B. LE POIDS CROISSANT DU CRÉDIT D'IMPÔT RECHERCHE

Seul le crédit d'impôt recherche (CIR) - intégrant, dans une perspective élargie, le crédit d'impôt en faveur de l'innovation (CII) - contribue, en tant que tel, au financement public de la recherche, et ce de manière substantielle . Son coût est estimé à 5,8 milliards d'euros en 2014 64 ( * ) - ce qui en fait la deuxième dépense fiscale après le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - ; pour autant, il ne faut pas perdre de vue le fait que le CIR a été sans cesse sous-évalué au cours des dernières années.

1. La sous-estimation récurrente du CIR

Depuis la réforme du crédit d'impôt recherche (CIR) dans le cadre de la loi de finances pour 2008 65 ( * ) , qui a intégré à l'assiette du dispositif l'ensemble des dépenses de recherche et non plus seulement l'accroissement de ces dernières, le coût de celui-ci n'a cessé de croître au-delà des anticipations . Lors de la réforme, le Gouvernement évaluait le « surcoût » à 1,3 milliard d'euros, ce qui devait porter le coût du CIR à 2,7 milliards d'euros environ en régime de croisière. Toutefois, il est rapidement apparu que cette prévision était insuffisante, le coût du CIR atteignant 6,2 milliards d'euros en 2009.

Il faut néanmoins noter que le CIR a été mobilisé en 2008 et 2009 dans le cadre du plan de relance ; les entreprises pouvaient, en effet, obtenir le remboursement du crédit d'impôt dès la première année si celui-ci était supérieur à l'impôt dû - alors même que ce remboursement n'intervient, normalement, qu'à l'issue de la quatrième année. Cette mesure, reconduite en 2010, explique la forte augmentation du coût du CIR sur la période 2008-2010 (celui-ci a atteint 6,2 milliards d'euros en 2009 et 4,9 milliards d'euros en 2010 66 ( * ) ).

Pour autant, le tableau ci-après fait apparaître que le coût du CIR a été systématiquement sous-estimé au cours de la période 2010-2012, à hauteur de près de 40 % en moyenne 67 ( * ) (cf. tableau ci-après).

Par ailleurs, la réduction du coût du CIR qui semble se dessiner sur la période 2011-2013 par rapport aux années 2009 et 2010 s'explique essentiellement par les effets de la « purge » des créances de crédit d'impôt survenues dans le cadre du plan de relance.

Tableau n° 14 : Estimation du coût du CIR en loi de finances

(en millions d'euros)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

PLF pour 2009

1 000

1 390

2 010

PLF pour 2010

1 500

5 800

4 000

PLF pour 2011

6 200

4 500

2 100

PLF pour 2012

4 900

2 275

2 300

PLF pour 2013

3 070

2 850

3 350

PLF pour 2014

3 370

4 050

5 800

Source : commission des finances du Sénat (à partir des annexes « Voies et moyens » aux projets de loi de finances mentionnés)

À compter de 2014, quatre années se seront écoulées depuis la fin de la mesure générale de remboursement anticipé du CIR prévue par le plan de relance ; aussi le coût du dispositif devrait-il augmenter de nouveau .

2. Le coût élevé du CIR en 2014

Ainsi que cela était indiqué précédemment, le coût du crédit d'impôt recherche (CIR) est évalué à 5,8 milliards d'euros en 2014, voire à près de 6 milliards d'euros s'il est tenu compte du volet « CII » du dispositif . Aussi, à compter de l'année prochaine, le coût du CIR, dépense fiscale finançant la recherche privée, excéderait les dotations budgétaires allouées aux trois principaux organismes de recherche publique , à savoir le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national d'études spatiales (CNES) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; en effet, celles-ci s'élèveraient à 5,7 milliards d'euros ( cf . infra ).

Ce constat interpelle d'autant plus que les dotations finançant la recherche publique stagneraient en 2014, alors que la dépense fiscale finançant la recherche privée devrait augmenter de 1,75 milliard d'euros.

Néanmoins, dans le rapport précité sur le crédit d'impôt recherche, la Cour des comptes a estimé « qu'à l'horizon 2014, la créance sera a minima de 5,5 Md€ et pourrait atteindre 6,2 Md€ » 68 ( * ) .

En effet, cette dernière considère qu'à partir de 2014, « quatre années de dispositifs post-plan de relance seront écoulées et les entreprises pourront obtenir le remboursement de leurs créances non imputées sur l'impôt sur les sociétés des exercices précédents. Ce sera donc dans le projet de loi de finances pour 2014 que, pour la première fois depuis la fin du plan de relance, la dépense fiscale correspondra à l'équivalent de 100 % de la créance constituée par les entreprises » ( cf . tableau ci-après).

Tableau n° 15 : Passage de la créance à la dépense fiscale

Dépense fiscale

Millésime de créance

2011

2012

2013

2014

2010

45,38 %

8,2 %

8,2 %

38,22 %

2011

45,38 %

8,2 %

8,2 %

2012

45,38 %

8,2 %

2013

45,38 %

Dépense fiscale (en % de créance)

45,38 %

53,58 %

61,78 %

100 %

Source : Cour des comptes (2013)

L'évaluation du coût du crédit d'impôt par la Cour des comptes au titre de l'exercice 2014 est très proche de celle retenue par votre rapporteur spécial dans le cadre de son rapport d'information sur le CIR 69 ( * ) qui estimait que le coût de ce dernier serait compris entre 5 et 6 milliards d'euros en 2014 .

Dans ces conditions, la prévision relative au coût du crédit d'impôt recherche proposée par le Gouvernement pour l'année 2014 ne paraît pas manifestement sous-estimée ou, du moins, permet d'envisager un écart entre la prévision et l'exécution moins importante que par le passé. Aussi est-ce plutôt l'évolution à moyen et long termes qui pose réellement question à ce jour.

3. L'évolution future du coût du CIR

Dans son rapport sur le crédit d'impôt recherche (CIR) précité, votre rapporteur spécial a posé l'hypothèse que le coût du dispositif, après avoir atteint 5-6 milliards d'euros en 2014, évoluerait comme le produit intérieur brut (PIB). Dans ces conditions, le coût du CIR s'établirait entre 6,2 milliards d'euros et 7,4 milliards d'euros en 2020 70 ( * ),71 ( * ) (soit entre 0,2 et 0,3 point de PIB).

Toutefois, cette projection part de l'hypothèse que les entreprises ne tireraient pas meilleur parti, à l'avenir, du dispositif - afin d'intégrer une part croissante de leur dépense intérieure de recherche et développement (DIRDE) - et que le taux de dépense intérieure de recherche des entreprises sur PIB resterait stable.

Tenant compte de ces deux éléments, la Cour des comptes a également procédé à des projections d'évolution du coût du CIR :

Dans le cadre de l'instruction conduite par la Cour en 2012, il a été demandé à la direction générale pour la recherche et l'innovation de fournir les éléments permettant d'estimer ce que serait la créance de CIR si les entreprises présentaient au CIR l'équivalent des dépenses qu'elles déclarent dans l'enquête sur leurs dépenses de R&D éligibles au crédit d'impôt.

Par ailleurs, deux projections ont été établies pour estimer la dynamique potentielle du CIR en cas de réalisation totale ou partielle de l'objectif de Barcelone. En cas d'atteinte de l'objectif de Barcelone, soit un ratio de 2 % de dépenses de R&D des entreprises dans le PIB, la créance de CIR s'établirait entre 9,7 et 13 Md€ 2010 , avec une valeur médiane estimée à 11 Md€ 2010 , soit 0,6 point de PIB. Dans l'hypothèse d'un ratio de dépenses de R&D des entreprises sur PIB de 1,6 %, soit la réalisation de la moitié de l'objectif fixé, le coût du CIR se situerait entre 8 Md€ 2010 et 10,6 Md€ 2010 , avec une hypothèse médiane à 9 Md€ 2010 , soit 0,5 point de PIB 72 ( * ) .

À titre indicatif, en retenant la clef de passage de la créance à la dépense fiscale précisée supra , si le niveau de la créance de CIR approchait progressivement 10 milliards d'euros à l'horizon 2020, le coût du dispositif serait proche de 8 milliards d'euros par an à cette échéance 73 ( * ) .

4. Vers une nécessaire maîtrise du coût du CIR

Votre rapporteur spécial estime que le crédit d'impôt recherche (CIR) constitue un dispositif particulièrement utile pour renforcer les dépenses privées de recherche ; à cet égard, il ne fait aucun doute, selon lui, que la part de la recherche privée dans le PIB aurait reculé au cours des dernières années en l'absence de ce crédit d'impôt. En effet, celui-ci a permis de stabiliser l'effort de recherche en France alors même que la part de l'industrie - plus intensive que les services en recherche - dans la valeur ajoutée a reculé, comme a baissé la part présentée par l'industrie dans le CIR, de 69 % à 61 % entre 2008 et 2011 74 ( * ) .

Malgré tout, il considère que le CIR est encore perfectible et que son coût doit être maîtrisé . Eu égard à l'augmentation dynamique du coût de ce dispositif, il lui paraît peu opportun de le « cristalliser » avant même qu'il ait pu être amélioré.

Comme votre rapporteur spécial l'avait indiqué dans son rapport d'information sur le crédit d'impôt recherche 75 ( * ) , sans remettre en cause le dispositif, une réforme structurelle de ce dernier devrait être engagée afin de « supprimer l'effet d'aubaine pour les grandes entreprises [et] réorienter le dispositif vers les PME » . À cette fin, il proposait, d'une part, d'instaurer un barème à taux multiples, étant entendu que le taux serait plus élevé pour les PME et les ETI et minoré pour les grandes entreprises et, d'autre part, de supprimer le seuil de 100 millions d'euros de dépenses de recherche au-delà duquel le taux du crédit est ramené de 30 % à 5 %. En effet, un taux aussi faible a vraisemblablement peu effet incitatif 76 ( * ) ; c'est pourquoi il serait préférable de supprimer ce mécanisme de seuil pour soumettre l'ensemble des dépenses de recherche des grandes entreprises à un taux uniforme, conformément à la logique qui vient d'être décrite.

En tout état de cause, dans l'attente d'une réforme approfondie du CIR, votre rapporteur spécial propose de supprimer le bénéfice du crédit d'impôt pour les dépenses au-delà de 100 millions d'euros , ce qui permettrait de réduire le coût du dispositif de près de 800 millions d'euros 77 ( * ) et contribuerait à la maîtrise du coût du CIR.

Dans la mesure où le taux de 5 % constitue un effet d'aubaine pour les grandes entreprises, il paraît peu pertinent de mobiliser une telle somme alors qu'il conviendrait, comme l'a déjà souligné votre rapporteur spécial, de consolider les mesures en faveur de la recherche et de l'innovation des PME et des ETI ainsi que le financement par crédits budgétaires de la recherche . Ainsi, serait assuré un meilleur équilibre entre financement de la recherche privée, par les dépenses fiscales, et financement de la recherche publique, par les dotations budgétaires 78 ( * ) .


* 64 Près de 6 milliards s'il est également tenu compte du CII.

* 65 Cf . article 69 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008.

* 66 Les montants évoqués comprennent aussi bien les imputations que les restitutions au titre du crédit d'impôt recherche (CIR).

* 67 Sont comparées les estimations du coût du CIR pour l'année n retenues dans le cadre du projet de loi de finances pour l'année n et celles apparaissant pour la même année n dans le projet de loi de finances pour l'année n+2 .

* 68 Cour des comptes, septembre 2013, op. cit.

* 69 Rapport d'information n° 677 (2011-2012) sur le crédit d'impôt recherche (CIR) fait par Michel Berson au nom de la commission des finances.

* 70 En retenant une hypothèse de croissance en valeur du PIB de 3,4 % en 2015 puis de 3,7 % par an entre 2016 et 2020.

* 71 Soit entre 5,6 milliards d'euros et 6,7 milliards d'euros constants 2014.

* 72 Cf . Cour des comptes, septembre 2013, op. cit.

* 73 Dans le cadre de cette estimation, les montants sont exprimés en euros constants 2010, à l'instar de ce que fait la Cour des comptes dans les travaux cités.

* 74 L'industrie représente 11,5 % du PIB en France, contre 21,5 % en Allemagne.

* 75 Cf . rapport d'information n° 677 (2011-2012) fait par Michel Berson, op. cit.

* 76 A titre de rappel, en 2007, la direction générale du Trésor avait estimé que le taux qui créait l'effet de levier le plus fort était de 15 %.

* 77 Cf . rapport d'information n° 677 (2011-2012) fait par Michel Berson, op. cit.

* 78 Il convient de noter que le coût total des dépenses fiscales rattachées aux programmes « Recherche », soit 6,6 milliards d'euros en 2014, s'approche de la moitié de l'enveloppe des crédits dédiés à la recherche au sein de la MIRES, soit 7 milliards d'euros.

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