EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

« Depuis deux siècles, la République a cherché à concilier l'unité de l'État, avec l'exercice le plus libre possible de la démocratie locale. (...) Le temps est (donc) venu de simplifier et clarifier pour que chacun sache qui décide, qui finance et à partir de quelles ressources. Le temps est venu d'offrir une meilleure qualité de service et de moins solliciter le contribuable tout en assurant la solidarité financière entre collectivités selon leur niveau de richesse. La réforme que j'ai demandé au Premier ministre et au Gouvernement de mettre en oeuvre, en y associant toutes les familles politiques, est majeure. Il s'agit de transformer pour plusieurs décennies l'architecture territoriale de la République . » Telle est l'ambition fixée, par le Président de la République dans sa tribune publiée dans la presse quotidienne régionale datée du 3 juin 2014, à la réforme territoriale dont le présent projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, soumis à l'examen du Sénat, est le premier volet.

Déposé le 18 juin 2014, ce projet de loi a été renvoyé à la commission des lois qui, dans le calendrier très contraint fixé par le Gouvernement, a immédiatement entamé ses travaux en organisant dès l'après-midi une première salve d'auditions. Cependant, le soir du même jour, le Sénat a créé une commission spéciale chargée d'examiner le texte présenté par le Gouvernement.

Son rapporteur a interrogé l'ensemble des présidents de conseil régional et général afin de recueillir leurs observations sur la réorganisation proposée. Les très nombreuses réponses qui lui sont parvenues démontrent la vivacité du débat en cours dans les territoires. Que les auteurs de ces contributions trouvent ici l'expression de sa profonde gratitude, de même que l'ensemble des personnes entendues.

Notre organisation territoriale est de longue date dénoncée, critiquée : trop complexe, trop coûteuse, source de blocages et de lenteurs...

Le temps de la réforme a sonné.

Dans le cadre proposé, votre rapporteur s'est efforcé de tendre vers une carte idéale tout en prenant en compte les problématiques du réel. Ses travaux ont été guidés par la recherche d'une action publique locale plus efficace, qui répond aux attentes de nos concitoyens.

La commission spéciale, à son initiative, s'est engagée dans cette démarche même si, finalement, elle n'est pas parvenue à adopter un texte.

I. LA RÉGION : UNE JEUNE COLLECTIVITÉ TERRITORIALE AUX RACINES ANCIENNES

L'institution régionale est le produit d'un long processus qui plonge ses racines dans les provinces de l'Ancien régime. D'abord conçue comme un instrument de développement économique, la région est devenue progressivement une circonscription de déconcentration avant d'évoluer vers une collectivité territoriale.

A. LA LENTE ÉMERGENCE DU FAIT RÉGIONAL

À la Révolution française, la volonté de rationaliser l'organisation complexe du Royaume de France a conduit à un nouveau découpage administratif du territoire national. La province, lointaine ancêtre de la région, est « supplantée » par le département, qui apparaît comme le nouvel instrument d'organisation de l'État.

1. La Révolution française : la volonté de mettre fin aux particularismes des provinces de l'Ancien Régime

En 1789, le royaume de France se décomposait en de multiples subdivisions politiques : les provinces qui se caractérisaient par des usages, des langues et des institutions communes et des statuts, des coutumes et des privilèges particuliers. Les délimitations des provinces d'Ancien Régime étaient souvent discutables, variant très souvent selon les époques.

Au sein de chaque province, s'exerçaient plusieurs formes de pouvoirs : financiers avec les généralités, civils avec les intendances, militaires avec la mise en place des gouvernements, religieux autour des diocèses et, enfin, juridiques à travers les baillages et les sénéchaussées. Sans oublier l'existence des duchés, des baronnies, des états, des élections, des parlements, des pays, des bailliages. Les ressorts géographiques de l'ensemble de ces subdivisions différaient.

À cette multiplicité de pouvoirs s'ajoutaient, d'une part, le partage entre une France de langue d'oc et de droit romain et une France de langue d'oïl et de droit coutumier ; d'autre part, une France des gabelles et une France rédimée, qui réunissait les territoires libérés du paiement de la gabelle moyennant un paiement forfaitaire, enfin, une France du concordat papal et une France des pays d'obédience, une France des pays d'élection
- qui s'acquittait de l'impôt des aides - et une France des pays d'État, soumise au régime des dons gratuits.

Cette organisation, complexe et anarchique, était liée à l'empilement de fonctions diverses créées au fil des siècles et à l'agrandissement progressif du domaine royal. Le pouvoir royal avait tenté, à plusieurs reprises, de rationaliser cette organisation, mais sans succès.

Les généralités ou intendances en 1789

En vert : les pays d'élection
En rose : les pays d'états

Source : Les généralités ou intendances, La France en 1789,
Carte extraite de The historical atlas by William R. Shepherd (1926)

Les gouvernements militaires en 1789

Source : Carte extraite de The historical atlas
by William R. Shepherd (1926)

C'est dans ce contexte de complexité de l'organisation royale et de recherche d'une rationalisation et d'un renforcement de l'efficacité de l'action publique qu'est mis en place, en septembre 1789, le Comité de constitution de l'Assemblée nationale. Sa mission est de mettre fin au système des provinces et d'établir une égalité de représentativité entre les citoyens. Les travaux de ce comité ont conduit au découpage de la France en quatre-vingt-trois départements par lettres patentes royales publiées le 4 mars 1790, à la suite des décrets des 15 janvier, 16 et 26 février 1790 pris par l'Assemblée nationale sous l'influence de Mirabeau notamment. Leur délimitation repose sur des critères prenant en compte les particularismes locaux, mais non l'identité régionale, de crainte de pérenniser les provinces de l'Ancien Régime.

La carte des départements en 1790

Le découpage du territoire national en départements ne poursuit qu'une visée administrative, puisque subsistent les anciennes divisions relatives à la perception des impôts et au pouvoir judiciaire. Toutefois, le département est conçu comme l'échelon rationnel d'action des pouvoirs publics.

2. Les prémices des premiers assemblages régionaux

Les premières revendications régionalistes émergent vers la fin du XIX ème siècle avec l'oeuvre de Frédéric Mistral (1830-1914) qui est l'un des initiateurs du Félibrige, association régionaliste destinée à promouvoir la langue d'oc et la culture occitane dans la littérature. Alors que s'affirme l'ancrage de la République en France, se développent des courants de défense de l'identité régionale, marqué par la recherche d'un renouveau national et royaliste défendu notamment par l'Action française de Charles Maurras (1868-1952) dès le début du XX ème siècle.

L'émergence d'une littérature régionaliste s'est accompagnée de la définition de premiers ensembles régionaux, issus des travaux de géographes destinés à délimiter des ensembles territoriaux sur des éléments objectifs. C'est notamment le cas des géographes Pierre Foncin (1841-1916) et Paul Vidal de La Blache (1845-1918) qui ont étudié la question des « assemblages géographiques » visant à regrouper certains départements sur des critères purement géographiques.

En particulier, Paul Vidal de La Blache « voulait doter la géographie d'une définition objective de la région et d'une méthode appropriée pour étudier les régions géographiques. Il exposa ses premières réflexions en la matière dans trois articles : « Des divisions fondamentales du sol français », en 1888, « Récents travaux sur la géographie de la France », en 1892, et « Les pays de France », en 1904. Dans ces trois textes, la France servait d'exemple. Et bien que la problématique s'y prêtât, jamais Vidal n'exprima, en ces circonstances, d'opinion régionaliste. Il se contenta d'expliciter que la géographie ne pouvait pas retenir les divisions administratives pour délimiter et expliquer la réalité régionale. La critique qu'il adressait alors aux divisions administratives se limitait donc à une perspective définitoire et méthodologique ; elle visait simplement à montrer la pertinence de ces deux questions : qu'est-ce qu'une région géographique et comment en établir la limite ? Il reste cependant que ces trois textes faisaient apparaître, par contraste, que l'organisation politique du territoire français manquait de fondements objectifs. » 1 ( * )

Quant à Pierre Poncin, l'un des premiers à défendre l'étude de la géographie locale, il établit une division de la France en « treize ensembles », reposant sur les limites départementales.

Les « treize ensembles » régionaux de Pierre Poncin

Plaines du Nord (Nord, Pas-de-Calais, Somme)

Plaines de Paris et de la Champagne (Oise, Aisne, Marne, Haute-Marne, Aube, Yonne, Seine-et-Marne, Seine, Seine-et-Oise, Eure-et-Loir)

Plateau Lorrain (Ardennes, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Vosges)

Plaines et Collines de Normandie (Seine-Inférieure, Eure, Calvados, Manche, Orne)

Bretagne, Vendée et Poitou (Loire-Inférieure, Finistère, Côtes-du-Nord, Morbihan, Ille-et-Vilaine, Vendée, Vienne, Deux-Sèvres)

Plaines de la Loire (Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loiret, Cher, Indre, Nièvre)

Le Massif Central (Allier, Creuse, Haute-Vienne, Dordogne, Lot, Tarn, Aveyron, Lozère, Haute-Loire, Loire, Puy-de-Dôme, Corrèze, Cantal)

Plaines du Sud-Ouest (Charente-Inférieure, Charente, Gironde, Lot-et-Garonne, Gers, Landes)

Pyrénées (Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne, Ariège, Aude)

Jura & Saône (Belfort, Haute-Saône, Doubs, Jura, Côte-d'Or, Saône-et-Loire, Ain)

Alpes (Haute-Savoie, Savoie, Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Var, Corse)

Plaine du Languedoc (Rhône, Isère, Ardèche, Drôme, Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault)


* 1 « Entre science et patrie : Lecture du régionalisme de Paul Vidal de La Blache » de Guy Mercier, Cahiers de géographie du Québec, vol. 45, n° 126, 2001, p. 389-412.

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