II. LES OBJECTIFS DE LA RÉFORME : AMÉLIORER LA LISIBILITÉ ET RENFORCER L'ATTRACTIVITÉ DU DROIT FRANÇAIS
Avant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les articles du code civil relatifs au droit des obligations n'avaient quasiment pas été modifiés depuis 1804, conduisant à un droit très jurisprudentiel, c'est-à-dire moins accessible et moins prévisible, en particulier pour les praticiens et les acteurs économiques - paradoxe dans un pays de droit écrit et codifié.
La réforme réalisée par cette ordonnance est l'aboutissement d'un processus engagé depuis le début des années 2000. Entre-temps, plusieurs de nos voisins européens ont modernisé leur droit des contrats 10 ( * ) .
A. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE, LONGTEMPS ATTENDUE, INITIÉE PAR UN CONTEXTE EUROPÉEN EN ÉVOLUTION
Dans une communication effectuée le 11 juillet 2001 concernant le droit européen des contrats 11 ( * ) , la Commission européenne avait émis l'idée de créer un droit européen des contrats unifié, voire un code civil européen, afin de renforcer l'efficacité du marché unique, pour les entreprises comme pour les consommateurs, au-delà des harmonisations sectorielles réalisées jusque-là, notamment pour les contrats de consommation, les retards de paiement en matière commerciale ou encore le commerce électronique.
La Commission appuya son initiative sur les travaux universitaires élaborés au cours de cette période, sous l'égide principalement de Giuseppe Gandolfi, professeur à l'université de Pavie, et d'Ole Landö, professeur à l'école de commerce de Copenhague.
En 2001 a été publié un projet de code européen des contrats, élaboré dans le cadre de l'Académie des privatistes européens 12 ( * ) , sous la direction de Giuseppe Gandolfi - dit « projet Gandolfi » -, engagé en 1995. Parallèlement, dans le cadre d'une commission du droit européen des contrats, créée en 1976 et subventionnée par la Commission européenne, ont été élaborés, sous la direction d'Ole Landö, des principes du droit européen des contrats 13 ( * ) , publiés en trois étapes en 1995, 2000 et 2003 - dits « principes Landö ». On peut aussi évoquer les principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international 14 ( * ) , élaborés par l'Institut international pour l'unification du droit privé, à Rome, sous la direction de Michael Joachim Bonell, professeur à Rome, publiés en 1994 et 2004, et depuis en 2010 et 2016.
Dans sa communication de 2001, la Commission européenne lança une consultation sur « la nécessité d'une action communautaire plus étendue en matière de droit des contrats », en vue d'« élargir le débat », et présenta plusieurs options. Toutefois, les réticences exprimées à l'encontre de ce projet, en particulier de la part des États membres de l'Union européenne, conduisirent la Commission à réviser ses ambitions, en proposant en 2003 d'établir un cadre commun de référence en matière contractuelle, non contraignant pour les États membres, mais susceptible d'inspirer le droit communautaire comme les législations nationales. Pour l'élaboration de ce cadre commun, la Commission mit en place et finança un réseau commun pour le droit européen des contrats, dans le cadre d'un programme de recherche. Au sein de ce réseau travaillèrent deux groupes académiques distincts, en parallèle. Le premier réunissait pour l'occasion l'Association Henri Capitant et la Société de législation comparée, tandis que le second était le Groupe d'étude sur le code civil européen, créé en 1999 et présidé par Christian von Bar, professeur à l'université d'Osnabrück. Ce second groupe, allant bien au-delà d'un cadre commun, a abouti en réalité à une proposition de code civil européen, traitant du droit des obligations, du droit de la responsabilité et du droit de la vente - dit « projet von Bar ». Si le premier groupe était animé par des universitaires français - Denis Mazeaud et Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeurs à l'université Paris II Panthéon-Assas -, le second n'en comprenait aucun.
Par la suite, en 2004, la Commission européenne confia
à un groupe de recherche composé d'universitaires de l'ensemble
des États membres
- dénommé « Research
Group on the Existing EC Private Law » ou « Acquis
Group » - la mission de rédiger les principes de ce cadre
de référence. Cette mission donna lieu à une publication
provisoire en 2007 puis définitive en 2009, qui allait là encore
bien au-delà de simples principes directeurs et, à l'instar du
« projet von Bar » qu'en réalité il
prolongeait, proposait de créer un véritable code civil
européen.
La Commission publia ensuite, le 1 er juillet 2010, un livre vert pour ouvrir une nouvelle consultation sur la base de plusieurs options, tout en ayant institué en avril 2010 un groupe d'experts afin de réaliser une étude de faisabilité sur une future initiative européenne en droit des contrats, sur la base des travaux antérieurs relatifs au cadre commun de référence. L'étude de faisabilité a été remise en mai 2011. Ces nouveaux travaux ont débouché sur la présentation, en octobre 2011, d'une proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente, instaurant un régime optionnel à côté des législations nationales - un « 28 ème régime » facultatif - ne couvrant pas tout le champ du droit des contrats. Ce règlement, pourtant modeste, n'est pas parvenu au terme du processus législatif européen.
La première décennie du siècle connut donc d'intenses travaux sur le droit européen des contrats, tant dans le cadre des institutions européennes que dans les milieux universitaires. Pour autant, ces initiatives rencontrèrent l'hostilité et suscitèrent l'inquiétude en France, en particulier au sein de la doctrine, tant elles ignoraient le droit français. Cette situation conduisit à lancer les premiers travaux sur la réforme du droit des contrats et à ouvrir la réflexion sur sa modernisation, largement alimentée par la doctrine, parallèlement à la célébration du bicentenaire du code civil en 2004. L'objectif était de doter la France d'un droit plus moderne et plus lisible, de nature à peser davantage dans d'éventuelles négociations sur la création d'un droit européen des contrats, lequel n'a finalement jamais vu le jour.
Outre les débats et diverses contributions
académiques, deux projets complets de réforme ont ainsi
été conçus au cours de la même décennie, en
premier lieu par un groupe de travail créé en 2003, sous le
parrainage de l'Association Henri Capitant, composé d'universitaires et
présidé par Pierre Catala, professeur à
l'université Paris II Panthéon-Assas - dit
« avant-projet Catala »
15
(
*
)
, remis au garde des sceaux en 2005. Par la suite, un
second projet a été élaboré, par un groupe de
travail constitué dans le cadre de l'Académie des sciences
morales et politiques, sous la direction de François Terré, lui
aussi professeur à l'université Paris II
Panthéon-Assas
- dit « avant-projet
Terré »
16
(
*
)
, publié en 2008.
Parallèlement à ces projets universitaires, qui ont permis d'alimenter ses propres travaux, le ministère de la justice a également rendu public un avant-projet de réforme du droit des obligations, à la suite de la publication de l'« avant-projet Terré », en deux volets : en 2008 sur le droit des contrats et en 2011 sur le régime général des obligations et les quasi-contrats. Ces textes ont donné lieu à une consultation publique, sans suite législative.
Ainsi, la réforme que le Sénat est désormais invité à ratifier constitue l'aboutissement d'un long processus, d'une décennie de réflexion française, aiguillonnée par des tentatives inabouties d'harmonisation européenne.
* 10 Portugal, Allemagne, Pays-Bas, Espagne... sans compter le Québec.
* 11 Cette communication, publiée le 13 septembre 2001, est consultable à l'adresse suivante :
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52001XC0913(02)
* 12 Ce projet, auquel a participé le professeur André Tunc, est consultable à l'adresse suivante :
http://www.eurcontrats.eu/acd2/
* 13 La première version de ces principes est consultable à l'adresse suivante :
https://www.law.kuleuven.be/personal/mstorme/PECL2fr.html
* 14 Ces principes sont consultables à l'adresse suivante :
http://www.unidroit.org/fr/instruments/contrats-du-commerce/principes-d-unidroit-2016
* 15 Rapport remis à M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, le 22 septembre 2005. Ce texte, qui portait également sur le droit de la responsabilité civile et le droit de la prescription, est consultable à l'adresse suivante :
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf
* 16 Pour une réforme du droit des contrats, réflexions et propositions d'un groupe de travail sous la direction de François Terré , Dalloz, 2009. Le groupe de travail mit ensuite à l'étude la réforme du droit de la responsabilité civile.