C. LA « CONVENTION DE LUCQUES » DE 2006 ET LA CLARIFICATION DU CADRE JURIDIQUE ET SÉCURITAIRE

1. Une refonte totale du cadre juridique

De nombreux travaux de réparation et de renforcement de la sécurité ont donc été réalisés préalablement à la réouverture progressive du tunnel à compter de 2002.

Les gouvernements français et italien ont également voulu tirer tous les enseignements de cette catastrophe en ce qui concerne le cadre juridique applicable au tunnel et à son exploitation. Un accord intergouvernemental du 14 avril 2000 a ainsi approuvé la constitution entre les deux sociétés concessionnaires, française et italienne, d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE) du Tunnel du Mont-Blanc. Celui-ci est devenu, depuis lors, la structure unique en charge de l'entretien, de l'exploitation et de la sécurité de l'ouvrage.

Par ce même accord du 14 avril 2000, les deux gouvernements s'engageaient à mener des négociations en vue de conclure le plus rapidement possible une nouvelle convention appelée à remplacer celle de 1953, afin d'adapter le cadre juridique applicable au tunnel, notamment dans la perspective d'en améliorer la sécurité.

La convention du 24 novembre 2006, dite « Convention de Lucques » approuvée par le Parlement en 2008 3 ( * ) , constitue l'aboutissement de cette démarche. Se substituant à la convention initiale de 1953 et aux accords qui l'avaient complétée, elle consacre le principe d'une structure unique en charge de l'exploitation du tunnel. Elle précise les attributions de la commission intergouvernementale franco-italienne et du comité de sécurité qui lui est adjoint. Elle définit les conditions d'exercice de la police de la circulation dans le tunnel.

2. Une gouvernance rassemblée par la création d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE)

L' article 7 de la convention de 1953 stipulait initialement que les sociétés concessionnaires française et italienne confieraient l'exploitation du tunnel « à une société anonyme dont elles souscriront chacune la moitié du capital et dont le conseil d'administration comprendra un nombre égal de représentants de chacune d'elles ».

Cette disposition n'a jamais été mise en oeuvre, et les rapports d'expertise ont mis en cause la dualité des exploitants pour un même ouvrage dans les difficultés rencontrées pour assurer la sécurité de l'ouvrage.

EXTRAIT DU RAPPORT DUFFÉ -MAREC DE 1999

« Cette dualité d'exploitants pour un même ouvrage est à l'origine de diverses difficultés qui ont une grande importance pour la sécurité de l'ouvrage. Les deux sociétés ont des accords pour se partager les recettes et les dépenses courantes d'entretien et de fonctionnement mais les dépenses d'investissement sont totalement indépendantes, de sorte que des modifications des installations sur des points touchant à la sécurité, notamment la ventilation, ont été faites par les deux sociétés de façon peu concertée. (...) Ce qui paraît plus grave c'est que l'exploitation des deux moitiés du tunnel n'est que partiellement coordonnée entre les deux sociétés, chacun des régulateurs n'ayant pas une connaissance complète dans la partie du tunnel exploitée par l'autre société. »

Comme l'a également estimé le rapport d'expertise franco-italien de juillet 1999 4 ( * ) , « ce compromis institutionnel, proche dans les faits d'un bicéphalisme, a été à l'origine, depuis 1965, de difficultés dans la coordination des travaux de modernisation dans le tunnel », les investissements ayant souvent été réalisés par chaque société à des dates différentes et avec un contenu technique différent. Aussi le rapport d'expertise avait-il préconisé de réaliser l'unicité d'exploitation prévue dès l'origine, quitte utiliser une autre formule que celle de la société pour contourner les obstacles juridiques qu'elle impliquait.

C'est donc sous la forme d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE), constitué le 18 mai 2000, qu'a été réalisée cette unicité d'exploitation. Le GEIE Tunnel du Mont-Blanc est une structure juridique du droit communautaire associant les deux concessionnaires. Il est inscrit au registre du commerce d'Aoste, son siège principal est à Courmayeur sur la plate-forme italienne du Tunnel, et il dispose d'un établissement sur le territoire français. Depuis le 9 mars 2002, il est responsable de toutes les activités liées à la gestion opérationnelle du tunnel et des deux aires de régulation du trafic poids lourds d'Aoste versant italien, et de Passy-Le Fayet versant français. Il perçoit les péages, il intervient sur les projets qui concernent la sécurité et il assure la maîtrise d'ouvrage de tous les travaux d'entretien, des grosses réparations et des améliorations, des infrastructures et des installations techniques spécifiques du tunnel. Il est dirigé par un conseil de surveillance constitué de 10 membres nommés paritairement par les deux sociétés concessionnaires.

L'article 3 de la convention de Lucques consacre ce principe de l'unicité fonctionnelle . Il stipule que « l'exploitation, l'entretien, le renouvellement et la modernisation de l'ouvrage sont confiés en commun aux sociétés concessionnaires » et qu'en vue « d'atteindre l'unicité fonctionnelle de l'ensemble de ces activités, elles sont exercées par l'exploitant » pour le compte de ces sociétés. L'exploitant est défini comme « la structure dotée de la capacité juridique, telle que le groupement européen d'intérêt économique du tunnel du Mont-Blanc, mise en place par les sociétés concessionnaires pendant la durée de leurs concessions aux fins exclusives d'exploiter, d'entretenir, de renouveler et de moderniser le tunnel et ses annexes ».

La nouvelle Convention internationale entre Italie et France entra en vigueur le 1er octobre 2008, après la ratification du Parlement italien par la loi 166 du 27 septembre 2007 et celle du Parlement français par la loi 2008-575 du 19 juin 2008.

Plus précisément, le GEIE du tunnel du Mont-Blanc est chargé, pour le compte d'ATMB et de SITMB, qui en sont membres à parts égales, d'exécuter les opérations suivantes : gestion et sécurité du trafic ; exploitation et entretien de l'ouvrage ; maîtrise d'ouvrage pour les travaux de maintenance extraordinaire et d'amélioration de l'infrastructure et de ses équipements ; contrôle de la bonne exécution du service d'intervention immédiate anti-incendie (confié à une entreprise externe) ; perception des péages ; information des clients et des médias ; gestion du personnel détaché par les sociétés concessionnaires ou employé directement ; gestion générale.

3. Une sécurité renforcée

L'exploitation du tunnel du Mont-Blanc est désormais soumise à deux textes : la directive européenne 2004/54/CE concernant les exigences de sécurité minimales applicables aux tunnels du réseau routier transeuropéen et l'accord européen relatif au transport international de marchandises dangereuses par route (dit « accord ADR »), en particulier les dispositions spécifiques aux tunnels routiers. Les dispositions actuellement en vigueur au tunnel du Mont-Blanc ont été avalisées par un Comité de Sécurité et une Commission Intergouvernementale. D'après les informations recueillies par votre rapporteur, à ce jour, le tunnel est conforme aux exigences de la directive européenne.

La Commission intergouvernementale, la CIG, composée de représentants des Gouvernements français et italien, fixe en effet les règles de sécurité du tunnel. C'est la CIG qui a approuvé le programme de restructuration et de modernisation réalisé aux cours des années 1999 à 2002. La CIG s'appuie sur un Comité de sécurité composé d'experts, qui sont consultés sur toute question relative à la sécurité et à l'exploitation de l'ouvrage. L'instrument principal permettant de garantir la sécurité de la clientèle est le règlement de circulation, dont l'élaboration a été lancée à l'occasion du sommet franco-italien du 29 janvier 2001 et dont le texte définitif, qui a été approuvé par la CIG en janvier 2002, est constamment mis à jour.

Parmi ces règles figure l'interdiction d'accès au tunnel pour certaines catégories de véhicules : les poids lourds classés dans les catégories de pollution Euro 0 (immatriculés avant le 1 er octobre 1993), Euro 1 (immatriculés entre le 1 er octobre 1993 et le 30 septembre 1996) et, depuis le 1 er novembre 2012, Euro 2 (immatriculés entre le 1 er octobre 1996 et le 30 septembre 2001), et les véhicules qui transportent des matières dangereuses (le tunnel du Mont-Blanc est classé dans les tunnels de catégorie «E»). Outre ces dispositions, les préfectures italienne et française ont interdit la circulation des véhicules qui transportent des matières dangereuses sur les itinéraires d'accès au tunnel.

Une autorisation d'accès préalable a été mise en place pour certaines catégories de véhicules (véhicules exceptionnels et autres véhicules exigeant une escorte, comme les camions frigorifiques).

Des règles de circulation particulières ont été imposées comme se maintenir en permanence pendant tout le trajet à l'écoute de la radio sur la bande FM, respecter les limites de vitesse (minimum de 50 km/h et maximum de 70 km/h), respecter les règles de l'inter-distance : 150 m entre chaque véhicule, 300 m entre un autobus et le poids lourd qui le précède, 1200 m entre deux autobus. Le respect de l'inter-distance entre deux véhicules est très important : à l'intérieur du tunnel, un système de signalisation avec des lumières bleues réparties tous les 150 m aide le conducteur à maintenir la distance prescrite, et le flux du trafic est cadencé aux péages grâce à une gestion informatisée du départ de chaque véhicule.

Les comportements à adopter en cas d'évènement sont indiqués sur une fiche de sécurité distribuée systématiquement à chaque utilisateur accédant au tunnel : à l'arrêt, maintenir une distance minimum de 100 m avec le véhicule qui vous précède, utiliser si possible les aires d'arrêt d'urgence réparties tous les 600 m, et en cas d'émission de fumée, s'arrêter immédiatement, couper le moteur et allumer les feux de détresse, utiliser si possible les extincteurs disposés dans les niches de secours réparties tous les 100 m, et rejoindre l'abri sécurisé le plus proche.

Des conditions de restriction de la circulation pour des raisons de sécurité ou d'exploitation du tunnel ont été mises en place : avant d'accéder au tunnel, les poids lourds doivent, en fonction de leur provenance, se déclarer auprès des zones de régulation et de contrôle de Passy Le Fayet (France) ou d'Aoste (Italie). Leur conformité aux conditions de transit dans le tunnel est certifiée par une contremarque, délivrée après la vérification des dimensions du véhicule et de la catégorie européenne de pollution. Le contrôle sur la nature des marchandises transportées revient à la police de la route (côté italien) et au service des douanes (côté français).

Sur les plates-formes du tunnel, le transit des poids lourds sous le portail thermographique permet au personnel du tunnel de détecter une surchauffe éventuelle des pièces mécaniques des camions et des autobus. Si le système signale la présence d'anomalies, le véhicule est dans l'obligation de stationner sur la plate-forme afin de procéder aux vérifications nécessaires.

Placés alternativement tous les 100 m sur les parois du tunnel, les 116 niches de sécurité sont équipées de deux extincteurs et d'un poste d'appel SOS .

Tous les 300 m, un système de portes coupe-feu, signalées par un éclairage clignotant en cas d'urgence, garantit l'accès aux 37 abris sécurisés. Ces locaux sont hermétiquement isolés du reste du tunnel, alimentés en air frais, équipés d'une réserve d'eau et raccordés au PCC par vidéophonie. Chaque abri sécurisé est relié à la galerie de secours, à travers laquelle les services de secours peuvent atteindre les personnes y ayant trouvé refuge et les accompagner vers la sortie. Les conduites d'air frais courent sur toute la longueur du tunnel et elles sont raccordées aux abris sécurisés. En cas d'événement qui nécessiterait l'évacuation des personnes, elles permettent aux équipes de secours de les rejoindre et de les conduire vers le premier abri sécurisé, loin du lieu de l'accident, ou bien sur l'une des deux plates-formes. À l'intérieur de ces conduites, peuvent circuler des véhicules électriques capables de transporter une civière ou plusieurs personnes assises.

COUPE DU TUNNEL DU MONT BLANC FAISANT APPARAÎTRE LES GALERIES D'ÉVACUATION

Des projets d'amélioration de la sécurité sont mis en oeuvre chaque année pour optimiser les dispositions de sécurité (maintenance, modernisation, amélioration, etc...). Il faut noter, par exemple, le remplacement, en 2013-2014, des véhicules d'intervention incendie de type « Janus » par des nouveaux véhicules de type « Proteus » présentant des caractéristiques améliorées. Les années à venir se caractériseront notamment par l'amélioration des modalités de signalisation lumineuse des issues de secours.

4. Une exploitation unifiée

L'unicité de gestion de l'ouvrage qui résulte d'un mode de gestion spécifique à l'ouvrage a permis que l'exploitation soit unifiée et ne dépende plus directement des deux sociétés concessionnaires, comme c'était auparavant le cas.

Le GEIE-TMB est administré par un comité de direction composé d'un directeur gérant et de deux directeurs nommés par les sociétés concessionnaires SITMB et ATMB. Un conseil de surveillance composé de 10 membres (5 par société concessionnaire) exerce les activités de contrôle et de supervision. Les charges de président du conseil de surveillance et de directeur gérant du comité de direction sont établies et renouvelées tous les 30 mois de manière à être alternativement occupées par un représentant d'ATMB et par un représentant de la SITMB. Sous l'autorité du comité de direction, le GEIE-TMB réunit 195 employés mis à disposition par les deux sociétés concessionnaires.


* 3 Voir le rapport de M Jacques Blanc au nom de votre commission, en 2008 : www.senat.fr/rap/l07-186/l07-186_mono.html

* 4 http://www2.equipement.gouv.fr/archivesdusite/actu/jcg-1997-2002/dossiers/1999/rapmont-blanc.htm

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