B. DES CONSÉQUENCES DRAMATIQUES POUR LE PAVILLON FRANÇAIS

Chaque année, environ 8 milliards de tonnes de marchandises transitent par la voie maritime tandis que plus de 50 000 navires sillonnent quotidiennement les mers. L'organisation non-gouvernementale One Earth Future a estimé, fin 2010, l'impact économique global de la piraterie à 7 à 12 milliards de dollars par an .

1. La compétitivité coût et hors coût du pavillon français est affectée par le risque de piraterie

Les surcoûts induits par le risque de piraterie se répartissent entre quatre postes-clés :

- les dépenses de carburant : elles sont autant dues à l'accélération de la vitesse de transit dans les zones à risques qu'aux choix de déroutement (circumnavigation de l'Afrique par le Cap de Bonne Espérance) conformément aux best management practices (BMP) de l'OMI ; ces surconsommations de combustible génèrent par ailleurs des émissions supplémentaires de polluants atmosphériques ;

- les dépenses de sécurité : protection « physique » du navire (barbelés, caméras, spots, etc.), recours à des gardes armés (équipes de protection embarquées de la Marine nationale ou gardes privés pour les navires battant pavillon étranger) ;

- les primes aux équipages pour compenser le risque encouru : selon les années, entre 300 et 500 marins sont affectés par des actes de piraterie, causant entre 5 et 25 morts par an ;

- les surprimes d'assurance : elles sont généralement de 0,5 % de la valeur du navire pour une traversée de l'Océan Indien, soit souvent proches de 20 000 à 30 000 dollars supplémentaires par jour de traversée.

Les informations communiquées Armateurs de France permettent de dresser une ventilation sommaire de ces différents postes. Ainsi, pour la seule zone somalienne, le coût de la piraterie représente 3 milliards de dollars (Mds$) 3 ( * ) au niveau mondial, supporté à 80 % par les armateurs : la moitié de ces surcoûts (1,5 Md$) concerne les dépenses de carburant dues à l'accélération de la vitesse de transit dans les zones à risques ; 500 millions de dollars concernent les dépenses de sécurité (formation des équipages, équipes de protection) ; les coûts d'assurances s'élèvent à 300 millions de dollars ; enfin les coûts de déroutement, les primes au personnel naviguant et les rançons représentent 700 millions de dollars.

Au-delà de ces coûts directs, le phénomène est arrivé à un tel point, que les assurances comme les clients refusent désormais de couvrir le risque de piraterie en l'absence d'une garantie de protection des navires. L'aléa commercial qui en découle n'est plus acceptable pour le client ou son assureur, dans un contexte où l'offre de protection de plusieurs pavillons apparaît plus étoffée. À titre d'exemple, l'armateur danois Maersk a interdit à sa filiale française de prendre part à certains marchés du fait de l'aléa que représente aujourd'hui l'absence de protection des navires français : la perte est évaluée à 15 % des rotations.

Les compagnies maritimes françaises 4 ( * ) perdent ainsi des marchés , faute de pouvoir garantir systématiquement la protection des navires, des équipages et de leurs cargaisons. Armateurs de France souligne que cette incertitude alimente le mouvement de dépavillonnement : bien qu'aucun lien ne puisse être directement établi, on observe que 34 navires ont été retirés des registres du pavillon français au cours de l'année 2012. Les difficultés pour protéger certaines routes font partie des explications invoquées. Les armateurs sont de plus en plus tentés d'immatriculer leur navire sous pavillon étranger, afin de pouvoir recourir à des services privés de protection armée sur leurs navires, ce que le droit français actuel ne permet pas.

L'INQUIÉTANT DÉCLIN DU PAVILLON FRANÇAIS

En 2014, le pavillon français compte environ 550 navires de commerce au sens large, dont 350 navires dits de service et 200 correspondant à la flotte de transport stricto sensu (marchandises, passagers). Malgré les mesures d'aides à la flotte, le nombre de navires sous pavillon français connaît un déclin continu. Détenteur de la 5 ème place mondiale dans les années 1960, le pavillon français occupe désormais la 26 ème place et représente 0,6 % du tonnage mondial.

À noter que la flotte contrôlée par des intérêts français ou gérée depuis la France est évaluée à environ 500 navires supplémentaires, immatriculés dans des pays étrangers, le plus souvent européens. Il y a donc bien déconnexion entre entreprise de transport maritime et pavillon national : les compagnies maritimes européennes contrôlent ainsi 41 % de la capacité de la flotte mondiale.

En effet, bien qu'il jouisse d'une excellente réputation, le pavillon français souffre aujourd'hui d'un déficit de compétitivité. Le rapport Leroy 5 ( * ) a identifié des pistes pour alléger les surcoûts, notamment en matière de stabilisation des dispositifs fiscaux et de simplification des processus administratifs. Mais ce rapport pointe également l'absence de possibilité de garantir une protection des navires dans les zones à risque comme un vrai désavantage compétitif.

D'autres facteurs fragilisent également les opérateurs maritimes, en particulier leur accès aux financements. Depuis la crise de 2008, les banques européennes, historiquement très présentes dans le financement de navires, ont choisi de réduire massivement leur portefeuille shipping , voire de le vendre en totalité. Ce choix a été dicté par plusieurs considérations : nouvelles règles relatives aux ratios de fonds propres une activité à forte intensité capitalistique, difficultés d'accès au dollar US, volatilité du marché. Leur comportement a entraîné des difficultés croissantes pour les armateurs français dans leurs opérations d'achat de navires.

Ces difficultés, combinées à l'intensification de la concurrence internationale, alimentent une succession continue de dépavillonnements depuis 2008. L'année 2012 a été particulièrement rude, avec la sortie de 34 navires. Cette baisse affecte essentiellement la flotte pétrolière puisque ces sorties concernent 17 de ces navires dont 8 de type VLCC (« very large crude carrier ») contre 6 entrées (3 VLCC et 3 transporteurs de produits pétroliers). En 2013, la situation est demeurée globalement médiocre, en raison de surcapacités liées à la crise en Europe.

L'autre effet induit par le coût élevé du pavillon français est sa réorientation progressive vers les services à forte valeur ajoutée (offshore, câbles sous-marins, exploration sismique). Des leaders mondiaux y exercent tels CGG ou Bourbon.

2. Des risques inégalement répartis selon le secteur d'activité

TYPOLOGIE DES NAVIRES ATTAQUÉS EN 2013

Source: BMI, Piracy and Armed Robbery Against Ships - 2013 Annual Report

L'analyse des attaques par type de navire confirme que les bâtiments les plus susceptibles de subir les assauts des pirates sont souvent ceux rendus plus vulnérables par leur vitesse réduite (12 à 15 noeuds, soit entre 22 et 28 km/h environ), la hauteur de leur franc-bord ou leur faible manoeuvrabilité. Les pétroliers à pleine charge, les câbliers, les navires de pêche, les bâtiments de recherche sismique, les navires de ravitaillement d'installations offshore, mais également les navires de croisière et les voiliers représentent ainsi des cibles de choix pour les pirates.


* 3 À noter, le coût de la piraterie somalienne a été divisé par deux depuis 2012 (6 Mds$), signe de l'efficacité de la mobilisation internationale. En revanche, il est en nette augmentation dans le Golfe de Guinée, où il s'élève à 700 millions de dollars en 2013.

* 4 Les principaux armateurs français concernés sont Bourbon (services), Louis-Dreyfus Armateurs (services et vrac), Seatankers, Maersk Tankers et Socatra (pétrole), CMA-CGM, Marfret (conteneurs). Ensemble, ils représentent environ 13,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Leur poids en termes d'emplois atteint environ 4 000 sédentaires et 2 500 navigants.

* 5 Rapport au Premier ministre sur la compétitivité des transports et services maritimes français, présenté par le député Arnaud Leroy (12 novembre 2013).

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