EXAMEN EN COMMISSION
M. Michel Delebarre , rapporteur . - Nous sommes saisis en deuxième lecture de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon. La conférence des présidents de ce soir devrait inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat mercredi 26 février au soir. En effet, bien que la procédure accélérée ait été engagée, le Gouvernement n'a pas demandé la réunion d'une commission mixte paritaire.
Je vous indique tout de suite que je vous proposerai un vote conforme pour cette deuxième lecture. Les échanges approfondis que j'ai pu mener avec mon homologue de l'Assemblée nationale, Jean-Michel Clément, très ouvert à la discussion, et avec le Gouvernement, ont permis d'aboutir à l'issue des travaux de l'Assemblée nationale en séance, le 4 février dernier, à un texte tout à fait proche des préoccupations du Sénat et ne remettant en cause aucune de ses positions. Je ne peux que m'en féliciter.
Honnêtement, ce texte me semble satisfaisant en l'état. D'ailleurs, aucun amendement n'a été déposé pour la réunion de ce matin et je n'envisage pas de vous en soumettre pour la séance publique...
Je vous rappelle que ce texte tire son origine d'une proposition de loi déposée par notre collègue Richard Yung le 30 septembre 2013, elle-même reprenant pour l'essentiel le texte de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon déposée par notre ancien collègue Laurent Béteille, tel que notre commission l'avait adopté le 12 juillet 2011, sans que ce texte puisse être inscrit à l'ordre du jour du Sénat.
Avant de présenter les modifications apportées au texte par l'Assemblée nationale, permettez-moi de faire le point sur la question des « semences de ferme ». Comme lors des débats en séance au Sénat, cette question a quelque peu détourné les débats de l'Assemblée nationale de l'objet même du texte, qui consiste à renforcer les moyens de la lutte contre le phénomène de la contrefaçon, en harmonisant et en améliorant les procédures existantes, dans le respect du cadre fixé par le droit communautaire.
Je rappelle qu'en aucun cas ce texte ne modifie le fond du droit applicable aux obtentions végétales et à la dérogation prévue pour les semences de ferme. Je rappelle également que le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, adopté par l'Assemblée nationale le 14 janvier, doit être examiné en avril par le Sénat : c'est le texte idéal pour ceux qui souhaitent avoir un débat sur les semences de ferme.
Cependant, afin de répondre aux inquiétudes - infondées je le répète - qui ont su s'exprimer quant aux conséquences de ce texte sur la possibilité pour les exploitants agricoles de recourir aux semences de ferme, l'Assemblée nationale a accepté, avec l'accord du Gouvernement, deux amendements précisant que les semences de ferme ne constituent pas des contrefaçons et ne peuvent pas faire l'objet de la procédure de retenue douanière et de destruction simplifiée. Ces amendements ne remettent heureusement pas en cause la logique du texte.
J'en reviens à présent à l'objet réel du texte, c'est-à-dire les moyens de la lutte contre la contrefaçon.
Sur 21 articles en navette, 8 articles ont été adoptés conformes par l'Assemblée nationale. Il s'agit des articles 9, 10, 14, 15, 16, 16 bis, 17 et 18.
Je rappelle que l'article 16 bis a été introduit par notre commission, en vue d'instaurer une obligation de formation continue pour la profession de conseil en propriété industrielle.
S'agissant plus particulièrement de l'article 16, qui vise à aligner sur le délai de droit commun de cinq ans les délais de prescription en matière civile figurant dans le code de la propriété intellectuelle, conformément à la réforme initiée par notre commission à l'initiative de Jean-Jacques Hyest, il a en revanche fait l'objet d'importantes discussions.
En effet, dans un premier temps, sur la proposition de son rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait approuvé le relèvement de trois ans à cinq ans du délai de prescription de l'action civile en matière de contrefaçon, mais elle avait souhaité maintenir à dix ans le délai de prescription de l'action en paiement des sommes recouvrées par les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur lorsque ces sommes n'ont pas pu être versées à un ayant-droit, considérant qu'il s'agissait d'une action en paiement et que la réduction à cinq ans serait moins favorable aux ayants-droits.
Une telle modification remettait évidemment en cause la position défendue par notre commission, attachée à l'alignement sur le délai de droit commun de cinq ans selon une logique d'harmonisation des délais de prescription. Ainsi modifié, cet article constituait la principale divergence entre nos deux assemblées.
Cependant, après discussion, à l'initiative du Gouvernement et avec l'accord du rapporteur de l'Assemblée nationale, l'article 16 a été rétabli en séance publique dans sa rédaction adoptée par le Sénat, de sorte que l'article a été voté conforme.
D'autres articles ont fait l'objet de modifications notables, mais sans dénaturer la portée du texte voté par le Sénat en première lecture.
À l'article 2, destiné à améliorer les dédommagements civils en cas de contrefaçon, l'Assemblée nationale a modifié les modalités de l'indemnisation forfaitaire et apporté des précisions rédactionnelles, sans remettre en cause la position du Sénat visant à écarter tout risque de dommages et intérêts punitifs.
À l'article 5, concernant les conséquences de l'absence d'action civile ou pénale de la part du saisissant à la suite d'une saisie-contrefaçon, l'Assemblée nationale a préféré s'en tenir à l'état actuel du droit en matière de propriété industrielle, c'est-à-dire l'annulation de l'ensemble des opérations de saisie-contrefaçon, saisie réelle comme saisie descriptive, plutôt que de suivre la voie intermédiaire adoptée par le Sénat d'une mainlevée de la seule saisie réelle, permettant à la saisie descriptive de demeurer valable dans la perspective d'une éventuelle action ultérieure devant la justice. Suivant la logique d'harmonisation du texte, l'Assemblée nationale a cependant aligné la procédure prévue en matière de propriété littéraire et artistique, douteuse d'ailleurs d'un point de vue constitutionnel, sur celle prévue en matière de propriété industrielle.
Il s'agit d'une question de conciliation entre les droits de la défense, dans le cadre d'une procédure quelque peu exorbitante, et l'efficacité de l'action des personnes victimes de contrefaçon. La solution adoptée par le Sénat faisait l'objet d'appréciations partagées chez les professionnels concernés, tandis que la solution de l'Assemblée nationale a au moins le mérite de s'en tenir au droit en vigueur...
L'article 13, vous vous en souvenez peut-être, instaure une obligation de transmission aux douanes des données relatives aux colis transportés par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, à des fins de contrôle par la mise en place de traitements automatisés de ces données. Ce dispositif est très contesté par les entreprises concernées.
L'Assemblée nationale a poursuivi la démarche d'encadrement du dispositif engagé par le Sénat sur ma proposition, au nom du principe de proportionnalité et de l'exigence de protection des données personnelles. En particulier, la collecte des données relatives aux personnes concernées par les colis a été supprimée, ce qui constitue une garantie importante pour la protection de la vie privée. En outre, le dispositif est expressément soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Le délai de conservation des données est fixé à deux ans par la loi.
S'agissant de l'exclusion des envois domestiques de ce dispositif, c'est-à-dire envoyés en France à destination de la France, exclusion votée par le Sénat pour assurer une meilleure proportionnalité du dispositif, l'Assemblée nationale a estimé qu'elle posait une difficulté au regard du principe de non-discrimination et du principe de libre circulation des marchandises dans l'Union européenne.
Seuls seraient exclus du dispositif les envois en provenance ou à destination des États extérieurs à l'Union européenne, car ils sont déjà couverts par une obligation européenne similaire de transmission de données.
Enfin, concernant l'article 20, relatif à l'application du texte dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, les échanges avec le rapporteur de l'Assemblée nationale ont permis de parvenir à une rédaction conforme aux textes organiques fixant les statuts des collectivités ultramarines concernées et à la répartition des compétences entre l'État et ces collectivités.
Dans ces conditions, dès lors que les positions prises par le Sénat en première lecture n'ont pas été remises en cause par l'Assemblée nationale, qui a partagé les finalités comme les modalités de ce texte, je vous propose d'adopter cette proposition de loi sans modification et de proposer au Sénat un vote conforme la semaine prochaine.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Au-delà du débat sur les semences de ferme qui a beaucoup agité nos deux assemblées, je tiens à vous rappeler que ce texte a des effets sur des dizaines de milliers d'emplois. Aussi je vous invite à suivre la proposition du rapporteur afin que ce texte devienne applicable le plus rapidement possible.
M. Jean-Jacques Hyest . - Notre commission s'est penchée sur le sujet de la contrefaçon, et tout particulièrement sur la question de l'indemnisation, qui était insuffisante, depuis de nombreuses années avec la mission de MM. Béteille et Yung qui a abouti à la proposition de loi que nous examinons. Je me félicite que l'Assemblée nationale nous ait finalement rejoint sur l'article 16 relatif aux délais de prescription, car il aurait été dommage de jeter à bas le travail d'harmonisation que nous avons réalisé par le passé. On pourrait probablement peaufiner encore ce texte mais l'important est qu'il entre rapidement en vigueur. Nous rejoignons donc la position du rapporteur.
La commission adopte la proposition de loi sans modification.