EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LA RÉVISION DES LIGNES DIRECTRICES VISE À PALIER LES DÉFAILLANCES DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL
A. LE TRANSPORT AÉRIEN CONNAÎT UNE PROFONDE MUTATION SOUS L'EFFET CONJUGUÉ DE DEUX PHÉNOMÈNES
L'essor du transport aérien intervenu depuis la libéralisation européenne consécutive à l'adoption en 1992 des règlements communautaires du troisième paquet aérien tient avant tout au dynamisme des acteurs du marché. Pour beaucoup de petits aéroports régionaux qui, en raison de l'étroitesse de leur marché, ne disposent pas a priori du potentiel d'attractivité nécessaire, la venue des transporteurs à bas coûts (low cost) passe par la conclusion d'accords destinés à faciliter leur implantation.
1. La montée en puissance des transporteurs à bas coûts
Le marché du transport aérien a évolué de manière spectaculaire ces dernières années : les compagnies aériennes à bas coûts ont mis au point de nouveaux modèles économiques intégrés fondés sur les aéroports régionaux et ont conquis des parts de marché substantielles. En parallèle, les anciennes compagnies nationales doivent, pour la plupart, achever leur processus de restructuration et consolider leur présence en Europe.
En effet, les transporteurs à bas coûts (TBC) constituent un des moteurs de la croissance du trafic aérien court et moyen-courrier . En 2005, les compagnies aériennes à bas coûts détenaient 25 % du marché intra-européen, part qui s'est renforcée pour atteindre 39 % en 2010. S'il n'est tenu compte que des liaisons de point à point, cette part de marché passe à 43 %.
Les grandes compagnies traditionnelles ont du mal à se positionner à des conditions économiquement viables sur les dessertes régionales à potentiel de trafic a priori faible. Leur schéma économique d'exploitation en réseau (« hub »), avec une clientèle d'affaires, n'est pas du tout le même que celui d'une compagnie low cost qui gère un marché global intra européen, avec des liaisons régionales point à point et des rotations courtes.
Dès lors, au moyen de tarifs attractifs et d'efforts de marketing, les compagnies low cost enrichissent leur portefeuille de clients de deux manières :
- elles créent un nouveau trafic en orientant les déplacements des passagers de loisir vers certaines destinations ;
- elles attaquent les positions des compagnies traditionnelles en s'adjugeant une part de leur activité.
Ainsi, au début des années 2000, le marché domestique était encore majoritairement desservi par l'opérateur historique Air France et ses filiales Britair et Regional 1 ( * ) . Cette position dominante a commencé à s'effriter avec l'apparition des compagnies à bas coûts sur ce marché : easyJet (Royaume-Uni) depuis 2002, Ryanair (Irlande) depuis 2008 et plus récemment Vueling (Espagne) en 2011 et Volotea (Espagne) en 2012.
En 2012, les compagnies low cost ont transporté 3,7 millions de passagers contre 2,9 millions en 2011, soit une progression de 30 % sur un an. Sans leur apport, le marché domestique aurait connu une contraction de 1 %, puisqu'il est passé au total de 23,2 à 23,8 millions de passagers entre 2011 et 2012.
Deux compagnies à bas coûts dominent le paysage français : easyJet (81 % du trafic des TBC) et très loin derrière Ryanair (15 % du trafic des TBC). La compagnie britannique easyJet exploite des vols domestiques depuis quatre bases (Paris-CDG et Paris-Orly, Lyon, Nice et Toulouse) et Ryanair depuis les plates-formes de Marseille et Beauvais principalement. On notera également l'arrivée de Volotea, transporteur espagnol qui a commencé d'exploiter en 2012 des liaisons uniquement transversales (3 % du trafic des bas coûts).
Toutefois, si la part de marché du groupe Air France diminue régulièrement, celui-ci reste le transporteur dominant : il contrôle en 2012 environ 74 % du marché domestique (77 % en 2011).
Il existe en outre, à côté des grandes compagnies aériennes, des compagnies classiques de plus petite dimension qui peuvent venir se positionner sur des liaisons régionales sans forcément demander des subventions en continu si, effectivement, il existe un potentiel de trafic minimum.
Mais il faut pour cela que le marché reste ouvert , et qu'il ne soit pas verrouillé par le monopole de l'une ou l'autre compagnie, qui abaisse artificiellement ses prix grâce aux aides d'État versées par les aéroports.
L'industrie du transport aérien étant, à long terme, très peu rentable et déjà très concurrentielle, même de petites subventions peuvent avoir un effet sur la concurrence. Il y a donc lieu de traiter ce problème avec beaucoup de prudence.
2. La décentralisation de la gestion des aéroports régionaux
Les objectifs de la politique de transport aérien, en particulier le Livre blanc de la Commission européenne intitulé « La politique européenne des transports à l'horizon 2010 : l'heure des choix » et la feuille de route de 2011 sur le transport « Pour un espace européen unique des transports », soulignent le rôle clé des aéroports régionaux.
Les aéroports régionaux ont d'abord un rôle essentiel à jouer dans la décongestion du secteur aérien . Ainsi, le développement des capacités aéroportuaires et leur utilisation est une priorité pour lutter contre le phénomène de saturation du ciel. La structure actuelle des aéroports selon laquelle les compagnies aériennes sont concentrées sur des grands aéroports qu'elles développent comme des plateformes (« hubs ») n'est plus suffisante. Il est recommandé de maintenir les lignes entre les aéroports régionaux, et entre les aéroports régionaux et les hubs.
En outre, le dynamisme des aéroports régionaux contribue à la politique de l'Union européenne en matière de mobilité des citoyens , essentielle à la compétitivité. Enfin, leur développement fait partie des leviers pour l' essor des économies régionales et participe de la cohésion territoriale .
La France hérite quant à elle d'un maillage historique dense en infrastructures aéroportuaires. Ces aéroports sont pour la plupart d'intérêt local et se sont développés de façon autonome au gré de dynamiques territoriales, souvent plus concurrentes que complémentaires. Certains d'entre eux peuvent néanmoins atteindre des trafics importants, comme à Lille ou Beauvais.
La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a transféré aux collectivités territoriales la propriété et la gestion de près de 150 aéroports . Ce transfert s'est achevé en 2007. Dans un premier temps au moins, les gestionnaires délégués sont restés les mêmes (les chambres de commerce et d'industrie le plus souvent). Cependant, les collectivités territoriales sont désormais libres de déléguer la gestion de leur aéroport à de nouveaux acteurs (à des entreprises privées par exemple).
Dans son rapport de 2008 2 ( * ) , la Cour des comptes a relevé que la décentralisation de la gestion des infrastructures aéroportuaires n'avait pas eu que des effets vertueux. L'absence de coordination entre les collectivités, voire leur concurrence, s'est traduite par un saupoudrage des investissements préjudiciable, à la réalisation d'équipements de plus grande envergure et réellement rentables.
Les analyses menées par les juridictions financières ont d'ailleurs montré que la quasi-totalité des aéroports décentralisés est en déficit chronique . Ces aéroports ne traitent qu'un faible trafic et fonctionnent essentiellement grâce aux subventions des collectivités territoriales. Ces subventions ne représentent qu'une partie du coût de la fonction aéroportuaire en France. Il conviendrait d'y ajouter, entre autres, les investissements financés directement par des collectivités puis mis à disposition des aéroports ainsi que le coût des missions de sûreté et de sécurité.
La Cour des comptes signale en outre que les collectivités sont globalement incapables d'évaluer de façon satisfaisante et indépendante les retombées économiques qu'elles tirent de l'existence de l'aéroport. Il est vrai que de telles évaluations sont difficiles à conduire et que la présence d'un aéroport peut constituer, par exemple, le facteur décisif pour l'implantation future d'une grande entreprise.
Les collectivités se retrouvent par conséquent dans une logique de dépendance vis-à-vis des compagnies à bas coût. Leur rapide développement constitue à la fois une opportunité et une source de fragilité pour les aéroports régionaux. Ceux-ci se disputent en effet des chiffres d'affaires nouveaux, jusqu'alors inespérés. Mais ils le font souvent au prix de contrats déséquilibrés, et parfois juridiquement contestables, aux termes desquels ils s'engagent à effectuer des investissements importants et à mettre à disposition desdites compagnies des services particuliers. Le problème est qu'ils n'ont en retour aucune assurance sur la pérennité et la fréquence des dessertes aériennes . Plusieurs aéroports en ont fait la cruelle expérience.
Ainsi, l'encadrement juridique des aides aux aéroports et aux compagnies aériennes constitue autant la garantie d'une saine concurrence entre les compagnies et les territoires, qu'une protection contre les effets pervers d'une compétition exacerbée.
* 1 Des compagnies traditionnelles françaises comme Air Liberté ou AOM (avant leur rapprochement en 2001) ont exploité un réseau domestique mais la constitution d'un second pôle n'a pu réellement aboutir avant leur disparition en 2003.
* 2 Cour des Comptes, rapport public thématique (juillet 2008) : « Les aéroports français face aux mutations du transport aérien ».