 2018 (dont - 1 276 ETP pour les opérateurs) dont l'impact en équivalents temps plein travaillé serait limité à - 682 ETPT , soit moins de 2 % de l'objectif prévu sur le quinquennat.

L'effort très limité sur les effectifs de l'État en 2018 se traduit, au regard des hausses enregistrées dans le courant de l'année 2017, par une augmentation nette de 16 008 ETPT et de 8 677 ETPT hors effets de périmètre et corrections techniques 35 ( * ) .

Principaux chiffres relatifs à l'évolution des effectifs de l'État en 2018

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

L'impact de l'extension en année pleine des schémas d'emploi de 2017 est particulièrement marqué pour le ministère de l'éducation nationale avec une hausse de 7 774 ETPT, soit plus de 80 % de l'incidence totale des schémas d'emplois de 2017 sur 2018. Il est également significatif pour le ministère de la justice (+ 1 119 ETPT) et celui des armées (+ 783 ETPT).

Évolution des ETPT par ministère et budget annexe entre 2017 et 2018 hors mesures de périmètre et corrections techniques

(en ETPT)

Ministère

Évolution 2017-2018

dont EAP des schémas d'emploi 2017

dont impact des schémas d'emploi 2018

Action et comptes publics

-1 584

-324

-1 260

Agriculture et alimentation

-32

65

-97

Armées

305

783

-478

Cohésion des territoires

-15

-2

-13

Culture

-68

-40

-28

Économie et finances

-165

-3

-162

Éducation nationale

7 774

7 774

0

Enseignement supérieur, recherche et innovation

0

0

Europe et affaires étrangères

-120

-50

-70

Intérieur

1 916

276

1 640

Justice

1 685

1 119

566

Outre-mer

20

20

Services du Premier ministre

96

15

81

Solidarités et santé

-161

-27

-134

Transition écologique et solidaire

-755

-175

-580

Travail

-184

-46

-138

Total budget général

8 712

9 365

-653

Contrôle et exploitation aériens

-1

14

-15

Publications officielles et information administrative

-34

-21

-13

TOTAL Budgets annexes

-35

-7

-28

TOTAL GENERAL

8 677

9 358

-681

Source : réponse du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

La masse salariale représente, hors dépenses de pension, 36,2 % des dépenses de l'État : il s'agit donc d'un levier majeur de maîtrise de la trajectoire des finances publiques , qui n'est pas encore suffisamment exploité.

L'instauration de jours de carence supplémentaires permettrait de dégager des économies substantielles, de même que des réformes concernant le temps de travail des fonctionnaires : un alignement du temps de travail effectif - soit aujourd'hui 1 594 heures par an en moyenne, selon une enquête récemment réalisée par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances - sur la durée légale, de 1 607 heures, correspondrait à une économie de 570 millions d'euros par an pour l'ensemble des fonctions publiques. De même, une hausse de la durée de travail des fonctionnaires d'une heure permettrait une économie de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations. Enfin, si la durée légale de travail était portée à 37,5 heures par semaine, ce qui correspond à la durée habituelle hebdomadaire de travail déclarée par les salariés du secteur privé, l'économie réalisée s'élèverait à 5 milliards d'euros pour les trois fonctions publiques.

Si la masse salariale est le plus souvent analysée hors contributions au CAS « Pensions », leur hausse continue depuis plusieurs exercices appelle là aussi à des réformes structurelles, par exemple dans le cadre d'un relèvement global de l'âge de départ à la retraite.

3. Une trajectoire triennale et quinquennale qui reporte la majorité de l'effort en dépenses sur la fin de la période

D'après la trajectoire pluriannuelle des dépenses de l'État présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, les dépenses pilotables diminueraient de 3,3 % en volume sur la période de programmation (2018-2022) et de 2,7 % sur le quinquennat (2017-2022). Cependant, la réduction des dépenses sous norme débuterait à partir de 2019 seulement , quoique de façon très modérée (- 0,4 % en volume) et s'accentuerait en 2020 (réduction de 1 % en volume chaque année à partir de 2020).

L'objectif fixé sur les dépenses totales de l'État est celui d'une quasi-stabilisation , avec une très légère baisse de - 0,1 % en volume sur la période de programmation et une hausse de 0,6 % sur le quinquennat. Là encore, les deux premières années de la période voient les taux d'évolution les plus importants (+ 0,7 % en 2018 et + 0,6 % en 2019 en volume) et l'effort est reporté, pour l'essentiel, sur les trois dernières années du quinquennat .

Deux nouvelles normes de dépenses pour l'État

Les objectifs de dépense proposés par le Gouvernement dans l'article 8 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 innovent sur deux principaux points : la durée de programmation est étendue à celle du quinquennat (jusqu'en 2022) et, de façon plus déterminante, le périmètre des anciennes normes est profondément remodelé, avec une distinction entre dépenses « pilotables » et dépenses « totales ». En effet, selon le Gouvernement, « ces instruments sont d'autant plus efficaces qu'ils portent sur des dépenses sur lesquelles il est possible d'agir » et « plusieurs ajustements sont donc apparus souhaitables pour renforcer l'effectivité du pilotage de la dépense ».

Les changements prévus sont détaillés dans le commentaire de l'article précité (rapport n° 56 (2017-2018) de M. Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, fait au nom de la commission des finances, déposé le 31 octobre 2017).

Le budget triennal permet de disposer d'une répartition plus fine des efforts d'économies dans la mesure où sont prévus des plafonds de crédits par mission (hors charge de la dette et contributions au CAS « Pensions ») pour les années 2018, 2019 et 2020.

Ainsi, sur la durée du budget triennal les crédits alloués à la mission « Travail et emploi » diminueraient fortement, avec une réduction de 17,1 % en valeur et de 19 % en volume .

Principales hausses et baisses de crédits prévues par le budget triennal 2018-2020

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Les missions « Cohésion des territoires » (- 8 % en valeur, - 11 % en volume), « Anciens combattants » (ordre de grandeur similaire), « Agriculture » (- 11 % en valeur, - 13 % en volume) et « Action extérieure de l'État » (- 6 % en valeur, - 8,6 % en volume) verraient également leurs moyens abaissés dans des proportions significatives.

En revanche, les missions « Défense », « Justice », « Économie », « Santé », « Aide publique au développement », « Solidarité, insertion et égalité des chances » et « Sport, jeunesse et vie associative » connaitraient sur l'ensemble du triennal des hausses relativement marquées , comprises, en valeur, entre 32 % (pour la mission « Économie ») et 7 % (pour la mission « Administration générale et territoriale de l'État), soit 29 % et 4 % en volume.

Le caractère contrasté de l'évolution des crédits entre les différentes missions, s'il ouvre évidemment des questions sur la soutenabilité ou l'opportunité de certaines des trajectoires prévues, paraît du moins constituer un progrès en ce qu'il signale une rupture avec la politique du rabot qui avait les faveurs du précédent Gouvernement et dont votre rapporteur avait souligné à maintes reprises l'inefficacité .

Le budget triennal 2018-2020 s'articule donc autour de choix de politique budgétaire clairs , avec des hausses marquées en faveur de certaines missions, dont la Défense et la Justice, et des baisses prononcées sur d'autres politiques publiques comme le logement ou l'emploi.

Cependant, ni les hausses prévues ni les diminutions annoncées ne sont définitives puisque le Gouvernement précise, dans le rapport annexé, que les plafonds de 2020 « seront actualisés pour intégrer notamment les économies complémentaires issues du processus Action publique 2022 nécessaires au respect de la trajectoire globale », ce qui explique que le montant global des dépenses sous norme de dépenses pilotables prévu dans le budget pluriannuel, pour les années 2020 à 2022, est inférieur à un montant calculé sur la seule base des plafonds fixés par le budget triennal pour 2020.

Le processus « Action publique 2022 »

Placé sous l'autorité du Premier ministre, avec l'appui du ministre de l'action et des comptes publics, ce processus couvre l'ensemble des administrations publiques (centrales, locales et de sécurité sociale) et de la dépense publique .

Toutefois, « afin de garantir une responsabilisation accrue », chaque ministère sera chef de file des politiques publiques qui le concernent.

Un Comité Action Publique 2022 (CAP22), composé d'économistes, de personnalités qualifiées françaises ou étrangères issues de la société civile, de hauts fonctionnaires et d'élus locaux, sera chargé « d'identifier des réformes structurelles et des économies significatives et durables, sur l'ensemble du champ des administrations publiques, en faisant émerger des idées et des méthodes nouvelles ».

Pour ce faire, plusieurs chantiers viendront alimenter les travaux du comité. D'une part, des propositions des ministères seront examinées dans le cadre de travaux itératifs. D'autre part, cinq chantiers transversaux seront conduits en parallèle sur les thématiques suivantes : la simplification administrative, la transformation numérique, la rénovation du cadre des ressources humaines, l'organisation territoriale des services publics et la modernisation de la gestion budgétaire et comptable.

En parallèle, « un grand forum de l'action publique permettra d'associer les usagers et les agents du service public à la rénovation de l'action publique ».

Les conclusions du Comité Action Publique 2022 devraient être rendues publiques avant la fin du 1 er trimestre 2018 et permettre l'élaboration et la mise en oeuvre de « plans de transformation ministériels ».

Source : rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2018

Il est donc quasiment certain que les hausses de crédits seront, pour certaines missions, moindres ou les diminutions plus importantes encore .

Après imputation du montant d'économies prévues au titre du processus « Action publique 2022 » 36 ( * ) sur les plafonds du budget triennal (ce qui suppose que ces économies ne portent pas sur la charge de la dette ou d'autres dépenses exclues du calcul des plafonds, comme les contributions au CAS « Pensions »), l'objectif d'évolution des crédits du budget général sur la période est modérément ambitieux avec une croissance de 1,2 % en valeur et de - 1,3 % en volume . À titre d'exemple, le précédent budget triennal - qui n'a, il est vrai, pas été respecté - prévoyait une diminution des dépenses de 0,2 % en valeur et 3,3 % en volume.

Si la mise en oeuvre d'une démarche volontariste d'identification d'économies ciblées, rompant avec la logique du « rabot » privilégiée par le précédent Gouvernement, paraît louable, l'échec de la « modernisation de l'action publique » (MAP) puis des « revues de dépenses » témoigne du fait que l'identification d'économies par des revues de dépenses ou des processus similaires ne porte pas toujours ses fruits faute d'appropriation des propositions de réformes par les pouvoirs publics. Aussi l'ampleur des économies à documenter associée au caractère extrêmement contraint du calendrier - le comité devant rendre ses conclusions dans le courant du premier semestre 2018 - incitent à la plus grande prudence .

Pour l'heure, la trajectoire des dépenses ministérielles prévues par le projet de loi de programmation des finances publiques, si elle a le mérite de trancher avec un « rabot » homothétique qui avait atteint ses limites, paraît donc entachée de fortes incertitudes liées aux résultats effectifs du processus « Action publique 2022 » et à la répartition des efforts complémentaires qui seront nécessaires pour tenir les objectifs de dépenses de l'État fixés par le Gouvernement.


* 35 Les mesures de périmètre et de transfert correspondent pour l'essentiel à la poursuite du plan de déprécarisation des contrats aidés du ministère de l'éducation nationale (impact de + 6 400 ETPT).

* 36 D'après le rapport annexé au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, les économies attendues au titre du processus « Action publique 2022 » sont chiffrées, pour 2020, à 4,5 milliards d'euros.

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