EXAMEN EN COMMISSION
Réunie mercredi 19 octobre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a examiné le rapport de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Pour la dernière année du quinquennat, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est marquée par un désengagement financier de l'État de la politique du handicap. Deux transferts de crédits sont prévus à compter du 1 er janvier 2017 : le transfert du financement des dotations de fonctionnement des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) à l'assurance maladie ; le transfert des moyens de fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA.
Si elles ont pour objet de simplifier les modalités de financement de ces organismes, ces deux mesures conduisent à amputer les moyens consacrés par l'État à la politique du handicap de deux milliards d'euros. L'État ne financera plus que l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) ainsi que la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH) en ESAT. Ces transferts réduiront l'information du Parlement à propos du financement des ESAT et des MDPH. Leurs crédits de fonctionnement ne seront plus examinés à l'occasion des projets de loi de finances ; ils seront noyés parmi les autres montants alloués aux dépenses sociales et médico-sociales retracés dans les projets de lois de financement de la sécurité sociale.
Par ailleurs, le plan de prévention et d'arrêt des départs non souhaités des personnes handicapées vers la Belgique est largement insuffisant pour faire face aux besoins. Nous avons débattu de ce point l'an dernier. Ce plan est doté de 10 millions d'euros, alors que l'assurance maladie verse tous les ans 152 millions d'euros aux établissements belges accueillant des personnes handicapées françaises.
Enfin, la réforme des modalités de revalorisation de l'AAH, désormais réalisée en fonction de l'inflation constatée et non plus en fonction de l'inflation prévisionnelle, a conduit à une quasi-stagnation de son montant en 2016.
Plusieurs dispositifs financés par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » connaissent une progression dynamique. La prime d'activité, créée au 1 er janvier 2016 en remplacement du RSA « activité » et de la prime pour l'emploi, connaît une montée en charge plus rapide que prévu : son taux de recours était de 60 % en juin 2016, alors que la prévision budgétaire avait été construite sur une hypothèse de 50 %. En conséquence, la dépense de prime d'activité est revue à la hausse en 2017 pour atteindre un montant prévisionnel de 4,3 milliards d'euros. Ceci prend également en compte l'ouverture de la prime à de nouveaux bénéficiaires en 2016, comme les allocataires de l'AAH, d'une pension d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
De plus, le coût des mesures de protection juridique des majeurs continue à croître sous l'effet de la progression du nombre de majeurs concernés par des mesures de protection, directement liée au vieillissement démographique.
J'en viens à deux sujets d'inquiétude ou d'insatisfaction.
Tout d'abord : la situation de la politique d'adoption en France. Le nombre d'adoptions internationales réalisées par l'intermédiaire de l'Agence française de l'adoption (AFA) diminue de manière constante : 201 adoptions ont été réalisées via l'Agence en 2015, contre plus de 3 000 en 2009. Le Gouvernement a annoncé vouloir fusionner 1'AFA avec le groupement d'intérêt public « Enfants en danger ». Plusieurs associations représentant des parents adoptants ont manifesté leur inquiétude. Elles craignent que la disparition juridique de l'AFA entraîne la disparition des accréditations dont elle dispose dans les pays d'origine et l'annulation des procédures d'adoption en cours. Il conviendra d'être particulièrement vigilant sur ce point.
Par ailleurs, les montants relatifs à l'aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) des anciens migrants dans leurs pays d'origine, créée en 2016 au profit des travailleurs immigrés âgés qui effectuent des séjours de longue durée dans leurs pays d'origine, sont fortement revus à la baisse en 2017. Cela traduit une sous-consommation importante de cette aide, ce qui n'est pas satisfaisant.
Point positif : le renforcement des moyens consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes ainsi qu'à la lutte contre le système prostitutionnel, afin notamment de financer l'aide financière à la réinsertion des personnes prostituées.
Enfin, s'agissant des dépenses support des ministères sociaux, les crédits augmentent en raison de la hausse de la masse salariale, principalement du fait de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique. Cependant, la politique de réduction des moyens se poursuit avec la suppression de 138 emplois, hors mesures de transfert, en 2017. Cette même politique est menée pour les agences régionales de santé, dont le schéma d'emploi prévoit la réduction de 100 ETPT supplémentaires en 2017.
Au total, au regard notamment des insuffisances de la politique du handicap, je donne, à titre personnel, un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.
L'article 63 rattaché à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » vise à supprimer le Fonds national des solidarités actives (FNSA) mis en place en 2009 afin notamment de financer le RSA « activité ». Il bénéficie d'une subvention de l'État et d'une fraction du produit de la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires.
Avec la création de la prime d'activité en 2016, le FNSA a perdu sa principale raison d'être. Il ne finance désormais plus que le RSA « socle » versé aux jeunes actifs, la prime de Noël versée aux bénéficiaires de certaines prestations sociales et les frais de gestion liés à la prime d'activité. La proposition de suppression du FNSA constitue donc l'aboutissement logique de la mise en place de la prime d'activité. Elle va dans le sens de ce que j'avais préconisé l'année dernière.
La suppression du FNSA conduirait ainsi à faire prendre en charge directement par le budget de l'État les dépenses restant à sa charge, majorant les crédits du programme 304 de 205 millions d'euros en 2017. Afin d'assurer l'équilibre budgétaire de cette opération, la part du produit de la contribution allouée au FNSA serait réaffectée au Fonds de solidarité, qui finance l'allocation spécifique de solidarité, et qui verrait en conséquence sa subvention d'équilibre versée par l'État baisser à due concurrence.
Compte tenu de ces éléments, je propose d'adopter cet article sans modification.
M. Philippe Mouiller , rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales . - Je voudrais d'abord féliciter le rapporteur spécial pour la qualité de ses investigations.
Je voudrais vous faire part de l'avis du rapporteur de la commission des affaires sociales sur cette mission, qui est contrasté. L'évolution des crédits qu'elle prévoit suscite une adhésion et deux réserves.
Je me réjouis de la préservation des crédits en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre la traite des êtres humains.
Ma première réserve porte sur la nouvelle architecture du programme 157 « Handicap et dépendance ». Je ne conteste pas la concentration de l'État au profit, principalement, de l'AAH, pas plus que le transfert d'autres crédits de la politique du handicap au profit d'acteurs nationaux plus indiqués, comme l'assurance maladie et la CNSA. Mais la méthode retenue pour ce faire s'apparente à un désengagement brutal plutôt qu'à un passage de relai. De plus, avec le transfert de la part nationale du financement des MDPH, c'est à une baisse artificielle des dépenses de l'État que ce budget se livre. Cela crée en outre de l'opacité, car les crédits de fonctionnement des MDPH se trouveront noyés, sans chiffrage particulier, dans la nouvelle dotation de la CNSA. Mais alors que les MDPH sont confrontées à un important surcroît de travail, tout ce dont elles ont besoin, c'est de sécurité et de visibilité. Certes, le Président de la République s'est engagé à accorder 8 millions d'euros supplémentaires à la politique du handicap, mais cette hausse ne devra pas reposer sur les seuls départements.
J'en viens au reste du programme et à la prime d'activité. Il faut se réjouir bien sûr du succès de cette nouvelle prestation. Selon nos calculs, le taux de recours dépassera bien les 50 % budgétés, pour atteindre les 70 %. Ce dispositif est en effet beaucoup mieux ciblé. Mais, deuxième réserve, on peut s'interroger sur le coût final de la prestation. De plus, avec la suppression de la prime pour l'emploi, nous nous privons du levier qu'est le crédit d'impôt, qui a des effets positifs sur l'emploi et qui est utilisé par nos voisins européens. Malgré la communication du Gouvernement, la prime d'activité, ne nous leurrons pas, n'aura aucun effet sur emploi : le chômage dans notre pays provient d'une offre d'emploi atone.
M. André Gattolin . - J'adresse toutes mes félicitations au rapporteur spécial et au rapporteur pour avis. Leurs deux interventions soulignent en effet le problème majeur de cette mission : la question du handicap. C'est un enjeu national. Or nous n'avons plus, hélas, de politique nationale du handicap. Un autre exemple, au-delà de ceux évoqués à l'instant, l'Institut national des jeunes aveugles et l'Institut national des jeunes sourds étaient auparavant financés à 60 % par l'État et à 40 % par les agences régionales de santé. Ils le sont désormais à 100 % par les régions.
Je veux bien entendre l'argument selon lequel, pour traiter ces sujets, il faut être au plus près du terrain. Soit, mais le traitement des situations doit être le même pour tous. Or ce n'est pas le cas. Le traitement d'un dossier de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) varie de deux à dix-huit mois en fonction d'un département à l'autre. De plus, dans certains départements, on attribue au maximum un taux d'incapacité de 50 %, sans qu'aucune expertise médicale soit réellement définie à l'échelon national.
M. Marc Laménie . - J'aurai la même question que l'an dernier : quelles solutions apporter au départ des handicapés français vers la Belgique pour s'y faire soigner ? Nous manquons cruellement de capacités d'accueil en France. Il en va de même pour les ESAT. Sommes-nous condamnés à l'impuissance ?
Enfin, comment mieux faire fonctionner les ARS ?
M. Yannick Botrel . - On ne peut pas à la fois dire qu'il est logique que l'État se concentre sur l'AAH et laisse la CNSA et l'assurance maladie prendre en charge des crédits qu'elles ont toute légitimité à exécuter, et regretter que l'État se désengage.
Je fais confiance au contrôle parlementaire pour vérifier la bonne utilisation de ces dépenses.
M. Serge Dassault . - J'aimerais connaître le coût de l'aide personnalisée au retour à emploi. Sait-on exactement combien de retours à l'emploi cette aide a rendu possibles ? Pour ma part, je doute de leur efficacité.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Je rejoins André Gattolin sur l'enjeu que représente la gestion de la personne handicapée dans les politiques nationales. Des difficultés persistent dans le traitement des demandes et dans les délais de réponse. La situation varie selon les départements. Dans le mien, le Nord, c'est assez tendu.
Je partage le souci d'équité de traitement sur le territoire national. L'État doit, parmi ses priorités, veiller au bon déroulement des procédures et faire en sorte que les cas soumis aux maisons départementales des personnes handicapées reçoivent des réponses. Au-delà des non-voyants et des malentendants, le propos pourrait être élargi au handicap en général.
Nous avions eu un débat sur les personnes handicapées françaises accueillies dans des établissements belges l'an dernier. Je m'étais rendu à Charleroi, en Wallonie, pour observer la situation. Une mission spéciale a par la suite été instituée par la commission des affaires sociales du Sénat, ce dont il faut se féliciter. Je doute que la situation ait beaucoup évolué en un an, même si je ne dispose pas de données chiffrées.
La réponse réside dans la création de nouvelles places, de nouveaux établissements. Les listes d'attente sont assez importantes, en particulier dans les régions frontalières, comme la mienne.
Les disparités territoriales en matière de santé et d'espérance de vie sont fortes. Dans les Hauts-de-France, nous sommes en bas de classement depuis de nombreuses années, et l'on ne constate malheureusement pas d'amélioration. Des déserts médicaux s'installent, par exemple dans l'Avesnois, le Cambrésis. Cela devient très inquiétant. Il est urgent de mener une politique nationale volontariste pour éviter que les fossés ne se creusent. Outre la présence de services publics, de commerces et d'écoles, l'accès à la santé est une condition nécessaire pour pouvoir vivre sur un territoire.
Encore une fois, les transferts de compétences, que j'assimile à un désengagement de l'État, sont une vraie préoccupation.
Enfin, sur la question du contrôle parlementaire, je n'aurais pas pu mener le contrôle budgétaire que j'ai réalisé sur les ESAT si leurs dotations de fonctionnement n'avaient pas été financées par l'État et retracées dans la mission « Solidarité ».
M. Philippe Mouiller , rapporteur pour avis . - À la fin du mois de juillet, environ 2,37 millions de foyers - c'est une estimation ; nous n'avons pas tous les chiffres - percevaient la prime d'activité.
Nous ne disposons pas d'éléments tangibles sur le retour à l'emploi, mais nous savons que nous sommes loin des objectifs fixés en la matière, alors qu'il y a des améliorations sur le taux de pauvreté.
Le coût de la prime d'activité s'élève à 4,3 milliards d'euros environ. Cette prime remplace le RSA activité et la prime pour emploi : son automaticité et l'ouverture aux jeunes expliquent le nombre important de bénéficiaires.
À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et de l'article 63 rattaché.
*
* *
Réunie à nouveau le jeudi 24 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2017.