EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 25 janvier 2017, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Perol-Dumont sur le projet de loi n° 137 (2016-2017) autorisant l'approbation de la convention relative à l'assistance alimentaire.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - La convention relative à l'assistance alimentaire, dont l'autorisation de ratification est l'objet du projet de loi qui nous est soumis après l'Assemblée nationale, a été adoptée à Londres en avril 2012 et signée par la France au mois de novembre de la même année.
Cette convention multilatérale, placée sous la supervision du Conseil international des céréales, est la nouvelle version de plusieurs conventions similaires qui, depuis 1967, traduisent l'engagement des États signataires, et de la France en particulier, à réduire la faim dans le monde. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2013 et se substitue, en la modernisant, à la convention de 1999, qui s'est révélée moins efficace qu'attendu pour combattre ce fléau. En effet, la persistance d'une situation critique en matière de sous-nutrition appelle de nouveaux outils internationaux d'assistance et un engagement renouvelé des économies développées.
Je voudrais tout d'abord souligner la gravité persistante de l'insécurité alimentaire dans le monde, qui a motivé l'adoption d'une nouvelle convention sur l'assistance alimentaire :
Selon les chiffres de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde a diminué en valeur absolue, passant d'un milliard environ en 1990 à 794 millions en 2014. Mais cette amélioration est à nuancer, puisqu'une augmentation sensible est observée en Afrique subsaharienne, le chiffre passant de 175 millions de personnes en 1990 à 220 millions en 2014. 65 % des personnes en insécurité alimentaire dans le monde se trouvent cependant en Asie du Sud, notamment sur le sous-continent indien. 20 pays se trouvent aujourd'hui en situation d'insécurité alimentaire structurelle et menacent de basculer dans une crise majeure au moindre accident conjoncturel (sécheresse, crise politique ou variation des prix agricoles).
C'est dans ce contexte que 13 pays développés et l'Union européenne ont déjà ratifié la convention relative à l'assistance alimentaire de 2012. Les États parties membres de l'Union européenne sont l'Autriche, le Luxembourg, l'Espagne, la Slovénie, le Danemark et la Suède. Les États-Unis, la Russie et le Canada l'ont également ratifiée.
Avant d'en venir aux avancées que comporte cette convention, je souhaiterais exposer succinctement les principes du cadre international de l'assistance alimentaire, tel qu'il a été mis en place depuis le Congrès mondial de l'alimentation de 1963.
L'insécurité alimentaire est depuis cette date, hélas, régulièrement présentée dans les enceintes internationales comme l'une des grandes causes mondiales de notre temps. En 2015, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté les objectifs du développement durable à l'horizon 2030, que la France a d'ailleurs contribué à identifier. Reconduisant l'un des « Objectifs du Millénaire » définis en 1990, l'Assemblée générale a ainsi retenu comme deuxième objectif l'éradication de l'insécurité alimentaire dans un contexte contraint par le changement climatique. A ces enjeux structurels s'ajoutent les crises, souvent humanitaires au départ, qui se changent rapidement en crises alimentaires. Elles ont été nombreuses en 2016 : la crise syrienne bien sûr, qui a fortement mobilisé les moyens de l'aide alimentaire française pour répondre aux besoins de près de 4,5 millions de réfugiés au Levant ; le phénomène climatique El Nino, qui a frappé l'Afrique ; les crises sécuritaires au Burundi, en Centrafrique, au Nigeria, au Yémen, et j'en passe... Le constat des Nations unies est le suivant - et il est sans appel : pour nourrir 9 milliards de personnes d'ici à 2050 et éradiquer les menaces de crises alimentaires majeures, il faudra augmenter la production agricole mondiale de 60 %.
Nous en sommes évidemment très loin, et des zones de tension grave persistent ; pour les soulager, plusieurs conventions relatives à l'aide alimentaire ont été adoptées depuis 1967. La présente convention, comme je l'ai indiqué, prend la suite de celle de 1999, qui a expiré en juin 2012. Dans cette précédente convention, les pays développés disposant d'excédents agricoles s'engageaient à fournir aux pays en développement qui en avaient besoin un minimum d'aide alimentaire, notamment de céréales et de denrées non-périssables.
Plusieurs aspects de ce cadre international préexistant demeurent inchangés par la convention signée de 2012 que nous examinons :
L'organisation administrative d'abord : la convention de 1999 avait mis en place un Comité d'aide alimentaire chargé de veiller à la bonne application de la convention et de traiter toute question relative à son application. Le secrétariat de ce comité était assuré par le secrétariat du Conseil international des céréales qui administre la Convention sur le commerce des céréales de 1995. Cette organisation demeure en l'état.
Le régime juridique général de la nouvelle convention est également le même, en particulier son articulation avec l'Accord relatif à l'agriculture de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de 1994, qui comporte des dispositions relatives à l'assistance alimentaire : la présente convention ne modifie ni ne permet de déroger à des obligations souscrites dans le cadre de l'OMC. Elle n'affecte donc en rien nos engagements commerciaux internationaux.
De même, les modalités de versement de l'aide alimentaire française sont inchangées. La sélection et le suivi des projets d'aide resteront comme aujourd'hui assurés de manière décentralisée par nos ambassades, qui entretiennent le dialogue avec les acteurs locaux. C'est ce dialogue qui permet d'identifier précisément les besoins sur place et d'allouer ainsi notre aide alimentaire de la manière la plus pertinente possible aux populations concernées, femmes et enfants notamment. Cette présence permet également aux autorités et aux populations locales d'identifier l'origine de l'aide qui leur est apportée et contribue ainsi au rayonnement de la France. Après cette phase de détermination des besoins par nos postes diplomatiques, l'aide continuera de transiter par des opérateurs bénéficiaires, comme aujourd'hui, sur la décision du Comité interministériel de l'aide alimentaire, qui réunit les ministères chargés des affaires étrangères, de l'agriculture et de l'économie, ainsi que l'Agence française de développement (AFD). Enfin, le versement effectif de l'aide sera toujours effectué via ces opérateurs partenaires de la France, qui demeurent en priorité le Programme alimentaire mondial, le Comité international de la Croix Rouge, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, ainsi que différentes organisations non gouvernementales comme « Action contre la faim ».
Bref, le cadre administratif et juridique pour notre pays et les États parties demeurent les mêmes que sous l'empire de la convention d'assistance alimentaire précédente de 1999.
Cependant, les pays donateurs ont estimé en 2012 que plusieurs caractéristiques techniques de cette convention la rendaient moins efficace qu'espéré, voire contre-productive.
J'en viens donc aux avancées de la présente convention relative à l'assistance alimentaire par rapport à sa devancière :
La France et l'Union européenne notamment ont estimé qu'il était nécessaire de faire évoluer la logique de dons en nature de surplus agricoles, qui était celle des conventions précédentes depuis 1967, vers une architecture de contributions plus modulable, centrée sur les pays les plus vulnérables.
La présente convention prend ainsi acte d'un basculement du principe d'aide uniquement en nature, qui s'avère souvent déstabilisatrice pour les marchés locaux, vers une stratégie d'assistance portée par une multiplicité d'instruments. La gamme des outils de l'aide alimentaire est ainsi élargie aux bons d'achat, aux transferts monétaires, à la fourniture de semence ou aux interventions vétérinaires. Il s'agit de cette façon de mettre fin aux effets pervers de mécanismes d'assistance qui empêchent le développement de filières locales. La nouvelle convention doit donc permettre une plus grande adaptabilité des interventions et une meilleure coordination des bailleurs. En outre, elle favorise désormais la programmation d'engagements des États contributeurs en valeur monétaire : la France avait ainsi annoncé en 2012, pour la période 2013-2015, un engagement minimum de 35 millions d'euros par an d'aide alimentaire, montant d'aide d'ailleurs constant depuis 2009. Pour ce qui est de l'année 2015, sur un total de 35 millions d'euros :
- 10,6 millions d'euros ont été alloués au Levant ;
- 8,1 millions à l'Afrique de l'Ouest ;
- 6,7 millions d'euros à l'Afrique centrale ;
- 3 millions d'euros à l'Afrique australe et orientale ;
- 2,4 millions d'euros à l'Asie.
56 % de cette aide a été fournie en nature, notamment pour celle concernant la crise au Moyen-Orient. Le reste de l'aide est décliné sous forme de distribution d'argent liquide, de cartes de paiements ou de coupons.
Chaque État partie à la convention doit en outre produire, chaque année, un rapport par lequel il rend compte de la manière dont il a rempli son engagement en matière d'aide alimentaire. Il doit également échanger avec les autres parties des informations sur sa politique en ce domaine, et les résultats de celle-ci. Ces obligations de compte-rendu (« reporting ») et d'échange d'informations sont de nature à renforcer la coordination internationale de l'assistance alimentaire et à en améliorer le ciblage.
Enfin, la nouvelle convention donne la priorité aux pays les moins avancés dans l'allocation des aides, et elle privilégie le caractère humanitaire de ces aides : l'assistance alimentaire visée par cette convention est une assistance de court terme, adaptée aux situations d'urgence, plutôt qu'une assistance à long terme qui fait l'objet d'autres secteurs des politiques d'aide au développement, comme les programmes de l'AFD sur la durabilité des pratiques agricoles. Dans un contexte de multiplication des crises alimentaires dues au changement climatique ou à des crises politiques, notamment sur le continent africain et au Moyen-Orient, cette nouvelle logique de réaction rapide apparaît en effet comme plus pertinente.
La convention de 2012 marque ainsi un tournant dans l'approche multilatérale de l'aide alimentaire. Elle devrait en particulier permettre à la France de mener une action plus efficace en Afrique, continent gravement touché par l'insécurité alimentaire et premier récipiendaire de notre aide alimentaire, grâce à une palette d'instruments plus large. Le volet humanitaire de court terme prévu par cette convention constitue également une réponse à la crise des réfugiés au Moyen-Orient, zone à laquelle nous avons consacré près d'un tiers de notre effort en matière d'aide alimentaire en 2015, soit, comme je l'ai dit, près de 11 millions d'euros.
En conclusion, cette nouvelle convention représente un outil plus flexible et mieux adapté à la réalité humanitaire du XXI ème siècle. Elle constitue un cadre plus respectueux des économies locales et doit permettre à la fois un soutien à la résilience des pays fragiles et une gestion de crise sensiblement améliorée.
C'est pourquoi je recommande à notre commission l'adoption de ce projet de loi, qui ne soulève d'ailleurs pas de difficulté particulière et a été adopté par l'Assemblée nationale le 23 novembre 2016. Il sera examiné en séance publique, en procédure simplifiée, demain, jeudi 26 janvier.
Mme Nathalie Goulet. - Merci à la rapporteure pour son exposé et, en particulier, pour la mention qu'elle a faite du Yémen. Ce pays, en effet, est aujourd'hui frappé par une grave crise alimentaire.
Le sujet de l'aide alimentaire est essentiel, car il touche directement à l'humain. Les enjeux vont bien au-delà de simples questions administratives.
Je ne formulerai que quelques observations. La gestion de l'aide alimentaire soulève une série de difficultés de coordination : entre programmes d'aide alimentaire d'abord ; avec les programmes de lutte contre le gaspillage alimentaire ensuite ; enfin, avec notre propre politique nationale d'aide aux territoires, dans le contexte d'un monde agricole en crise et paupérisé. Par ailleurs, quel triste paradoxe que la moitié du monde meure de faim pendant que l'autre est au régime !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - Merci, chère collègue, pour vos observations. Je tiens à dire que je partage votre indignation. Quand on voit que, comme je l'ai indiqué, nourrir la population mondiale d'ici à 2050 et éradiquer les menaces majeures de crises alimentaires supposerait d'augmenter la production agricole mondiale de 60 %, on mesure l'ampleur de la tâche et la modestie des initiatives actuelles...
Je partage également votre préoccupation en ce qui concerne le lien entre aide alimentaire et lutte contre le gaspillage alimentaire.
M. Alain Gournac. - Une simple observation : il n'est pas rare que, dans les pays bénéficiaires de programmes d'aide alimentaire, les produits provenant de ceux-ci se retrouvent sur le marché, après avoir été détournés.
À l'issue de ce débat, la commission, suivant la proposition de la rapporteure, a adopté, sans modification, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.
La Conférence des Présidents a décidé que ce texte ferait l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, le jeudi 26 janvier 2016 , en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.