EXAMEN EN COMMISSION
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M. Michel Mercier , rapporteur . - Il nous est demandé, pour la cinquième fois en treize mois, de proroger l'état d'urgence, instauré par décret en conseil des ministres après les attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 2015. Cette demande, qui aurait normalement dû intervenir au mois de janvier prochain, résulte de l'application de l'article 4 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui précise que « la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale ». Réuni samedi 10 décembre dernier, le nouveau Gouvernement a donc adopté un projet de loi prorogeant l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 2017.
La procédure n'appelle pas de remarques particulières, si ce n'est que la durée retenue tient compte des deux démissions de gouvernements qui interviendront après les élections présidentielle et législatives au printemps prochain. Le bilan d'étape sur l'application de l'état d'urgence que nous avions prévu de présenter aujourd'hui est reporté à la rentrée. Le projet de loi, qui nous est transmis, a été adopté la nuit dernière par l'Assemblée nationale.
Au-delà des prorogations successives de l'état d'urgence, le vote de la loi du 21 juillet dernier, qui constitue une loi antiterroriste à part entière, nous a dotés d'un droit complet du terrorisme, de l'enquête préliminaire à l'exécution des peines, qui est dérogatoire au droit commun mais appliqué par les juridictions de droit commun. Je suis particulièrement attaché à cette organisation, qui réclame cependant une légère modification des règles relatives à la cour d'assises spécialement constituée pour juger des crimes terroristes.
L'état d'urgence consiste à donner des pouvoirs supplémentaires à l'autorité administrative pour renforcer l'efficacité de son action. Cette efficacité s'exprime à travers trois mesures : les perquisitions administratives, les assignations à résidence ainsi que les autorisations de contrôles d'identité, de fouilles de bagages et de véhicules.
70 % des contrôles d'identité et des fouilles ordonnés dans le cadre de l'état d'urgence l'ont été dans quatre départements. Nous avons pu, au cours de nos visites à Lille et à Nice, constater l'utilité des contrôles d'identité dont l'efficacité est renforcée par la bonne entente entre le préfet et l'autorité judiciaire. À Nice, préfet et procureur se rencontrent dans le cadre de deux réunions hebdomadaires. À Paris, le procureur de la République décide des contrôles d'identité, le préfet de police n'ayant pas besoin de faire usage de cette prérogative. En Seine-et-Marne, où de nombreux contrôles ont été ordonnés, la situation est légèrement différente : parce que le département compte trois tribunaux de grande instance, la coordination est plus difficile à effectuer, le préfet décide donc directement des contrôles d'identité. La Saône-et-Loire, que nous visiterons à la rentrée, présente d'autres particularités.
Deuxième mesure, les perquisitions, qui vont souvent de pair avec les assignations à résidence : il nous a été expliqué qu'avant de prendre une mesure d'assignation à résidence, une perquisition était ordonnée pour visualiser le cadre dans lequel évoluait la personne visée.
Depuis le 22 juillet 2016, 590 perquisitions ont été conduites, dont 65 ont donné lieu à des suites judiciaires - 25 pour une infraction à caractère terroriste. Le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions autorisant l'exploitation des documents informatiques saisis lors des perquisitions ; la loi du 21 juillet 2016 donne à l'autorité administrative la possibilité de demander au juge des référés l'autorisation d'exploiter ces données. Saisi à 91 reprises, le juge des référés a délivré 81 autorisations et en a refusé 6, 4 dossiers étant en cours d'instruction. Cinq refus ont fait l'objet d'un recours auprès du Conseil d'État, dont un seul a prospéré. Comme dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, le juge administratif, on le voit, peut être amené à concourir à l'action de l'autorité administrative.
Enfin, 91 assignations à résidence restent en vigueur à ce jour ; 37, soit 41 %, le sont depuis plus d'un an ; 10 depuis six à douze mois, et 44 depuis moins de six mois. 33 assignations ont été décidées depuis le 22 juillet, ce qui marque une accélération. Cinq des personnes concernées font l'objet d'un dossier en vue d'une mesure d'éloignement, quatre d'une mesure de gel des avoirs. Enfin, 34 font l'objet d'une mesure d'interdiction de sortie du territoire et 13 dossiers sont à l'étude.
D'autres mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence sont peu utilisées : depuis le 22 juillet, quatre lieux de culte ont été fermés, vingt zones de protection ont été créées, cinq décisions de remise d'armes ont été prononcées, et enfin 26 décisions préfectorales d'interdiction de cortèges, défilés et rassemblement ont été prises, principalement dans le cadre de la gestion de la manifestation « Nuit debout ».
La situation justifie-t-elle la prorogation de l'état d'urgence ? Au-delà des opinions et des interprétations, un constat s'impose : la menace terroriste reste très élevée. Seize projets d'attentat ont été déjoués cette année, contre douze entre 2013 et 2015.
La menace a également changé de nature : les auteurs potentiels se sont radicalisés sur notre territoire et obéissent à des ordres délivrés par Daech, principalement par des moyens informatiques. Seule une des personnes arrêtées à la suite des attentats déjoués en 2016 revenait du théâtre de guerre syro-irakien.
Enfin, nous entrons dans une période électorale, particulièrement propice aux attentats pour ceux qui veulent remettre en cause notre façon de vivre.
Par conséquent, les conditions définies par la loi du 3 avril 1955 sont réunies, comme le Conseil d'État l'a souligné dans son avis rendu jeudi 8 décembre. Je suis donc favorable à la prorogation de l'état d'urgence, qui ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits garantis par la Constitution.
Le Conseil d'État a cependant soulevé deux objections, exprimées par son vice-président dans une récente interview au Monde : l'état d'urgence ne saurait être permanent, et il convient d'envisager les modalités de la sortie : l'assignation à résidence ne peut s'étendre au-delà de douze mois.
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a par conséquent demandé l'ajout d'un article supplémentaire interdisant la durée des assignations à résidence au-delà de douze mois, sauf survenue d'éléments nouveaux.
Cette référence à des éléments nouveaux pose une vraie difficulté car il est très improbable d'en recueillir pour une personne faisant l'objet d'une surveillance étroite et astreinte à pointer au commissariat trois fois par jour... Les services du ministère de l'intérieur ont identifié une seule personne dans ce cas sur les 37 assignées à résidence depuis plus d'un an. L'assignation à résidence consiste justement à suivre certaines individus dont la dangerosité est avérée, mais sans disposer d'éléments autorisant une judiciarisation.
Le seul véritable enjeu du texte voté par l'Assemblée nationale a trait aux assignations à résidence, le principe de la prorogation étant partagé à une large majorité. Si l'on ne veut pas des assignations à résidence, proroger l'état d'urgence, qui donne à l'administration des pouvoirs qu'elle n'a pas en temps normal, n'est pas la meilleure solution. D'après la loi, seul le ministre de l'intérieur est compétent en matière d'assignations. En les limitant à l'excès, on risque de priver l'état d'urgence de ses effets utiles.
Le président de la commission et moi-même avons participé aux discussions entre le Gouvernement, la commission des lois de l'Assemblée nationale et le vice-président du Conseil d'État ; par conséquent, nous ne sommes pas étrangers à l'économie générale du texte qui vous est soumis. L'idée directrice consiste à imposer une limite de douze mois aux assignations à résidence ; mais avant l'expiration du délai, le ministre de l'intérieur peut saisir le juge administratif des référés du Conseil d'État d'une demande de prolongation pour trois mois, renouvelable. C'est la position retenue par l'Assemblée nationale après des débats parfois délicats.
D'éventuelles corrections pourront être apportées dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la sécurité publique prévu pour janvier, notamment sur l'organisation du double degré de juridiction. Rappelons néanmoins que l'assignation à résidence étant une mesure non réglementaire mais individuelle, l'arrêté du ministre peut relever du juge des référés du tribunal administratif, et en appel du Conseil d'État.
Le texte voté par l'Assemblée nationale correspondant à la position que nous avons exprimée lors de nos discussions préparatoires, je vous propose de l'adopter conforme en vue d'une entrée en vigueur le plus rapidement possible.
M. Alain Richard . - Je suis en plein accord avec les propositions et les réflexions du rapporteur, avec qui nous avons établi, au fil des mois, une relation de confiance. À terme, il faudra bien trancher entre la fin de l'état urgence et sa prorogation.
L'état d'urgence ressemble à un Lego, dont les briques les plus utilisées sont les perquisitions administratives et les assignations à résidence. Les premières permettent de déceler des éléments d'incrimination chez un individu qui n'y est pas préparé ; c'est pourquoi elles sont naturellement en baisse tendancielle, ceux qui sont ciblés étant de plus en plus conscients du danger. Néanmoins, depuis deux ans, le renseignement intérieur a perfectionné ses investigations pour mettre au jour de nouveaux éléments, notamment dans le deuxième cercle - celui des comparses et des fournisseurs logistiques. Par son rôle de soutien aux activités de renseignement, la perquisition administrative reste par conséquent un outil nécessaire.
Les assignations à résidence sont un moyen de fixer un individu dans une zone déterminée et de repérer l'essentiel de ses allées et venues, allégeant ainsi la charge de surveillance du renseignement intérieur. À ce titre, elles sont un outil nécessaire à la bonne répartition des moyens du renseignement.
L'état d'urgence n'a d'exceptionnel que ces deux procédures : à la différence de l'état de siège, il ne suspend pas le fonctionnement normal des services publics. Si, en prévision de l'échéance de juillet, nous souhaitons y mettre fin, il convient de trouver des bases légales pour la poursuite de l'utilisation de ces deux outils opérationnels au service des investigations antiterroristes.
Pour conclure, le groupe socialiste et républicain approuve sans réserve le projet de loi.
M. Pierre-Yves Collombat . - Bien que l'estimation du nombre d'attentats déjoués soit aussi difficile que celle du taux de chômage, la menace terroriste est évidente. Le problème est ailleurs : faut-il des moyens d'exception pour y faire face ? L'état d'urgence sert aussi à lutter contre la délinquance, à assurer l'ordre public. Au vu de la permanence de la menace, soit le dispositif républicain de lutte contre le terrorisme est suffisant - et dans ce cas pourquoi maintenir l'état d'urgence ? - soit il ne l'est pas, et il convient de le réviser. Une urgence qui dure deux ans est-elle encore une urgence ? Y a-t-il un problème que seule l'action administrative peut régler ?
En l'état du texte, je ne suivrai pas le rapporteur. C'est une solution de facilité. Vous reconnaissez que dans les départements où l'entente entre le procureur de la République et le préfet est bonne, il n'y a pas besoin de moyens nouveaux. Proroger l'état d'urgence pour faciliter les liens entre l'administration et la justice, c'est un peu court !
M. René Vandierendonck . - Concernant la matérialité de l'urgence, souvenons-nous que l'état d'urgence, lors de la guerre d'Algérie, a duré 18 mois...
M. Pierre-Yves Collombat . - Pas pour les mêmes raisons !
M. René Vandierendonck . - Je n'ai pas d'objections sur la question de la durée. En revanche, je note que notre commission a, à bon droit et avec une très large majorité, estimé à plusieurs occasions qu'il convenait de renforcer les dispositions du droit commun en matière de lutte antiterroriste. Si ce droit commun est efficacement renforcé, la question du terme de l'état d'urgence se posera. Sinon, notre commission se trouvera en pleine contradiction.
Je voterai ce texte sans être dupe de l'artifice, et un peu gêné des compromis à accepter pour obtenir des résultats dans les délais impartis.
Mme Éliane Assassi . - Sans surprise, notre groupe ne votera pas ce texte. On nous dit que la menace terroriste est toujours élevée - c'est, malheureusement, une réalité - mais aussi que des arrestations ont été effectuées et des réseaux démantelés grâce à l'état d'urgence - ce que rien ne prouve. Trop d'état d'urgence banalise l'état d'urgence ; il convient d'aller plus loin qu'un simple examen de la prorogation. Nous aurons probablement à proroger encore l'état d'urgence à la rentrée, la menace n'ayant pas diminué. Le comité de suivi que nous avions mis en place, qui rencontrait régulièrement les représentants de l'administration place Beauvau et à Matignon, mériterait d'être réactivé.
M. Alain Marc . - Rapporteur budgétaire de la mission « Sécurités », j'ai appris, lors de mes auditions, qu'aux termes de l'article 78-2-4 du code de procédure pénale, modifié par la loi du 3 juin 2016, les gendarmes et policiers ne pouvaient fouiller les véhicules que sur réquisition du procureur de la République délivrée 24 heures avant. Ils sont, de plus, contraints de préciser le lieu de la fouille : si elle se déroule à cent mètres des lieux visés par l'autorisation, la procédure entière peut être annulée. Cela n'est pas suffisant dans le cadre de l'état d'urgence, qui réclame une forte réactivité. Il convient d'introduire dans le droit commun la possibilité de pratiquer des fouilles de véhicules sans avoir à en référer préalablement à l'autorité judiciaire.
M. François Grosdidier . - Ce n'est pas l'état d'urgence qui se banalise, c'est le terrorisme. Nous vivons désormais sous une menace terroriste que nous avions crue limitée dans le temps, mais qui se prolonge. S'il est un parallèle pertinent avec la guerre d'Algérie, c'est que celle-ci n'a été reconnue comme une guerre que plusieurs décennies après. Elle était menée hors du cadre conventionnel qui régit normalement les guerres, et dans des conditions de dérogations exorbitantes au droit commun.
Nous sommes confrontés à une organisation barbare, sans existence juridique, qui pratique la guerre totale, utilisant les enfants - y compris les nôtres - comme armes en les recrutant sur la toile. Nous sommes désemparés. L'état d'urgence nous fournit des outils précieux que nous serons probablement amenés à utiliser durant plusieurs années.
La proposition de loi de Philippe Bas, si elle avait été adoptée, aurait renforcé l'efficacité du droit commun. Nous serons probablement contraints de sortir de l'état d'urgence avant la fin de la guerre contre le terrorisme ; il convient par conséquent que la prochaine législature soit mise à profit pour adapter l'arsenal législatif à cette guerre. Penser que nous serons plus efficaces avec moins d'outils que dans le cadre de l'état d'urgence, c'est irresponsable. Même avec l'état d'urgence, les outils sont insuffisants. Dans l'immédiat, il convient néanmoins de le prolonger.
M. François Bonhomme . - Dix-sept attentats ont été déjoués et 420 individus en lien avec des projets terroristes interpellés. Dans une lettre ouverte aux parlementaires, la Ligue des droits de l'homme met en cause les liens entre ces résultats et l'état d'urgence ; mais la question de sa prorogation doit être envisagée sous l'angle du péril terroriste - un péril dont les données fournies par le ministère de l'intérieur attestent la réalité.
J'observe que la Ligue des droits de l'homme, qui se prétend gardienne des libertés, a quelque peu mis en sourdine ses critiques sur un soi-disant « État policier », alors que l'état d'urgence se limite aux deux mesures que sont les perquisitions administratives et les assignations à résidence.
Autre argument avancé par la Ligue, les services publics de la sécurité se plaindraient de la sur-mobilisation du personnel. Il ne faut pas tout confondre : cette mobilisation est liée à la persistance d'un risque qui justifie le maintien de l'état d'urgence.
Enfin, l'état d'urgence, dit la Ligue, « nourrit tous les amalgames et les tensions qui les accompagnent et alimente les pratiques discriminatoires ». Il faudrait se renouveler... Le coeur de l'état d'urgence, c'est la pertinence de moyens d'exception pour répondre à une situation exceptionnelle.
M. Jean Louis Masson . - Ne pas voter la reconduction de l'état d'urgence enverrait un signal désastreux à l'opinion publique et aux terroristes eux-mêmes. Ce serait irresponsable, une prime aux terroristes ! Les pleureurs professionnels tels que la Ligue des droits de l'homme n'ont pas de leçons à nous donner.
Reste le problème de l'assignation à résidence, qui revient à mettre préventivement sous contrôle des gens auxquels on n'a rien à reprocher, sur une durée qui peut être longue. Expulsons les étrangers qui représentent un risque, mais assigner des citoyens français à résidence me gêne.
L'état d'urgence sert à la police pour arrêter des voyous, des délinquants ordinaires ? C'est un effet induit bénéfique dont on ne va pas se plaindre. De manière générale, les moyens à disposition de la police sont insuffisants. Dans mon département, faute de pouvoir fouiller eux-mêmes les véhicules, les gendarmes font appel aux douaniers ! Le Gouvernement a fini par reconnaître les carences - que je dénonce depuis longtemps - en matière de légitime défense des policiers mais le projet de loi qui les autorise à faire usage de leur arme de service risque de ne pas être voté définitivement avant la fin de la législature, puisqu'on retarde sciemment son passage en conseil des ministres. Or cette mesure serait un bon complément à la prolongation de l'état d'urgence.
Mme Esther Benbassa . - Pourquoi n'utilise-t-on pas la loi du 3 juin dernier, qui reprenait plusieurs dispositions relevant de l'état d'urgence ? Plus on banalise l'état d'urgence, moins on appréhende ses conséquences. Je viens de passer trois jours en Turquie, auprès des opposants : l'état d'urgence y est utilisé à des fins de répression, la garde à vue peut durer trente jours... La France est un État démocratique aujourd'hui, mais le sera-t-elle demain ? Nous avons des dispositifs de droit commun, pourquoi prolonger l'état d'urgence ? Pendant la guerre d'Algérie, l'état d'exception a duré trois ans ! Va-t-on continuer à ce rythme ?
M. Jacques Bigot . - Face au terrorisme qui menace la République et la démocratie, comment protéger nos concitoyens tout en respectant l'État de droit ? Je n'ai pas trouvé dans le rapport d'éléments suffisants pour dire en quoi le droit commun, modifié par la loi du 3 juin, ne permettrait pas cette protection. On ne peut se contenter d'invoquer la valeur symbolique de l'état d'urgence : il faut qu'il soit utile !
La répartition des compétences entre autorité administrative et autorité judiciaire est claire : c'est le procureur de la République qui prend la décision, en accord avec le préfet. Les difficultés en Seine-et-Marne tiennent à la carte judiciaire. Au passage, il est curieux de prévoir que le juge des référés du Conseil d'État se prononce sur la prolongation de l'assignation à résidence, alors que l'on donne de nouveaux pouvoirs de contrôle au juge des libertés et de la détention (JLD)... Il faudra trancher entre le rôle respectif du juge administratif et du JLD.
On doit avoir un débat, dans le cadre du contrôle de l'état d'urgence, sur la nécessité de ces mesures spécifiques alors que des modifications, largement consensuelles, ont été apportées au droit commun. Aujourd'hui, le débat étant précipité par la démission du Gouvernement, nous n'avons pas encore ce rapport. Je l'attends avec impatience, tout en me ralliant à cette prolongation, car l'affaiblissement de l'État de droit nuirait à la démocratie.
M. Philippe Bas , président . - La loi du 3 juin 2016 offre des moyens d'action essentiellement pour le procureur et le juge d'instruction. Aucun ne recoupe les pouvoirs que l'autorité administrative tire de l'application de l'état d'urgence pour les assignations à résidence, les perquisitions administratives, les fouilles de véhicules et contrôles d'identité ou l'interdiction de manifestations sur la voie publique. Les sujets sont de nature différente : police administrative d'une part, pouvoirs du parquet et du juge d'instruction de l'autre.
Alain Richard a posé la question essentielle : celle des dispositions permanentes de police administrative permettant au préfet et au ministre de l'intérieur de prendre, hors état d'urgence, des mesures du même type que celles permises par l'état d'urgence. La loi du 3 juin 2016, si elle étend les moyens d'action du parquet et du juge d'instruction, n'y répond pas.
M. André Reichardt . - Je voterai ce texte, bien sûr. Les attentats déjoués mettaient en cause des individus de nationalité française ou résidant en France, a dit le rapporteur. J'ai toujours considéré, à tort ou à raison, que l'état d'urgence visait à protéger les Français contre des agressions extérieures. Ce n'est manifestement pas le cas. N'y a-t-il pas lieu de répondre à ces préoccupations dans le droit commun ? De reconsidérer de façon globale les moyens de lutte contre la radicalisation ?
Les actions de prévention ne sont pas à la hauteur du défi. Nous venons, avec Nathalie Goulet, de déposer une proposition de loi pour mieux encadrer et évaluer le travail de prévention de la radicalisation. Il faut prolonger l'état d'urgence mais aussi mener une action de long terme, faire le ménage chez nous, réfléchir de façon globale aux moyens de remettre ces gens sur le droit chemin et surtout de les empêcher d'emprunter le mauvais !
M. Philippe Bas , président . - C'est un point essentiel, en effet.
M. Jean-Yves Leconte . - L'état d'urgence ne recouvre pas la même chose en France ou en Turquie, c'est certain. Mais attention à ne pas s'en servir comme un slogan, qui donnerait l'impression d'être en sécurité... Il est important que le droit commun soit à la hauteur de la menace. En France, l'état d'urgence est encadré, il fait l'objet d'un contrôle constitutionnel et d'un suivi parlementaire ; ce n'est pas le cas en Turquie.
En mai, le rapporteur nous disait que les perquisitions administratives n'avaient plus guère d'utilité. Aujourd'hui, on les réintègre. Ces perquisitions sont-elles réellement utiles, ou offrent-elles simplement une facilité appréciable ? Qui dit que les suites judiciaires qu'elles ont permises n'auraient pas été possibles autrement ?
À chaque fois que l'on prolonge l'état d'urgence, on allonge la durée potentielle des assignations à résidence... L'Assemblée nationale a trouvé un bon équilibre.
J'attire enfin votre attention sur un point : parce que le Gouvernement a démissionné, nous nous retrouvons à reconduire l'état d'urgence dans la précipitation. Dès lors que, selon le Conseil d'État, le Gouvernement peut mettre fin à l'état d'urgence à tout moment, je ne vois aucune raison à ce que la démission du Gouvernement entraîne la fin de l'état d'urgence, sauf en cas de dissolution. J'avais déposé un amendement sur ce point particulier, mais je le retire pour ne pas remettre en cause le vote conforme.
M. Alain Richard . - La liberté individuelle que l'État de droit doit protéger comporte la protection du domicile ainsi que la liberté d'aller et venir. C'est pourquoi les perquisitions, non plus que les contrôles d'identité, ne sont des prérogatives de droit commun. La fouille du véhicule fait l'objet de limitations particulières car elle porte atteinte à ces deux composantes à la fois. Je me souviens de la controverse, conclue devant le Conseil constitutionnel, au moment de la loi « sécurité et liberté »...
Le pouvoir d'intrusion est cantonné à la poursuite d'infractions douanières. Pour l'inscrire dans le droit commun, il faudrait en restreindre la finalité à la seule prévention d'attentats. Peut-être avec cette restriction pourrait-on tenter, devant le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme, de justifier un dispositif permanent.
M. Michel Mercier , rapporteur . - Proroger l'état d'urgence présente un avantage immense : celui d'obliger le Parlement à débattre, donc à jouer pleinement son rôle. Avec la reconduction de l'état d'urgence, le Parlement peut faire le point tous les trois mois, dire ce que l'on continue, ce que l'on arrête, ce que l'on modifie. Pour sortir de l'état d'urgence, il faudrait avoir inscrit dans le droit commun les mesures qu'il rend possibles : perquisitions et, sans doute, assignations à résidence. Et donc se priver de contrôle régulier du Parlement. C'est un prix énorme à payer ! Le contrôle parlementaire sur l'état d'exception a atteint un niveau inédit. Pendant la guerre d'Algérie, les modalités d'application quotidienne de l'article 16 de la Constitution n'avaient pas soulevé beaucoup de débats au Parlement !
M. Alain Richard . - C'était une législature assez spécifique...
M. Michel Mercier , rapporteur . - Aujourd'hui, ce contrôle parlementaire existe.
Les dispositions de la loi du 3 juin 2016 sont en vigueur et sont utilisées, notamment celle sur le délit de consultation habituelle des sites djihadistes. Un bémol toutefois : la Cour de cassation vient de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel sur ce point...
Sur le terrain, les services de renseignement et de police, les préfets disent l'importance des perquisitions administratives. Si l'on inscrit une mesure aussi lourde dans le droit commun, il faudra bien l'encadrer.
Depuis le 14 novembre 2015, plus de 400 personnes différentes ont fait l'objet d'une assignation à résidence. Seules 91 d'entre elles le sont encore à l'heure actuelle. Preuve que l'autorité administrative étudie chaque cas. Seulement 37 personnes sont en assignation à résidence depuis plus d'un an. Si l'on y mettait fin au bout de douze mois et un jour, il faudrait concentrer les efforts des services de renseignement sur ces personnes...
La lutte contre le terrorisme, c'est aussi l'action quotidienne. À Nice, les autorités administratives et judiciaires ont mis en place un système d'une rare efficacité, utilisant la loi pénale et l'état d'urgence. L'état d'urgence, c'est d'abord une mobilisation de tout le monde : des services qui ne se parlaient pas travaillent désormais ensemble. Idem dans la région de Lille, avec sa frontière : on travaille ensemble, sur des dossiers concrets.
Que ce soit le préfet ou le procureur de la République qui autorise la perquisition, il faut un délai. Quand on travaille en commun, dans le respect des compétences de chacun, les choses se passent bien.
L'assignation à résidence, limitée à trois mois, existe dans le droit commun pour les personnes de retour des théâtres d'opérations de groupements terroristes.
Enfin, le contentieux du terrorisme se développe de façon exponentielle. Au cours du premier semestre 2017, quatre affaires passeront devant la cour d'assises spéciale, dont celle de la cellule Cannes-Torcy : deux mille personnes parties civiles, douze semaines de procès. L'affaire Merah, c'est au moins quatre semaines de procès. On embolise les juridictions parisiennes ! Preuve que le droit commun s'applique. L'état d'urgence vise à prévenir la commission d'attentats, le droit commun pénal, à la réprimer.
Le texte de l'Assemblée nationale est un compromis acceptable. Il faudra sans doute y apporter des corrections avec le projet de loi sur la sécurité publique qui viendra en janvier, et que le Gouvernement a tout intérêt à faire voter rapidement.
M. Philippe Bas , président . - M. Leconte ayant retiré son amendement, je constate qu'il n'y a plus d'amendement sur le texte.
Le texte du projet de loi est adopté sans modification.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 3
|
|||
M. LECONTE |
1 |
Suppression de la règle de caducité de la loi de prorogation en cas de démission du Gouvernement |
Retiré |