II. BPIFRANCE, UN ACTEUR PUBLIC DEVENU INCONTOURNABLE DANS LE FINANCEMENT DES ENTREPRISES

1. La création de Bpifrance, un acquis majeur du quinquennat

Créée en 2013 24 ( * ) par le regroupement d'Oséo, de CDC Entreprises, du Fonds stratégique d'investissement (FSI) et du FSI Régions, Bpifrance est banque publique chargée de soutenir les entreprises, notamment les PME, les ETI et les entreprises innovantes, par des prêts et garanties et des investissements en fonds propres , en cas de défaillance des acteurs privés et toujours en position minoritaire par rapport à ceux-ci. Bpifrance, détenue à 50 % par l'État et à 50 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), constitue ainsi l'un des principaux instruments de la politique publique en matière économique.

Plus précisément, l'action de Bpifrance en faveur des entreprises est menée par les filiales de la compagnie financière Bpifrance SA 25 ( * ) :

- Bpifrance Financement , établissement de crédit, octroie des prêts aux entreprises , sous forme de prêts à moyen et long terme (dont des crédits à l'exportation), ou d'autorisations de crédit à court terme (mobilisation de créances, préfinancement du CICE). Elle exerce également une activité de garantie 26 ( * ) , en couverture des risques suivants : création, développement, transmission, innovation, export, trésorerie. Enfin, Bpifrance Financement octroie une série d' aides à l'innovation , sous forme d'aides individuelles (subventions, avances remboursables, prêts à taux zéro) et de financements de projets collaboratifs ( via des fonds et des fonds de fonds) ;

- Bpifrance Participations , société de portefeuille, intervient en fonds propres, via sa filiale Bpifrance Investissement , société de gestion . Plus précisément, quatre missions lui ont été confiées : (1) l'investissement via des fonds de fonds en capital-investissement (avec plus de 300 fonds partenaires) ; (2) l'apport en fonds propres à des PME via des fonds directs de capital-développement (fonds régions, fonds filières, fonds sectoriels) ; (3) le financement en fonds propres de l'innovation (fonds Large Ventures , fonds d'amorçage Bioam et fonds de capital-risque Innobio dans les sciences de la vie etc.) ; (4) l'activité Mid & Large Cap , correspondant à des prises de participations plus importantes, pour lesquelles Bpifrance se rapproche d'un investisseur institutionnel. Cette activité de gestion pour compte propre est complétée par la gestion pour compte de tiers, essentiellement dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA, cf. infra ).

Activité de Bpifrance Participations

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

Fonds de fonds

201

252

336

Fonds propres PME

69

98

118

dont fonds région

63

96

99

dont fonds filières

-

-

7

dont fonds sectoriels

6

2

12

Innovation

65

85

81

Mid & Large cap

418

562

775

dont fonds investissement croissance

50

51

63

Source : rapport annuel 2015 de Bpifrance Participations

- Bpifrance Assurance Export sera chargée, à compter de 2017, de la gestion des garanties publiques à l'exportation , auparavant assurées par la Coface 27 ( * ) . Ces garanties seront assurées pour le compte de l'État, sous son contrôle et à son nom, par un système de « garantie directe », en lieu et place de la « garantie oblique » qui prévalait pour la Coface.

Activité de Bpifrance Financement

(en millions d'euros)

Source : rapport annuel 2015 de Bpifrance Financement

2. Un succès dans le « déblocage » du capital-risque en France

S'agissant plus particulièrement du capital-risque et du soutien aux start-up innovantes , l'arrivée sur le marché de Bpifrance a permis de mettre fin au « blocage » français et à la défaillance des acteurs privés. « Plafonné » à quelques 800 millions d'euros depuis plusieurs années, le marché français du capital-risque a connu une croissance très importante en 2015, atteignant ainsi 1,8 milliard d'euros de levées de fonds (pour un total de 488 opérations). Avec un milliard d'euros (297 opérations) au premier semestre 2016, Paris a conquis la deuxième place au sein de l'Union européenne 28 ( * ) , derrière Londres mais devant Berlin - et certes à égalité avec la Suède, celle-ci étant portée par une opération exceptionnelle (la levée de fonds de 900 millions d'euros du site de streaming musical Spotify ). En nombre d'opérations, Paris se place même devant Londres. La France a elle aussi bénéficié d'un effet « streaming » avec la levée de fonds de 100 millions d'euros de Deezer , mais au-delà de celui-ci, on constate une hausse constante du ticket moyen investi (3,4 millions d'euros en 2016, contre 3,5 millions d'euros en 2015), avec notamment quelques opérations importantes dans le domaine de la santé ( medtechs ).

Cette réussite est en partie due à l'action de Bpifrance , qui s'est en quelques années imposée comme un acteur incontournable du financement des jeunes entreprises. On soulignera à ce propos l'importance des fonds gérés par Bpifrance dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) , qu'il s'agisse d'interventions via des fonds de fonds ( Fonds national d'amorçage , fonds Multicap Croissance , fonds French Tech Accélération ), ou via des fonds gérés direcement par Bpifrance sur les ressources du PIA. Par exemple, en 2015, le fonds Ambition numérique a investi 49 millions d'euros, le fonds Ecotechnologies 24 millions d'euros, et le fonds Biothérapies et maladies rares 2,6 millions d'euros dans de jeunes entreprises innovantes 29 ( * ) .

Le rôle positif de Bpifrance ne tient pas seulement à l'effet de levier produit par ses interventions financières, mais également à sa conversion à la « culture » du capital-risque, consistant à passer du « seul » financement à l'accompagnement dans la durée des entreprises . Ce modèle, qui fait le succès des fonds de capital-risque américains tels qu' Andreessen Horowitz 30 ( * ) , consiste à accompagner les entreprises tout au long de leur développement, via des rencontres et des formations, une offre de conseil (stratégie, développement du produit, communication, droit, fiscalité etc.) et un accès à leur carbet d'adresse.

Dans cette perspective, Bpifrance a mis en place un dispositif d'accompagnement, qui repose sur trois outils d'importance croissante 31 ( * ) :

- d'abord, le club « Bpifrance Excellence » , dont l'appartenance confère aux 3 000 entreprises clientes de Bpifrance un accès privilégié à ses formations, événements, contacts etc. ;

- ensuite, le programme « Initiative Conseil » , qui permet aux entreprises sélectionnées de bénéficier d'une mission de conseil en stratégie financée à 50 % par Bpifrance (soit 5 000 euros sur 10 000 euros, pour une mission standardisée de 10 jours/homme), le cas échéant orientée vers l'exportation. En 2016, 800 missions de conseil ont été ainsi financées, et menées par de petits cabinets partenaires de Bpifrance ;

- enfin, la possibilité d'intégrer l'un des « accélérateurs » (payants) de Bpifrance , lesquels ont été sensiblement renforcés l'année dernière. Le premier est le « Hub Start-Up » , que vos rapporteurs spéciaux ont pu visiter dans les locaux de l'institution à Paris et dont l'édition 2016 compte 37 jeunes entreprises innovantes, toutes clientes de Bpifrance 32 ( * ) : il offre non seulement des locaux ou des bureaux de passage pour les start-up qui le désirent, mais surtout des conseils et un accès privilégié aux partenaires de Bpifrance. L'institution porte également deux accélérateurs nationaux, respectivement pour 120 PME et 40 ETI , d'ampleur plus modeste (il s'agit essentiellement d'une journée mensuelle de rencontres et de formation), ainsi que des accélérateurs sectoriels (par exemple MD Start II dans la santé connectée), et travaille à la création d'accélérateurs locaux, en partenariat avec les régions .

Bien entendu, Bpifrance demeure dans tous les cas un investisseur minoritaire , et les fonds privés de capital-risque - français ou étrangers - disposent également de dispositifs d'accompagnement performants. Les incubateurs et accélérateurs français ( The Family , le Numa , bientôt la Halle Freyssinet) jouent aussi un rôle dans cette dynamique. Il n'en demeure pas moins que la forte croissance du capital-risque en France doit beaucoup à l'action volontariste de Bpifrance.

Ceci dit, cette situation n'est pas sans soulever quelques problèmes potentiels, et notamment le risque que l'effet de levier de Bpifrance se transforme en effet d'éviction de l'initiative privée . De fait, Bpifrance, institution publique, demeure plutôt « averse au risque » en comparaison des acteurs privés - ce qui n'est évidemment pas idéal s'agissant du métier très particulier qu'est le capital-risque. Ainsi, alors que les fonds américains de capital-risque assument un taux de survie très faible des entreprises où ils investissent (souvent autour de 10 % 33 ( * ) , en comptant sur le fait que le prochain Google en fasse partie...), l'indicateur 1.2 du programme 134 mesure le « taux de pérennité à 3 ans des entreprises aidées par Bpifrance » : il s'agit là d'une mesure pertinente pour les investissements les plus prudents 34 ( * ) , mais certainement pas pour le capital-risque. Or Bpifrance est devenu en quelques années un acteur relativement incontournable du capital-risque en France, au point que beaucoup d'investisseurs privés sont aujourd'hui réticents à investir si Bpifrance ne fait pas partie du tour de table . Dès lors, il importe de clarifier la doctrine d'intervention de Bpifrance pour chacun de ses métiers et de ses instruments, comme le suggère le Conseil d'analyse économique (CAE) dans une note de juillet 2016 35 ( * ) .

D'autres acteurs publics pourraient toutefois s'engager dans le capital-risque au-delà de Bpifrance. Ainsi, l'Agence des participations de l'État (APE) pourrait créer un fonds de capital-risque, ce qui permettrait à l'État actionnaire de s'ouvrir davantage aux PME et ETI . Ce fonds pourrait être alimenté par une fraction des dividendes provenant des participations plus « sûres » de l'APE.

3. Le prochain défi : mobiliser des capitaux au-delà de l'amorçage pour soutenir les champions français de demain

Ceci dit, si la France possède désormais une offre de capital-risque satisfaisante au stade de l'amorçage (ou « early stage »), les difficultés réapparaissent au stade du capital-développement ( growth capital ), dès lors qu'il s'agit de « lever » 100 ou 200 millions d'euros , typiquement dans le cas des start-up technologiques visant une valorisation supérieure à un milliard de dollars (les « licornes »). Le constat est parfois cruel : alors même que le marché américain ne constitue pas une priorité pour Blablacar , c'est bien aux États-Unis que la start-up française est allée lever 200 millions de dollars en 2015, auprès des fonds Insight Venture Partners et Lead Edge Capital .

À cet égard, les actions et les outils de Bpifrance n'ont pas, pour l'instant du moins, permis de résoudre ce problème . Or cette situation n'est pas sans effets pervers : d'une certaine manière, le lancement de l'entreprise est donc financé en France, en partie sur fonds publics avec Bpifrance mais aussi grâce aux multiples aides publiques et à la formation des chercheurs et des ingénieurs dans nos universités, tandis que les fruits sont in fine récoltés par des investisseurs étrangers, le plus souvent américains.

Il faut dire que pour de telles opérations de capital-développement (à partir de 100 millions d'euros), le retard de la France et plus largement des pays européens sur les États-Unis est encore très important , s'agissant de chacun des trois « débouchés » possibles pour une entreprise innovante en croissance rapide :

- il n'existe que peu, voire pas, de fonds « large venture » européens , c'est-à-dire de fonds d'investissement ayant la surface financière suffisante pour porter une « licorne ». À cet égard, il est regrettable qu' aucun fonds de capital-risque européen (privé ou public) n'ait pu être mis en place à ce jour. Les fonds de pension de certains États membres ou ceux gérés par la Caisse des dépôts et consignations (DCD) ne semblent pas pouvoir jouer ce rôle, dans la mesure où leurs investissement répondent à une logique patrimoniale, avec des rendements plus sûrs et plus faibles. En revanche, le Programme d'investissements d'avenir (PIA) pourrait contribuer à jouer ce rôle en cas de défaillance temporaire du secteur privé, et notamment l'action 09 « Grands défis » du programme 423 du PIA 3 , dotée en 2017 de 700 millions d'euros d'autorisations d'engagement 36 ( * ) , qui ont vocation à être investis sous forme de deux ou trois « gros » tickets (par exemple dans les biotechs ou les nouvelles technologies financières telles que la blockchain ) ;

- il n'existe pas de « NASDAQ européen » , c'est-à-dire une place de marché à la fois spécialisée dans les nouvelles technologies et capable de mobiliser suffisamment de fonds dans le cadre d'une introduction en bourse ( initial public offering , ou IPO). Ce n'est pas un hasard si la « licorne » française Criteo a été introduite en bourse à New York, et non à Paris ;

- il n'existe pas de politique d'acquisition des grands groupes français ou européens à la hauteur de celle que pratiquent les géants américains, et ceci pour des raisons financières mais aussi, sans doute, culturelles. L'année dernière, les seules acquisitions de Google ont dépassé les acquisitions de l'ensemble du SBS 120 (cet indice regroupe le CAC 40 et les 80 valeurs suivantes).

De plus, il ressort des entretiens menés par vos rapporteurs spéciaux lors de leur déplacement aux États-Unis mais aussi en France 37 ( * ) que lorsqu'ils ont le choix, les entrepreneurs expriment une nette préférence pour les investisseurs privés par rapport aux investisseurs publics . Si Bpifrance a développé une réelle expertise dans l'accompagnement sur la durée des entreprises, cette expertise demeure encore sans commune mesure avec l'offre des grands fonds américains , qui peuvent se fonder sur plusieurs décennies de réussites et d'échecs, et sur l'expérience directe de leurs propres dirigeants, souvent anciens entrepreneurs.

Il s'agit là d'un défi de taille pour Bpifrance , qui passe non seulement par une réflexion sur ses différents produits mais aussi par une réflexion plus poussée sur ses complémentarités avec les autres acteurs du financement des entreprises, publics comme privés. Ce chantier doit être lancé sans attendre .

4. Bpifrance, une institution au service de l'État stratège

Sur le plan de l'offre de financement, il semble que Bpifrance dispose aujourd'hui d'un panel d'outils suffisamment étoffé pour mener à bien ses missions - ce qui bien sûr ne doit pas interdire la réflexion sur la création de nouveaux dispositifs, financiers ou fiscaux , s'il apparaît que ceux-ci peuvent avoir un effet positif.

La question n'est donc pas tant celle de la disponibilité des outils que de l' usage qu'en fait Bpifrance . À cet égard, il convient de rappeler que Bpifrance est une institution publique, placée sous la tutelle de l'État et soumise au contrôle du Parlement : Bpifrance n'a pas vocation à agir comme une banque privée, mais à porter des politiques publiques précises, en fonction d'orientations fixées par le Gouvernement et le Parlement .

Cela, bien sûr, ne doit pas conduire l'institution à prendre des risques excessifs , ou à laisser de côté son expertise reconnue pour financer des opérations non viables obéissant à des motifs purement politiques. En revanche, cela impose à Bpifrance de concevoir son action dans le cadre plus large des choix économiques et stratégiques de l'État .


* 24 Loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement.

* 25 Source : rapport annuel 2015 de Bpifrance ; questionnaire budgétaire ; auditions de vos rapporteurs spéciaux.

* 26 C'est cette activité « garantie » de Bpifrance Financement qui est « couverte » par la dotation de 25 millions d'euros portée par le programme 134 de la mission « Économie » (cf. supra ).

* 27 La rémunération de Bpifrance Assurance Export au titre de cette nouvelle activité fait l'objet d'une dotation budgétaire de 72,6 millions d'euros en 2017, inscrite sur les crédits du programme 134 de la mission « Économie » (cf. supra ).

* 28 Source : étude EY, 20 septembre 2016.

* 29 Source : questionnaire budgétaire.

* 30 Premier fonds de capital-risque de la Silicon Valley, Andreessen Horowitz consacre seulement la moitié de ses 120 salariés à l'investissement stricto sensu : les autres apportent un soutien opérationnel et durable aux start-up (Source : mission d'une délégation de la commission des finances aux États-Unis, avril 2016.

* 31 Source : auditions des responsables de Bpifrance (7 avril et 25 octobre 2016).

* 32 Essentiellement au titre de l'activité prêts et garanties, mais 4 entreprises sur les 37 bénéficient également de prises de participations de Bpifrance.

* 33 Source : mission d'une délégation de la commission des finances aux États-Unis, avril 2016.

* 34 Les résultats sont d'ailleurs satisfaisants : en 2015, 81,2 % des entreprises aidées par Bpifrance étaient encore actives après trois ans, contre 71,3 % pour les autres entreprises.

* 35 Note du CAE n° 33, « Renforcer le capital-risque français », rédigée par Jean Tirole, Augustin Landier et Marie Ekeland, juillet 2016.

* 36 Contrairement au PIA 1 et au PIA 2, le troisième Programme d'investissements d'avenir (PIA 3) fait l'objet d'une mission budgétaire dédiée, composée de trois programmes. Le programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises » poursuit des objectifs similaires à ceux de la présente mission « Économie ».

* 37 Par exemple avec les sociétés Blablacar (covoiturage), Exequo (traduction/localisation de jeux vidéo) ou encore Concord (gestion dématérialisée de contrats).

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