AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'accès à une eau potable est un élément vital, indissociable de la dignité humaine . Si la grande majorité de la population française est raccordée à des réseaux de distribution d'eau et d'assainissement, certaines catégories de personnes demeurent exclues partiellement ou totalement d'un accès à l'eau.

Afin de garantir à chacun un accès à ce bien fondamental, l'Assemblée nationale a adopté le 15 juin 2016 une proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement.

Cette proposition de loi est le fruit d'un long travail de co-construction réalisé par des députés de sensibilités politiques différentes en lien avec le milieu associatif engagé depuis plusieurs années pour la reconnaissance et la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement.

Les dispositions qu'elle contient s'appuient sur de nombreux travaux réalisés ces dernières années sur le droit à l'eau par des juristes comme Henri Smets, des associations comme la Fondation France Libertés, ou encore des institutions comme le Conseil d'État.

Ce texte s'inscrit également dans la lignée de plusieurs initiatives de députés et de sénateurs ayant cherché à garantir l'accès de tous à l'eau, comme par exemple la proposition de loi du député André Flajolet de 2010 visant à créer l'allocation de solidarité pour l'eau ou la loi du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement adoptée à l'initiative de notre collègue Christian Cambon.

L'Assemblée nationale a, sous la conduite du rapporteur désigné par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire Michel Lesage, réalisé un important travail d'amélioration juridique et légistique de ce texte en adoptant 74 amendements - dont une majorité d'amendements rédactionnels -, en lien avec le Gouvernement et le milieu associatif.

Le texte transmis au Sénat présente ainsi une cohérence sur le plan juridique. C'est pourquoi votre rapporteur a décidé, afin que ce texte puisse être adopté avant la suspension des travaux parlementaires en séance publique, de ne pas présenter d'amendements.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE DROIT À L'EAU POTABLE ET À L'ASSAINISSEMENT : UN ENJEU MONDIAL COMME NATIONAL

A. UN DROIT VITAL RECONNU AU NIVEAU INTERNATIONAL

1. Un droit consacré au niveau international

Le droit à l'eau potable et à l'assainissement est inscrit dans plusieurs traités internationaux , soit de manière explicite dans des traités relatifs aux droits humains de certaines catégories de personnes, comme dans la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée le 20 novembre 1989 1 ( * ) ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 2 ( * ) , soit de manière plus implicite comme dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966.

Cependant, le droit à l'eau potable et à l'assainissement n'est pas reconnu dans les instruments internationaux de portée générale en tant que droit de l'Homme autonome. Il ne figure notamment pas dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948.

Une première reconnaissance mondiale a été acquise à travers l' adoption, le 28 juillet 2010, par l'Assemblée générale des Nations Unies, d'une résolution qui reconnaît le droit à l'eau portable et à l'assainissement comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme » 3 ( * ) . Cette résolution demande aux États et aux organisations internationales « d'apporter des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, grâce à l'aide et à la coopération internationales, en particulier en faveur des pays en développement, afin d'intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable et des services d'assainissement qui soient accessibles et abordables pour tous ».

L'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une nouvelle résolution le 17 décembre 2015 qui va plus loin en reconnaissant le droit de l'Homme à l'eau portable devant « permettre à chacun d'avoir accès sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, à un approvisionnement suffisant d'une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques », distinct du droit de l'Homme à l'assainissement devant « permettre à chacun, sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, d'avoir accès à des équipements sanitaires, dans tous les domaines de la vie, qui soient sans risque, hygiéniques, sûrs, socialement et culturellement acceptables, qui préservent l'intimité et garantissent la dignité » 4 ( * ) .

Cette résolution réaffirme par ailleurs qu'il incombe aux États d'assurer la pleine réalisation de ces droits par tous les moyens appropriés, « notamment l'adoption de mesures législatives ».

Des déclarations régionales ont également reconnu le droit à l'eau . Au niveau européen, le Protocole Eau et Santé de 1999 prévoit que les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer un approvisionnement adéquat en eau potable salubre et un assainissement adéquat. De même, le Conseil de l'Europe a fait valoir que toute personne avait le droit de disposer d'une quantité d'eau suffisante pour satisfaire à ses besoins essentiels 5 ( * ) .

Au plan national, certains États ont inscrit le droit à l'eau dans leur droit, parfois même au sommet de leur ordre juridique interne . C'est le cas par exemple de la Slovénie, qui a inscrit en novembre 2016 le droit d'accès à l'eau potable dans sa Constitution tout en consacrant les ressources en eau comme « un bien public géré par l'État [destiné] en premier lieu à assurer l'approvisionnement durable en eau potable de la population ».

Ainsi, il existe au plan international comme régional, un corpus établi de textes et de déclarations ayant consacré le droit à l'eau potable et à l'assainissement comme un droit fondamental devant à ce titre être garanti par les États.

2. Un droit qui est loin d'être une réalité pour tous

L'accès à une eau potable et à des équipements sanitaires est un enjeu majeur de développement .

Il s'agit d'un des dix-sept objectifs du Programme de développement durable à l'horizon 2030 (Programme 2030) adopté par l'Assemblée générale des Nations-Unies le 25 septembre 2015 et qui constitue le nouveau cadre mondial fixant les objectifs de développement durable ayant pris la suite des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

Malgré les progrès réalisés ces dernières décennies, plus de 600 millions de personnes n'ont toujours pas accès à une eau salubre dans le monde et plus de 2,5 milliards de personnes sont privées d'accès à des installations sanitaires .

Il s'agit d' une des premières causes mondiales de mortalité, notamment infantile : près de 700 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année du fait de maladies liées à la consommation d'une eau contaminée ou liées aux problèmes d'assainissement. Ce défaut d'accès à une eau potable et à l'assainissement impacte donc la réalisation d'autres droits humains, comme le droit à la santé, à la vie et à la dignité.

Le droit à l'eau est par ailleurs un droit menacé par le changement climatique , qui accroît les épisodes de sécheresse et accélère la désertification, phénomènes qui touchent en premier lieu les pays les plus vulnérables. 65 % de la population africaine pourrait ainsi être confrontée à un stress hydrique d'ici 2025.


* 1 Cette Convention prévoit que les États parties prennent les mesures appropriées pour « lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre de soins de santé primaires, grâce notamment à l'utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d'aliments nutritifs et d'eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel ».

* 2 Cette convention prévoit que les États parties prennent des mesures destinées à « assurer aux personnes handicapées l'égalité d'accès aux services d'eau salubre et leur assurer l'accès à des services, appareils et accessoires et autres aides répondant aux besoins créés par leur handicap qui soient appropriés et abordables ».

* 3 Résolution 64/292 du 28 juillet 2010 adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies sur le droit de l'homme à l'eau et à l'assainissement.

* 4 Résolution A/C.3/70/L.55/Rev.1 du 17 décembre 2015 adoptée par l'Assemblée générale des Nations-Unies sur le droit de l'homme à l'eau potable et à l'assainissement.

* 5 Recommandation Rec(2001)14 du Comité des Ministres aux pays membres sur la Charte européenne des ressources en eau.

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