III. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES, SUR LE PACTE NATIONAL POUR LA CROISSANCE, LA COMPÉTITIVITÉ ET L'EMPLOI (5 NOVEMBRE 2013)
Réunie le mardi 5 novembre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur le bilan du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi.
M. Philippe Marini, président . - Il y a un an, une série de mesures dites « Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi » nous étaient présentées, avec huit leviers d'action et trente-cinq mesures, dont la plus significative était le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), annoncé par Louis Gallois, repris par le Gouvernement et adopté à l'occasion du collectif budgétaire fin 2012.
La Banque publique d'investissement, dite Bpifrance, a ensuite été créée, puis un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA) a été annoncé cet été. Soit dit en passant, il serait sans doute utile que vous nous parliez de son financement. En effet, 12 milliards d'euros d'investissements supplémentaires, c'est bien - et certains y verront un satisfecit à l'égard de la méthode qui avait été utilisée par le Gouvernement de François Fillon - mais même s'il ne s'agit pas d'une dépense susceptible d'affecter significativement le solde public dit maastrichien, c'est l'emprunt qui assure le financement des engagements qui sont ou seront pris. Le Premier ministre a évoqué des recettes de privatisation : pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Je reviens aux suites données au CICE, sans doute ce que le Premier ministre a appelé hier une « nouvelle donne pour l'innovation », annonce dont vous aurez à coeur de faire ressortir la cohérence devant notre commission des finances.
Pour terminer cette présentation, je rappellerais que nous vivons une conjoncture économique dans laquelle les tensions les plus vives sur l'euro semblent être apaisées. Il n'en reste pas moins que, par rapport à des pays situés hors zone euro et à l'exception de l'Allemagne, nous devons constater que la plupart des pays de la zone euro connaisse une situation économique et d'emploi décevante.
Au regard de cette conjoncture, que peut-on dire des mesures annoncées l'an dernier - et de celles annoncées depuis lors - pour nous permettre d'engager cette session budgétaire dans des conditions un peu plus confiantes en ce qui concerne la compétitivité de nos entreprises ?
Comme vous le voyez, monsieur le ministre, la commission des finances est au complet, ce qui témoigne de ses incertitudes et de son besoin d'information.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances . - Merci pour votre accueil. Cette audition tombe le jour même du premier anniversaire de la remise du rapport Gallois au Premier ministre, rapport suivi dès le lendemain par l'annonce par le Gouvernement du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi qui reprenait la quasi totalité des propositions de Louis Gallois. Avec Arnaud Montebourg, Fleur Pellerin et Geneviève Fioraso, j'accompagnais hier le Premier ministre à Saint-Étienne pour fêter cet anniversaire.
Vous avez évoqué, monsieur le Président, la situation économique en Europe. D'après la Commission européenne, huit pays de la zone euro seront en récession cette année et seulement deux l'année prochaine. Les prévisions de croissance de la France sont validées : 0,2 %, au lieu des 0,1 % que nous avions annoncés. Avant l'été, la même Commission européenne prévoyait - 0,1 % pour notre pays et les économistes - 0,3 %. Certes, notre croissance a été heurtée : après un bon deuxième trimestre, le troisième l'a moins été tandis que l'activité repart au dernier trimestre, notamment le marché de l'automobile, avec Renault, mais aussi PSA qui tirent leur épingle du jeu. Le Commission européenne prévoit, comme le Gouvernement, 0,9 % de croissance pour 2014 et 1,7 % en 2015, ce qui permettra d'inverser durablement la courbe du chômage. Ces chiffres valident une stratégie européenne et nationale. Il y a encore un an, certains se demandaient si l'euro allait survivre, si la Grèce et Chypre allaient sortir de la zone euro. Les décisions prises par plusieurs États européens ont permis d'apaiser les tensions et la Banque centrale européenne a garanti la pérennité de l'euro, notamment lorsque son président, Mario Draghi, a dit qu'elle sauverait l'euro quoi qu'il arrive.
En 2013, la France a fait mieux que la zone euro ; elle devrait retrouver en 2014, mais surtout en 2015, une croissance plus soutenue. Vous avez évoqué des pays hors zone euro : la Grande-Bretagne connait effectivement des taux de croissance spectaculaires, mais elle part d'un point beaucoup plus bas que la France.
Nous réduisons notre déficit de manière constante : en 2011, il était de 5,3 % et il eut été à nouveau du même montant en 2012 si nous n'avions pas pris les mesures d'ajustement nécessaires, ce qui nous a permis de le ramener à 4,8 %. En 2013, le déficit sera de 4,1 % et l'année prochaine, dans une fourchette comprise entre 3,6 % et 3,8 %. En 2015, nous serons en-dessous de 3 %. Si la Commission européenne estime à cette date notre déficit à 3,7 %, c'est qu'elle ne tient pas compte des mesures d'ajustement supplémentaires prévues pour 2015.
J'en arrive au Pacte de compétitivité, qui est l'acte économique fondateur de notre politique économique. Le Pacte part du constat de la perte de compétitivité de la France, qu'évoquait déjà François Hollande lorsqu'il était candidat. En juin 2012, lors du débat d'orientation sur les finances publiques, j'avais dit nos inquiétudes à ce sujet. Partant du rapport Gallois, nous avons défini des voies d'action pour redresser la compétitivité française. Je suis persuadé qu'il est possible de renforcer notre tissu productif grâce à une insertion harmonieuse dans les échanges mondiaux grâce à une compétitivité positive et pérenne basée non pas sur l'écrasement des salaires et le moins disant social mais sur l'investissement, l'innovation et la productivité.
Je participais hier soir à un débat à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, en présence de Louis Gallois. Il nous disait qu'il faut miser sur l'innovation et la montée en gamme et non sur l'austérité. Je fais mienne cette formule.
Depuis un an, le cadre fiscal est favorable à l'investissement et à l'innovation des entreprises, le marché du travail a été réformé, la règlementation a été améliorée et le financement de l'économie répond aux besoins des entreprises en matière d'endettement et de fonds propres. Hier, le Premier ministre a rappelé que le Gouvernement ne faisait pas de cadeaux aux patrons mais qu'il faisait en sorte que les entreprises puissent investir pour embaucher, le but étant d'accroître la productivité globale de l'économie qui a ralenti durant la dernière décennie. Cette politique de l'offre n'est pas exclusive d'une action sur la demande et le pouvoir d'achat, qui s'est d'ailleurs renforcé du fait d'une très faible inflation dans la zone euro. Cette politique permet de réduire les coûts du travail, grâce au CICE, et les coûts de recherche et développement (R&D), grâce à la consolidation et à l'extension du crédit d'impôt recherche.
Pour financer l'économie, l'épargne des entreprises a été réorientée, Bpifrance a été créée et le PEA-PME vous sera proposé à l'occasion du budget pour 2014. Ces politiques s'inscrivent dans la durée afin que les entreprises puissent en tenir compte. La rénovation des structures économiques de notre pays est de grande ampleur et conforte notre modèle social. Louis Gallois avait demandé la sanctuarisation de certains dispositifs fiscaux, dont le crédit d'impôt recherche (CIR).
Le Pacte de compétitivité est donc un choix politique, qu'aucun précédent Gouvernement n'avait osé. La compétitivité des entreprises, c'est l'intérêt de la France, l'intérêt de sa jeunesse.
La très grande majorité des 35 mesures du Pacte a été mise en oeuvre. Le CICE est la mesure phare et son utilisation est totalement transparente. Un comité de suivi partenarial permet d'informer la représentation nationale. Son rapport préliminaire montre que la montée en puissance du dispositif a été rapide : le taux de recours devrait être de 97 % l'an prochain et les entreprises s'approprient le dispositif, n'en déplaise à ceux qui estimaient le CICE trop complexe. Les premiers travaux d'évaluation confirment qu'une part importante du CICE bénéficie à l'industrie : un débat sur le positionnement du curseur avait eu lieu et nous avions choisi une voie moyenne, en le fixant à 2,5 SMIC. Le dispositif bénéficie à hauteur de 20 % à l'industrie. En outre, l'effet de second tour est loin d'être négligeable : le CICE bénéficie à l'ensemble de l'économie grâce à la baisse du prix des consommations intermédiaires. Aujourd'hui, services et industrie sont étroitement liés. Il serait absurde de les opposer.
Le montant des préfinancements de Bpifrance progresse avec constance. Fin septembre, plus de 10 000 dossiers de préfinancement ont été traités pour un montant de 920 millions d'euros, et la majorité des dossiers provenait de petites entreprises. Ne confondons pas CICE et préfinancements : ces derniers s'adressent aux entreprises qui ont besoin de trésorerie pour bénéficier du CICE. Selon l'Insee, le CICE a permis de créer ou de prévenir la destruction d'environ 30 000 emplois.
Enfin, le rapport du comité de suivi souligne qu'à la suite des consignes qui ont été données, les abus des entreprises donneuses d'ordre sont en passe de disparaître.
Le Pacte porte aussi sur le financement des entreprises : j'ai oeuvré à une mobilisation massive de financements et je garde un bon souvenir des débats que nous avons eus au Sénat tant sur la création de Bpifrance que sur la réforme bancaire.
Bpifrance a accompagné près de 60 000 entreprises durant les neuf premiers mois de l'année ; 1,5 milliard d'euros de trésorerie a été injecté dans l'économie, grâce au préfinancement du CICE, du CIR et du dispositif de trésorerie offert par Bpifrance. Ce fut une bouffée d'oxygène pour nos entreprises, surtout pour les PME. L'encours de crédit aux sociétés françaises non financières est aujourd'hui quasiment stable alors qu'il se contracte dans la zone euro, ce qui témoigne de la relative bonne santé de notre économie. Enfin, nos entreprises se financent à des niveaux historiquement bas, inférieurs à la zone euro. La France n'a pas décroché, n'en déplaise aux Cassandre.
Grâce au Gouvernement, les entreprises ont accès à des sources de financement autres que bancaires. Cette évolution est inéluctable : le système va devenir plus désintermédié. Les entreprises vont devoir sortir de leur relation unilatérale avec les banques. C'est pourquoi nous avons réformé le code des assurances et nous vous proposerons la réforme de l'assurance vie lors du collectif budgétaire.
Concernant l'innovation, nous approfondissons les mesures du Pacte de compétitivité : le projet de loi de finances sera l'occasion de lancer un nouveau plan d'investissements d'avenir (PIA), doté de 12 milliards d'euros. Ce plan sera financé par un versement du budget de l'État vers le compte des opérateurs du Trésor en 2014, ce qui ne modifiera pas le besoin de financement car les décaissements seront étalés dans le temps par la montée en puissance des appels à projet du PIA-II fin 2014. Ce plan sera également financé par une gestion active et responsable du patrimoine de l'État, notamment grâce à des cessions de participation. Le solde sera intégré aux besoins de financement de l'État. L'impact sur les finances publiques sera donc limité grâce à des modes de financement vertueux. Des avances remboursables donneront lieu à des retours financiers qui diminueront le déficit maastrichien. Enfin, des dotations non consommables ont un faible impact. Au total, les subventions seront limitées à 32 % du programme total, soit 4,7 milliards d'euros sur la dette et de 3,8 milliards d'euros sur le déficit.
Avec Daniel Raoul, j'ai lancé à Angers le statut de jeune entreprise innovante (JEI) : les exonérations sont dégressives, maintenues pendant huit ans et le dispositif est étendu aux dépenses d'innovation, ce qui permet de s'approcher du marché, élément essentiel pour les JEI.
Le plan innovation, élaboré par Geneviève Fioraso et Fleur Pellerin, a été présenté hier par le Premier ministre et il comprend quatre objectifs : promouvoir l'innovation pour tous, encourager l'innovation ouverte, mobiliser l'innovation pour la croissance, évaluer les politiques d'innovation publique. L'État continuera à financer l'innovation : le fonds national de l'innovation sera doté de 240 millions d'euros et il financera l'innovation sous toutes ses formes. De plus, 1,1 milliard d'euros sera mobilisé par des fonds de capital-risque spécifiquement dédiés aux entreprises innovantes et de croissance.
Ce Pacte de compétitivité est complet et il commence à porter ses fruits. Rétablir la compétitivité est une entreprise de longue haleine qui va mobiliser le Gouvernement et la représentation nationale dans la durée. Ce Pacte est notre meilleure chance pour l'économie, l'emploi et l'investissement.
M. François Marc, rapporteur général . - Je vous remercie pour cet exposé exhaustif.
Il y a un an, nous avons auditionné Louis Gallois qui nous a présenté son rapport fort intéressant. Le préfinancement du CICE est un succès : l'objectif de Bpifrance était d'atteindre 800 millions d'euros et elle dépasse un milliard d'euros avec 11 200 dossiers traités fin octobre.
Le rapport du comité de suivi porte en partie sur la sectorisation du CICE : faut-il aider davantage l'industrie et les entreprises exportatrices ? Au-delà des chiffres bruts, il faut tenir compte des effets de second tour. Or, l'industrie bénéficie de prestations émanant de sociétés de service en amont. À supposer que l'on veuille recentrer le CICE, le droit européen le permettrait-il ?
Sur huit des dix dernières années, la France se situe devant l'Allemagne en matière d'investissements étrangers, en stock comme en flux. Les investisseurs internationaux estiment donc que la France reste attractive. Les flux d'investissements s'élèvent à 20 milliards d'euros en 2012, en baisse de 8 milliards d'euros par rapport à 2011, mais à 5 milliards d'euros en Allemagne, en baisse de 30 milliards d'euros.
L'Allemagne pourrait instaurer un salaire minimum d'un montant de 8,5 euros par heure, ce qui pourrait avoir des conséquences sur le différentiel de compétitivité entre nos deux pays. Quelle est votre appréciation sur ce point ? Quelles seraient, à première vue, les conséquences de cette mesure sur la compétitivité ? Plus largement, commet pourrait-elle rétroagir sur le débat sur le SMIC européen ?
La décision n° 32 accompagne le développement des PME innovantes, en mobilisant l'achat public. De nouvelles mesures ont été annoncées hier. En quoi ces dispositifs et ces financements spécifiques de corporate venture répondront-ils aux attentes des PME ?
La BPI dispose de 500 millions d'euros pour garantir les crédits de trésorerie des entreprises : ce produit a été plébiscité par les entreprises. Faut-il en déduire que les banques commerciales deviennent plus frileuses ou que la santé des entreprises françaises se dégrade ? La fédération bancaire française nous a dit mardi dernier que la capacité d'intermédiation bancaire était en recul et qu'il fallait s'attendre à des effets pervers à cause de la règlementation européenne.
Les assises de la fiscalité des entreprises se tiendront en 2014. Pourriez-vous préciser de quelle façon le Parlement sera associé à cet important travail ?
M. Philippe Marini, président . - Dans son dernier avis public, le Haut Conseil des finances publiques a estimé que le CICE ne permettrait pas de créer 90 000 emplois, rappelant que les effets d'un crédit d'impôt ne sont pas équivalents à ceux d'un allègement de charges. Que pensez-vous de cette analyse ? Le Gouvernement va-t-il modifier le CICE, pour le transformer en un allègement de charges ?
M. Pierre Moscovici . - Le comité de suivi a démontré que l'industrie et le commerce bénéficiaient tous deux du CICE dont l'objectif est de soutenir à la fois la compétitivité des entreprises et l'emploi. À l'époque, nous nous sommes demandés s'il fallait aller jusqu'à 3,5 SMIC, ce qui aurait eu un effet sur l'industrie, ou descendre à 1,5 SMIC, ce qui aurait avantagé l'emploi. Nous avons voulu viser à la fois l'industrie et les services en fixant le curseur à 2,5 SMIC. Si nous avons besoin d'une industrie forte, n'opposons pas industrie aux services, car nous avons besoin de ces derniers. Aujourd'hui, les industries bénéficient de 20 % du CICE, alors qu'elles ne représentent que 13 % de la valeur ajoutée totale de l'économie. Les entreprises exportatrices perçoivent les deux-tiers du CICE, et si les grandes entreprises exportatrices n'en perçoivent que 10 %, c'est parce que ce chiffre correspond à leur part dans l'emploi marchand total. N'oublions pas non plus les effets de second tour : les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale bénéficient indirectement des baisses des prix dans les secteurs les moins exposés. Enfin, le CICE donne un coup de pouce aux entreprises non exportatrices, ce qui leur permet d'accéder à l'international.
Si le CICE ne doit pas être capté par la grande distribution, je n'envisage pas pour autant de taxer spécifiquement ce secteur. En revanche, nous nous employons à ce que les relations commerciales de la grande distribution avec ses fournisseurs fonctionnent correctement. Je sais que la guerre des prix se poursuit et que des PME agroalimentaires souffrent. Les négociations vont donc se poursuivre pour aboutir à un meilleur équilibre. L'un des objectifs de la loi Hamon est d'ailleurs de fixer des règles du jeu plus claires et de sanctionner plus durement les dérives.
Le pacte de coalition en Allemagne sera signé sans doute d'ici un mois : le SPD voulant instaurer un salaire minimum, les inégalités seront réduites et la demande intérieure sera soutenue. Grace à cette avancée, l'Allemagne pourrait contribuer à réduire les déséquilibres dans la zone euro. Il faut une croissance plus coopérative en Europe entre les pays en situation d'excédents et les autres.
Le préfinancement du CICE a mieux fonctionné qu'attendu. Si Bpifrance a tenu ses objectifs, la mobilisation des banques privées a été plus tardive. Elles devront monter en puissance l'an prochain.
Beaucoup a été fait en faveur des PME innovantes, notamment en matière d'achats publics. Concernant le plan innovation annoncé hier par le Premier ministre, l'objectif est de renforcer le financement des PME de croissance en mobilisant 1,1 milliard d'euros de fonds publics, grâce à deux fonds spécifiques, l'un sur les écotechnologies et l'autre sur le capital développement. Le but est d'amener ces PME à devenir des entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices et innovantes. Nous souffrons d'un déficit en ce domaine.
De nouvelles mesures seront proposées lors du collectif budgétaire pour inciter les grandes entreprises à investir dans les PME qui réalisent 15 % de R&D. Nous souhaitons que le financement des start up augmente de plus de 30 %.
Les assises de la fiscalité devront moderniser la fiscalité des entreprises. Ces assises s'inspireront de celles de l'entreprenariat : il y aura des groupes thématiques présidés par des personnalités qualifiées proches du milieu de l'entreprise. Il faudra impliquer les parlementaires - en premier lieu les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat - dans les groupes de travail et au sein d'un comité de pilotage et de coordination. Ces assises débuteront à la fin de l'année et se dérouleront jusqu'au printemps prochain, afin d'anticiper sur le projet de loi de finances pour 2015.
Je respecte les travaux du Haut Conseil des finances publiques, mais sa tâche principale est de se prononcer sur la trajectoire des finances publiques. Le comité de suivi a dit que ce dispositif avait permis de créer ou d'éviter la destruction de 30 000 emplois. Nous atteindrons donc les 90 000 emplois initialement fixés.
Enfin, le CICE ne sera pas modifié, car il est essentiel que les entreprises sachent à quoi s'en tenir pour les prochaines années. Elles veulent de la lisibilité et de la stabilité, afin de pouvoir investir, de stimuler la croissance et de muscler l'embauche.
M. Éric Doligé . - Avant d'entrer dans cette salle, j'étais pessimiste. Grâce à vous, je ne le suis plus ! Pourtant, un quotidien du soir titre aujourd'hui même : « La France frappée par plus de mille plans sociaux en un an ». Dans mon territoire, les fermetures d'entreprises se multiplient. Lorsque je m'en inquiète, on tente de me rassurer en me disant qu'un délégué au redressement productif veille, et une personne chargée des investissements de plus de trois millions d'euros vient également d'être nommée. Est-il normal que les collectivités soient laissées à l'écart et que tout se traite à Bercy ? Il arrive même que les préfets ne soient pas au courant !
Les entreprises réclament de la stabilité fiscale. Comment s'inscrire dans la durée à cet égard, tant au niveau national que local ?
Vous évoquez la mobilisation des achats publics ; encore faudrait-il que les collectivités territoriales aient les moyens de passer des marchés... Pour l'instant, elles réduisent plutôt leurs investissements.
Les investissements étrangers en France représentent, selon François Marc, 20 milliards d'euros : concernent-ils uniquement l'industrie ou tiennent-ils compte aussi des achats d'immeuble ou du PSG ?
Il y a un écart entre votre discours très volontariste et la réalité. Dans ma région, je n'ai mémoire d'aucun redressement d'entreprise depuis longtemps et aucun responsable de l'État n'est venu assister à l'implantation d'une nouvelle entreprise depuis vingt ans. Je suis surpris de cette nouvelle méthode qui laisse de côté les collectivités territoriales. Si l'on veut avancer, il faut le faire ensemble. J'espère que vos réponses nous remonteront le moral.
M. Edmond Hervé . - Je soutiens totalement votre position. Dans l'agroalimentaire, nous connaissons les voies à suivre pour sortir de la crise : il faut augmenter la valeur ajoutée, ce que beaucoup d'entreprises n'ont pas su faire ; il faut reconstruire des filières, sinon la porte est ouverte à une concurrence effrénée ; il faut enfin tenir compte de tous les acteurs et non seulement des grandes centrales commerciales : l'Allemagne est le pays où le commerce de proximité est le plus développé. Il convient aussi d'identifier en amont les entreprises susceptibles de se développer ou celles pour lesquelles il conviendra de veiller à la succession de l'équipe de direction en cas de transition. Les établissements consulaires ont un rôle à jouer à cet égard. En outre, il est important que les entreprises utilisent les résultats des centres de recherche et d'innovation. Plus les assimilations sont rapides plus le processus est efficace.
L'Allemagne ou les pays nordiques ont basculé une partie de leur fiscalité des entreprises vers les ménages. Où en est-on du rapprochement de la CSG et de l'impôt sur le revenu, qui figurait parmi les engagements du Président de la République ?
Enfin, n'oublions pas les collectivités territoriales, qui représentent 12 à 15 % du PIB. Elles constituent un relais de croissance exceptionnel.
M. Yannick Botrel . - Le déséquilibre dans les relations commerciales entre la grande distribution et l'industrie n'est pas sans lien avec la difficulté des industries agroalimentaires. Il s'agit d'un sujet récurrent. Nous avons été nombreux à le dénoncer lors de la loi de modernisation de l'agriculture, mais en dépit des intentions, on ne constate aucun rééquilibrage probant, malgré la mise en place d'un Observatoire des prix et des marges. En fait, la véritable cause, c'est que la France ne compte que cinq ou six centrales d'achat, contre une centaine en Allemagne. Les fournisseurs ne peuvent résister face à la menace d'un déréférencement. Il semblerait même que les centrales aient trouvé la parade à la suppression des marges arrière. Comment remédier à ce déséquilibre ?
M. Jean Arthuis . - J'ai déposé un amendement lors de l'examen du texte sur la fraude fiscale. Le ministre du budget m'avait assuré qu'il lui donnerait un avis favorable dans le cadre du projet de loi de finances ou du projet de loi de finances rectificative : il s'agit de lutter contre les opérations qui permettent à la grande distribution de percevoir des marges arrière grâce à des officines situées en Suisse ou en Belgique.
Ne serait-il pas souhaitable de fusionner le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale afin de disposer d'une meilleure vision de l'ensemble des finances publiques et des prélèvements obligatoires ? Le niveau de ces derniers crée un risque de délocalisation de l'élevage et de certaines industries agroalimentaires dans l'ouest de la France. En Bretagne, sous couvert de prestations de service internationales, des ouvriers d'Europe de l'Est travaillent dans le bâtiment ou sur des chantiers de travaux publics, mais aussi dans l'agroalimentaire : dans un abattoir de porc à Evron, en Mayenne, le coût horaire d'un ouvrier est supérieur de dix euros à celui d'un ouvrier allemand. Ne faut-il pas cesser de taxer la production, notamment sous forme de charges sociales ? Taxer la production, en effet, c'est encourager la délocalisation ! Pourquoi ne pas substituer à un impôt qui pèse sur la production un impôt sur les produits qui serait neutre quant au lieu de fabrication ?
M. Philippe Marini, président . - La fédération bancaire française craint que l'entrée en vigueur des nouvelles normes européennes et internationales, en matière de solvabilité et de liquidité des banques, n'entraîne une évolution progressive, mais irréversible, du mode de financement de l'économie française, avec une baisse de l'intermédiation bancaire au bénéfice du financement direct des entreprises par le marché. Cette analyse semble implacable. Quelle est la cohérence de la politique fiscale avec cette évolution de fond ? L'imposition des dividendes augmente, le régime fiscal de l'assurance-vie est en cours de réexamen, tandis que la taxe sur les transactions financières s'applique sur les transactions portant sur des actions et non sur d'autres produits financiers. Ne risque-ton pas de créer un biais de compétitivité en défaveur de notre industrie ? Enfin, si nous sommes appelés à participer aux assises portant sur la fiscalité des entreprises, nous ne nous déroberons pas.
M. Pierre Moscovici . - Vous y serez associés ! Aussi bien le groupe de travail que le groupe de pilotage compteront des parlementaires, à commencer par les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances. Le calendrier est en cours de discussion avec les acteurs concernés car on ne peut réformer la fiscalité des entreprises malgré elles.
Je ne suis pas un béni-oui-oui ni un adepte de la méthode Coué. La dérision n'est pas de mise. Il s'agit de sujets sérieux et graves. Tous les élus se battent comme je l'ai fait lorsque j'étais président d'une agglomération frappée par la crise de l'automobile. Je ne cherche pas à insuffler un optimisme béat. Nous avons déployé un éventail de mesures sans précédent qui portent leur fruit. Mais je n'ai pas de baguette magique et les difficultés n'ont pas disparues pour autant. Avec Arnaud Montebourg nous nous efforçons d'apporter des réponses aux plans sociaux, dus à la crise ou à des mutations économiques. J'ai déposé un projet de loi d'habilitation pour simplifier, par voie d'ordonnances, la vie des entreprises : je souhaite réformer le droit des faillites pour augmenter les procédures amiables et limiter les redressements judiciaires, d'une part, et améliorer la situation des créanciers pour inciter les banques à consentir des financements nouveaux en accompagnement des restructurations, d'autre part. Le Gouvernement débloque des crédits. Les commissaires au redressement productif, sous l'autorité de leur ministre, ont vocation à travailler en coordination avec les collectivités territoriales.
En même temps, le Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi a une vocation offensive. Les économistes saluent le rattrapage en matière d'innovation. L'allègement des charges ou le crédit d'impôt ont des effets anticipés. J'assume la paternité du CICE. Cette mesure était nécessaire. Elle doit s'inscrire dans la durée. Si évolution il y a, elle devra l'améliorer non le remettre en cause.
La fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu aurait pour objet d'accroître la progressivité de l'imposition. La progressivité de l'impôt sur le revenu a déjà été renforcée à travers la réforme de l'ISF ou en soumettant les dividendes au barème de l'impôt sur le revenu. Sans doute conviendra-t-il, dans un second temps, de réfléchir à une meilleure harmonisation de la fiscalité des revenus du capital et du travail. Nous reprendrons les réformes dès que la croissance sera revenue. Mais il est aussi nécessaire faire une pause. Les citoyens sont inquiets. Dans l'immédiat, ils veulent de la stabilité.
Je partage votre diagnostic sur l'agroalimentaire : nous devons renforcer les filières, en évitant qu'elles ne soient victimes de la guerre des prix provoquée par la grande distribution. La France compte sept centrales d'achat mais 12 000 fournisseurs. Ce déséquilibre étant systémique, il appartient à l'État d'intervenir. Ainsi, récemment, nous avons gagné trois procès, en appel et en cassation, et les enseignes ont été condamnées pour déséquilibre significatif du fait de conditions imposées à leurs fournisseurs. Il faut aller plus loin. Comme les anglo-saxons qui ont recours au name and shame , nous devons pointer du doigt ces pratiques pour mieux les dénoncer. La loi Hamon renforce les sanctions, avec la création de sanctions administratives en cas de pratiques abusives, et rééquilibre les négociations qui s'engageront sur la base du tarif des fournisseurs.
Monsieur Arthuis, le Gouvernement s'est engagé à réfléchir, avec vous, à une réécriture de votre amendement qui vise à lutter contre l'optimisation fiscale liée aux marges arrière afin de mieux l'articuler avec le droit européen. Il trouvera sa place dans une loi de finances d'ici la fin de l'année. Le ministère du budget y travaillera avec vous.
Lors de leur élaboration, le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale font déjà l'objet d'une coordination accrue. De même, leur présentation souligne leur articulation : l'article liminaire de la loi de finances, nouveauté prévue par la loi organique, présente des données relatives à l'ensemble des administrations publiques ; le rapport économique, social et financier comprend une synthèse des éléments relatifs aux prélèvements obligatoires et de nos engagements européens. Je salue d'ailleurs le travail colossal accompli par les services de Bercy.
Comme vous, nous souhaitons moins taxer les facteurs de production...
M. Jean Arthuis . - Très bien !
M. Pierre Moscovici . - Tel était le but de la taxe sur l'excédent brut d'exploitation. Mais le projet n'était pas mûr. Les assises de la fiscalité sur les entreprises poursuivront le même objectif.
Il n'y a aucune contradiction entre le financement des entreprises et notre politique fiscale. Ainsi la réforme de l'assurance vie vise à réorienter l'épargne vers le financement des fonds propres des entreprises, tout comme le PEA-PME. Nous avons besoin d'un système bancaire solide et mieux régulé. Tel était l'objet de la loi bancaire. Mais nous devons aussi disposer d'un système bancaire compétitif : c'est pourquoi nous avons décentralisé, avec la Caisse des dépôts, 30 milliards d'euros vers le système bancaire pour résoudre les problèmes de liquidité et l'aider à financer les petites et moyennes entreprises. Nous devons adapter les produits d'épargne au financement des entreprises, en assurant à la fois un gain aux assurés et un rendement suffisant aux assureurs. Notre réforme de l'assurance vie est consensuelle ; elle s'appuie sur un rapport parlementaire et sur la concertation avec tous les acteurs. L'évolution vers la désintermédiation n'est pas simplement due à des raisons prudentielles. Les entreprises elles-mêmes souhaitent diversifier leurs modes de financement. Nous devons accompagner le mouvement, même si la part du financement de marché ne sera jamais prépondérante en France.
Donner de l'air à l'économie ne se résume pas à la politique fiscale. J'ai réformé, par exemple, le code des assurances pour permettre aux assureurs d'acheter davantage de dette des entreprises françaises plutôt que de la dette souveraine : cette mesure dégagera 5 à 10 milliards d'euros nouveaux pour les entreprises. Ainsi elles créeront des emplois et nous diminuerons le chômage. Tel est le sens de notre politique de renforcement de la compétitivité et de l'offre productive française.
M. Philippe Marini , président . - Je vous remercie.