B. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (3 JUIN 2014)
Réunie le mardi 3 juin 2014, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'audition de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au respect des orientations pluriannuelles de solde structurel en 2013.
M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques . - L'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) sur le solde structurel des administrations publiques intervient dans le cadre du mécanisme de correction prévu par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qui vise à prévenir toute déviation durable à la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques. Son suivi est assuré dans chaque pays par des institutions budgétaires indépendantes, en France par le Haut Conseil des finances publiques dont j'assure la présidence.
L'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 prévoit que le Haut Conseil compare les résultats de la gestion avec les orientations pluriannuelles de la loi de programmation des finances publiques (LPFP). L'écart entre le solde structurel constaté en loi de règlement et l'objectif présenté par le Gouvernement dans la loi de programmation est déclaré important s'il représente au moins 0,5 point de PIB sur une année ou 0,25 point par an, en moyenne, sur deux années consécutives, en l'espèce 2012 et 2013. L'avis du Haut Conseil porte uniquement sur le solde structurel, c'est-à-dire le solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique.
L'analyse des données présente cette année une particularité en raison du changement de base auquel l'INSEE a procédé à l'occasion de la publication des comptes nationaux le 15 mai 2014, en application des règles du nouveau système européen de comptabilité nationale. Mais afin qu'ils puissent être comparés aux prévisions de la loi de programmation, les résultats sont présentés, en loi de règlement, dans l'ancien système de compte. Du reste, les écarts qui résultent de ce changement sont plutôt limités pour l'année 2013.
Les données macroéconomiques et les agrégats de finances publiques présentés dans les tableaux de l'avis sont fournis par l'INSEE et le Gouvernement. Nous vérifions qu'ils sont établis selon les règles de la loi organique et nous les confrontons à d'autres sources mais nous ne produisons ni les chiffres, ni les comptes et nous n'appliquons aucun retraitement aux données qui nous sont soumises.
Le Haut Conseil a formulé les constats suivants : le solde effectif en 2013 s'établit à - 4,3 %. L'amélioration du solde est inférieure de 1,3 point de PIB à ce que prévoyait la loi de programmation des finances publiques. Cet écart ne tient pas au solde conjoncturel constaté, identique à l'objectif. J'ai évoqué précédemment le coût des contentieux fiscaux communautaires, revu en forte baisse. Ce ne sont pas les mesures temporaires et ponctuelles, mais bien la composante structurelle du déficit qui explique l'essentiel de l'écart de 1,5 point entre le solde structurel constaté et la cible arrêtée par la LPFP. Une partie, 0,6 point, provient de l'écart entre le solde structurel de l'année 2012 tel qu'établi dans le projet de loi et le solde structurel inscrit en loi de programmation ; l'autre partie, 0,9 point, provient d'une amélioration du solde structurel plus faible qu'annoncé en loi de programmation, du fait à la fois de recettes moins dynamiques (pour 0,6 point) et d'un effort moindre sur les dépenses (pour 0,3 point), ce qui est lié, notamment, à une inflation plus faible que prévu.
Cet écart de 1,5 point de PIB est important au sens de l'article 23 de la loi organique. Il déclenche le mécanisme de correction. Lorsque le Haut Conseil identifie un écart important, le Gouvernement doit en exposer les raisons lors de l'examen de projet de loi de règlement puis doit présenter les mesures de correction envisagées à l'occasion du rapport préalable au débat d'orientation sur les finances publiques (DOFP). Enfin, il tient compte de cet écart dans l'élaboration des projets de loi de finances ou de financement suivants.
À la suite de ces constats, le Haut Conseil a formulé trois observations sur la trajectoire pluriannuelle présentée le mois dernier dans le programme de stabilité de 2014-2017. Elle diffère de celle prévue par la loi de programmation du 31 décembre 2012 et prévoit, à partir de 2014, un redressement du solde structurel plus prononcé, anticipant ainsi en partie la correction de l'écart important constaté en 2013. Toutefois, cette nouvelle trajectoire ne répond pas aux dispositions de l'article 5 de la loi de programmation, aux termes de laquelle les mesures de correction doivent assurer un retour à la trajectoire de solde structurel dans un délai de deux ans.
Autrement dit, l'ajustement supplémentaire prévu par le programme de stabilité ne permet pas de combler la totalité de l'écart constaté depuis l'adoption de la loi de programmation. Il conduirait à un solde structurel, en 2016, plus dégradé d'un point par rapport à celui inscrit dans la loi de programmation, compte tenu du nouvel écart constaté en 2013. Il reporte aussi à 2017, au lieu de 2016, l'atteinte de l'objectif de moyen terme (OMT), correspondant à l'équilibre structurel. Comme le prévoit la loi organique, le Haut Conseil devra apprécier, à l'occasion de son avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les mesures de correction proposées par le Gouvernement. Une partie de ces mesures figure déjà dans le projet de loi de finances rectificative et le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, dont le Haut Conseil a été saisi et sur lesquels il rendra un avis mercredi 11 juin.
Nous constatons donc un écart important par rapport à la loi de programmation, y compris en tenant compte du programme de stabilité. C'est sans doute pour cette raison que le Gouvernement a annoncé une nouvelle loi de programmation parallèlement à la présentation de la loi de finances pour 2015.
M. François Marc , rapporteur général . - Le Haut Conseil des finances publiques souligne que le retour à la trajectoire est reporté de 2016 à 2017 ; mais ce constat ne vaut pas critique ni contestation des réformes structurelles envisagées par le Gouvernement. Quelles sont les conséquences juridiques d'un non-respect de l'objectif de moyen terme (OMT) ? En ce qui concerne le dynamisme plus faible qu'anticipé des recettes en 2013, des facteurs extérieurs à la conjoncture économique ont-ils été identifiés, comme par exemple une éventuelle augmentation des fraudes, pour ne pas parler de l'économie souterraine ?
M. Philippe Marini , président . - J'ai commis un article publié par lepoint.fr qui s'intitule : Le solde structurel, un rideau de fumée ? Je n'ai, pour ma part, jamais rencontré l'« homo structuralis » et j'estime que ces méthodologies très fines et très complexes destinées à faciliter une comparaison des efforts réalisés dans les différents pays de l'Union européenne se retournent parfois contre nous, dans la mesure où les appréciations sont globales. Lorsque le Gouvernement annonce un nouveau dispositif, il n'a plus à présenter les réductions de dépenses qui permettent d'équilibrer sa nouvelle politique. Désormais, le Gouvernement peut avoir une approche globale, et procéder à coups d'annonces d'économies de 50 milliards d'euros, sans que l'on puisse savoir où elles se situent précisément.
Des rencontres ont-elles lieu avec les autorités indépendantes des autres États membres ?
M. Didier Migaud . - Le Haut Conseil ne dispose pas d'informations sur d'éventuelles fraudes ou sur une économie souterraine. Il travaille du reste dans des conditions extrêmement contraintes, disposant d'une semaine seulement pour rendre son avis. Heureusement, nous travaillons en amont et complétons notre information par des questionnaires adressés aux administrations.
Nous rencontrons effectivement les autres autorités indépendantes, mais de façon informelle. La Commission européenne organise régulièrement des réunions de l'ensemble des comités budgétaires indépendants pour des échanges sur la méthodologie. Nous organiserons, quant à nous, un séminaire sur la croissance potentielle le 13 juin avec des économistes français, mais aussi européens et internationaux pour être prêts, en septembre, à examiner la loi de programmation et nous prononcer sur la notion de croissance potentielle retenue par le Gouvernement.
La France demeurera en procédure de déficit excessif jusqu'au retour aux 3 % prévu normalement pour 2015.
Mme Fabienne Keller . - Voilà un normalement plutôt inquiétant...
M. Didier Migaud . - Pour parvenir à l'objectif de moyen terme, nous devrons aussi réaliser un effort d'ajustement structurel correspondant à 0,5 point par an. Les conséquences juridiques interviendraient si une fois atteint les 3 %, l'effort structurel annuel de 0,5 % n'était pas respecté. La France avait fixé un objectif de solde structurel de 0 % du PIB, plus strict que le - 0,5 % du PIB exigé par le TSCG. Dans le programme de stabilité, il est fixé à - 0,25 % du PIB. Une sanction financière est prévue, un dépôt portant intérêt à 2 % du PIB, suivant les procédures du traité que vous avez voté.