B. UNE PROPOSITION DE LOI POUR SÉCURISER JURIDIQUEMENT UN DISPOSITIF DE SOLIDARITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE EXEMPLAIRE ET GARANTIR L'ABSENCE DE TOUTE DISCRIMINATION DES SENIORS

La décision de la Cour de cassation ne devant pas intervenir avant la prochaine saison, voire au-delà, les députés ont souhaité clarifier la situation juridique des moniteurs de ski seniors par voie législative , afin de mettre un terme à l'incertitude de la profession et assurer la pérennité et la sécurité juridique d'un système de solidarité intergénérationnelle qui a fait ses preuves.

Dans le même temps, les députés ont aussi souhaité recentrer ce dispositif sur l'objectif d'insertion des jeunes moniteurs diplômés et le rééquilibrer au profit des seniors, dans un souci de proportionnalité , en prenant pleinement en compte les décisions de justice qui ont été rendues sur les versions de 2007 et de 2012 du Pacte intergénérationnel, afin de garantir l'absence de toute discrimination en raison de l'âge .

Il convient de noter que deux propositions de loi identiques relatives à la réduction d'activité des moniteurs de ski ayant atteint l'âge de la retraite ont été déposées et inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, l'une cosignée par des députés des groupes Socialiste républicain et citoyen (SRC) et Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) et la deuxième par l'ensemble du groupe SRC. En outre, une troisième proposition de loi , identique aux deux autres , a également été déposée par des députés du groupe Union pour un mouvement populaire (UMP).

1. Recentrer le dispositif de solidarité intergénérationnelle sur l'insertion des jeunes diplômés
a) Un dispositif instauré par le législateur et non par un syndicat professionnel

Comme l'ont rappelé les décisions de la Halde et des tribunaux qui ont eu à connaître des versions successives du Pacte intergénérationnel adopté par le SNMSF , seul l'Etat, et non un syndicat professionnel, possède le pouvoir d'imposer une réduction d'activité aux moniteurs de ski seniors , membres d'une profession libérale.

En inscrivant dans la loi la possibilité pour les écoles de ski d'instituer un dispositif de réduction d'activité des moniteurs ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite afin de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômé, le législateur utilise la marge d'appréciation dont il dispose en vertu de l'article 6§1 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 (voir supra ) :

« Les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime , notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires . »

En outre, en définissant précisément les règles du dispositif de réduction d'activité des moniteurs seniors, le législateur répond aux craintes énoncées par le Défenseur des droits dans son courrier de 2012 relative à l'application locale des dispositions du Pacte intergénérationnel.

b) Un « objectif légitime », réalisé par des moyens « appropriés » et « nécessaires »

Pour être conforme au droit européen, les différences de traitement fondées sur l'âge doivent d'abord être « objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime ».

Selon le Défenseur des droits, mais aussi selon les TGI d'Albertville et de Grenoble et la Cour d'appel de Grenoble, l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômés constitue bien un « objectif légitime », et, plus précisément, « un objectif légitime de politique de l'emploi et de marché du travail ».

Les moyens de réaliser cet « objectif légitime » doivent être « appropriés » et « nécessaires ».

La Halde, tout comme les TGI d'Albertville et de Grenoble, ont estimé que la réduction d'activité imposée aux moniteurs seniors par les versions successives du Pacte intergénérationnel du SNMSF n'apparaissaient ni « appropriée » ni « nécessaire » car les places libérées par les moniteurs seniors en débrayage ne profitaient pas exclusivement aux jeunes moniteurs, mais à tous ceux qui étaient maintenus en exercice, d'où un effet marginal sur l'accès à l'emploi des jeunes moniteurs.

Bien que la Cour d'appel de Grenoble ait par la suite validé le Pacte de 2012 en considérant que la réduction d'activité des moniteurs seniors bénéficiait bien à l'emploi des jeunes diplômés, la proposition de loi entend renforcer et clarifier la dimension de solidarité intergénérationnelle de ce dispositif et assurer sans aucune ambiguïté sa pleine conformité au droit européen en prévoyant que :

- la redistribution d'activité résultant de la réduction d'activité des moniteurs seniors bénéficie exclusivement aux moniteurs âgés de moins de trente ans exerçant en continuité sur la saison ;

- cette redistribution d'activité garantit aux moniteurs de moins de trente ans un nombre d'heures d'activité qui leur permette de valider au moins deux trimestres d'assurance vieillesse par an dans leur régime de retraite de base.

De la sorte, le lien de causalité entre réduction d'activité des moniteurs seniors et activité des jeunes moniteurs diplômés deviendra irréfutable et garantira le caractère « approprié » et « nécessaire » d'un dispositif conçu pour atteindre « l'objectif légitime » d'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômés. Ce dispositif ne pourra donc pas être détourné de son objectif de solidarité intergénérationnelle.

c) Un dispositif que les écoles de ski locales n'ont nullement l'obligation de mettre en place

Enfin, il importe de souligner que la proposition de loi prévoit seulement que les écoles de ski « peuvent » et non « doivent » instituer un dispositif de réduction d'activité des moniteurs seniors. Ce dispositif restera donc facultatif pour les écoles de ski et son application sera décidée au cas par cas par cas au niveau local.

Certaines écoles de ski de petites stations, au volume d'activité réduit et qui n'ont aucune difficulté à insérer des jeunes moniteurs tout en permettant aux moniteurs seniors de poursuivre leur activité sans que celle-ci ne soit réduite, n'auront donc en aucun cas l'obligation de mettre en oeuvre ledit dispositif.

Par contre, si une école de ski souhaite réduire l'activité de ces moniteurs ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite, elle devra impérativement s'inscrire dans le cadre défini par la loi et ne pourra pas imposer aux moniteurs seniors des réductions d'activité allant au-delà des réductions maximales prévues par la loi.

2. Un net rééquilibrage en faveur des seniors, qui va bien au-delà des dispositions du Pacte intergénérationnel de 2012
a) Une réduction d'activité progressive et plafonnée pendant cinq ans à partir de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite

Les dispositions de réduction d'activité des moniteurs adoptées en 2007 par le SNMSF prévoyaient pour les moniteurs ayant dépassé l'âge de 61 ans une réduction d'activité en deux temps : de permanents, ils devenaient « renforts vacances » pendant trois ans, puis il n'était plus fait appel à eux par leur école de ski qu'après les « renforts vacances ». En outre, ils ne se voyaient garantir aucune activité minimale leur assurant la possibilité de valider des trimestres d'assurance retraite. Un tel dispositif apparaissait très défavorable à l'activité des seniors.

Le Pacte intergénérationnel de 2012 a marqué un net progrès en organisant une réduction d'activité en trois temps :

- de 62 ans à 65 ans, le moniteur passait du statut de « permanent » à celui « d'occasionnel » mais bénéficiait d'une attribution de cours par l'intermédiaire de l'ESF en fonction des besoins de celle-ci, pour lui permettre de valider a minima deux trimestres d'assurance vieillesse au titre de chaque saison ;

- de 65 ans révolus à 67 ans, il devenait « moniteur occasionnel renfort vacances » mais bénéficiait toujours d'une attribution de cours par l'intermédiaire de l'ESF pendant les périodes de vacances scolaires, pour lui permettre de valider a minima deux trimestres d'assurance vieillesse au titre de chaque saison.

- au-delà de 67 ans, il n'était plus fait appel à lui par son école de ski qu'après les « moniteurs occasionnels renfort vacances ».

Bien que constituant une indéniable amélioration, ce dispositif demeurait malgré tout trop peu protecteur pour les seniors et ne permettait pas d'encadrer précisément la réduction d'activité des moniteurs de ski devenus « occasionnels » et « occasionnels renfort vacances ».

C'est pourquoi la proposition de loi, reprenant la démarche de réduction d'activité des moniteurs de ski seniors en trois temps prévue par le Pacte intergénérationnel de 2012, plafonne la réduction d'activité pour les deux premières périodes en prévoyant, dans un souci de proportionnalité du dispositif, que :

- pour les moniteurs ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite souhaitant poursuivre leur activité, la réduction ne peut excéder, pendant une période initiale de trois années, 30 % de l'activité à laquelle ils pouvaient normalement prétendre en fonction des règles de répartition établies par l'école de ski ;

- pour les moniteurs ayant exercé leur activité durant trois années au-delà de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite souhaitant poursuivre leur activité, la réduction ne peut excéder, pendant les deux années suivantes, 50 % de l'activité à laquelle ils pouvaient normalement prétendre en fonction des règles de répartition établies par l'école de ski.

Pour la troisième période, la proposition de loi prévoit qu'il pourra être fait appel aux moniteurs ayant exercé leur activité durant cinq années au-delà de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite souhaitant poursuivre leur activité « en tant que de besoin ».

L'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite est fixé à 62 ans à partir du 1 er janvier 2017 par l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale (soit à partir de la génération née en 1955). La proposition de loi visant l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite en application de l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale comme âge à partir duquel peut être mis en place dans les écoles de ski le dispositif de réduction en trois temps de l'activité des moniteurs seniors, cet âge serait naturellement susceptible de ne plus être 62 ans si ledit article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale venait à être modifié lors d'une nouvelle réforme des retraites.

Afin que les dispositions de la proposition de loi ne puissent en aucun cas être moins favorables aux moniteurs seniors que le Pacte intergénérationnel de 2012 , son article 3 prévoit des dispositions transitoires pour que le dispositif de réduction d'activité ne puisse concerner les moniteurs seniors qu'à partir de 62 ans et non avant 62 ans pour les générations nées avant 1955 15 ( * ) .

Au total, et en l'état actuel de la législation sur les retraites, la proposition de loi prévoit donc que les écoles de ski ne pourront réduire l'activité à laquelle pouvaient normalement prétendre, en fonction des règles de répartition qu'elles établissent, les moniteurs seniors lorsqu'ils étaient encore « permanents » :

- de plus de 30 % , lorsque lesdits moniteurs auront entre 62 et 65 ans ;

- de plus de 50 % lorsque lesdits moniteurs auront entre 65 et 67 ans.

Les moniteurs de ski dont l'âge est compris entre 62 et 67 ans se voient donc garantir par la loi, s'ils souhaitent poursuivre leur travail, un niveau d'activité minimal - et donc de revenu minimum - relativement important, afin qu'ils ne soient pas placés dans une situation de précarité . Ce n'est qu'après 67 ans que les moniteurs passeront au statut de simples renforts en période de vacances scolaires.

b) La garantie pour les moniteurs seniors de pouvoir valider au moins deux trimestres d'assurance vieillesse par an pendant cinq ans

A l'instar du Pacte intergénérationnel de 2012, la proposition de loi prévoit expressément que les moniteurs ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite souhaitant poursuivre leur activité bénéficieront d'un nombre d'heures de cours suffisant pour valider au moins deux trimestres d'assurance vieillesse par an dans leur régime de retraite de base . La validation de deux trimestres d'assurance vieillesse correspond à un bénéfice minimum de 3 600 euros (ce qui correspond approximativement à un chiffre d'affaires de 7 200 euros par saison).

Dans son arrêt du 30 septembre 2013, la Cour d'appel de Grenoble avait considéré que cette possibilité de valider deux trimestres d'assurance vieillesse atténuait les désavantages présentés par la réduction d'activité et contribuait ainsi à l'exigence de proportionnalité des moyens à employer pour satisfaire l'objectif d'insertion professionnel des jeunes moniteurs diplômés.

c) La sanctuarisation de la clientèle personnelle des moniteurs de ski seniors

En tant que travailleurs indépendants, les moniteurs de ski sont libres de travailler avec leur clientèle personnelle . Les moniteurs seniors ont naturellement pu se constituer une telle clientèle au cours de leur carrière. La proposition de loi réaffirme solennellement que le dispositif de réduction d'activité que pourront mettre en place les écoles de ski ne concernera en aucun cas l'activité des moniteurs de ski sollicités directement à titre personnel par la clientèle.

Elle prévoit en outre que le dispositif de réduction d'activité ne pourra pas non plus concerner l'activité des moniteurs de ski seniors sollicités à titre personnel par la clientèle par l'intermédiaire de l'école de ski auxquelles ils appartiennent .

La réduction d'activité ne pourra donc bien porter que sur l'activité répartie par les écoles de ski entre les moniteurs sans que la clientèle n'ait sollicité un moniteur de ski particulier.

3. L'avis favorable du Défenseur des droits

Soucieux de garantir l'absence de tout caractère discriminatoire du dispositif de réduction d'activité des moniteurs seniors mis en place par la présente proposition de loi, votre rapporteur a sollicité le Défenseur des droits afin que celui-ci rende un avis sur ce texte. Par courrier en date du 2 mai 2014 (voir Annexe II), celui-ci « relève tout d'abord que cette initiative parlementaire permettra de sécuriser ce dispositif en lui conférant une base légale, dans la mesure où l'Etat est seul compétent pour instituer une différence de traitement fondée sur l'âge , sous réserve que celle-ci soit justifiée par un objectif légitime et que les moyens de réaliser celui-ci soient appropriés et nécessaires. Par ailleurs, il observe que l'intégration des jeunes moniteurs est en soi un objectif légitime et que le principe d'un encadrement de la réduction d'activité (garantie de pouvoir valider deux trimestres par saison minimum ) est de nature à éviter une disproportion excessive aux dépens des moniteurs les plus âgés ».

En conclusion, le Défenseur des droits estime que « le cadre général ainsi défini n'apparaît pas comme caractérisant une discrimination prohibée au regard du droit communautaire et des dispositions nationales dans le domaine de la lutte contre les discriminations ».


* 15 Depuis le 1 er juillet 2011, l'âge légal de départ en retraite est relevé progressivement à 62 ans. Il est de 61 ans et deux mois pour les personnes nées en 1953, de 61 ans et sept mois pour celles nées en 1954 et de 62 ans pour celles nées en 1955 et au-delà.

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