COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION
M. Jean-Yves LE DRIAN
Ministre de la
défense
le 3 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président . - Nous entendons M. le ministre de la défense nous présenter le projet de loi de programmation militaire.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je ne vais pas revenir sur l'actualité, qui met en évidence, une fois de plus, la nécessité de disposer d'une défense forte et de moyens garantissant notre autonomie stratégique. Tel est l'enjeu du projet de loi de programmation militaire que j'ai présenté en Conseil des ministres le 2 août dernier et qui décline les orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, approuvées par le Président de la République le 29 avril dernier. Le Livre blanc fixait un cap sur quinze ans, la loi définit un cadre précis pour les six ans qui viennent. Comme le président de la République l'a rappelé lors de la conférence des ambassadeurs, le niveau des risques et des menaces qui pèsent sur la sécurité collective de la France et de l'Europe ne baisse pas et impose de maintenir à un bon niveau notre effort de défense.
Pendant trois ans le budget de la défense sera maintenu au niveau actuel, soit 31,4 milliards d'euros courants. Puis, entre 2016 et 2019, il augmentera progressivement, pour atteindre 32,5 milliards d'euros courants. Les crédits budgétaires progresseront en valeur dès 2016, puis en volume à compter de 2018. Les ressources programmées sur la période 2014-2019 atteignent ainsi 190 milliards en euros courants. Cet arbitrage constitue une décision politique forte : les crédits de la défense, contrairement à ceux des autres ministères, seront préservés dans leur intégrité car il s'agit d'un effort que la nation fait, non pour les armées, mais pour sa propre sécurité. Un effort significatif n'en est pas moins consenti pour contribuer au redressement des comptes publics : les ressources programmées entre 2014 et 2016 sont stabilisées et les effectifs diminueront. Des ressources exceptionnelles compléteront les ressources budgétaires à hauteur de 3% du total, sur la période. L'engagement du président de la République a aussi porté sur la transparence de nos choix dans ce domaine délicat des ressources exceptionnelles. Le rapport annexé au projet de loi expose de façon précise, à la différence du précédent, les différentes origines de ces ressources. Il s'agit de l'intégralité du produit de cession d'emprises immobilières utilisées par le ministère de la défense ; d'un nouveau programme d'investissement d'avenir (PIA), financé par le produit de cession de participations d'entreprises publiques, au profit de l'excellence technologique des industries de défense ; du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre les fréquences 694 MHz et 790 MHz ; des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences antérieures ; et, enfin, du produit des cessions additionnelles de participations d'entreprises publiques qui se révèleraient nécessaires pour compléter ces moyens.
L'évaluation des produits de cession étant par nature délicate, une clause de sauvegarde a été prévue, conformément au souhait émis par le Sénat. Elle permettra de mobiliser d'autres ressources exceptionnelles, si le produit ou le financement des ressources évoquées s'avère insuffisant. Et si le montant des ressources disponibles excédait les 6,1 milliards prévus, la défense en bénéficierait à hauteur de 0,9 milliard.
Concernant le financement des opérations extérieures, une dotation prévisionnelle annuelle, de 450 millions d'euros, figure désormais dans le budget de la mission « Défense ». Elle est un peu inférieure à la précédente, mais elle tient compte de la nouvelle définition de nos contrats opérationnels. Là encore, une clause de sauvegarde garantit la soutenabilité budgétaire d'éventuelles décisions d'engagement militaire de la France : les surcoûts résultant soit de nouvelles opérations, soit du renforcement des opérations existantes seront couverts par un financement interministériel ad hoc .
M. Jean-Louis Carrère, président. - Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Ainsi, nous avons voulu garantir un niveau de ressources ambitieux mais réaliste. Ambitieux, en raison de la trajectoire arrêtée par le président de la République. Réaliste, grâce à la diversification des ressources et aux mécanismes de sauvegarde, gages in fine de la sincérité de cette programmation. Ce qui répond à un voeu formulé par votre commission.
Avec ce projet de loi de programmation, le Gouvernement entend maintenir le rang stratégique de la France ainsi que sa capacité à intervenir dans les situations où ses intérêts de sécurité ou ses responsabilités internationales sont en jeu. Nous resterons l'un des rares pays dans le monde à pouvoir assumer simultanément la protection du territoire et de la population, la dissuasion nucléaire, appuyée sur deux composantes distinctes, et l'intervention sur des théâtres extérieurs, pour des missions aussi bien de gestion de crise que de guerre.
La répartition des crédits traduit les priorités assignées par le président de la République, en particulier la préparation opérationnelle et l'équipement des forces. Sans préparation efficace, point de capacité militaire ni d'armée professionnelle crédible. Il s'agit de l'une de mes préoccupations majeures. Or, depuis 2011-2012, on observe un fléchissement des activités opérationnelles, dû à l'épuisement des stocks dans lesquels nos armées ont puisé ces dernières années, au vieillissement des parcs, mais aussi à l'arrivée de matériels de nouvelle génération au coût d'utilisation et d'entretien plus élevé. La conjoncture financière a pesé sur l'activité et l'entraînement. Cette évolution n'est pas acceptable. Aussi, en 2014-2015, l'activité sera stabilisée à un niveau comparable à celui de 2013, pour augmenter ensuite. L'effort financier est conséquent : les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur, soit 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période, contre 2,9 en loi de finances initiale pour 2013. Bref, nous résistons à la facilité, car on a toujours la tentation de rogner sur ces postes, peu visibles bien qu'essentiels.
En outre, un effort conséquent sera accompli pour l'équipement : les crédits augmenteront de manière constante au cours de la période 2014-2019, passant de 16 milliards d'euros en 2013 à 18,2 milliards en 2019. Ainsi le renouvellement de nos équipements sera assuré et notre base industrielle préservée. Quatre principes déterminent les choix. D'abord, nous voulons préserver la dissuasion, gage de notre autonomie stratégique. La livraison du missile M51.2, la mise en service du laser Mégajoule, le lancement des travaux d'élaboration du futur sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de 3 e génération, ou encore, dans le domaine du renseignement, le développement du satellite Ceres, en vue d'un lancement en 2019, y contribueront directement. Nous renforcerons également les capacités destinées à prendre l'initiative dans les opérations, qu'il s'agisse du renseignement (avec la livraison de deux satellites Musis, de drone Male et de drones tactiques), de nos forces spéciales, ou encore des capacités qui sont engagées au contact de l'ennemi (les programmes Rafale, Fremm, missiles MMP et Scorpion). Enfin, nous consoliderons notre capacité à intervenir au sein d'une coalition, en développant nos moyens de frappes précises dans la profondeur, avec la livraison de 250 missiles de croisière ou la révision du missile Scalp à mi-parcours.
Deuxièmement, il s'agit de veiller à la cohérence du modèle par rapport aux situations dans lesquelles la France est susceptible d'engager ses armées. Pour répondre aux menaces d'emploi de la force par des Etats, outre la dissuasion, nous nous appuyons sur les frégates multimissions Fremm, les sous-marins nucléaires d'attaque, les avions Rafale, le lancement de la rénovation du char Leclerc, l'hélicoptère NH90 et l'adaptation des Tigre. Pour conduire les opérations de gestion de crise dans la durée, ce projet de loi prévoit la prolongation des Mirage 2000, la rénovation des frégates légères furtives et le remplacement de nos véhicules de l'avant blindés (VAB) comme de nos AMX 10 RC. De plus, les programmes Sccoa, plusieurs programmes de moyens navals de surveillance et d'intervention, ainsi que des investissements dans le domaine nucléaire, biologique et chimique (NBC), renforceront nos capacités, pour la protection du pays et de ses intérêts de sécurité.
Troisièmement, le principe de différenciation conduit à distinguer les forces et leur entraînement en fonction des missions qu'elles sont appelées à remplir : dissuasion, protection, gestion de crise, coercition. Les forces terrestres compteront deux brigades lourdes adaptées à l'entrée en premier, équipées notamment de chars Leclerc et de VBCI, trois brigades multi-rôles destinées à la gestion de crise avec des VAB et les premiers VBMR, et deux brigades légères adaptées à l'action d'urgence. Dans le domaine naval, les six premières Fremm, le premier SNA de type Barracuda, ainsi que la rénovation des frégates légères furtives renforceront les capacités de combat dans les opérations de haute intensité. L'armement de nouveaux patrouilleurs et la transformation des avions de surveillance conforteront le contrôle et l'intervention dans de vastes espaces maritimes, sur nos côtes comme outre-mer. Enfin les forces aériennes recevront 26 Rafale supplémentaires, à quoi s'ajoute l'arrivée des A400M et MRTT. Ces forces conserveront un nombre d'aéronefs suffisants, grâce au prolongement d'avions plus anciens, à l'instar des Mirage 2000.
Enfin, la mutualisation, dernier principe, consiste à affecter un noyau de capacités polyvalentes et rares à plusieurs missions. Elle a aussi contribué aux choix d'équipements en permettant de définir des cibles pour les Rafale, les MRTT, les SNA, les Fremm dotées de capacités anti-sous-marines ou encore les Missiles de croisière navals : ces armements sont en effet multimissions. Mais, dans le cadre d'une relance pragmatique de l'Europe de la défense, ce principe nous incite aussi à envisager ensemble certaines capacités critiques. Le projet de loi préserve ainsi tous les grands programmes conduits en coopération et prévoit le lancement de plusieurs autres, comme l'Antinavire léger (ANL) ou le système de lutte anti-mines futur (Slamf). Dans le domaine du renseignement enfin, la mutualisation de certaines capacités techniques s'impose. L'ajustement du calendrier des programmes répond aux contraintes financières, mais l'effort, 17,1 milliards d'euros par an sur la période contre 16 en 2013, est significatif et bénéficie aussi à nos industries de défense.
L'exigence de sincérité m'incite à tenir, comme sur le Livre blanc, un discours de vérité. Cette programmation est ambitieuse mais difficile. Les efforts qui figurent dans le projet de loi s'entendent dans un double sens : effort de la nation pour sa propre sécurité, l'effort du ministère pour le redressement des comptes publics. Des mesures d'économies sont aussi prévues, qui rendent crédible la programmation dans la conjoncture financière actuelle. Sur un plan budgétaire d'abord, la reconduite du budget en valeur jusqu'en 2016 constitue un effort conséquent. La progression prévue par mes prédécesseurs était devenue irréaliste depuis la crise de 2008. Concernant les ressources humaines, la déflation des effectifs se poursuivra, en cohérence avec les contraintes financières et le nouveau modèle d'armées inscrit dans le Livre blanc ; 10 175 emplois seront supprimés au titre de la précédente programmation, et 23 500 au titre de la présente loi. Les forces opérationnelles et le soutien opérationnel seront préservés. Les forces de combat ne supporteront qu'environ un tiers des déflations nouvelles envisagées. Autre priorité, maîtriser la masse salariale : le taux d'encadrement diminuera après cinq années de hausse significative. Ce dé-pyramidage se traduira par une baisse du nombre d'officiers. Enfin, dernière priorité, amorcer un certain rééquilibrage des effectifs globaux du ministère au profit du personnel civil dans les secteurs non opérationnels.
Je mesure le prix de ces nouvelles réductions, après les précédentes. J'entends donc procéder selon une analyse attentive et proche. La valeur que les hommes et les femmes de la défense montrent au quotidien les honore et nous oblige. Parce que leur engagement peut aller jusqu'au sacrifice ultime, nous leur devons le plus grand respect. Lequel doit inspirer toute notre politique de ressources humaines. C'est pour moi une préoccupation profonde. Concrètement, le projet de loi de programmation militaire prévoit un large plan de mesures d'accompagnement : renforcement de la politique de reconversion pour le personnel militaire, reclassement dans les fonctions publiques, aide à la mobilité externe pour les agents du ministère, incitations au départ et à la mobilité. A cet effet 933 millions d'euros sont prévus sur la durée de la programmation. Quatre mesures seront proposées : la « promotion fonctionnelle », la pension afférente au grade supérieur, le pécule d'incitation au départ et la « disponibilité rénovée ». Il n'y aura donc ni dégagement des cadres ni mesures brutales. La déflation des effectifs sera obtenue par les départs naturels, les départs incités et un ajustement des recrutements, pour tenir compte des impératifs opérationnels qui réclament un personnel jeune et physiquement apte.
Le ministère a connu trop de réformes appliquées de manière brutale. Une période de concertation, d'écoute et d'analyse fonctionnelle précèdera donc les réductions. J'en ai confié la responsabilité au secrétaire général pour l'administration et au directeur des ressources humaines, en lien avec les états-majors. L'objectif n'est pas de rechercher des coupes purement arithmétiques mais d'aboutir à un modèle simplifié, davantage cohérent. De même, le dialogue et la concertation permettront d'améliorer la condition du personnel et des militaires en particulier. C'est un élément important de la capacité opérationnelle de nos armées. Un plan ministériel est inscrit dans la loi de programmation, concernant le logement, l'aide sociale, le soutien familial.
La même méthode s'appliquera aux restructurations. Là encore, nous prendrons le temps nécessaire. Nous annoncerons à la fin de ce mois les sites concernés par les restructurations en 2014, liées pour la plupart à la précédente programmation. Je connais toute l'importance du dialogue avec les élus. Je n'oublie pas ma vie antérieure ni mon expérience d'élu local dans un territoire qui a connu deux restructurations. Il importe de préserver les liens entre les armées et les territoires. Notre objectif est aussi, pour les sites amenés à fermer, d'organiser une transition dans les meilleures conditions. Nous tirons les enseignements des précédentes restructurations : désormais, pour éviter l'éparpillement des fonds publics, l'intervention de l'Etat sera recentrée sur un nombre limité d'actions, les plus efficaces pour la redynamisation des bassins d'emploi. Au total, 150 millions d'euros y seront consacrés.
Ce projet de loi de programmation militaire prépare l'avenir en adaptant l'armée d'aujourd'hui aux guerres de demain. Notre politique industrielle de défense s'appuie sur 4 000 entreprises, dont une majorité de PME et d'ETI, 165 000 emplois directs hautement qualifiés et donc peu délocalisables. Elle réalise un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euros, dont 30 à 40 % à l'exportation. C'est un outil exceptionnel de notre autonomie stratégique. Derrière chaque succès des armes, comme tout récemment au Mali, se trouvent des réussites technologiques et industrielles. Préparer nos futurs engagements, c'est donc aussi s'assurer de disposer des équipements au meilleur niveau. Notre industrie de défense contribue aussi au dynamisme de notre économie. Elle est l'une des premières du monde, comme en témoignent les grands contrats obtenus aux Emirats. Elle doit le demeurer. Elle est donc au coeur du projet de loi de programmation. Les crédits consacrés à l'investissement et à l'équipement de nos forces concernent chacun des neufs secteurs industriels majeurs. Afin de maintenir un effort substantiel de recherche et de progrès technologique, plus de 730 millions d'euros en moyenne annuelle seront consacrés aux études amont, en hausse par rapport à la période précédente, en privilégiant à la fois le renouvellement des deux composantes de la dissuasion, l'aéronautique de combat, la lutte sous-marine, la protection des véhicules, des équipages et des hommes, le renseignement, la cyberdéfense et l'espace. La coopération avec la recherche civile sera poursuivie, notamment par l'augmentation du soutien aux entreprises innovantes par le pacte défense PME. Dans la même perspective, le régime d'appui aux PME pour l'innovation duale, Rapid, sera pérennisé et renforcé avec 50 millions d'euros par an, contre 40 en 2013.
La préparation de l'avenir, c'est aussi l'évolution du cadre juridique de notre défense. Ce projet de loi de programmation contient plusieurs novations normatives importantes. Dans le domaine du renseignement il renforce, autant que l'autorise la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la séparation des pouvoirs, le rôle et les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement. Ce contrôle accru permettra d'ouvrir ou de sécuriser certains dispositifs de collecte de données et de consultation de fichiers existants. Les services de renseignement ont en effet besoin d'avoir accès à une information riche et diversifiée pour repérer les signaux faibles et détecter suffisamment tôt les risques d'atteinte à nos intérêts fondamentaux. Le projet de loi innove aussi dans le domaine de la cyberdéfense en précisant, pour la première fois, les obligations que l'Etat peut imposer aux opérateurs d'importance vitale pour la France en matière de sécurisation de leurs systèmes d'information. Pour la première fois, le droit prend en compte le besoin pour l'Etat de défendre ses systèmes d'information sensibles contre les attaques informatiques, y compris par des procédés qui, s'ils ne visaient pas la protection de la sécurité nationale, seraient pénalement répréhensibles.
Enfin, comme le président de la République l'a expressément demandé, le projet de loi met en place divers outils juridiques destinés à prévenir une judiciarisation inutile de l'action des militaires engagés en opération extérieure : il ne s'agit pas d'instaurer une immunité pénale au profit des militaires mais de prendre en compte la réalité des conflits armés, de trouver un compromis entre un droit pénal d'exception, celui du temps de guerre, qui n'a heureusement plus servi en France depuis le dernier conflit mondial, et le droit commun du temps de paix, parfois inadapté aux réalités des conflits dans lesquels nos militaires sont prêts à donner leur vie... comme à donner la mort. Je veillerai à ce que les mécanismes d'information, d'accompagnement et d'indemnisation des familles des militaires blessés ou tués au combat soient encore améliorés.
La préparation de l'avenir implique également la réforme de la gouvernance au ministère et le regroupement des états-majors, directions et services centraux sur le site de Balard. Cela facilitera aussi la modernisation des conditions de travail, pour les agents civils et militaires.
Concernant le renseignement et la cyberdéfense, la loi de programmation comporte une nouvelle donne stratégique : adaptation du droit, renforcement des capacités, mise en place d'une chaîne opérationnelle centralisée, études amont renforcées. Des moyens nouveaux y sont consacrés et le contrôle parlementaire, je l'ai dit, est renforcé.
La préparation de l'avenir, c'est enfin le renforcement du lien armée-nation, avec comme enjeu la cohésion nationale, l'adhésion de la nation à la politique de défense, mais également la reconnaissance du métier des armes, le recrutement et la résilience des populations face aux crises. La réserve militaire, dans ses deux composantes opérationnelle et citoyenne, sera rénovée, tout comme le parcours de citoyenneté, avec notamment une réflexion sur la journée défense et citoyenneté. Je souhaite aussi renforcer l'information des parlementaires - suivi des dotations financières, des opérations extérieures ou encore des exportations d'armement. Je présenterai du reste dans les prochains jours le rapport annuel au Parlement sur les exportations d'armement.
En conclusion, l'exécution, quelque peu heurtée, de la précédente loi de programmation militaire a démontré la nécessité de prévoir suivi et actualisation. Un suivi annuel sera désormais effectué, au niveau du Conseil de défense.
M. Jean-Louis Carrère . - Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Un rapport annuel d'exécution sera transmis aux commissions compétentes du Parlement. Une première actualisation aura lieu fin 2015, occasion de faire le point sur l'activité opérationnelle, les équipements majeurs, les déflations d'effectifs et la mise en oeuvre des réformes. Dans quatre ans, la présente loi sera révisée pour conduire à l'élaboration de la suivante.
Ce projet de loi de programmation fixe un cadre équilibré. Nous avons eu le souci constant d'une répartition équitable de l'effort entre les trois armes et entre les différentes entités du ministère. Il nous faut adapter nos armées aux menaces de demain, dans une conjoncture difficile. Nous sommes fiers de ce texte, aboutissement d'un travail de plusieurs mois des états-majors, de la direction générale à l'armement, du secrétariat général pour l'administration et de l'ensemble des services du ministère. Nous avions constamment à l'esprit l'opération Serval, qui se déroulait dans le même temps, ainsi que le désengagement progressif d'Afghanistan. Nous n'avons donc à aucun moment oublié la raison d'être de notre défense ni l'engagement de ceux qui la servent.
M. Jean-Louis Carrère, président . - En raison de contraintes d'agenda, le débat précédent ayant été particulièrement dense, une autre séance sera consacrée aux questions sur ce texte.
Monsieur le ministre, je note avec satisfaction que vous avez pris en compte les travaux de notre commission. Des points restent à améliorer mais nous retrouvons l'esprit, voire la lettre, de nos propositions.
M. Daniel Reiner . - Compte tenu des lacunes capacitaires apparues lors des derniers conflits, quels sont les points de fragilité, ceux appelant une particulière vigilance dans l'exécution de la loi de programmation ?
M. Jacques Gautier . - Ce texte soulève plusieurs questions. Trois points sont à mes yeux essentiels : d'abord la garantie de l'affectation des ressources exceptionnelles, qu'il convient d'inscrire dans le marbre, ensuite la clause de rendez-vous, et la clause de retour à meilleure fortune pour le budget de la défense, que nous souhaitons voir garantie. Nous serons nous-mêmes vigilants...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Ce texte est conforme à tout ce que j'ai annoncé cette année. C'est le cas avec la clause de sauvegarde - dont je n'imaginais pas, je l'avoue, qu'elle pût être inscrite dans une loi de programmation. La vigilance s'imposera. En particulier en 2016, pour passer la première étape d'une augmentation des crédits, puis les suivantes.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Notre obsession est que le budget de la défense atteigne deux points de PIB !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Beaucoup d'interrogations se sont exprimées sur les ressources exceptionnelles. Néanmoins, cette année, comme l'an dernier, celles qui étaient prévues ont été effectivement engrangées - ce qui ne doit pas diminuer notre vigilance, j'en conviens.
Monsieur Reiner, ma première préoccupation concerne la préparation opérationnelle des troupes : celle-ci ne doit pas constituer pas une variable d'ajustement budgétaire. En matière capacitaire, le Sénat a identifié des pistes d'action. Il fallait prendre une décision sur les drones. J'ai tranché !
M. Jean-Louis Carrère, président . - Nous vous avons soutenu !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Les deux premiers drones auront été livrés et seront opérationnels à Niamey avant la fin de l'année. La cyberdéfense est une autre priorité et sur ce sujet les travaux du Sénat sont essentiels. La fourniture d'avions ravitailleurs constitue un autre chantier majeur. Tous ces dossiers présentent des aspects non seulement financiers, mais aussi techniques, industriels ou politiques, auxquels il faut veiller.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Je vous remercie.
M. Jean-Yves LE DRIAN
Ministre de la
défense
Le 12 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président . - Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour évoquer la loi de programmation militaire (LPM) dont il nous a fait une présentation générale la semaine dernière. La commission des finances s'en est saisie pour avis, de même que la commission des lois pour examiner les questions de judiciarisation et de renseignement.
M. Daniel Reiner . - Le rapport annexé à la loi de programmation, qui comporte des éléments importants, a-t-il la même valeur juridique que celle-ci ? Si ce n'était pas le cas, nous déposerions des amendements pour transférer certains de ses éléments dans la loi.
L'autonomie stratégique est l'un des quatre principes fondateurs de notre politique de défense. Sur quels grands équipements s'appuie-t-il ? Le spatial devrait en être une composante essentielle : c'est manifestement un volet distinct. En matière d'alertes spatiales ou d'écoutes électromagnétiques, nous nous sentons en retard.
Parmi les huit programmes majeurs, lesquels ont d'ores et déjà fait l'objet de renégociations avec les industriels ?
Notre commission salue l'augmentation des crédits de recherche et l'engagement à les porter à 730 millions d'euros par an. Comment seront-ils ventilés ? En vertu de la loi de programmation, les crédits de recherche relatifs à la dissuasion nucléaire risquent d'augmenter dans les années à venir : il y a là un risque d'éviction des autres crédits.
M. Jacques Gautier . - Cette loi de programmation n'est certes pas parfaite, mais je veux saluer, au nom du groupe UMP, l'engagement du ministre dans son élaboration.
Le rapport annexé indique que « dans l'hypothèse où le montant de ces recettes exceptionnelles, ou le calendrier selon lequel les crédits correspondants pourraient être affectés au budget de la défense feraient l'objet d'une modification substantielle, ayant une conséquence significative sur le respect de la programmation, d'autres recettes exceptionnelles seront mobilisées ». Il serait plus sûr de transférer cette précision dans le corps de la loi.
Le texte prévoit en outre l'adaptation des deux derniers sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) aux missiles M 51 : les quatre que nous possédons auront ainsi été rénovés et adaptés à ce missile plus performant. Mais vous engagez déjà les travaux d'élaboration des SNLE de troisième génération et le développement des M 51.3. Or les discussions sur la limitation de l'armement nucléaire pourraient reprendre. En outre, l'évolution des technologies et de la connaissance du champ électromagnétique peuvent freiner la sécurisation des SNLE. Enfin, des effets d'éviction sont en effet à craindre. Ne vaudrait-il pas mieux maintenir des crédits de recherche et repousser les décisions en 2020, puisque les SNLE de deuxième génération et les M 51, nous sommes tranquilles pour une quinzaine d'années ?
Le principe de différenciation des forces armées découle du Livre blanc sur la défense. Son application pour l'armée de l'air et la marine se comprend. Mais dans l'armée de terre, il ne faudrait pas aboutir à une armée à deux vitesses, qui distinguerait les guerriers - envoyés dans les opérations extérieures, les entrées en premier et la stabilisation des situations dans les moments de haute intensité - et les métros chargés de la protection du territoire dans le cadre du plan Vigipirate : ce serait une catastrophe.
La LPM n'évoque pas la légalisation des sociétés militaires privées. Le ministère y réfléchit depuis longtemps. Nous savons que le dépavillonnement des navires n'est pas rare. Nous sommes prêts à déposer une proposition de loi pour y remédier : est-ce nécessaire ?
M. André Vallini . - La LPM procède à évolution juridique en matière judiciaire. Comment pensez-vous que cette évolution sera perçue par les familles de militaires victimes, qui réclament davantage de transparence - souvenez-vous de l'affaire d'Uzbin ? En particulier, confier le monopole de l'action publique au parquet ne risque-t-il pas d'être mal perçu par l'opinion ?
Enfin, que pensez-vous de la proposition de loi du député Jacques Myard pénalisant la participation de Français à des conflits armés hors du territoire de la République sans accord de la France ?
M. Gilbert Roger . - La préparation opérationnelle, inférieure de 15% aux normes en vigueur, devrait augmenter vers 2016. Pour les pilotes d'hélicoptère, nous sommes 25% en dessous des normes fixées par l'OTAN. Comment conserver notre crédibilité dans ce contexte ?
La gouvernance du ministère sera réformée ; pourtant, cela ne marche pas si mal...
Enfin, les élus savent que de nouvelles fermetures de bases sont envisagées. Quelles sont les fermetures prévues pour 2014 ? Sont-elles vraiment indispensables ?
M. Yves Pozzo di Borgo . - Les sociétés militaires privées représentent un marché estimé entre 200 et 400 milliards de dollars. En la matière, notre pays a des atouts à faire valoir, notamment par rapport à la concurrence anglo-saxonne, mais nous souffrons de l'absence de réglementation claire. À terre, notre réticence s'explique par le monopole public de l'emploi de la force armée, mais si nous n'avançons pas dans le domaine de la protection en haute mer par exemple, les armateurs français risquent de dépavillonner leurs navires.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Je suis favorable à la reconnaissance des sociétés militaires privées dans le domaine du transport maritime, car la marine nationale ne peut pas tout faire. Je l'ai fait savoir aux acteurs du secteur. Nous sommes proches d'aboutir. J'y suis défavorable en revanche pour les activités terrestres, car cela s'apparenterait à du mercenariat, ce qui est contraire à notre tradition républicaine et à nos convictions. Vous pouvez d'ores et déjà rassurer nos armateurs : un projet de loi pourrait être bientôt déposé par Frédéric Cuvillier.
Le rapport annexé à la LPM n'a pas valeur normative. Je ne suis pas opposé à ce que les points sensibles soient transférés, par vos amendements, dans le corps de la loi.
Au sein du renseignement, le spatial est un volet essentiel de cette loi de programmation, car c'est une composante majeure de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique. Nous allons renouveler nos capacités dans tous les domaines. Dans l'observation spatiale d'abord, notamment l'imagerie haute résolution : nos satellites Helios 2 et le système Pléiades seront complétés par la nouvelle génération de satellites Musis, plus performants. Dans les capacités de renseignement spatial ensuite, avec le programme d'écoute électromagnétique Ceres, entièrement financé par la loi de programmation. Celui-ci ne sera opérationnel qu'en 2020 : c'est le délai incompressible de développement technique. Nous nous dotons en outre d'une nouvelle génération de satellites de télécommunications spatiales Sicral 2 et Athena-Fidus, développés avec nos partenaires italiens, puis en fin de période des satellites Comsat nouvelle génération en remplacement des Syracuse III. Une dizaine de satellites seront ainsi lancés d'ici 2020.
En matière de surveillance de l'espace, nous avons besoin d'une approche européenne pour pérenniser l'outil existant - radar Graves - et développer de nouveaux moyens. S'agissant des lanceurs spatiaux, en particulier d'Ariane 6, des décisions restent à prendre qui seront mises en oeuvre avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est un sujet peu débattu, mais de première importance.
Les grands équipements qui répondent aux enjeux de notre autonomie stratégique sont, outre ceux relatif à la dissuasion, au renseignement, et à l'espace, ceux qui renforcent nos outils de lutte contre la cybermenace et nos capacités de frappe de précision à distance - missiles Scalp et missiles de croisière navals.
Les drones, cheval de bataille du Sénat, sont une priorité de notre politique de renseignement. La LPM prévoit l'acquisition de douze drones Reaper de moyenne altitude longue endurance (Male). Nous avons dû les acheter sur étagère - ce qui n'était pas initialement prévu. Les deux premiers seront en fonction dès cette année à Niamey. Il faudra européaniser les dix autres, c'est-à-dire adapter les capteurs et charges utiles au ciel européen. Nous attendons les industriels européens sur cette question, qui peut être réglée rapidement. Italiens et Britanniques sont confrontés au même problème d'insertion de leurs drones Reaper dans leur ciel. C'est pourquoi j'ai proposé de créer un club d'utilisateurs de Reaper, dont la porte reste ouverte à ceux qui n'ont pas encore choisi, comme les Allemands.
Ces acquisitions ont vocation à être dépassées par la prochaine génération de drones, qu'il faut anticiper pour être prêts, d'ici 2023-2025. Lors du salon du Bourget, trois grands groupes industriels ont manifesté leur intention de travailler de concert : je m'en félicite.
M. Jean-Louis Carrère, président . - EADS, Dassault...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - ...et Finmeccanica.
Les 730 millions d'euros de crédits de recherche sont garantis annuellement. Ils seront ventilés en fonction de la montée en puissance des différents projets.
Les programmes pour lesquels les négociations avec les industriels ont repris sont Barracuda et les hélicoptères NH 90. Nous les abordons tout juste pour les frégates multi-missions (Fremm), les hélicoptères Tigre et les avions de transport A 400M. Il restera à ouvrir les discussions sur le Felin et le Rafale. Elles devraient prendre fin avant la fin de l'année.
Lors de l'université d'été de la défense à Pau, sept grands groupes industriels ont pris une position publique forte. Je l'approuve.
Cette loi de programmation est cohérente et équilibrée, et n'a de sens que si elle est réalisée totalement : enlevez une pierre de l'édifice et vous le ferez s'écrouler. Je suis conscient de cette fragilité. Certains beaux esprits me disent qu'aucune loi de programmation n'a été entièrement réalisée : je le sais, mais j'espère être le premier à réussir !
M. Jean-Pierre Chevènement . - Je rejoins Jacques Gautier sur le risque d'éviction des crédits de dissuasion. Attention aussi à la péremption. Avez-vous un calendrier pour le développement du nouveau SNLE de nouvelle génération, celui de troisième génération, et le M 51.3 ? Bref, comment envisagez-vous la dissuasion à l'horizon 2020 ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Les crédits de dissuasion s'élèvent à 23,3 milliards d'euros d'ici 2020, soit 12% du total des crédits de la LPM.
M. Jean-Pierre Chevènement . - Comment sont-ils ventilés ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - L'élaboration du SNLE de troisième génération et la mutation des têtes nucléaires font partie des décisions prises par le président de la République lors du dernier conseil des armements nucléaires. Je pourrais vous communiquer les détails pour les futurs M 51.2 et M 51.3, mais l'agenda des travaux du prochain SNLE n'est pas encore arrêté. Une partie des 730 millions d'euros de crédits de recherche seront affectés à ces programmes.
M. Jean-Pierre Chevènement . - Cela renforce mes craintes relatives aux propos de Jacques Gautier.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Non : 23 milliards d'euros sont d'ores et déjà affectés à la dissuasion. Ne restent que les études en amont sur le SNLE de troisième génération.
M. Jacques Gautier . - Jean-Pierre Chevènement veut être sûr qu'ils feront partie de la programmation, moi je ne veux pas que le SNLE de troisième génération concentre tous les crédits d'étude.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je rassure Jean-Pierre Chevènement : nous garantirons la dissuasion sur la longue durée. Les décisions de principe concernant l'évolution du M 51 et les têtes nucléaires ont été prises. La mise en service du nouveau SNLE est prévue pour les années 2030. La rénovation à mi-vie du missile air-sol moyenne portée améliorée (Asmpa) sera pour sa part effectuée grâce à la ligne de 23,2 milliards d'euros et non grâce aux crédits d'étude.
Monsieur Gautier, je suis favorable à ce que les engagements de révision des crédits soient placés dans le corps de la loi.
Le risque de différenciation des brigades que vous soulignez n'est pas fictif, mais je le crois secondaire. La maquette de la future armée de terre prévoit deux brigades adaptées à l'entrée en premier et au combat de coercition, trois brigades multi rôles, équipées et entraînées pour la gestion de crise, et deux brigades légères, susceptibles d'intervenir rapidement dans des milieux difficiles. Chacune ont leur mission. Il n'y a pas de brigade plus valorisante qu'une autre. Que les militaires affectés dans les bases de défense se sentent dévalorisés par rapport aux autres, et que les dispositifs s'ignorent mutuellement, voilà le véritable risque.
Sur la judiciarisation, ce texte témoigne d'un souci d'équilibre entre les dispositions pénales adaptées à l'action de combat et les réponses à apporter aux attentes des familles de victimes. Pour l'instant, il n'y a pas eu d'événement de judiciarisation autres que symboliques. La LPM ne fait que renforcer certaines mesures procédurales. Le parquet détenait déjà le monopole de l'action publique pour les Français commettant des délits à l'étranger, à l'exclusion des militaires : cette exception est supprimée. Ce n'était en revanche pas le cas pour les crimes, il nous a semblé nécessaire de le faire dès lors qu'il s'agissait de militaires dans l'accomplissement de leurs missions opérationnelles. Nous avons clarifié la situation afin que les possibilités d'action en justice ne mettent pas en cause le fonctionnement de nos opérations extérieures.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Qui ne sont pas des crimes.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - En effet. L'affaire d'Uzbin a montré que le droit n'était pas adapté. Confier le monopole de l'action publique au parquet n'empêche nullement les familles de porter plainte, ni le parquet de s'autosaisir : les responsables des armées ne sont en aucun cas en position d'immunité. Les armées ont mis en place des dispositifs d'accompagnement des blessés et des familles de militaires victimes. J'en ai rencontré de nombreuses. Elles doivent avoir le droit de saisir la justice, mais il ne faut pas tomber dans le travers d'une judiciarisation excessive.
M. André Vallini . - Il est vrai que la voie entre ces deux exigences est très étroite. Je suis élu d'un département qui a vu disparaître plusieurs soldats en Afghanistan. Toutes les familles m'ont assuré de l'efficacité des dispositifs de soutien psychologique et moral que dispense l'armée. Celle-ci est véritablement, toutes le disent, une grande famille.
M. Jean-Marie Bockel . - Pouvez-vous préciser votre méthode en matière de restructurations ? L'est de la France a subi les conséquences de la première révision générale des politiques publiques, et devrait souffrir à nouveau : nous aimerions être associés aux décisions prises. Quelle incidence faut-il en attendre sur les 1 100 personnes qui composent les forces pré-positionnées ? Ne sommes-nous pas allés au bout de la logique d'économies dans le soutien ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je ferai connaître le premier train de restructurations à la fin du mois, pour ce qui concerne les restructurations mises en oeuvre en 2014 : il faut prévenir les services et les unités suffisamment tôt. Je prendrai le temps nécessaire pour mesurer les conséquences de chaque mesure. Les décisions qui concernent la période 2015-2019 seront prises à l'été ou l'automne 2014.Une analyse fonctionnelle, plus longue et plus délicate, est nécessaire, afin de partager les efforts entre services centraux et services de soutien.
La déflation des forces pré-positionnées s'élève en effet au nombre de 1 100 si l'on inclut les forces outre-mer. La carte des forces pré-positionnées proprement dites sera surtout revue en Afrique. Elles se trouvent pour l'heure à Dakar, Libreville, Djibouti. Il faut y ajouter les opérations extérieures qui se prolongent : à N'Djamena, Niamey, Ouagadougou, Abidjan, Bamako, Bangui. La priorité est de conserver une réactivité, celle sans laquelle nous n'aurions pu intervenir au Mali, en République centrafricaine pour protéger l'aéroport de Bangui ou au Niger pour aider le président Issoufou contre les attaques terroristes dont Niamey a fait l'objet. Une réorganisation intelligente consiste à diminuer nos effectifs en augmentant notre présence.
Nous ne sommes pas hostiles à la proposition de loi de Jacques Myard, à condition qu'elle ne soit pas redondante avec l'arsenal législatif existant.
Monsieur Roger, les indicateurs dont nous disposons ne sont pas ceux que vous avez indiqués. Alors que la préparation opérationnelle est un enjeu fondamental, elle a souvent servi, par facilité, de variable d'ajustement pour financer des programmes d'investissement. Je m'y refuse. La LPM a vocation à arrêter la baisse tendancielle de ses crédits, et même à les augmenter pour nous faire rentrer dans les normes réactualisées. Les chefs d'état-major des armées y sont, à juste titre, très attentifs.
Vous estimez que la situation du ministère n'était pas si mauvaise et ne justifiait pas une réorganisation. Dois-je rappeler que j'ai trouvé en arrivant un report de charges de 3 milliards d'euros, le désastre du système Louvois, une baisse d'effectifs engagée par le précédent gouvernement qui se traduisait par une hausse du nombre d'officiers et une dérive salariale permanente ? C'était la faute de tout le monde et ce n'était celle de personne : le système était ainsi fait. Il fallait y remédier, faute de quoi l'équilibre de la LPM aurait été impossible à atteindre.
J'ai donc voulu un système de gouvernance plus clair, plus simple, où chacun - le chef d'état-major des armées, le directeur général de l'armement, le secrétaire général pour l'administration - est doté de compétences bien définies. Les crédits de personnel ont été unifiés, l'autorité fonctionnelle des directions des affaires financières et des ressources humaines renforcée, l'organisation territoriale des soutiens simplifiée.
Vous n'ignorez pas quelles étaient auparavant les redondances et l'absence de communication entre réseaux verticaux, les dysfonctionnements des bases de défense que j'ai constatés personnellement... Pour changer une ampoule à la caserne de Sarrebourg, il fallait remonter jusqu'à Paris !
M. Gilbert Roger . - Le rapport que j'ai écrit avec M. Dulait mentionnait d'autres exemples similaires à Charleville et Toulouse...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Il fallait donc simplifier l'organisation du ministère, y compris l'attribution des compétences : c'est l'objet d'un décret adopté hier en conseil des ministres.
Quant aux bases de défenses, certaines seront peut-être regroupées, mais je ne peux encore vous dire lesquelles : il me faut du temps.
Mme Michelle Demessine . - Comment la nouvelle LPM compte-t-elle renforcer l'accompagnement économique des restructurations ? Vous avez dit à Pau vouloir tirer les leçons des expériences précédentes. Un calendrier a-t-il été fixé ? Comment associerez-vous les élus locaux à ce travail ? Et quel avis portez-vous sur la restructuration des bases aériennes, par exemple celle de Cambrai ?
On parle beaucoup des recettes exceptionnelles. À combien évaluez-vous le produit des ventes immobilières ?
L'entretien des surfaces d'entraînement, indispensable au maintien en condition opérationnelle des troupes, a souvent servi de variable d'ajustement lors de l'exécution des précédentes lois de programmation. Qu'est-ce qui garantit que ce ne sera plus le cas à l'avenir ?
M. Jeanny Lorgeoux . - À Djibouti ne devraient plus rester que 600 soldats. Ne faudrait-il pas réaménager le collier de perles de nos bases africaines ? Et qu'en est-il de la « pérennité temporaire », si j'ose cet oxymore, de nos soldats au Mali ?
Pouvez-vous en dire plus sur le nouveau décret relatif à la répartition des attributions au sein du ministère ?
M. Marcel-Pierre Cléach . - La judiciarisation que nous constatons est-elle, selon vous, la conséquence de la disparition des tribunaux des forces armées ou de l'évolution de la société ?
Quel bénéfice escomptez-vous du regroupement des pôles compétents pour instruire et juger les affaires liées aux opérations extérieures ? La spécialisation des magistrats compensera-t-elle l'éloignement des lieux où les faits sont commis ?
M. Jacques Berthou . - La cyberdéfense joue un rôle grandissant. Comment entendez-vous coordonner l'action du ministère, des industriels et des autres acteurs économiques, afin d'éviter la dispersion des réflexions et des moyens ?
M. Jean-Louis Carrère, président . - Pour assurer le respect de la programmation, le projet de loi contient des clauses de sauvegarde pour les ressources exceptionnelles, les opérations extérieures et le coût des carburants, mais aussi une clause de revoyure et un rapport annuel d'exécution. Nous nous en félicitons. Mais peut-être faut-il renforcer encore ces garanties, pour que l'exécution de la loi y soit aussi fidèle que possible : je sais que vous y êtes attaché. La clause de sauvegarde des ressources exceptionnelles pourrait ainsi être incluse dans la partie normative du texte, et il pourrait être prévu - car j'ai entendu le Président de la République parler de crédits budgétaires - que si les recettes escomptées ne sont pas au rendez-vous, d'autres ressources seront dégagées sur la base d'un financement interministériel. Je ne veux pas vous attirer les foudres de vos collègues, monsieur le ministre. Nous prendrions nous-mêmes les devants.
En outre, pourquoi ne pas prévoir au Parlement un débat annuel sans vote sur l'exécution de la loi de programmation, au moment du dépôt du rapport ? Cela renforcerait le contrôle de l'exécution budgétaire, mais cela nous donnerait aussi l'occasion de vous aider. Peut-être direz-vous que cela alourdirait excessivement la procédure, mais je reste très attaché à cette idée.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement exerce régulièrement son contrôle sur l'exécution de la loi de programmation, sans doute parce que j'ai longtemps été moi-même parlementaire. Tout ce qui garantit la bonne exécution du texte - rapport annuel, clauses de sauvegarde, révision en 2015 - me satisfait pleinement, mais tout ne dépend pas de moi. De même, j'appuierai tout ce qui peut conforter l'équilibre et la cohérence du texte. Cette loi sera difficile à mettre en oeuvre, mais les efforts demandés sont indispensables pour que les avancées prévues par ailleurs se traduisent dans les faits.
Madame Demessine, je ne suis pas encore tout à fait prêt à vous répondre sur l'accompagnement des restructurations. Je constate seulement que les sommes prévues lors des précédentes programmations n'ont pas toujours été bien utilisées. Il faut trouver les voies d'un accompagnement efficaces.
Nous escomptons environ 200 millions d'euros par an de ressources immobilières.
Sur la base aérienne de Cambrai, comme sur les autres sites, je ne prendrai pas d'engagement que je ne pourrai pas tenir.
Quant aux sites d'entraînement, je vais en visiter un cet après-midi, pour marquer l'importance que j'y attache. Ils sont indispensables à la préparation opérationnelle de nos troupes.
Monsieur Lorgeoux, il n'est pas question de renoncer à nos implantations en Afrique mais de les organiser différemment. Je n'ai pas tranché sur le périmètre, mais sur un chiffre global. Compte tenu du contexte international, la base de Djibouti conservera évidemment un rôle très important.
Au Mali, nous avons maintenu un peu plus longtemps que prévu des troupes nombreuses pour assurer une présence visible de nos soldats lors des élections présidentielles récentes, puis des prochaines législatives. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ne sera pas encore complètement installée à cette date. Mais en fin de compte, il ne devrait plus y avoir que 1 000 soldats français environ au Mali en 2014.
La judiciarisation est-elle liée à la disparition des tribunaux des forces armées ? Je la crois plutôt due aux évolutions sociales. Quoi qu'il en soit, je ne pouvais pas rester sans réagir, car cette tendance risquait de désorganiser profondément l'action militaire : un officier doit pouvoir donner un ordre sans craindre que celui-ci soit invalidé par un tribunal. Le regroupement des pôles compétents et la spécialisation des magistrats auront pour effet, j'en suis sûr, que les affaires seront mieux jugées.
En ce qui concerne la cyberdéfense, je crois que M. Montebourg annonce en ce moment même que la cybersécurité a été retenue parmi les filières industrielles éligibles au soutien de l'État. La cyberdéfense en fait partie. Il s'agit bien de créer une culture partagée. Je me suis saisi très tôt de cette question, et vous avez pu constater les avancées très importantes du projet de LPM dans ce domaine, qu'il s'agisse de l'évolution du droit ou de l'augmentation des effectifs.
Le décret adopté hier sur les attributions ne fait que revenir au statu quo ante 2009 pour éviter une double chaîne hiérarchique. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense, le chef d'état-major des armées ont chacun leurs compétences. Ce dernier est placé sous l'autorité du ministre, sans préjudice des attributions particulières du Président de la République dans le domaine nucléaire. Le ministre de la défense doit jouer son rôle dans l'emploi des forces. Pour ma part, j'entretiens des relations très fluides avec le Président de la République, mais je pense surtout à mes successeurs.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Monsieur le ministre, merci.
Amiral Edouard
GUILLAUD
Chef d'état-major des armées
Le 12 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président. - Amiral, nous vous souhaitons la bienvenue.
Nous sommes désireux d'entendre vos analyses sur le projet de loi de programmation militaire (LPM), dont le Sénat est saisi, ce qui devrait permettre, je l'espère, son adoption rapide.
Je serai donc bref, en vous livrant cependant quelques questions...
Le nouveau format permettra-t-il de sauvegarder la cohérence de notre modèle d'armée, de préserver nos compétences, et de remonter en puissance quand le retour à bonne fortune économique le permettra ? Il y a là une forte interrogation...
La trajectoire financière est-elle en ligne avec les ambitions affichées ? Est-elle soutenable, avec 6 milliards de ressources exceptionnelles ? Nous avons fait savoir au ministre, peu de temps avant votre venue que, quel que soit l'avis du Gouvernement, nous pensions protéger ces 6 milliards dans la partie normative, et que nous avions l'ambition de mettre en oeuvre un système de contrôle et d'accompagnement des plus précis, au plus près de son exécution.
Un tiers des déflations d'effectif portera sur les unités opérationnelles : c'est considérable. Nous sommes très attachés au moral et à la manière dont on traite les hommes. Quelle répartition entre armées, civils et militaires, et quand sera annoncée la prochaine carte militaire ? Je rappelle que nous devrions perdre une brigade interarmes...
La « différenciation » n'est-elle pas l'appellation pudique d'une armée à deux vitesses, tant en matière d'entraînement que d'équipement ? Comment la mettre en oeuvre dans les différents milieux ? Nous ne sommes guère favorables à ce type d'armée et aimerions être rassurés...
Enfin, comment les personnels de la défense vivent-ils cette période ? Nous avons quelques idées pour les rassurer. Nous allons essayer de les mettre en oeuvre au moment du vote de la loi, mais si vous avez une demande à formuler auprès de nous, elle sera écoutée avec beaucoup d'attention.
Je vous cède à présent la parole...
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Je vous remercie de me recevoir et mesure toute la difficulté que présente l'exercice. J'espère, après l'audition du ministre de la défense, pouvoir vous apporter quelques compléments.
Une partie de vos questions trouvera ses réponses dans le corps de mon exposé. Je les compléterai directement, si vous en êtes d'accord, avant que l'on ne passe aux questions.
J'ai bien noté vos interrogations ; elles ne me surprennent pas. Je les partage pour tout dire en grande partie, car il existe toujours des risques dans ce que nous faisons.
Comme vous le savez, la LPM 2014-2019 constitue la première étape vers la réalisation du modèle d'armée défini par le Livre blanc. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais vous faire part de trois remarques.
Tout d'abord, la réalisation d'un modèle d'armée constitue toujours un défi ; ce défi repose sur deux paris.
Le premier est parier que d'ici à 2025, c'est-à-dire dans douze ans, le monde évoluera comme nous l'imaginons aujourd'hui. Or, il y a douze ans, presque jour pour jour, les attentats de New York et Washington bousculaient un monde que nous pensions recomposé. L'Europe de la défense était encore pleine de promesses, et le retour de la France dans la structure intégrée de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) n'était pas à l'ordre du jour.
Le second pari est celui du volontarisme budgétaire, au regard de nos besoins et du contexte économique. Or, les besoins des armées évoluent et, souvent, la réalité économique diverge des prévisions. Ici également, l'histoire récente invite à la prudence.
Pourtant, la France doit relever ce défi de la réalisation du modèle d'armée. C'est une responsabilité de la Nation. Nos forces engagées sur le terrain doivent avoir les moyens de remplir leurs missions et, pour cela, disposer d'équipements adaptés, d'un entraînement suffisant, de conditions de vie et de travail satisfaisantes. Ce sera encore vrai en 2025. C'est dire l'importance que revêt la LPM.
Deuxième remarque : nous disposons aujourd'hui d'une armée immédiatement employable, efficace mais fragilisée.
A l'heure où je vous parle, un peu plus de 8 000 soldats, aviateurs et marins français sont en opération extérieure (OPEX), sur un peu plus de 20 000, déployés hors du territoire métropolitain -Afrique, Moyen-Orient, Asie, Balkans. D'autres sont mobilisés sept jours sur sept, que ce soit dans les missions de dissuasion ou pour la protection de nos concitoyens. D'autres encore sont en alerte, prêts à intervenir où et quand il le faudra. Cette diversité des postures correspond à la réalité du monde et à celle de nos missions : des théâtres variés, des menaces diversifiées, des conditions d'emploi allant de l'action ponctuelle à l'engagement durable, en national ou en coalition.
Les récents succès de nos armées ne doivent rien au hasard. Ils reposent sur quatre paramètres : la cohésion des femmes et des hommes de la défense, la préparation opérationnelle, la disponibilité d'un matériel de qualité, et enfin la réactivité. Ces quatre facteurs et une organisation adaptée donnent à nos autorités politiques une véritable liberté d'action. C'est un capital qui doit être préservé : toute fragilisation de l'un ou l'autre de ces paramètres affecterait la liberté d'action politique.
Or, avec des marges de manoeuvre financières de plus en plus limitées, la gestion passée a rendu délicat l'arbitrage permanent entre les capacités dont nous avons besoin aujourd'hui et celles dont nous aurons besoin demain. Aujourd'hui, celles qui concourent à la protection de nos concitoyens et du territoire national sont précarisées. Deux exemples : la couverture radar de notre espace aérien n'est pas optimisée ; les capacités nécessaires à l'action de l'État en mer sont déficitaires, notamment en patrouilleurs. La posture de dissuasion est tenue, mais sous forte contrainte. Les opérations extérieures soulignent à chaque fois nos principales insuffisances dans des capacités indispensables au renseignement et à la projection de nos forces : drones, transport aérien, ravitaillement en vol, hélicoptères de manoeuvre et hélicoptères lourds. Enfin, la préparation opérationnelle est grevée par l'augmentation des coûts du soutien. La situation actuelle est rendue plus instable par l'empilement des réformes conduites sur fond d'engagement permanent.
Troisième remarque : le Président de la République a choisi de conserver un niveau d'ambition stratégique élevé pour la France. Dans le contexte économique que nous connaissons, cette décision n'allait pas de soi. Je voudrais à cette occasion souligner la détermination du ministre de la défense.
Le Livre blanc 2013 exprime une ambition nationale inchangée dans ses grands objectifs, avec une stratégie militaire articulée autour de trois grandes missions : la protection des Français et du territoire national, la dissuasion nucléaire, la capacité d'intervention à l'extérieur du territoire national. Il définit le modèle d'une armée encore réduite dans son format, mais qui se veut « complet » et financièrement soutenable.
J'en arrive à la LPM. Mon analyse s'articule autour de trois idées. Premièrement, le projet de LPM prend en compte les priorités de nos armées pour le court et le moyen terme. En conséquence, et deuxièmement, des domaines jugés moins prioritaires à court terme sont mis sous tension. Troisièmement, je voudrais attirer votre attention sur certains aspects de la programmation qui, au-delà même de la cohérence du modèle, déterminent sa viabilité dès maintenant.
Les ressources budgétaires inscrites au projet de LPM s'élèvent à 183,9 milliards d'euros courants sur la période. Ces crédits sont complétés par d'importantes ressources exceptionnelles concentrées sur les quatre premières années : 6,1 milliards d'euros courants au total. Nous devrions donc compter sur 190 milliards d'euros courants pour l'ensemble de la législature. Cela représente un engagement fort de l'État. Nous en sommes pleinement conscients.
Au regard des priorités de nos armées, la LPM permet de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l'avenir. Elle marque un effort au profit de la préparation opérationnelle, socle de l'efficacité d'une armée. Cet effort, qui porte principalement sur l'entretien programmé des matériels, permettra dans un premier temps de disposer d'un niveau de préparation opérationnelle globalement comparable aux prévisions de 2013, niveau toutefois inférieur de 15 à 20 % aux normes communément admises. Il devrait, à partir de 2016, tendre vers ceux-ci.
Cet effort est malgré tout indispensable. Ces dernières années, les indicateurs d'activité opérationnelle ont connu une érosion continue, qui s'est accentuée en 2012. Elle s'explique par des crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) insuffisants, alors que les coûts augmentaient. Ni la diminution des parcs, ni le prélèvement de pièces détachées dans les stocks n'ont permis de les compenser. Les tensions créées sur de nombreux stocks ont fini par affecter la disponibilité des matériels, notamment des plus anciens. Cette année, la prévision de la disponibilité est de 40 % pour les véhicules de l'avant-blindé (VAB), 48 % pour les frégates, et 60 % pour les avions de combat de l'armée de l'air.
Pourtant, les crédits consacrés à l'EPM dans le cadre de ce projet de loi progresseront en valeur de 4 % par an en moyenne sur la période 2014-2019, et de 5,5 % dès 2014. C'est donc un point de satisfaction.
Les effets de ces efforts financiers devraient être renforcés par l'application du principe de différenciation, qui commande d'équiper et d'entraîner nos forces au juste besoin, des forces que l'on distinguerait plus finement en fonction de leurs missions les plus probables. Nous n'en mesurons pas encore tous les bénéfices en termes de coût et d'organisation, mais c'est l'un des fondements du nouveau modèle, et chaque armée travaille à sa mise en oeuvre. J'aurais du mal à être plus précis pour le moment. D'une certaine façon, la différenciation existait déjà. Nous l'identifions mieux et allons voir si nous pouvons en tirer plus de bénéfices.
Un exemple de différenciation réside dans le fait que tous les pilotes n'ont pas toutes les qualifications pour certaines missions. On ne demande pas à tous les navires d'être simultanément au maximum de leur savoir-faire....
M. Jean-Louis Carrère, président. - Tous les pilotes n'ont pas non plus toutes les qualifications sur tous les appareils.
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Il s'agit donc de bien l'identifier en termes de savoir-faire opérationnel...
Le projet de LPM prend donc en compte l'une de nos principales difficultés mais permet par ailleurs d'investir dans les équipements, en cohérence avec les priorités du Livre blanc. L'agrégat « équipements » sera doté de 102 milliards d'euros courants sur la période, soit 54 % des ressources totales. A ce propos, je voudrais souligner quelques points.
Premièrement, en euros 2013, la trajectoire des crédits d'équipement est quasiment stable à 16,1 milliards d'euros annuels en moyenne sur la période 2014-2019, c'est-à-dire au niveau de la loi de finances initiale (LFI) 2013. Or, le coût des facteurs -qui englobe le prix des matières premières, de la technologie ainsi que les coûts de production industrielle- est toujours supérieur à l'inflation. Dans le monde occidental, il est, sur les trente dernières années, en moyenne, supérieur à l'inflation de 1 %. Conséquence immédiate, nous serons tenus, sur la période de la LPM, de poursuivre les efforts de productivité au sein de l'ensemble du ministère de la défense, pour compenser les effets de l'érosion inéluctable du pouvoir d'achat dans ce domaine.
Deuxièmement, l'effort d'équipement porte prioritairement sur les programmes dits « à effet majeur ». Ils représentent 34 milliards d'euros entre 2014 et 2019, soit 5,7 milliards d'euros par an en moyenne. Point positif, il n'y aura ni abandon, ni renoncement. En revanche, tous les programmes seront touchés : cadences de livraison revues à la baisse, échéances de lancement de programme ou de livraison de matériel décalées.
L'exemple emblématique est le Rafale. Nous en réceptionnerons vingt-six sur l'ensemble de la période, au lieu de onze par an.
M. Jean-Louis Carrère, président. - N'était-ce pas plus que ce que le prévoyait la LPM précédente ?
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - En effet. Celle-ci avait été construite sous un certain nombre de contraintes, mais c'était le minimum pour éviter de passer de l'industrialisation à l'artisanat d'art !
Ce ralentissement de cadence représente cependant 47 %. Il se répercute évidemment directement sur la montée en puissance des unités. Au lieu de transformer un escadron en deux ans, il en faudra cinq ! Cela signifie inévitablement des réductions temporaires de capacités. J'espère qu'elles ne deviendront pas définitives. C'est l'un de mes sujets de préoccupation...
M. Jean-Louis Carrère, président. - La commission estime que si Dassault réussit à exporter et signe son contrat, tout se passera conformément à nos souhaits, mais la clause de revoyure nous permet de reconsidérer le rythme en cas de mauvaise fortune !
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Je terminerai sur la clause de revoyure et sur son importance...
Troisièmement, le reste de l'agrégat « équipements » se répartit principalement sur trois domaines. Il s'agit de l'EPM, dont j'ai déjà parlé -21 milliards d'euros- la dissuasion -23 milliards d'euros, soit une progression de près de 30 % sur la période pour assurer le renouvellement des deux composantes. A l'origine, elle devait augmenter davantage...
Le troisième domaine, d'un montant de 25 milliards d'euros, concerne des programmes d'armement moins emblématiques, mais gages de la cohérence organique et capacitaire des forces, des opérations d'infrastructure et des études -même s'il a été rappelé, à l'occasion de l'université d'été de la défense, que nous conservions un niveau important d'études. Dans le contexte de vieillissement des parcs et de l'infrastructure, la dotation de ce domaine est donc, si l'on est optimiste, juste suffisante et, si l'on est pessimiste, juste insuffisante.
Ce budget doit permettre de financer les priorités du Livre blanc : connaissance et anticipation, cyberdéfense et préparation de l'avenir. Le renforcement de la fonction connaissance et anticipation sera poursuivi, en particulier dans le domaine du renseignement spatial, avec les programmes MUSIS pour l'imagerie et CERES pour le renseignement d'origine électromagnétique. Au titre de la montée en puissance de la cyberdéfense, plusieurs centaines de postes seront créés sur la période 2014-2019 dans le domaine de la lutte informatique et de la sécurité des systèmes d'information.
Enfin, l'effort est marqué pour la préparation de l'avenir, soit 748 millions d'euros au titre du projet de loi de finances pour 2014, et une moyenne de 730 millions d'euros sur la période sur la période 2014-2019. Le Délégué général pour l'armement vous en parlera plus savamment que moi en détail. C'est un point de satisfaction. Il n'était pas évident de continuer à pouvoir prendre en compte le court et moyen terme, et préparer l'avenir sans obérer le présent.
Deuxième idée directrice : le financement des priorités que je viens d'évoquer créera d'inévitables tensions sur les armées, dans deux domaines en particulier, le fonctionnement et la masse salariale.
S'agissant du fonctionnement, dont une part significative contribue directement à l'activité opérationnelle des forces -crédits d'entraînement et carburants opérationnels par exemple- de nouvelles économies très volontaristes sont programmées à hauteur de plus de 600 millions d'euros sur la période 2014-2019, soit près de 100 millions dans le projet de loi de finances 2014. Ces mesures d'économie s'appliqueront alors que le fonctionnement est déjà marqué par une très forte rigidité des dépenses. Au bilan, l'objectif est de contenir les coûts de structure hors OPEX à environ 3,5 milliards d'euros par an en moyenne sur la période 2014-2019.
Cette très forte contrainte sur le fonctionnement se répercutera sur les conditions de vie et de travail du personnel, d'autant que, dans le domaine de l'infrastructure, les ressources ne permettront plus de satisfaire nos objectifs de maintenance préventive. Le ratio de maintenance par mètre carré restera ainsi très inférieur au ratio considéré comme satisfaisant : 4 euros par mètre carré alors qu'on estime qu'il en faut 11 !
Concernant les dépenses de personnel, la programmation du titre II prend en compte une économie de l'ordre de 4,5 milliards d'euros sur la période, au titre de la déflation des effectifs et des mesures de « dépyramidage ». Ainsi, les crédits budgétaires programmés passent de 11,2 milliards d'euros en loi de finances initiale 2013 à 10,4 milliards d'euros en 2019, soit 64 milliards d'euros, hors OPEX et pensions, sur la LPM, représentant 34 % des ressources totales.
De plus, la programmation du titre II prend en compte une enveloppe de mesures catégorielles plafonnée à 45 millions d'euros par an, c'est-à-dire diminuée de moitié par rapport à la précédente LPM, alors que de nouveaux efforts sont demandés au personnel.
Cette réduction des dépenses de la masse salariale est un défi pour le ministère de la défense et donc pour les armées, ministère qui devra supprimer 34 000 postes entre 2014 et 2019, et dépyramider. Il est notamment prévu de supprimer de 1 000 à 1 100 postes d'officiers par an, soit trois fois et demie la déflation moyenne réalisée sur la période 2008-2013, dans un contexte de réforme des retraites, et alors même que les reconversions dans le secteur privé sont de plus en plus difficiles en raison de la crise économique. J'observe à cet égard que le taux d'encadrement des armées mesuré ou pris stricto sensu est déjà inférieur à l'objectif moyen annoncé de 16 %.
Enfin, concernant le budget des OPEX, le projet de LPM prévoit une provision à hauteur de 2,7 milliards d'euros sur la période 2014-2019, soit 450 millions d'euros par an, contre 630 millions d'euros en loi de finances initiale 2013. Cette provision est adaptée aux nouveaux contrats opérationnels et à une reconfiguration du dispositif en Afrique et des forces prépositionnées. La maîtrise de cette enveloppe relève en partie de décisions politiques, faute de quoi le financement des dépenses liées aux OPEX pèserait sur les équipements.
Ma troisième idée directrice est que l'équilibre physico-financier de la programmation est fragile. La construction de la LPM intègre des hypothèses volontaristes, sur lesquelles il convient d'être particulièrement attentif. C'est pour moi un point de vigilance.
Les ressources ont en effet été programmées dans un contexte de forte contrainte budgétaire, ce qui fait évidemment peser des risques significatifs sur son exécution, si les principales hypothèses de construction ne se vérifient pas. Ces risques concernent en particulier les ressources, la masse salariale, les dépenses d'équipement, et le fonctionnement.
Les risques financiers liés aux ressources sont de deux types.
D'abord, les conditions d'entrée en LPM : tout abattement de ressources en 2013 -annulation partielle de la réserve de précaution initiale, ou autofinancement des surcoûts OPEX- amplifierait le report de charges que nous prévoyons pour la fin 2013, déjà proche de 3 milliards d'euros. Une dégradation déstabiliserait de facto l'entrée en LPM.
Le deuxième risque est lié aux ressources exceptionnelles. La stabilité en valeur des ressources totales de la « mission défense », les trois premières années de la LPM, telle qu'elle a été rappelée par le Président de la République et demandée avec force par le ministre de la défense, est conditionnée par la mise à disposition effective des ressources exceptionnelles, dont le montant prévisionnel représente près du double de la précédente loi. Or, la mise à disposition de ces ressources doit encore être consolidée sur l'ensemble de la période.
Dans l'hypothèse d'une non-réalisation partielle de ces ressources, le projet de loi comprend une clause de sauvegarde de nature à rassurer, pour autant que les notions de « modification substantielle » ou « de conséquence significative sur le respect de la programmation » ne fassent pas l'objet d'une lecture exagérément restrictive par les services financiers de l'État. Il est par conséquent important que le texte garantisse explicitement l'obtention de l'intégralité des ressources, telles qu'elles ont été programmées dans le projet de LPM.
Le second risque financier réside évidemment dans la masse salariale, enjeu essentiel.
La déflation des effectifs et le dépyramidage des effectifs militaires sont conditionnés par l'application des mesures d'aide financières au départ et le reclassement du personnel militaire dans les fonctions publiques. A défaut, les dépenses de masse salariale risquent de ne pas être tenues, en particulier l'objectif d'un glissement-vieillesse-technicité (GVT) quasiment nul -( +5 M€ par an). Le troisième risque financier concerne les dépenses d'équipement.
Dans l'attente de la renégociation des grands contrats avec les groupes industriels, différentes hypothèses ont été retenues pour établir un référentiel de programmation des programmes à effet majeur. Ces hypothèses sont très naturellement optimistes avec, pour l'exportation du Rafale, deux contrats d'exportation à moyen terme et un à plus long terme ; s'ils ne se concrétisaient pas, la programmation serait gravement affectée.
De même, les besoins de l'infrastructure ont été fortement contraints, en prenant en compte le décalage des livraisons et les réductions de cible des grands programmes d'armement, réduisant de facto les besoins pour les grandes opérations. Pour autant, l'impact financier des restructurations dans ce domaine devra être consolidé lorsque les décisions politiques sur les sites concernés auront été prises. Les décisions ne sont pas encore prises...
Pour finir, il existe des risques associés aux autres dépenses. J'en retiens deux...
Les carburants opérationnels : une clause de sauvegarde est prévue par le projet de rapport annexé pour couvrir les éventuels surcoûts liés à une hausse du prix des produits pétroliers et ainsi garantir les volumes de carburants nécessaires à la réalisation de l'activité opérationnelle des forces. Cette clause de sauvegarde existait déjà dans la loi de programmation militaire 09-14 et a effectivement été utilisée. Par contre, d'autres, comme celle relative à la masse salariale, n'ont pas été acceptées par Bercy. Second risque, celui du fonctionnement : la réalisation d'importantes économies nécessitera un effort de rationalisation supplémentaire et donc de réorganisation, alors que les réformes liées à la précédente LPM ne sont pas encore achevées, y compris les déflations prévues, 10 000 sur 34 000 restant à mettre en oeuvre...
Enfin, le projet de LPM prévoit l'élaboration d'un plan ministériel d'amélioration de la condition du personnel (PACP). Ce plan répond à une forte attente de la communauté militaire, tout comme le chantier de la réforme du régime de rémunération des militaires. Je me réjouis tout particulièrement des mesures visant à protéger les militaires en opérations des risques de judiciarisation de leurs actions -énorme avancée selon moi- et également de celles destinées à améliorer la protection des familles de soldats blessés en opérations. Elles sont une avancée très positive.
La préservation du moral est en effet l'une des premières conditions du succès des réorganisations qui s'annoncent. L'accumulation des réformes de structure et la nécessité de maîtriser les dépenses courantes de fonctionnement ont un impact évident sur l'état d'esprit de la collectivité militaire et de tous ceux qui servent la défense. Ces mesures manifestent la reconnaissance de l'engagement de nos militaires, ainsi que des spécificités de leurs missions : ce sont des points essentiels pour le moral et l'efficacité des armées.
Pour conclure, en raison du contexte géostratégique, économique et financier, cette nouvelle LPM sera particulièrement complexe à mettre en oeuvre. Il importera d'en mesurer les premiers résultats dès 2015, pour être en mesure d'instruire de façon efficace la clause de revoyure prévue. Il faudra donc s'assurer de la cohérence des choix opérés. Vous avez dit, Monsieur le Président, que vous porteriez une attention particulière à leur réalisation : cela rejoint tout à fait ma préoccupation.
Le chef des armées -le Président de la République- a pris des engagements forts. Le ministre de la défense les porte avec détermination. Votre vigilance, Mesdames et Messieurs les parlementaires, sur les conditions d'exécution du budget et les ressources exceptionnelles sera cruciale. C'est un combat collectif que nous devons mener ensemble. C'est un combat que nous devons gagner, pour la défense de nos concitoyens, de notre pays et de ses intérêts.
Vous m'avez demandé si le format resterait cohérent, permettrait de préserver nos compétences et d'envisager une remontée en puissance. J'ai dit qu'il s'agissait bien, selon moi, de pouvoir remonter en puissance après retour à meilleure fortune. C'est toujours un exercice difficile, mais ceci implique la préservation d'un certain nombre de compétences. Certains avaient par exemple envisagé de supprimer notre savoir-faire en termes de capacités de largage à très grande hauteur. Nous sommes à peu près les seuls, avec les Etats-Unis, à savoir encore le faire. Ceci a été utilisé en Afghanistan, dans des régions montagneuses, mais également au Mali, où il fallait que les avions volent très haut pour ne pas être entendus au sol. C'est une petite niche, que nous essayons de préserver. Nous sommes les seuls en Europe à savoir le faire.
La cohérence découle de tout ceci. Il s'agit pour nous de ne pas nous reposer sur d'autres, dont nous ne pourrions garantir la disponibilité en cas de besoin. C'est là tout le débat sur la mutualisation capacitaire -le « pooling and sharing ».
Quant aux trajectoires financières, on est juste suffisant si l'on est optimiste, juste insuffisant si l'on est pessimiste. Je souligne qu'il est important que les ressources exceptionnelles soient au rendez-vous à la date prévue. Cela n'a pas été le cas lors de la précédente LPM. En outre, il faut que les lois de finances exécutées ressemblent un peu plus que ce n'est aujourd'hui le cas aux lois de finances initiales et que, 15 jours après qu'elles soient entrées en vigueur, on ne nous supprime plusieurs centaines de million d'euros !
M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est en effet déjà arrivé !
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Cela remonte à quelques dizaines d'années...
Je ne puis malheureusement vous donner l'impact des déflations sur la carte militaire. Le ministre prévoit de faire les premières annonces à la fin du mois. Par ailleurs, s'agissant de la répartition, lors des précédentes LPM, on était partis sur 75 % pour les militaires, 25 % pour les civils. On est arrivé à 78-22. Il est intéressant de voir pourquoi. On prétend augmenter le taux de civils. Mais la réduction des effectifs vise principalement le soutien, là où les civils sont les plus nombreux. Difficile alors de la réaliser sans toucher aux opérationnels. Jusqu'à présent, ce ne sont pas les civils qui partent en opération !
Savez-vous combien l'opération Serval comptait de civils ?... Deux ! Il s'agissait d'anciens militaires, agents sous contrat de l'économat des armées -de quasi-agents de l'Etat. Mes homologues britanniques et américains m'ont demandé comment je m'y étais pris au Mali avec tous les civils. Je leur ai expliqué que je n'en avais pas. Ce sont des gens qui sont en uniforme, et qui sont régulièrement obligés de tenir un fusil pour se défendre, à Gao ou à Tombouctou.
La répartition entre civils et militaires n'est donc pas simple. Elle ne l'est pas non plus lorsqu'un certain nombre de postes sont ouverts aux civils dans les bases de défense et qu'on ne trouve pas de candidat ! Or, ces postes doivent être tenus. N'arrivant pas à trouver de civils, je nomme donc des militaires ! Cela augmente artificiellement leur proportion. Commençons par fournir tous les postes ouverts aux civils -ce qui est loin d'être le cas !
Il y a quelques années, on avait prévu des chefs de groupement de soutien de bases de défense civils. Il y en a eu, mais parfois, faute de candidats, on a été obligés de nommer des militaires.
Il ne s'agit pas simplement de catégories C, mais également de catégories B et A !
Cela n'aide pas au changement de répartition ou au rééquilibrage -appelons-le comme on veut ! C'est une réalité vécue chaque jour, et un vrai souci. On en arrive à conseiller à certains militaires de devenir civils pour pouvoir les engager ! C'est ce qui s'est passé à Cherbourg, où la même personne, sur le même poste, est passée instantanément de cinq galons panachés au statut d'administrateur civil !
Ce n'est pas plus simple dans les autres ministères, où les commissions mixtes paritaires (CAP) émettent un veto quasiment systématique à l'intégration de militaires !
Tous les cinq ou six ans, on nous dit que nous allons pouvoir partir dans les autres administrations. Ce n'est pas vrai ! J'ai même vu un officier recruté comme inspecteur des finances. Au bout d'un an, le corps des inspecteurs des finances a décidé qu'il ne pouvait intégrer un officier ayant fait une grande école militaire.
Vous avez également évoqué la différenciation. Le risque réside évidemment dans une armée à deux vitesses -et les trois chefs d'état-major sont d'accord avec moi. C'est évidemment ce que nous voulons éviter. Cela aurait des influences énormes sur le moral et sur le recrutement. Ce serait extrêmement discriminant. Nous y faisons très attention...
Je n'ai pas de recette miracle, mais on apprend en marchant !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il doit exister des passerelles.
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - C'est bien ce que nous voulons établir.
Enfin, le moral, comme dans toute période de restrictions, est évidemment un sujet de préoccupation majeure, d'autant qu'il s'agit de réformes incessantes. La dernière LPM a eu lieu en même temps que la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui s'est déroulée à la hache. Il nous faut donc des outils de communication interne, d'aide à la reconversion, et d'aide au départ.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous réfléchissons à un débat sur le suivi de l'exécution de la LPM devant le Parlement, à la suite d'un rapport annuel. Nous suggérerons sans doute que le plancher de ressources prévu puisse être le point de départ d'une amélioration que nous souhaitons tous. Ceci fera certainement l'objet d'amendements que l'on inclura dans la partie normative. Nous y sommes très attentifs !
La garantie sur les ressources exceptionnelles (REX) -à moins que nous soyons mis en minorité ?- devrait figurer dans la partie normative. Nous avons tous en tête les paroles du Président de la République, lorsqu'il a parlé de crédits budgétaires. Avec Bercy et d'autres, c'est compliqué, mais nous irons aux arbitrages !
S'agissant du Rafale, je ne sais ce que décidera la commission, mais la clause de revoyure doit nous permettre de réexaminer le sujet le moment venu. Si Dassault réussit à remporter un certain nombre de contrats à l'exportation, nous en serons ravis pour elle, pour la France et pour la LPM. Sinon, nous n'allons pas prendre le risque de mettre à mal ses chaînes de fabrication !
Si nous réfléchissons à un retour à bonne fortune, si nous avons cette clause de revoyure, et si nous insistons sur le mécanisme d'exécution annuelle, ainsi que sur le débat au Parlement, c'est parce que nous sommes particulièrement vigilants.
Par ailleurs, les clauses de sauvegarde des REX, des OPEX et des carburants sont ce qu'elles sont, mais il n'est pas question de laisser s'amorcer un risque de dérive.
Que personne ne compte sur moi pour engager une polémique entre une LPM et une autre. Ce n'est, selon moi, pas une bonne méthode politique. Nous pouvons cependant retenir les bonnes solutions et essayer de corriger les moins bonnes.
De votre côté, il faut que vous nous teniez informés des risques de lissages budgétaires auxquels vous faisiez référence. Nous suivrons également avec grande attention le démarrage de la LPM pour éviter qu'elle ne soit différée.
Je suis néanmoins en désaccord avec vous au sujet de la masse salariale. Il s'agit d'un désaccord mineur, qui touche la formulation. Je ne me suis jamais prononcé contre les réductions à la hache prévues par la LPM précédente et la RGPP. J'en ai suivi l'évolution, mais j'ai constaté un accroissement du nombre d'officiers peu compatible avec une réduction de la masse salariale. Je n'ai rien contre les officiers -au contraire- et je pense qu'une armée bien dirigée est plus efficiente encore. Toutefois, le système de rémunération des armées, qui était totalement loufoque, pose encore quelques problèmes auxquels il faut remédier...
La parole est maintenant aux commissaires...
M. Jacques Gautier. - Nous avons évoqué avec le ministre l'achat de drones Reaper , leur arrivée progressive et la création d'un club avec les Britanniques et les Italiens. Nous estimons qu'il s'agit d'une excellente idée. Si les Allemands finissent par nous suivre, ce sera intéressant.
Le ministre nous a indiqué qu'il s'agissait pour lui de la base d'un groupement futur pour le drone de troisième génération. Les industriels de ces pays disent qu'ils sont prêts à travailler ensemble. Le ministre nous a rassurés en disant qu'il peut financer les recherches en cas de besoin véritable. Il me semble qu'il appartient aux états-majors de ces pays de définir les besoins opérationnels. Qu'attendez-vous d'un drone de troisième génération, à échéance de 2002-2025 ? Doit-il être interthéâtre ? Si vous ne définissez pas ensemble ces besoins, il n'y en aura jamais et, si nous en avons besoin, nous finirons par acheter le Predator 3 C Avenger !
Vous avez par ailleurs évoqué la faiblesse des forces navales en patrouilleurs océaniques. Le remplacement, à coût constant, de la dixième FREMM par six ou sept patrouilleurs Adroit vous choque-t-il ?
Concernant les forces spéciales, deux écoles s'opposent. Certains ont réclamé la création d'une unité supplémentaire. Tous les retours que l'on peut avoir du terrain indiquent qu'il conviendrait plutôt d'étoffer les équipes, en passant de dix à treize. Quel est votre point de vue sur ce dossier ?
Enfin, on parle depuis longtemps du remplacement du fusil d'assaut de la manufacture d'armes de Saint-Étienne (FAMAS). Il figure dans l'armement individuel du futur (AIF). Il n'existe plus d'industrie en France, mais les Belges, les Allemands, les Espagnols, les Italiens -et peut-être même les Coréens- fabriquent ce type de matériel. On sait que les Allemands vont remplacer le leur. Les états-majors peuvent-ils définir ensemble une commande, quitte à ce qu'elle soit décalée d'un an ou deux, selon les pays ?
M. Christian Cambon. - Les mesures précédentes, qui ont été particulièrement sévères pour les armées puisqu'elles ont quasiment supprimé 40 000 postes, n'ont pas véritablement permis d'enrayer la progression de la masse salariale. Quels éléments vous permettent-ils de penser que la LPM va vous permettre de tenir vos engagements ?
D'autre part, en matière d'effectifs, vous avez longuement parlé du moral du personnel. J'ai interpellé le ministre à plusieurs reprises au sujet de la situation du système Louvois. Malgré les affirmations répétées, les graves désagréments que subit ce système n'entretiennent pas le moral des armées !
Je voudrais également recueillir votre avis sur un sujet plus large. On ne peut dire que les menaces s'éloignent, bien au contraire. Par ailleurs -et l'on peut appuyer ou non cette prise de position- le chef de l'Etat souhaite que la France exerce ses responsabilités en tant que membre du Conseil de sécurité. Pensez-vous que le modèle d'armée réduit que cette LPM met en place va nous permettre de nous adapter aux nouvelles menaces qui ne cessent de surgir, que ce soit en Méditerranée, en Afrique ou au Moyen-Orient ? On a vu, depuis dix-huit mois, fleurir de nouveaux conflits. La France doit être en mesure d'y répondre. Va-t-elle pouvoir le faire compte tenu de cette LPM ?
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - S'agissant du Reaper , le principe du club est agréé par les Allemands, les Britanniques, et les Italiens.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Bonne nouvelle !
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Nous pourrions relancer avec les Allemands l'idée d'une brigade aérienne franco-allemande, que j'avais exposée ici, il y a deux ans. Cela signifie des entraînements, une maintenance et éventuellement un stationnement communs. La cocarde ne sera pas la même, et les déploiements seront différents, mais c'est mieux que rien !
Grâce à ce club, on saura un peu mieux ce que l'on veut. On a déjà parlé ici du développement incrémental par des charges utiles européennes. C'est un des points que le ministre négocie actuellement avec les Etats-Unis, le plus important, dans un drone, étant la charge utile.
Nous avons donc bien l'intention de travailler en commun. Nous avons montré que nous en étions capables. Actuellement, les essais du Watchkeeper , qui n'est toujours pas déclaré opérationnel, se poursuivent au Royaume-Uni et en France. La version définitive n'est toujours pas acquise. Les résultats ne sont pas encore ceux que nous espérions. C'est un vecteur israélien, avec une charge utile Thales-UK. Nous sommes montés dans le train sans ajouter de sur-spécifications, qui auraient rendu la coopération impossible, retardé le système, et rendu le projet financièrement bien plus difficile. Notre volonté dans ce domaine est très nette.
La troisième génération serait certes un bel objectif, mais peut-être ne faut-il pas afficher trop vite nos ambitions,
Pour ce qui est des forces navales, remplacer une FREMM par six ou sept Adroit a certainement du sens. A ma connaissance, la marine ne tient toutefois pas son contrat avec onze FREMM...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On avait parlé de treize...
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Voire quatorze, le contrat pouvant être inférieur aux besoins.
L'une de nos préoccupations est le retour des sous-marins, notamment en Asie. L'Adroit est un formidable patrouilleur, et constitue une belle coopération entre le l'industrie et le ministère de la défense, mais il ne s'agit pas d'un bâtiment de lutte anti-sous-marine.
A l'origine, on était à 11 FREM-ASM et 6 bâtiments d'action vers la terre, soit 17 au total, qui en remplaçaient déjà 34 bateaux. On peut souvent compenser la quantité par la qualité, mais pas tout le temps !
Quant aux forces spéciales, l'augmentation de plus 1 000 hommes mérite réflexion. En tout état de cause, je suis pour renforcer les structures existantes. La dernière unité à avoir été créée est le commando Kieffer, unité dite technologique, actuellement la plus utilisée. Il faut huit ans de travail pour créer un tel commando de marine...
Les forces spéciales jouissent d'une aura, mais leur vocation n'est pas de tenir le terrain. Si l'on veut que les forces spéciales françaises conservent leur niveau exceptionnel, mondialement reconnu, il faut un vivier suffisant au sein de nos armées dont les effectifs baissent. On peut sans doute augmenter un peu le volume des forces spéciales, mais je préfère renforcer les structures existantes, plutôt que de créer une nouvelle unité.
Vous avez évoqué le successeur du FAMAS. J'ai consulté mes homologues. Je suis demain à Budapest. Sur les 28 membres de l'OTAN, 26 sont en Europe, et 22 dans l'Union européenne. Les calendriers sont quelquefois relativement divergents. Le choix sera fait entre les Allemands, les Belges et les Italiens. Nous n'irons pas nous fournir en Corée. Je ne le veux pas, de même que je souhaite un drone de troisième génération européen. Je n'ai rien contre les Etats-Unis, mais l'autonomie stratégique que notre pays veut conserver passe par la maîtrise de ses approvisionnements. J'étais favorable au Reaper pour « boucher un trou », mais cela ne peut constituer une solution durable. Si nous pouvons le faire ensemble, nous le ferons bien évidemment.
Comment faire au sujet de la progression de la masse salariale et des effectifs ? Nous avons été accusés de ne pas tenir notre masse salariale. On a oublié qu'on nous a demandé de prendre sous enveloppe les retraites, l'augmentation des cotisations et les effets de guichet, ce qui n'était pas prévu. C'est nous qui payons l'allocation-chômage et non le budget de l'Etat ! On nous a en outre imposé des GVT à 0, voire négatifs.
Enfin, nous sommes entrés dans la dernière LPM avec une avance de déflation de 1 500 hommes !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Et on a réintégré le commandement intégré de l'OTAN !
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - On était là dans l'épure...
Si on nous impose la même chose, le résultat sera identique.
Certes, nous avons péché dans certains domaines, en particulier en matière de gestion des officiers supérieurs. J'y ai mis un terme il y a plus de deux ans. Cela n'a pas amélioré la situation, mais c'est marginal.
Suite à la réforme de la gouvernance, c'est désormais la direction des ressources humaines du ministère de la défense qui va devoir affronter les difficultés de gestion du T2.
Cela m'amène à Louvois. Il y a un an, je disais qu'il fallait changer de calculateur. J'ai une certaine expérience en informatique et en matière de grands systèmes. Cela a été une partie de ma formation et de ma pratique d'officier. Fin août, on a dépassé 50 % d'erreurs ! Nous sommes sûrs que le calculateur lui-même -coeur du système- est déficient. Il y en un an, c'était encore une querelle d'experts. Maintenant, tout le monde est d'accord. Il faut donc faire quelque chose. Louvois coûte cher : on dépasse largement les 100 millions d'euros d'indus !
Un nouveau calculateur coûte plusieurs dizaines de millions d'euros, non budgétés. Ce sera donc sous enveloppe. Trois ans sont nécessaires. Je ne suis donc vraiment pas enthousiaste !
M. Jean-Louis Carrère, président. - On va poser la question au moment du débat sur la LPM...
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées. - Enfin, comme souvent, même un Livre blanc fait l'objet de compromis entre diverses forces. Le Président de la République a parlé de trois missions : protection des Français et du territoire, dissuasion nucléaire comme assurance ultime, force d'intervention.
Vous avez fait référence à notre positionnement au sein du Conseil de sécurité, que personne ne remet en cause pour l'instant, alors que nous ne sommes que 65 millions. Nous devons être capables d'intervenir rapidement, puissamment, là où c'est nécessaire. Cela ne veut pas dire que nous devions forcément rester. On utilise souvent l'expression « hit and run ». Pour nous, historiquement cela a parfois été « hit and stay ». Je pense que nous montrons, avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), que nous pouvons changer de paradigme et faire du « hit and transfer ».
Oui, le modèle d'armée est réduit, mais une frappe suivie d'un transfert à d'autres peut fonctionner. La communauté internationale attend que les membres permanents donnent l'exemple ! C'est ce qu'on est en train de faire au Mali. La MINUSMA ne fonctionne pas si mal ! Elle avance même plus vite que prévu. Hier, pour la première fois, la MINUSMA a mené une opération où elle a arrêté elle-même des djihadistes et a trouvé des caches d'armes. Nous n'étions pas avec elle... Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais cela fait trois ou quatre semaines qu'elle semble prendre son autonomie. Je suis un incurable optimiste !
M. Francis DELON
Secrétaire
général de la défense et de la sécurité
nationale
11 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président . - Monsieur le secrétaire général de la défense nationale, vous avez la parole...
M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. - Merci. Je vous avais apporté en avant-première, en juillet dernier, un certain nombre d'informations sur l'élaboration de la loi de programmation militaire (LPM).
Je suis aujourd'hui en mesure d'être plus précis et concentrerai mon propos sur la sécurité des systèmes d'information, le renseignement et la création d'une plateforme dite « Passenger name record » (PNR), les sujets liés à la programmation militaire relevant plutôt, me semble-t-il, du ministre de la défense et de ses services. Je répondrai toutefois à vos questions si vous en avez...
En premier lieu, le président Carrère et les vice-présidents Reiner et Gautier, membres de la commission du Livre blanc, savent combien la sécurité des systèmes d'information nous a occupés lors des travaux menés dans le cadre de cette commission. Les dispositions que je vais vous présenter reprennent pour l'essentiel celles que nous vous avions présentées en juillet avec Patrick Pailloux, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).
Au préalable, je souhaite vous rappeler en quelques mots les cybermenaces auxquelles nous sommes confrontés...
L'espionnage tout d'abord. Les informations visées peuvent être de nature politique, militaire, diplomatique ou économique lorsqu'un État est visé, technologiques, commerciales ou financières lorsque l'attaque cible certains acteurs publics ou des entreprises. La situation que nous observons est préoccupante. L'espionnage, souvent d'origine étatique, est massif. En matière industrielle, il atteint tous nos secteurs de souveraineté. Or ce n'est qu'une fois l'attaque réussie et le pillage accompli que les entreprises victimes comprennent la nécessité de renforcer la sécurité de leurs systèmes d'information. Nous ne voulons pas attendre que toutes nos entreprises se rendent compte au moins une fois d'une atteinte grave à leur compétitivité avant de réagir, d'où le choix du Gouvernement de proposer des mesures appropriées au Parlement. Les efforts déployés doivent aussi contribuer à protéger la compétitivité de nos entreprises nationales.
Le deuxième objectif possible pour un attaquant est la déstabilisation. L'attaque est alors médiatisée. Il s'agit de messages de propagande ou d'hostilité, placés sur des sites internet mal protégés, à l'occasion d'un conflit, armé ou non, ou bien même d'une décision politique qui suscite la controverse. On se souvient par exemple du black-out de l'internet estonien en 2007, qui a privé ce pays de l'accès aux services bancaires et à l'administration en ligne.
Le troisième objectif possible est le sabotage. L'attaquant cherche alors à perturber le fonctionnement d'installations connectées aux réseaux de communications électroniques. Il peut s'agir d'un service bancaire, d'un château d'eau de l'une de nos communes, d'une centrale de production d'énergie. L'exemple le plus frappant nous est donné par le virus informatique Stuxnet, qui a perturbé le fonctionnement des centrifugeuses de la centrale de Natanz, en Iran, détruisant un millier d'entre elles et retardant ainsi le programme nucléaire iranien.
Les précisions sur le cyberespionnage figurant dans le rapport de la société de sécurité informatique américaine Mandiant confirment le caractère méthodique d'un pillage systématique effectué à distance par des unités militaires. Depuis quelques mois, les révélations quasi quotidiennes issues des documents de l'ex-consultant en sécurité de la National security agency (NSA), Edward Snowden, montrent l'ampleur de l'espionnage et les moyens considérables qui y sont alloués...
Si les protestations diplomatiques et politiques sont indispensables et pleinement justifiées, elles ne sont pas suffisantes pour nous protéger. Il est urgent de renforcer de manière significative la sécurité des systèmes d'information de nos opérateurs les plus importants.
Les dispositions proposées dans le chapitre III du projet de loi, ont deux objectifs.
Le premier objectif est politique. Il est l'affirmation de la nature interministérielle et stratégique de la sécurité et de la défense des systèmes d'information. Le Livre blanc a placé les cyberattaques parmi les menaces majeures auxquelles nous sommes exposés. Et à travers l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information qui m'est rattachée, je suis témoin, au quotidien, de la réalité de cette menace, qui vise et touche tant le gouvernement et les administrations que les entreprises.
Le Parlement est également exposé, comme l'a montré l'attaque en déni de service dont a été victime le site internet de la Haute assemblée fin 2011.
Il s'agit ici de donner un signe à tous les acteurs concernés, y compris à ceux qui nous attaquent, de notre volonté collective de faire face à cette menace en adaptant notre droit, notre organisation et nos moyens.
Le second objectif découle du premier. Il s'agit d'accroître de manière sensible le niveau de sécurité des systèmes d'information les plus critiques pour la Nation.
J'en viens maintenant aux détails des dispositions qui vous sont proposées...
L'article 14 du projet de loi insère deux articles dans le chapitre consacré à la sécurité des systèmes d'information du code de la défense. Il précise les responsabilités du Premier ministre, qui a la charge de la définition de la politique en matière de défense et de sécurité des systèmes d'information, et coordonne à ce titre l'action gouvernementale.
Le Premier ministre dispose de l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) pour l'assister dans cette mission ; elle est chargée 24 heures sur 24 de prévenir et de réagir aux attaques contre nos infrastructures les plus importantes. Rattachée au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), son domaine d'intervention, initialement centré sur les administrations et les organismes dépendant de l'Etat s'est rapidement élargi aux opérateurs d'importance vitale (OIV) et aux entreprises indispensables à notre stratégie de sécurité nationale.
L'article 14 a aussi une vocation opérationnelle et politique.
Opérationnelle, car il faut mettre un terme à la situation actuelle dans laquelle l'attaquant a tous les droits et ceux qui sont chargés de la défense, à peu près aucun. L'attaquant a généralement l'avantage sur le défenseur. Les agents de l'État chargés de la sécurité et de la défense des systèmes d'information doivent être en mesure d'utiliser toutes leurs capacités pour mieux appréhender la nature et l'ampleur d'une attaque, en prévenir et en atténuer les effets, ou la faire cesser lorsque les circonstances l'exigent.
Il est arrivé que, dans le cadre du traitement d'une attaque informatique en cours contre un fleuron de notre industrie, les ingénieurs de l'ANSSI soient en mesure de collecter des informations susceptibles d'anticiper les mouvements de l'attaquant. Ils auraient dû, pour cela, accéder au système d'information utilisé par l'attaquant. Ils ne l'ont pas fait : une telle intrusion aurait été illégale.
Dans l'état de notre législation, les agents de l'ANSSI comme ceux du ministère de la défense ou d'autres administrations de l'État compétentes, ne sont pas autorisés par la loi à effectuer toutes les opérations techniques qui leur permettraient d'être pleinement efficaces dans leurs actions. Ainsi, le code pénal prohibe-t-il de manière générale la pénétration de systèmes de traitement automatisé de données.
Le projet de loi vise donc à rétablir une forme d'équilibre, en permettant au défenseur d'accéder aux systèmes d'information participant à l'attaque, d'en collecter les données disponibles et, en tant que de besoin, de mettre en oeuvre des mesures visant à neutraliser les effets recherchés par l'attaquant qui « porte atteinte au potentiel de guerre ou économique, à la sécurité ou à la capacité de survie de la Nation ».
M. Jean-Louis Carrère, président. - Cela me paraît intéressant...
M. Francis Delon. - Dans le même esprit, le deuxième alinéa de l'article L. 2321-2 du code de la défense permet aux services désignés par le Premier ministre de détenir des programmes informatiques malveillants, d'en observer le fonctionnement et d'en analyser le comportement. Dans ce cas, il s'agit également de corriger la situation actuelle dans laquelle, en la transposant dans le monde médical, le chercheur n'aurait pas le droit de détenir ou d'étudier un virus pathogène meurtrier afin de fabriquer le vaccin correspondant.
Vous l'aurez compris, l'article 14, au-delà de ses aspects organisationnels et techniques, traduit la volonté du gouvernement de ne pas rester passif face à des attaques informatiques qui portent aujourd'hui atteinte à notre compétitivité et qui demain pourraient mettre gravement en cause notre sécurité ou perturber la vie des Français.
J'en viens à l'article 15 du projet de loi... Il vise à augmenter de manière significative le niveau de sécurité des systèmes d'information des opérateurs d'importance vitale, publics et privés.
Les nouvelles dispositions permettent au Premier ministre d'imposer des règles techniques aux opérateurs d'importance vitale. Il s'agit d'opérateurs « dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la Nation », selon les termes de l'article L. 1332-1 du code de la défense. Ils sont environ 200.
Le Premier ministre pourra également demander des audits ou des contrôles de sécurité à ces opérateurs qui devront par ailleurs notifier les incidents affectant leurs systèmes d'information. Pour les situations de crise informatique majeure, un article précise que le Premier ministre pourra, lorsque la situation l'impose, soumettre les opérateurs à des mesures d'exception.
L'expérience opérationnelle de l'ANSSI acquise lors du traitement d'attaques informatiques montre que le niveau de sécurité des systèmes d'information des entreprises et administrations désignées comme opérateurs d'importance vitale est en général très insuffisant pour permettre à ces opérateurs d'assurer leur mission dans des conditions de sécurité acceptables. Certains systèmes très critiques doivent impérativement être strictement déconnectés de l'Internet pour garantir qu'aucun attaquant ne pourra facilement les pénétrer. Or, l'Etat n'est pas, à ce jour, en mesure d'imposer une telle règle aux opérateurs concernés.
Il est arrivé que l'ANSSI aide une grande entreprise française à reprendre le contrôle de son système d'information, et lui conseille la mise en place de règles techniques destinées à renforcer la sécurité de son réseau. Il est arrivé aussi que l'ANSSI découvre un peu plus tard que cette même entreprise avait subi une nouvelle attaque car elle n'avait pas appliqué l'ensemble des mesures proposées.
Quelques précisions concernant ces dispositions...
Si le projet est adopté, le Premier ministre disposera tout d'abord de la capacité d'imposer des règles de sécurité, organisationnelles ou techniques, susceptibles de renforcer la sécurité des systèmes d'information des opérateurs d'importance vitale. Il pourra, par exemple, imposer à un tel opérateur d'installer un dispositif de détection d'attaques informatiques.
Comme le Livre blanc le souligne, la capacité à détecter des attaques informatiques relève de la souveraineté nationale. Ce dispositif devra en conséquence s'appuyer sur des équipementiers de confiance labélisés par l'ANSSI, car le concepteur d'un équipement de sécurité est toujours le mieux placé pour contourner les règles de sécurité. L'exploitation de ces équipements devra être effectuée sur le territoire national, afin d'éviter toute interception ou compromission des données, et réalisée par les prestataires qualifiés par l'ANSSI ou par l'ANSSI elle-même.
Le projet de loi instaure aussi une obligation de notification d'incidents affectant le fonctionnement ou la sécurité des systèmes d'information des opérateurs d'importance vitale.
A ce jour, l'approche reste empirique : les attaques informatiques sont souvent découvertes tardivement. L'expérience acquise par l'ANSSI, après trois années de traitement d'attaques informatiques de grande ampleur montre, par exemple, que lorsqu'un opérateur est attaqué à des fins d'espionnage, il est vraisemblable que les opérateurs appartenant au même secteur d'activité d'importance vitale subissent, souvent au même moment, les mêmes attaques. Il est donc indispensable que l'Etat ait connaissance au plus vite de ces attaques, afin d'en informer les autres opérateurs du secteur concerné.
Le projet de loi propose aussi d'étendre à l'ensemble des opérateurs d'importance vitale, le droit pour le Premier ministre de procéder à des audits ou à des contrôles de leurs systèmes d'information. Cette disposition s'applique déjà aux opérateurs de communications électroniques, mais l'expérience montre que le niveau de sécurité des opérateurs d'importance vitale est très souvent très en deçà de ce qui leur permettrait de résister à des attaques informatiques de niveau intermédiaire.
Il est de la responsabilité de l'État de connaître le niveau de sécurité des systèmes d'information des infrastructures critiques de la Nation. Aujourd'hui, malheureusement, l'État n'a pas la possibilité d'opérer ni de faire opérer des audits ou des contrôles chez les opérateurs du secteur privé, à l'exception du secteur des communications électroniques. Cette disposition permettrait à l'État de disposer de cette capacité.
Enfin, en cas de crise informatique majeure -par exemple une infection virale destructive touchant nos secteurs d'activité les plus sensibles- qui exigerait la mise en oeuvre de contre-mesures dans des délais courts, la loi donnerait au Premier ministre la possibilité d'imposer des mesures techniques aux opérateurs concernés. L'ANSSI aurait alors la capacité d'imposer les mesures nécessaires pour réagir.
L'inscription dans la loi de cette disposition permet également, dans cette circonstance particulière et exceptionnelle, de dégager les opérateurs concernés de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs clients.
Des dispositions d'accompagnement complètent ces articles. Elles assurent la confidentialité des informations recueillies dans le cadre des audits. L'effectivité des mesures prescrites est confortée par un dispositif de sanction en cas de manquement après mise en demeure.
Un mot du contrôle des équipements d'interception...
L'article 16 du projet de loi, dont l'actualité révèle la pertinence, vise à mieux maîtriser le risque d'espionnage à grande échelle des réseaux de communications électroniques.
Les opérateurs de télécommunication sont tenus de disposer de moyens d'interceptions afin de répondre, dans le cadre de la loi, aux réquisitions des magistrats pour des interceptions judiciaires, ou du Premier ministre pour les interceptions de sécurité.
Les équipements conçus pour réaliser les interceptions présentent un risque pour le respect de la vie privée de nos concitoyens. Ils ne peuvent donc être fabriqués, importés, détenus que sur autorisation délivrée par le Premier ministre comme le prévoient les articles R 226-1 et suivants du code pénal.
Les interceptions des communications étaient autrefois effectuées par des équipements dédiés. Or, les évolutions technologiques montrent que de plus en plus d'équipements de réseau, sans être des moyens d'interception en eux-mêmes, possèdent des fonctions qui pourraient être aisément utilisées pour intercepter le trafic du réseau.
A cet égard, les fonctions de duplication ou de routage du trafic de certains équipements de réseau, configurables et accessibles à distance, sont susceptibles de permettre des interceptions. Par exemple, certains équipements de coeur de réseau, alors même qu'ils n'ont pas été spécifiquement conçus à des fins d'interception légale, sont susceptibles, selon leurs caractéristiques, de permettre des interceptions du trafic.
N'étant pas spécifiquement conçus pour les interceptions, ces équipements ne sont pas actuellement soumis à l'autorisation prévue par l'article 226-3 du code pénal, qui ne porte que sur les appareils conçus pour réaliser les interceptions. Or ces équipements présentent les mêmes risques pour la sécurité des réseaux et des communications que ceux destinés spécifiquement à l'interception.
La modification législative qui vous est proposée permettrait donc d'étendre la délivrance d'une autorisation à l'ensemble des équipements susceptibles de permettre des interceptions, et ainsi d'assurer une plus grande sécurité des réseaux et des communications
J'en viens au renseignement...
Le bilan de ces dernières années en matière de connaissance et d'anticipation, et les travaux du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ont montré la pertinence d'élever le renseignement au rang de priorité majeure. C'est ce que fait le projet de LPM dans sa partie programmatique et dans sa partie normative. Les propositions qui y figurent sont la conséquence de cette démarche.
L'effort d'équipement en matière de renseignement vise à conforter nos capacités d'appréciation autonome des situations. Dans le rapport annexé au projet de loi, la priorité est donnée aux composantes spatiales et aériennes, pour l'imagerie et pour l'interception électromagnétique.
L'effort sur les capacités du renseignement s'accompagne, dans la partie normative du projet de loi, de dispositions visant à clarifier et à renforcer le cadre juridique de l'action des services spécialisés.
Les travaux du Livre blanc ont mis en évidence le nécessaire équilibre entre l'accroissement des moyens mis à la disposition des services concernés et leur contrôle démocratique. C'est le sens de l'accroissement des moyens du contrôle parlementaire sur ce volet de l'activité gouvernementale.
Au-delà des dispositions relatives à la délégation parlementaire au renseignement sur lesquelles je vais venir dans un instant, le Président de la République a souhaité la création d'une inspection du renseignement, commune à l'ensemble des services spécialisés. Les travaux sont engagés pour une mise en place prochaine de cette inspection, qui se fera par le biais d'un acte réglementaire.
Le chapitre II de la partie normative du projet de LPM comporte donc diverses dispositions relatives au cadre juridique de l'activité des services de renseignement, qui traitent à la fois de l'accroissement des moyens mis à la disposition des services concernés et de leur contrôle démocratique.
Les mesures proposées partent d'un constat : en dépit des efforts importants réalisés, depuis le Livre blanc de 2008, le cadre juridique dans lequel les services de renseignement exercent leur activité est encore insuffisant sur plusieurs points pour leur permettre de répondre efficacement aux défis auxquels ils sont confrontés.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 insiste de nouveau sur l'importance stratégique de la lutte contre le terrorisme et sur la contribution essentielle qu'apportent à cette lutte les services de renseignement. Il souligne en effet que le renseignement joue un rôle central dans la fonction connaissance et anticipation et qu'il irrigue chacune des autres fonctions stratégiques de notre défense et de notre sécurité nationale.
Il rappelle aussi les nouveaux défis auxquels doivent s'adapter les services de renseignement. Les guerres et les crises perdurent mais prennent des formes diverses et parfois difficiles à anticiper.
Le cadre juridique régissant l'activité des six services spécialisés de renseignement -Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), DGSE, Direction du renseignement militaire (DRM), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), Tracfin et Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)- a été renforcé et précisé par la création en 2007 de la délégation parlementaire au renseignement et par la précédente loi de programmation militaire du 29 juillet 2009.
Conformément aux recommandations formulées par le Livre blanc de 2008, la gouvernance et la coordination des services de renseignement a été réorganisée avec la création du conseil national du renseignement et celle de la fonction de coordonnateur national du renseignement (CNR).
En 2010, la création de l'académie du renseignement a également permis de doter les services d'une structure de formation commune.
Ces mesures de gouvernance ont été accompagnées d'une réflexion sur les modalités d'action et les moyens mis à la disposition des services. Plusieurs outils ont été créés afin de faciliter l'action de ces derniers et de renforcer la sécurité de leurs agents.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 va plus loin pour traduire l'importance stratégique de la lutte contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et la contribution essentielle qu'apportent à cette lutte les services de renseignement.
Il souligne que le renseignement « joue un rôle central dans la fonction connaissance et anticipation » et qu'il irrigue chacune des autres fonctions stratégiques de notre défense et de notre sécurité nationale, mais il rappelle aussi les nouveaux défis auxquels doivent s'adapter les services de renseignement, qui les contraignent à s'intéresser à un grand nombre de menaces et à une grande variété d'acteurs aux intérêts parfois convergents.
C'est pourquoi, en matière de renseignement, le projet de LPM contient des dispositions sur trois types de sujets :
- la protection de l'anonymat des agents ;
- l'accès aux fichiers ;
- la géolocalisation.
S'agissant du renforcement de la protection de l'anonymat des agents des services appelés à témoigner, la protection de l'anonymat des agents est essentielle, tant pour assurer la sécurité des agents et de leur famille que pour garantir l'efficacité de leur action. La loi du 14 mars 2011, dite LOPPSI II, a ouvert aux agents des services de renseignement la possibilité de recourir à une fausse identité ou à une identité d'emprunt. Elle a également inséré dans le code pénal un article protégeant l'identité des personnels, des sources et des collaborateurs des services de renseignement.
La procédure actuelle, qui prévoit une protection de l'identité réelle des agents, est cependant, apparue insuffisante. La présence physique des agents devant une juridiction à la suite d'une convocation, et leur participation à des comparutions présentent en effet le risque de dévoiler leur couverture, et de mettre en danger leur sécurité et l'efficacité de leurs missions.
Il a donc semblé nécessaire de faire évoluer la procédure afin de la faciliter la manifestation de la vérité tout en renforçant la protection de l'anonymat des agents. Le projet de loi, en son article 7, prévoit que, dans l'hypothèse où l'autorité hiérarchique de l'agent indique que l'audition comporte des risques pour l'agent, ses proches ou son service, celle-ci pourra être effectuée dans un lieu assurant son anonymat et la confidentialité, pas nécessairement au palais de justice, comme aujourd'hui.
Concernant l'accès des services de renseignement à certains fichiers administratifs et de police judiciaire, les menaces auxquelles doivent faire face les services de renseignement dépassent aujourd'hui le seul cadre de la lutte contre le terrorisme. Il s'agit de la prolifération d'armes de destruction massive -nucléaires, biologiques et chimiques- de la dissémination d'armes conventionnelles, des menaces des services d'États non coopératifs ou hostiles, de la criminalité transnationale organisée, etc.
Plus globalement, nos services de renseignement, intérieur et extérieur, s'attachent à préserver les intérêts fondamentaux de la Nation. Cette notion est clairement définie dans l'article L. 410-1 du code pénal : "Les intérêts fondamentaux de la Nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel".
Le Conseil d'Etat, dans un avis du 5 avril 2007, puis le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 novembre 2011 sur le secret de la défense nationale, ont rappelé les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.
Le projet de LPM comporte une disposition permettant un accès élargi des services de renseignement aux fichiers administratifs mentionnés à l'article L. 222-1 du code de la sécurité intérieure. Il s'agit des fichiers nationaux des immatriculations, des permis de conduire, des cartes nationales d'identité et des passeports, des dossiers des ressortissants étrangers en France -visa et séjour.
Le texte prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat déterminera les services concernés ainsi que les modalités d'accès. Il est envisagé de faire figurer parmi ces modalités le fait que tous les accès aux fichiers feront l'objet d'une traçabilité et que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sera en mesure de les contrôler.
L'article 8 aligne, pour l'ensemble des services spécialisés de renseignement, les droits d'accès à certains fichiers administratifs déjà reconnus aux services relevant du ministère de l'intérieur. L'accès sera élargi aux services spécialisés de renseignement déterminés par le décret en Conseil d'Etat.
Par ailleurs, les motifs de consultation, aujourd'hui limités à la seule prévention des actes de terrorisme, seront étendus à la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Les articles 11 et 12 permettent aux services de renseignement relevant du ministre de la défense d'accéder directement à certaines données des fichiers de police judiciaire respectivement dans un objectif de recrutement d'un agent ou de délivrance d'une autorisation aux fins de vérifier le passé pénal du candidat et dans le cadre de missions ou d'interventions présentant des risques pour les agents, lorsqu'il s'agit de vérifier la dangerosité des individus approchés. Jusqu'à présent, la consultation de ces fichiers de police judiciaires était possible pour les enquêtes administratives, par l'intermédiaire de policiers ou de gendarmes spécialement habilités à cet effet.
L'objectif de cette disposition est notamment de permettre une sécurisation accrue des missions ou des interventions particulièrement dangereuses menées par les services de renseignement du ministère de la défense. Un décret en Conseil d'Etat encadrera les conditions d'accès pour s'assurer qu'elles sont adaptées et proportionnées aux besoins des services.
J'en viens à la géolocalisation en temps réel...
L'article 13 de la LPM autorise expressément les services de police et de gendarmerie chargés de la prévention du terrorisme à accéder en temps réel à des données de connexion mises à jour, ce qui leur permet de géolocaliser un terminal téléphonique ou informatique, et de suivre ainsi, en temps réel, certaines cibles. Cette disposition vise à lever une incertitude sur la base juridique des pratiques de géolocalisation, soulignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Comme le rappelle le rapport parlementaire sur l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, les services chargés de la lutte contre le terrorisme ont besoin de pouvoir agir le plus en amont possible, au besoin pour écarter d'éventuels soupçons. En outre, il leur faut pouvoir agir en temps réel, dans l'urgence, pour vérifier des renseignements, par exemple sur l'imminence d'un attentat.
L'accès à ces données répond à un besoin opérationnel de première importance. Ces données sont cruciales pour les services compétents, elles contribuent de façon déterminante aux enquêtes.
Ces mesures appellent un renforcement du contrôle démocratique sur la politique du Gouvernement en matière de renseignement.
C'est pourquoi le projet de LPM 2014-2019, dans ses articles 5 et 6, renforce les compétences de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en modifiant les dispositions de l'article 6 nonies de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi que celles de l'article 154 de la loi de finances pour 2012 du 28 décembre 2011.
L'élargissement des compétences de la DPR va dans le sens souhaité par les quatre parlementaires membres du groupe de travail sur le renseignement au sein de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, et dans celui des préconisations du rapport Urvoas, établi par la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale relative à l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement.
La DPR avait, jusqu'à présent, un pouvoir d'information et de suivi. Le projet de LPM innove, en lui confiant un pouvoir de contrôle et d'évaluation de la politique du Gouvernement en matière de renseignement.
Le projet de LPM confie à la DPR l'exclusivité, en matière de renseignement, des pouvoirs de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement dévolus au Parlement par l'article 24 de la Constitution. Cette disposition respecte le principe de séparation des pouvoirs, dont le Conseil constitutionnel a rappelé, en 2001, qu'il faisait obstacle à ce que les parlementaires interviennent dans le champ des opérations en cours.
Aujourd'hui, la délégation peut entendre aujourd'hui le Premier ministre, les ministres, le secrétaire général de la défense et la sécurité nationale et les directeurs des services de renseignement. Le projet de LPM permet en outre l'audition du coordonnateur national du renseignement et du directeur de l'académie du renseignement, ainsi que celle, après accord des ministres dont ils relèvent, des directeurs d'administration centrale ayant à connaître des activités des services spécialisés de renseignement. Il prévoit également l'audition des présidents de la Commission consultative du secret de la défense nationale et de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Le terme « après accord » présente un léger problème. Nous y reviendrons...
M. Francis Delon. - Le projet prévoit également que la DPR est informée de la stratégie nationale du renseignement qui, en l'état des travaux du Livre blanc, devait comporter une partie publique et une partie confidentielle. Il s'agit donc de communiquer la partie confidentielle à la DPR. Il prévoit également que la DPR est informée du plan national d'orientation du renseignement. Il prévoit aussi que soit présenté à la délégation un rapport annuel de synthèse des crédits du renseignement -rapport classifié- ainsi que le rapport annuel d'activité de la communauté française du renseignement établi pour le Président de la République et pour le coordonnateur.
Les dispositions actuelles permettent à la DPR d'adresser des observations au Président de la République et au Premier ministre. Le projet de LPM prévoit de permettre également à la délégation d'adresser à chacun des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l'économie et du budget, des recommandations et des observations relatives aux services spécialisés de renseignement placés sous leur autorité respective.
Le transfert au profit de la DPR des compétences de la commission de vérification des fonds spéciaux est un point majeur du dispositif proposé par le Gouvernement.
L'article 6 du projet de loi confie à la DPR les missions de cette commission. Il prévoit que ces missions seront assurées par une formation spécialisée de la délégation, constituée de la moitié des députés et des sénateurs membres de la délégation. Cette composition restreinte, proche de la composition actuelle de la commission de vérification des fonds spéciaux, répond à l'impératif de stricte confidentialité des informations qui seront examinées par cette formation.
Le projet maintient au profit de la formation spécialisée les pouvoirs particulièrement étendus de la commission de vérification des fonds spéciaux, notamment en matière de communication de pièces et de contrôle des documents utiles. Le rapport qu'elle établira sur les conditions d'emploi des crédits, sera présenté à l'ensemble des membres de la délégation parlementaire, au même titre qu'au Président de la République et aux ministres concernés.
S'agissant de la création d'un fichier PNR, dans la lutte contre le terrorisme, le domaine de la sûreté aérienne tient une place particulière, encore renforcée depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les menaces sur le transport aérien font l'objet depuis une décennie d'efforts considérables en matière de sécurité dans le monde entier. Ces efforts portent notamment sur l'ensemble de la sûreté aéroportuaire et s'appliquent aussi bien aux personnes qu'au fret.
Le transport aérien étant en expansion permanente, terroristes et trafiquants utilisent de plus en plus ce mode de déplacement, comme tout un chacun, mais ils savent fractionner leurs itinéraires pour concilier rapidité et discrétion.
Or, la particularité du transport aérien, par rapport à d'autres modes de transport, est que chaque passager est nominativement enregistré. C'est pourquoi les dispositions de sécurité liées à l'exploitation des données d'embarquement -Advance passenger information (API)- et de réservation -PNR- ont été élaborées au niveau international depuis 2004.
A l'échelon européen, les transporteurs aériens ont obligation de transmettre aux autorités nationales les données API depuis la directive 2004-82 du Conseil. Par ailleurs, des accords existent depuis plusieurs années entre l'Union européenne et les Etats-Unis, l'Australie et le Canada, sur l'échange des données PNR. Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale où ces données, qui concernent les passagers européens comme les autres, existent, sont fournies à trois pays amis qui, eux, les utilisent pour surveiller les vols entrant et sortant de leur territoire, alors même que nous ne sommes pas encore en mesure de les exploiter pour notre propre sécurité nationale !
Au sein de l'Union européenne, seul le Royaume-Uni, pour le moment, avec son programme appelé « e borders », exploite les données PNR à grande échelle. D'autres Etats membres utilisent les données PNR comme les Pays-Bas, la Belgique, la Suède, le Danemark, mais sur de plus faibles volumes, et de manière moins automatisée. Dans ces Etats, comme en France, le respect de la vie privée et l'équilibre entre sécurité et libertés individuelles sont l'objet d'une grande vigilance, illustration que les dispositions européennes sont bien compatibles avec un respect strict de la liberté des citoyens européens.
Au niveau national, la directive 2004-82 du Conseil a été transposée en droit français par la loi antiterroriste de 2006, en l'élargissant à l'obligation de transmission de données PNR, comme la directive l'autorise. Le Gouvernement a décidé, en 2010, de créer une plateforme d'exploitation des données API et PNR, en s'appuyant sur le projet de directive PNR déposé par la Commission européenne en février 2011.
Au Conseil Justice et affaires intérieures (JAI) d'avril 2012, ce projet de directive a fait l'objet d'un consensus politique. Le texte est actuellement soumis à l'examen du Parlement européen, où les discussions sont difficiles. Le Gouvernement français est favorable à une adoption rapide de la directive.
En attendant, notre pays ne dispose pas encore du dispositif concret qui permettrait d'exploiter ces données. C'est pourquoi l'article 10 du projet de loi prévoit un dispositif qui sera applicable jusqu'au 31 décembre 2017. Si la directive européenne PNR devait être adoptée avant 2017, la France transposerait ce texte.
Il est important de préciser à quoi sert le dispositif PNR proposé dans le cadre de la LPM de 2013, et quelles sont les nombreuses garanties prévues pour préserver l'équilibre entre sécurité et libertés individuelles.
Le dispositif envisagé a pour unique finalité la lutte contre les formes les plus graves de criminalité, à savoir le terrorisme et les crimes graves, tels que définis par l'Union européenne, et de défendre les intérêts supérieurs de la Nation, tels que définis dans le code pénal.
La plateforme d'exploitation des données permettra d'effectuer les opérations suivantes :
Tout d'abord, le ciblage des passagers sera fondé sur l'analyse du risque, à partir de critères objectifs, qui, combinés entre eux, permettent de repérer en amont du départ du vol des comportements spécifiques ou atypiques de passagers. Les critères de ciblage, prédéterminés, peuvent être modifiés en fonction de l'évolution des trafics et des modes opératoires des réseaux criminels et terroristes. Les résultats du ciblage feront l'objet d'une analyse humaine avant qu'une action soit décidée -surveillance, contrôle ou interpellation. Les services européens exploitant les données PNR ont constaté une très forte augmentation de taux de contrôle positif et de résolution d'affaires.
Ensuite le criblage : la plateforme nationale de chaque Etat membre permet de confronter les données PNR et API aux bases de données utiles à la prévention et à la répression du terrorisme et des formes graves de criminalité, dont les bases de données concernant les personnes et les objets recherchés. Le résultat du criblage est une correspondance potentielle entre les informations croisées, qui pourra être discriminée de façon intelligente, afin de réduire au maximum les erreurs.
Enfin, l'inclusion des vols vers les départements et collectivités d'outre-mer, et les vols intracommunautaires, semble indispensable, en raison du fractionnement des déplacements effectués par les terroristes et les trafiquants, à l'image des candidats français au Djihad, qui ne partent généralement pas directement de Roissy vers les pays sensibles, ou des trafiquants de drogue sud-américains, qui transitent de plus en plus par les Antilles-Guyane.
Les données PNR seront transmises une première fois entre 24 et 48 heures avant le départ du vol. Pendant ce laps de temps, les services peuvent commencer à exploiter les données, et préparer si nécessaire une éventuelle action ou surveillance. Un second envoi sera effectué à la clôture du vol avec les données API. Ce second envoi permet de savoir si certains voyageurs ont réservé à la dernière minute, ce qui peut être un indice intéressant pour les services.
Les données PNR sont riches dans leur contenu : elles permettent par exemple de savoir à quel moment le passager a réservé son vol, et où il a effectué sa réservation. Elles apportent des informations sur l'agence de voyage auprès de laquelle le passage a réservé. Le mode de paiement a également son utilité.
Ainsi, lors de l'enquête sur Mohammed Merah, il a été relevé que le dispositif actuel n'avait pas permis d'évaluer la radicalisation de l'intéressé, malgré les informations potentiellement disponibles dans différents fichiers. Pourtant, Mohammed Merah avait suivi une évolution caractéristique en ayant passé plus de six mois au Moyen-Orient en 2010-2011, après avoir notamment emprunté de nombreux vols.
Dans ce cas précis, les données PNR auraient permis d'aller plus vite lors de l'enquête.
Le système envisagé prévoit de nombreuses garanties protectrices des libertés individuelles aux différents stades de traitement des données -collecte, conservation, échanges vers les Etats fiables. La mise en place de ce système d'information fera l'objet d'un décret pris en Conseil d'Etat après avis de la CNIL qui précisera l'ensemble de ces éléments.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Si on ne peut vous poser toutes nos questions, nous vous les poserons par écrit.
M. Jeanny Lorgeoux . - Qui fait obstruction à l'établissement du fichier PNR en Europe ? Un certain nombre d'Etats l'utilisent déjà, et il apparaît évident que cet outil est indispensable !
M. Francis Delon. - C'est une discussion compliquée, qui a pour l'instant connu des hauts et des bas. Le projet de directive a été examiné par la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen, et a été rejetée à l'issue de la discussion. Cette commission a estimé que toutes les garanties nécessaires à la protection de la vie privée n'étaient pas réunies. L'affaire est revenue en plénière devant le Parlement européen, qui a décidé qu'on ne pouvait s'arrêter là, prenant en compte le fait que certains Etats européens ont déjà un dispositif PNR, et qu'il était paradoxal de s'interdire un tel dispositif pour lutter contre le terrorisme, alors que nous communiquons ces données à des tiers, l'accord avec les Etats-Unis par exemple, ayant été approuvé par les instances communautaires...
Le Parlement a donc décidé de renvoyer le dossier à la commission LIBE pour un nouvel examen. Le projet de directive de la commission va donc probablement faire l'objet d'amendements. L'idée du Parlement européen est de parvenir au juste équilibre entre la protection des données, celle de la vie privée, et les nécessités opérationnelles de la lutte contre le terrorisme. C'est l'objet du débat...
M. Jean-Marie Bockel . - Concernant la protection des opérateurs d'importance vitale, vous avez repris une des propositions du rapport de la commission sur l'obligation de déclaration d'incidents. C'est fort bien. N'est-il pas paradoxal d'aller plus loin sans publier la liste de ces opérateurs ? Certains pays l'ont fait. Ce serait un plus, surtout vis-à-vis des personnes concernées, ce qui constitue un secret de polichinelle.
Pour de nombreux hackers, la publication des failles informatiques que prévoit la législation française constitue une forte incitation. Ne pourrait-on envisager, à l'inverse de la question précédente, de modifier la législation sur ce point ?
Si on avait eu davantage de temps, j'aurais engagé avec vous le dialogue sur les routeurs de coeur de réseau. Ce que le texte propose est assez intelligent : on n'interdit pas les routeurs de telle ou telle origine, ce qui avait été un temps évoqué dans des déclarations gouvernementales, mais on laisse l'ANSSI faire vers le travail. Pourquoi pas ?
M. Francis Delon. - Il existe aujourd'hui environ 200 OIV. Chaque opérateur d'importance vitale sait qu'il est OIV ; ses agents le savent également. L'arrêté fixant la liste n'est pas publié au Journal officiel. Il nous a en effet semblé que cela pourrait avoir pour effet de désigner des cibles. On ne voit pas très bien quel serait l'intérêt d'une telle publication ; les choses fonctionnant aujourd'hui fort bien sur le plan opérationnel.
Pour ce qui est de la publication des failles, la législation, sur ce sujet, est assez balancée. Il s'agit, d'une part, d'éviter que des failles encore inconnues soient révélées au grand jour, au risque d'affaiblir la sécurité des systèmes. A ce stade, nous avons estimé préférable de ne pas toucher à l'état du droit sur ce point. Nous sommes toutefois prêts à en discuter...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Voilà tout l'intérêt d'une audition !
Je me félicite de ce que vous avez proposé, que nous avions réclamé. Cela avait fini par faire l'unanimité du groupe de travail. C'est très bien ainsi.
La fusion avec la vérification des fonds spéciaux me paraît également rationnelle.
Je pense cependant que, sur certains aspects, nous aurions pu aller plus loin... Tout d'abord, la délégation parlementaire au renseignement, selon moi, pourrait être destinataire de la stratégie nationale du renseignement et du plan national du renseignement, et non simplement « informée ». Comment la délégation pourrait-elle évaluer efficacement l'action des services de renseignement si elle ne connaît pas précisément les objectifs assignés à ces services ?
Je pense par ailleurs que la délégation devrait pouvoir entendre tout agent des services de renseignement. Nous pouvons le faire à huis clos, en mettant en place des garde-fous.
Vous avez évoqué l'accord des ministres de tutelle : je ne suis pas du tout d'accord ! Ce n'est pas que je n'ai pas confiance dans les ministres, quelle que soit leur famille de pensée, mais un pouvoir de contrôle du Parlement, s'il est soumis à l'accord des ministres, ne constitue plus un pouvoir de contrôle ! Le ministre peut être « informé » d'une perspective de contrôle et avoir son mot à dire...
A la lumière de l'affaire Merah, il me semble qu'il faudrait clarifier les missions de la délégation en précisant expressément que la délégation est chargée de contrôler les graves dysfonctionnements constatés dans l'action opérationnelle des services, à l'exclusion des opérations en cours.
Par ailleurs, le rôle du Parlement est bien de contrôler. Or, les parlementaires détiennent des prérogatives dont ils n'usent pas. Utilisons-les ! Peut-être faudrait-il changer la dénomination de délégation au renseignement, en y ajoutant le mot de contrôle, afin de le marquer symboliquement. On ne peut concevoir des services de renseignement à la discrétion du seul exécutif, sans contrôle parlementaire !
M. Francis Delon. - La définition des pouvoirs de la délégation parlementaire constitue un exercice de haute couture, mené en conservant constamment à l'esprit le principe de séparation des pouvoirs, la question constitutionnelle planant sur tout cela.
Ce dispositif évolue. Je l'ai rappelé, la délégation parlementaire a été créée en 2007. On a réalisé là un pas considérable ; aujourd'hui, chacun est globalement satisfait, les services les premiers. On progresse et c'est ce que reflètent le projet de loi présenté par le Gouvernement, tout comme les discussions du GT 4 au sein de la commission du Livre blanc.
On peut bien sûr faire différemment et, en théorie, aller plus loin, mais je précise qu'il s'agit d'un équilibre. Il faudra voir dans le détail, point par point, ce qu'il en est.
Je peux vous apporter cependant quelques réponses...
La question de la communication, de l'information, de la stratégie du renseignement et du Plan national d'orientation du renseignement (PNOR) peuvent trouver des solutions. Je n'ai pas beaucoup de doutes à ce point.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je le crois aussi...
M. Francis Delon. - La question de l'audition des agents demeure, elle, un sujet très délicat. En effet, un service de renseignement, plus que tout autre, est extrêmement hiérarchisé et centralisé. Seul le responsable détient toutes les informations, qu'il peut replacer dans leur contexte.
Autoriser un agent qui traite un sujet particulier à communiquer sur un sujet peut le conduire à révéler certaines informations liées à une opération en cours, sans qu'il le sache lui-même.
Sur ce point, je pense que le Gouvernement va s'en tenir à son texte...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous connaissons les procédures et savons faire voter des amendements !
M. Francis Delon. - C'est pourquoi on prévoit un accord du ministre pour les auditions des directeurs d'administration centrale qui utilisent le renseignement. L'exécutif est organisé ainsi, mais cela ne veut pas dire que les ministres vont refuser !
Vous avez évoqué le nom de la délégation...
M. Jean-Louis Carrère, président. - La fonction de contrôle n'apparaît pas. Peut-on y remédier ? C'est de l'affichage plus qu'autre chose...
M. Francis Delon. - C'est un point à étudier. Le texte de loi parle de contrôle de la politique du Gouvernement en matière de renseignement. On respecte donc les termes de la Constitution.
Quant au contrôle des dysfonctionnements, on joue là aussi sur des équilibres. C'est un point dont il faudra discuter avec le ministre. Je ne m'avance pas davantage sur ce sujet...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Merci beaucoup de vos réponses.
M. Jean-Paul BODIN
Secrétaire
général pour l'administration du ministère de la
défense
11 septembre 2013
M. Jacques Gautier, président. - Monsieur le Secrétaire général, nous vous accueillons dans le cadre de nos auditions sur le projet de loi de programmation militaire 2014-2019. Nous avons entendu la présentation du ministre, mardi dernier. Il reviendra demain matin à 9 heures 30 pour répondre à nos questions. Nous entendrons à votre suite l'ensemble des plus hauts responsables de la défense.
Durant cette période, le ministère de la défense devra relever de nombreux défis, j'en relèverai quatre qui concernent directement vos attributions, lesquelles se trouvent d'ailleurs renforcées :
- la poursuite de la réforme engagée avec des mouvements de réductions des effectifs et de restructurations qui comportent également, y compris dans le dispositif législatif, des mesures d'accompagnement et de reconversion des personnels militaires et civiles, mais aussi des collectivités territoriales et des sites affectés ;
- la poursuite de la réforme du ministère, avec de nouvelles attributions transversales confiées au secrétariat général, notamment dans le domaine des ressources humaines ;
- les efforts à conduire pour répondre avec des moyens limités au maintien des ambitions, ce qui touche au premier chef la réalisation, la modernisation et la gestion des infrastructures nécessaires pour accueillir les nouveaux équipements, assurer le maintien en conditions opérationnelles de nos armées et les conditions de vie des militaires.
Enfin, le suivi de la disponibilité des ressources financières, notamment des ressources exceptionnelles.
Vous nous direz comment ont été définis les objectifs et les moyens nécessaires à leur réalisation et comment le ministère de la défense entend les mettre en oeuvre au cours de cette période.
Mes collègues et moi vous interrogerons à la suite de votre exposé. Je vous laisse la parole.
M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration. - Je reviendrai en premier lieu sur les ressources humaines et la maîtrise de la masse salariale, enjeux très lourds de la prochaine loi de programmation (LPM). Le ministre l'a dit à plusieurs reprises : c'est un des sujets les plus difficiles pour nous, les réductions d'effectifs qui s'annoncent venant après des mouvements déjà très importants. L'objectif politique a été de préserver cependant au maximum l'outil opérationnel. Je dirai ensuite quelques mots de la mobilisation des ressources financières et des recettes exceptionnelles. Je reviendrai sur les restructurations et l'infrastructure et dirai quelques mots de la mise en place du nouveau mode de gouvernance du ministère.
La mise en oeuvre de la LPM est conditionnée par la réussite de la manoeuvre liée aux ressources humaines et la maîtrise de la base salariale. La LPM prévoit une déflation de 33 675 équivalents temps plein (ETP), 10 175 au titre des réformes précédentes et 23 500 au titre de la nouvelle déflation. 645 postes seront créés dans des domaines bien spécifiques -lutte informatique défensive, DGSE, prise en compte des exigences liées à sûreté de la propulsion nucléaire.
Comme par le passé, la nature des déflations des 23 500 ETP, est double. Une part résulte de l'adaptation des armées aux nouveaux objectifs capacitaires ; elle se monte à environ 8 000 ETP, auxquels il convient d'ajouter une part du reste à faire au titre de la LPM 2009-2014 et environ 1 000 ETP sur les forces prépositionnées. Une des priorités du projet de LPM étant de préserver les forces opérationnelles, la plus grande part des déflations (14 500) proviendra de la transformation de l'environnement des forces.
On reproduira un taux d'effort proche de celui de la précédente LPM. Toutefois, la volonté étant d'augmenter la place des civils dans les services de soutien, ce taux se répartira entre 78 % pour les militaires et 22 % pour les personnels civils contre 75/25 lors de la précédente loi.
Comment allons-nous faire ? On s'est fixé comme objectif principal de rechercher des gains de productivité dans l'ensemble du dispositif de soutien, d'administration et dans les états-majors. Cela va nous conduire à un travail en profondeur sur l'ensemble des processus, afin d'essayer de simplifier les modes de travail au sein du ministère.
C'est une démarche complexe, qui s'inscrit dans le cadre de la modernisation de l'action publique et qui concerne l'ensemble de l'Etat. La semaine dernière, nous avons arrêté, avec le major général des armées et l'adjoint du DGA, une liste de trente chantiers, qui vont faire l'objet d'une analyse en profondeur afin d'essayer de dégager des gains de productivité. Ces grandes fonctions sont par exemple la fonction achats, la fonction financière, le traitement des factures, ou la maintenance immobilière.
Comme dans la précédente programmation, chaque responsable de chantier recevra une lettre de mission avec un calendrier, et rendra compte périodiquement de l'état d'avancement.
Je ne cache pas que les choses vont être assez difficiles, car nous avons déjà profondément réorganisé la chaîne des soutiens, avec la création des bases de défense et le développement de structures interarmées. Mais, nous allons capitaliser sur tout cela, par exemple dans le domaine financier, en nous appuyant bien plus sur les services du commissariat des armées, en particulier les plateformes achats finances, pour accroître la productivité de ces plateformes et leur faire remonter un certain nombre de tâches administratives qui peuvent être aujourd'hui exercées par les bases de défense.
Pour autant, la manoeuvre va également reposer sur des mécanismes de départ des personnels avec tout un dispositif d'accompagnement.
Plusieurs mesures en faveur du personnel militaire doivent faciliter la mise en oeuvre de la LPM, comme les mécanismes de promotion fonctionnelle ou de paiement de pensions au grade supérieur, afin de soutenir le flux des départs. Le mécanisme des pécules, qui existe déjà, sera reconduit mais aménagé, le pécule étant antérieurement versé en deux fractions, la seconde partie étant conditionnée à la reprise d'une activité professionnelle dans le secteur privé. Cette condition de reprise d'activité sera supprimée.
On modifiera aussi le mécanisme de disponibilité, en rémunérant mieux les militaires qui choisiront de profiter de ce dispositif.
Nous avons essayé de calibrer ces dispositifs de telle sorte qu'ils nous permettent d'atteindre le dépyramidage, la LPM prévoyant de supprimer 5 800 postes d'officiers, à hauteur de 1 000 par an, afin d'essayer de retrouver un taux d'encadrement de 16 %. Nous étions environ à 15,5 % en 2007, et sommes actuellement à 16,75 %. Nous voudrions revenir à 16 % de la population militaire.
C'est un objectif ambitieux. La suppression de 5 800 postes d'officiers sous-entend, en effet, de revoir les conditions d'emploi de ce personnel en veillant à ce que les armées ne privilégient pas la satisfaction de leurs besoins propres au détriment de l'ensemble du dispositif interarmées qui s'est mis peu à peu en place.
La présence d'officiers dans des structures interarmées est indispensable. J'ai besoin dans mes services d'officiers ayant eu un parcours opérationnel. Quand on traite de crédits relatifs au programme d'armement à la direction des affaires financières, il faut avoir des ingénieurs de l'armement et des officiers des armes qui savent parfaitement de quoi on parle pour traduire tout cela sous l'angle financier.
La manoeuvre nécessitera la mise en oeuvre des mesures d'aide évoquées. L'ensemble du dispositif d'accompagnement des restructurations se situera à hauteur de 933 millions d'euros durant la période. C'est une somme conséquente. On devra par ailleurs renforcer le dispositif d'aide à la reconversion. On a créé, lors de la précédente LPM une agence de reconversion unique pour l'ensemble du personnel, "défense mobilité", qui va se doter d'une structure dédiée, chargée de s'occuper des officiers supérieurs. Ce dispositif sera analogue à celui existant pour les officiers généraux.
On devra également travailler au rééquilibrage entre personnels civils et militaires, notamment dans les tâches de soutien. Le ministre a confié au directeur des ressources humaines une mission d'analyse des emplois. On s'aperçoit, à la fin de l'actuelle LMP, qu'il existe des sureffectifs de personnels civils localisés dans certains bassins d'emploi. Nous sommes en train de les analyser, nous recensons les compétences des personnels et étudions comment pourvoir certains emplois, par exemple dans les groupements de soutien des bases de défense, aujourd'hui occupés par du personnel militaire mais qui pourraient être occupés par du personnel civil.
En matière de ressources humaines, l'autre défi est bien sûr celui de la maîtrise de la masse salariale. Vous avez évoqué la réforme prévue par le ministre sur ce point : c'est une réforme qui porte sur deux volets. Le premier concerne le regroupement de l'ensemble des crédits de ressources humaines dans un programme unique. On ne sait pas encore si l'on créera un programme spécifique à côté du programme 212 ou si on intègrera ces crédits au programme 212. Des discussions sont en cours avec la direction du budget.
Le secrétaire général pour l'administration (SGA) aura la responsabilité de l'ensemble de ces crédits, qui seront répartis au sein de budgets opérationnels de programmes (BOP), vraisemblablement par gestionnaire d'armée. Ainsi, le gestionnaire du BOP terre serait le directeur des ressources humaines de l'armée de terre ; nous y retrouverons les crédits de rémunérations de l'ensemble des personnels portant un uniforme de l'armée de terre, qu'ils soient employés dans l'armée de terre ou dans d'autres structures du ministère.
Nous étudions aussi comment regrouper dans un BOP unique les crédits relatifs à certaines populations. Je pense au contrôle général des armées, aux ingénieurs du service d'infrastructures, aux personnels du service des essences. Il existera également un BOP unique pour l'ensemble du personnel civil, dont un service de la direction des ressources humaines sera gestionnaire.
Pour gouverner l'ensemble de ces crédits, le SGA s'appuiera sur la direction des ressources humaines du ministère, qui bénéficiera d'une autorité fonctionnelle renforcée vis-à-vis de l'ensemble des directions en charge des questions de ressources humaines au sein du ministère.
Nous avons eu en interne un débat sur l'autorité fonctionnelle renforcée et l'autorité hiérarchique. Nous n'avons pas retenu l'autorité hiérarchique ; la gestion des personnels devant rester de la responsabilité des armées. Ce n'est pas à la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) de s'occuper de notation, de discipline ou du moral ! En revanche, la DRH-MD doit étudier les processus de recrutement et d'avancement par exemple, afin de savoir à quel moment elle peut intervenir ? Comment intervenir avec un visa, un avis, un droit de veto ?, pour garantir le respect de la masse salariale.
Nous avons jusqu'à la fin de l'année pour jeter les bases de ce système. 2014 sera une année de calage pour tester le dispositif, qui se traduira en construction budgétaire dans le PLF 2015.
Le SGA s'appuiera aussi, dans ce domaine, sur la direction des affaires financières, car il existe, dans le suivi de la masse salariale, un certain nombre d'éléments que la direction des affaires financières maîtrise, par exemple l'appréciation du glissement vieillesse technicité (GVT).
Il s'agit d'une réforme très ambitieuse. Vous avez évoqué le fait que le transfert de responsabilités vers l'état-major des armées, intervenu en 2009, avait suscité quelques difficultés de mise en oeuvre. Il est bien évident que le SGA ne pourra pas résoudre par un coup de baguette magique le problème auquel est confronté le ministère depuis des années en matière de ressources humaines et de maîtrise de sa masse salariale. Cela nécessite donc un travail collectif.
Le directeur des ressources humaines aura notamment pour adjoint un officier général quatre étoiles, qui le secondera et sera l'interlocuteur des directions des ressources humaines d'armée. C'est un travail en commun que nous devons réaliser pour définir les responsabilités de chaque acteur -responsable de programmes, responsable de BOP, mais aussi gestionnaire et préciser les modalités d'exercice de cette autorité fonctionnelle.
Les objectifs en matière de masse salariale seront d'autant plus lourds que nous devons réaliser 4,4 milliards d'euros d'économies sur l'ensemble de la période. Or, si nous n'arrivons pas à maîtriser la masse salariale, nous devrons prendre sur nos propres ressources les moyens de retrouver l'équilibre -sauf pour les mesures résultant de l'application de mesures générales relative à la fonction publique comme la revalorisation du point d'indice de la fonction publique.
Je pense que tout ceci nous conduira inévitablement, dans le cours de la LPM, à modifier la politique des ressources humaines, notamment en ce qui concerne les militaires. Nous allons en effet devoir nous interroger sur les processus de sélection, d'avancement, de déroulement de carrière. Nous devrons intégrer des mesures relatives à l'évolution des textes en matière de retraites, nécessitant de revoir les créneaux d'avancement de grade, l'allongement des carrières, etc.
Des questions se feront également jour en termes de recrutement : combien d'officiers recrutés dans les grandes écoles militaires, ou déjà formés à l'extérieur, mais pour des contrats et des périodes plus courtes ? Tous ces éléments de politique des ressources humaines devront être réexaminés en commun. L'état-major des armées y tiendra une place très importante : principal employeur du ministère, c'est à lui de définir les besoins relatifs à la politique des ressources humaines...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On évitera les errements que l'on a connus, au cours desquels on a vu la masse salariale s'envoler parce qu'on avait créé beaucoup de postes d'officiers supérieurs, etc.
M. Jean-Paul Bodin. - C'est l'élément à maîtriser.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Cela me paraît nécessaire !
M. Jean-Paul Bodin. - Il faut reconnaître que nous avons eu, dans la mise en oeuvre des dispositifs d'accompagnement de l'actuelle LPM, une gestion généreuse. Un certain nombre de personnes qui ont pu partir en bénéficiant des mécanismes d'aide au départ ont été remplacées dans leur grade. Ce dispositif a donc nécessairement un impact sur la masse salariale.
D'un autre côté, cela a permis de faire passer les réformes...
M. Jean-Louis Carrère, président. - A quoi cela sert-il de supprimer des postes dans ces conditions ?
M. Jean-Paul Bodin. - Il faudra également travailler à un plan d'accompagnement du personnel. Le ministre l'a indiqué à plusieurs reprises, et cela figure dans le rapport annexé à la LPM.
Il faut aussi remettre sur la table l'ensemble du dispositif indemnitaire. Une de nos principales difficultés réside dans la multiplicité des primes, que nous n'appliquons pas de manière homogène entre armées. En général, cet examen se fait plutôt par un alignement par le haut ; le problème est qu'il faut revoir le dispositif indemnitaire à ressources constantes. Il va donc falloir du temps, de la persuasion et trouver les bons points d'équilibre.
Le second point concerne la mobilisation des ressources financières, et notamment les recettes exceptionnelles. Vous connaissez les chiffres.
Parmi ces recettes, une part incombe directement à mes services. Il s'agit des recettes liées à l'immobilier. On en a beaucoup parlé dans la précédente LPM ; on n'a pas complètement atteint le montant attendu, mais l'on arrive tout de même à environ 670 millions d'euros sur la période, en ayant vendu un certain nombre d'immeubles en province, et passé un bail de longue durée pour la gestion du parc de logements domaniaux avec la Société nationale immobilière (SNI).
D'où viendront les recettes exceptionnelles du domaine immobilier ? Principalement des immeubles parisiens, que nous allons abandonner pour rejoindre Balard à l'été 2015.
Les bâtiments qui devaient nous être livrés fin 2014 le seront à partir de fin février 2015, pour la partie construite sur la parcelle ouest -celle des nouveaux bâtiments de commandement. Une partie des bâtiments à rénover de la parcelle est seront, quant à eux, livrés en avril. Les emménagements pourront donc commencer à partir de cette date.
Pourquoi existe-t-il un décalage dans le calendrier ? On a tout simplement rencontré des difficultés classiques dans ce type d'opérations -désamiantage et dépollution plus importants que prévus, en particulier des sols sur lesquels était installé le bassin d'essais des carènes. Nous avons, par ailleurs, essuyé des aléas climatiques. Ce sont là des problèmes classiques, mais ce retard ne provient pas, comme on l'a dit, de difficultés avec la ville de Paris. Nous les avons réglées, ce n'est donc pas le motif.
Nous allons donc vendre les immeubles que nous occupons ; nous avons entamé les discussions et plusieurs bâtiments seront vendus dès cette année : le bâtiment de La Pépinière, derrière le Cercle national des armées, à Saint-Augustin, sera vendu comme immeuble de bureaux, après discussions avec la ville de Paris ; les immeubles de Bellechasse-Penthemont seront également mis en vente cette année, puis Saint-Thomas d'Aquin et enfin l'îlot Saint-Germain.
Ce dernier sera le plus difficile à vendre, mais nous avons d'ores et déjà des pistes intéressantes. Il faut des intervenants financièrement solides car nous vendons un emplacement et des façades, l'ensemble du bâtiment devant être entièrement refait. Après discussions avec la ville de Paris, les objectifs en matière de logement social ne devraient s'appliquer que sur une partie de cet immeuble et pas aux autres, ce qui constitue un élément très important pour la vente, ces immeubles pouvant être vendus comme immeubles de bureaux.
Nous devrions atteindre les objectifs en matière de ressources immobilières. Un certain nombre d'autres immeubles en vente en province devraient également rapporter des sommes conséquentes.
Les redevances des opérateurs au titre des cessions de fréquences antérieures devraient également être obtenues sans difficulté.
Une partie des recettes exceptionnelles résulte du programme d'investissement d'avenir, et ce dès 2014. Les discussions avec la direction du budget destinées à bien déterminer les flux, les mécaniques et la technique financière ne sont pas encore totalement bouclées. Faire passer des crédits de plan d'investissement d'avenir sur des programmes d'armement n'est en effet pas aisé. Nous travaillons en particulier sur des opérations relatives au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et à l'Agence spatiale française (CNES). Nous pensons raisonnablement trouver rapidement toute la tuyauterie financière qui convient.
M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est le Président de la République qui a la voix la plus forte en matière de crédits budgétaires !
M. Jean-Paul Bodin. - En effet. Les clauses de sauvegarde sont là, ainsi que les engagements du Président de la République.
Peut-être rencontrera-t-on plus de difficultés sur la cession de nouvelles fréquences, en particulier sur la bande de 700 MHz...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On l'a déjà vécu. Ces bandes de fréquences sont-elles intéressantes ?
M. Jean-Paul Bodin. - Oui, ce sont celles utilisées pour la Télévision numérique terrestre (TNT) ; elles nécessiteront des investissements de la part des opérateurs. Il y aura donc forcément un calendrier, plutôt vers la fin de la période que vers le début...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Est-on au clair pour la loi de finances 2014 ?
M. Jean-Paul Bodin. - Nous travaillons sur environ 200 millions dans le domaine immobilier, sur les fréquences payées par les opérateurs au titre des cessions de fréquences antérieures et sur le plan d'investissement d'avenir, sur lequel nous avons, ainsi que vous l'avez rappelé, des garanties claires du Président de la République et du Premier ministre. Il faut en bâtir la « tuyauterie », afin que cela fonctionne.
En matière de maîtrise des ressources financières, j'appelle par ailleurs votre attention sur le fait que la stabilisation des dépenses de fonctionnement courant s'établit autour de 3,5 milliards d'euros. Cette stabilisation va se traduire par une baisse en volume de 12 % sur la période, soit environ 100 millions d'euros par an, après une baisse de 7 % des crédits de fonctionnement en 2013. Ce sont là des efforts importants à réaliser.
Cela a conduit l'administration centrale à mettre en place des mesures d'économies très importantes en matière par exemple de véhicules ; elles s'appliquent à l'ensemble du ministère et se traduisent par le retrait de véhicules dans les bases de défense. Cela nous conduit également à revoir -et c'est plutôt positif- une grande partie des contrats en matière d'énergie. Nous allons profiter de l'évolution de la réglementation en matière d'énergie, gaz et électricité, pour passer des marchés groupés.
Je ne vous cache pas que ce qui nous est demandé sera difficile. On a d'ores et déjà des difficultés de fonctionnement importantes dans les bases de défense.
Cela me conduit à dire que nous devons réfléchir à nos implantations territoriales et à la façon dont nous allons gérer les prochaines restructurations. C'est là mon troisième point...
Je pense personnellement qu'il faut réaliser des restructurations avec abandon complet d'emprise et éviter, comme dans la précédente LPM, des transferts d'unités importants entraînant des dépenses d'infrastructures conséquentes. On a consacré entre 400 et 700 millions d'euros par an à ces dépenses d'accompagnement. Je crois que nous ne pourrons pas le faire dans la prochaine LPM.
Cela suppose aussi, pour permettre aux bases de défense une meilleure maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, d'abandonner complètement les emprises et de ne pas prévoir de maintenir des éléments, pour des raisons d'accompagnement économique et social des territoires. Si l'on veut réaliser des économies de fonctionnement, il faudra être à l'avenir plus rationnel.
Cela amène aussi à se poser quelques questions en matière de dépenses d'infrastructures. Devons-nous être propriétaires de l'ensemble de nos immeubles de bureaux en centre-ville ? Ne pouvons-nous pas, dans certains cas, être locataires ? Durant les cinq années écoulées, on a transformé un certain nombre de bâtiments pour accueillir des états-majors, des organismes d'administration, etc. et aujourd'hui, on se pose des questions sur leur maintien. On aurait loué des bureaux, on ne se poserait pas les mêmes questions. Il faut orienter l'ensemble des dépenses de fonctionnement vers les unités opérationnelles.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Dans quels délais devez-vous réaliser ces économies ?
M. Jean-Paul Bodin. - Nous avons des économies à réaliser dès 2014. Nous y travaillons actuellement avec l'état-major des armées...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Vous contribuez aux 15 milliards...
M. Jean-Paul Bodin. - En effet. Nous devons trouver 500 millions d'euros d'économies. Nous nous y employons. Nous étudions tout le fonctionnement des structures centrales. Avec l'état-major des armées, nous cherchons à réduire un certain nombre de dépenses des bases, mais on a de réelles difficultés à atteindre l'objectif...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On va vous y aider !
M. Jean-Paul Bodin. - Nous sommes preneurs d'idées !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je pense aux logements de fonction et aux voitures de service...
M. Jean-Paul Bodin. - Le parc de voitures de service est déjà en réduction très sensible : il passera de 19 000 à 13 600...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je le ferais passer à moins !
M. Jean-Paul Bodin. - Je ne vous cache pas que cela pose de très grosses difficultés dans le fonctionnement quotidien des structures...
M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est là qu'il faut faire des économies ! On n'a plus les moyens d'avoir ce genre de dispositif. Il en va de même pour nous !
M. Jean-Paul Bodin. - Nous y travaillons, et toutes les propositions seront étudiées. Il faut aussi tenir compte de l'impact que cela peut avoir sur le moral des personnels. On doit procéder par étapes, en accompagnant les choses.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il s'agit surtout de donner du travail à ceux qui n'en ont pas !
M. Jean-Paul Bodin. - Je vous comprends. Les choses ne seront donc pas simples...
Nous avons par ailleurs prévu dans la loi un certain nombre de dispositifs d'accompagnement, dont nous avons besoin. Nous devons notamment récupérer la totalité des produits des cessions immobilières. Le dispositif sera donc reconduit en loi de finances.
D'autre part, nous envisageons de revoir le dispositif d'accompagnement économique tel qu'il a été mis en place dans la précédente loi. Un rapport récent de la Cour des comptes nous aide à recentrer le dispositif. Dans un certain nombre de garnisons, on a accompagné la mise en place de projets, mais ceux-ci ne se sont pas forcément réalisés sur les emprises militaires. On se retrouve donc avec de grandes emprises qui n'ont pas été reconverties.
La question de la reconversion des bases aériennes notamment est très difficile, compte tenu de leur étendue, du niveau de pollution qu'elles peuvent connaître, et du fait que certaines se retrouvent sur plusieurs communes, voire sur plusieurs départements. Il faut absolument cibler davantage le dispositif d'accompagnement.
Un mot des livraisons d'infrastructures... Il y aura, avec l'arrivée des nouveaux matériels, des dépenses conséquentes à réaliser. Certaines sont liées à l'A 400M. Nous avons déjà commencé à nous en occuper dans la précédente loi, mais il faudra les compléter. Les frégates multimissions (FREMM) entraînent également d'importants travaux, notamment à Toulon -dragage, quais nouveaux. Le Barracuda engendre également des travaux importants, tant pour l'accueil que pour préparer les premières opérations de rénovation. Le programme d'accompagnement relatif à l'arrivée des hélicoptères de nouvelle génération devra en outre être achevé. Nous avons ainsi, pour l'accueil du multi-role transport tanker (MRTT), 77 millions d'euros de dépenses d'infrastructures à réaliser en 2014 et 2015. Nous devons prévoir 162 millions d'euros pour préparer l'arrivée du Barracuda. Ce sont là des sommes et des opérations très lourdes...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Êtes-vous sérieux ?
M. Jean-Paul Bodin. - Je le suis !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Ne l'aviez-vous pas prévu ?
M. Jean-Paul Bodin. - Si, cela fait partie des dépenses d'infrastructures prévues dans la LPM de même que les dépenses très lourdes de réfection de l'ensemble des installations électriques des deux grands ports.
Le besoin initial pour les infrastructures avait été évalué à 7 Md€ sur l'ensemble de la période. Les économies ont pu être dégagées après un examen très précis de l'ensemble des projets avec l'EMA afin de rationaliser les projets, de décaler les mois urgents, seules solutions pour faire face aux enjeux qui nous attendent et de rester dans l'enveloppe fixée de 6,1 Md€ sur la période, soit environ 1 Md€ chaque année.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je suppose que vous étalez les dépenses consacrées aux deux ports ?
M. Jean-Paul Bodin. - Si on ne le faisait pas, on n'y parviendrait pas !
C'est à l'occasion de cet examen que l'on se pose des questions sur l'ensemble de l'immobilier administratif et sur les normes que l'on met en oeuvre en matière d'immobilier opérationnel, si l'on considère, par exemple, la différence de technicité entre le hangar d'accueil du Rafale à Saint-Dizier et celui prévu à Djibouti pour les avions de chasse!
Enfin, je voudrais aborder la nouvelle gouvernance. La direction des affaires financières a, au cours de l'actuelle LPM, connu toute une série de simplifications de l'organisation de la fonction dans le cadre du chantier Aramis, qui a conduit à un échange bien plus important qu'auparavant entre l'état-major des armées, la DGA et la direction des affaires financières.
Cependant, des difficultés persistent, du fait de systèmes d'information qui ne sont pas communs. En outre, il existe, dans le domaine financier, une autorité fonctionnelle mais aussi des autorités organiques, par exemple dans le secteur de la programmation. Il faut donc essayer de rassembler ces différentes responsabilités et travailler de façon plus solide qu'auparavant.
On a tiré un certain nombre d'enseignements du travail de préparation de la LPM où on a mis en relation les équipes de la DGA, de l'EMA et de la DAF pour échanger le plus d'informations possible sur les programmes d'armement. Les difficultés ont porté sur l'évaluation des programmes d'armement et des coûts de dépenses de maintien en condition opérationnelle (MCO). Le ministre en a tiré la conclusion qu'il fallait revoir la répartition des compétences, et donner à la direction des affaires financières une autorité fonctionnelle sur les services financiers du ministère.
Un débat a eu lieu sur le thème de l'autorité hiérarchique et de l'autorité fonctionnelle. Les services financiers du commissariat restent sous l'autorité du directeur central du commissariat et de l'état-major des armées, mais la direction des affaires financières doit avoir la capacité de donner un certain nombre de directives en matière de programmation, de préparation du budget et d'exécution financière. Elle doit pouvoir mesurer l'exécution de ces directives. Le directeur des affaires financières doit avoir la capacité d'apprécier le travail mené par les services financiers.
C'est pourquoi un examen de l'ensemble des procédures est engagé. Nous sommes aidés par le contrôle général des armées et avons jusqu'à la fin de l'année pour définir de nouvelles procédures dans lesquelles la direction des affaires financières pourra s'insérer et donner son avis.
Par ailleurs, on indique dans le rapport annexé à la LPM que le service du commissariat aura autorité sur l'ensemble de la fonction administrative, notamment dans les bases de défense. La direction des affaires financières interviendra du point de vue fonctionnel sur la fonction administrative et financière. Cette évolution entraînera une réorganisation des bases de défense. Les régies consacrées à l'infrastructure mises à la disposition du commandement sont appelées à rejoindre le service infrastructures de la défense. On espère faire des économies importantes grâce à ce regroupement. Cela aura aussi des conséquences sur mes services.
La mise en oeuvre de cette nouvelle gouvernance sera facilitée par l'installation à Balard, où il est prévu que les services soient regroupés sur un même étage selon une logique fonctionnelle.
Notre objectif est de réduire l'effectif de l'administration centrale de 15 et 20 %. Il faudra bien y parvenir, sans quoi nous ne parviendrons pas à atteindre l'objectif global du ministère.
Avec une direction financière de 250 personnes composée principalement de cadre de catégorie A, une telle réduction est assez sensible. Quand on augmente en outre les responsabilités de cette direction, il faut bien viser pour y parvenir.
Je pourrais revenir sur les dispositions juridiques lors de vos questions... Mme Landais, que vous avez prévu d'auditionner, sera en mesure de vous expliquer les raisons pour lesquelles on a proposé telle ou telle mesure au ministère.
M. Jean-Louis Carrère, président. - La commission des lois du Sénat et celles des finances se sont saisies pour avis.
La parole est aux commissaires...
M. Jacques Gautier. - Merci de cette intervention, Monsieur le Secrétaire général, et pour nous avoir parlé des difficultés qui sont les vôtres pour obtenir les résultats ambitieux que l'on vous a fixés. Nous savons que c'est indispensable pour permettre l'application et la réalisation de cette LPM, qui se veut vertueuse et porte les espoirs de nos armées, malgré les difficultés.
Vous avez longuement parlé de la direction des infrastructures, notamment des travaux que vous devez réaliser pour l'accueil de l'A 400 M. Quelques-uns ici ont pu voir, à Orléans, les simulateurs et les hangars nécessaires à cet accueil. Vous avez également évoqué les FREMM et le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Barracuda, ainsi que le MRTT. Il est vrai qu'il faut, pour accueillir ces matériels nouveaux et différents, créer des installations adéquates.
Vous avez aussi abordé la différenciation de normes et des spécifications entre les Opérations extérieures (OPEX) et la métropole. Au Gabon, les Transall sont rénovés sous la pluie, à l'extérieur. Il y a peut-être un équilibre à trouver !
La direction des infrastructures semble ne pas avoir totalement anticipé les difficultés budgétaires qui sont les nôtres. Elle continue à proposer des projets très ambitieux, mais très chers, que nous ne pourrons malheureusement pas réaliser ! C'est un peu comme certaines spécifications de la DGA : vous n'avez pas les budgets, et ce qui est essentiel à nos forces n'est pas réalisé !
Des rénovations sont à entreprendre dans l'ensemble des unités. Cela représente des centaines de millions d'euros. Vous avez évoqué des sommes allant jusqu'à 1 à 1,5 milliard d'euros par an, alors qu'il ne faudrait pas dépasser le milliard, avec des dossiers prioritaires. Un message ne doit-il pas être adressé à cette direction, pour lui faire comprendre que concevoir est une chose, mais que payer en est une autre et qu'il faut, dès la conception, prévoir des économies de réalisation et de fonctionnement ?
M. Jean-Paul Bodin. - Je partage entièrement votre analyse. Cette direction est composée d'ingénieurs, qui ont le souci et la volonté de bien faire, et de mettre en oeuvre toutes les techniques qu'ils maîtrisent. Il y a aussi, dans certains cas, de la part des états-majors, des demandes importantes, plus en ce qui concerne l'environnement des forces que les forces. On a eu des discussions sur certains investissements que l'on peut considérer comme n'étant pas possibles compte tenu de nos ressources.
Pour que la discussion ne se déroule pas en vase clos, entre la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, qui a la responsabilité des crédits d'infrastructure, et le service d'infrastructure, on a considéré que les commandements des bases de défense devaient avoir beaucoup plus de responsabilités dans la définition des besoins et dans la programmation. On a donc confié la responsabilité des schémas directeurs d'infrastructures aux commandants de bases de défense. La demande part bien du terrain et remonte vers les états-majors centraux, mais aussi vers l'état-major des armées.
Puis, tous les trimestres, avec le major général des armées et l'adjoint du DGA, nous revoyons la programmation et le calendrier des opérations, afin de pouvoir les ajuster aux ressources. Le débat sur les spécifications a eu lieu lors des travaux de définition de la LPM, suscité par l'état-major des armées et par des officiers, qui ont amené un certain nombre d'exemples de surspécifications.
Nous sommes convenus que nous devions monter un dispositif d'examen de l'ensemble des devis. On est donc en train de se donner la capacité d'examiner les devis pour les très grosses opérations.
Cela suppose que nous dégagions une expertise technique, afin que l'état-major des armées puisse avoir l'explication technique.
Nous sommes également convenus, à la demande du ministre, que nous lui présenterions en comité ministériel d'investissement -où nous examinons les principaux investissements- les conclusions de ces travaux. On a bien pris conscience de cette question et savons que la ressource n'est pas là pour faire ce que voudraient faire certains...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je suis étonné quand j'entends dire ici ou là que la ressource n'y est pas. Y était-elle l'an dernier ? On va finir par croire que vous n'avez plus d'argent !
M. Jean-Paul Bodin. - Je n'ai pas dit cela ! La ressource, dans la future LPM, est équivalente à la précédente, mais il y a une différence entre la ressource dont nous disposons et la masse des projets que nous voudrions réaliser.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je l'entends beaucoup mieux ainsi !
M. Jean-Paul Bodin. - On s'est posé la question de savoir si l'on pouvait maintenir l'enveloppe de crédits d'infrastructures autour d'un milliard d'euros en moyenne. Nous y sommes parvenus, sauf en matière d'entretien et de maintenance courante. On a là quelques difficultés, mais je pense que le travail de spécifications doit être effectué.
M. Gilbert Roger. - Monsieur le Secrétaire général, vous l'avez dit, des fermetures de bases de défense sèches et définitives vont avoir lieu...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je dirai rationnelles...
M. Gilbert Roger. - Mais il y a souvent eu de l'irrationnel ! Il pleut toujours bien là où c'est mouillé ! J'attends donc de voir. Ce n'est pas à Lorient qu'il va y avoir une fermeture définitive d'une base de défense ! Il vaut mieux que ce soit moi qui le dise !
Vous vous tournez vers les collectivités territoriales : les élus, autour de la table, sont des élus du territoire, qui ne sont pas réellement bien traités par l'État, par rapport aux obligations qui sont faites aux uns et aux autres !
La ville dont j'ai été le maire jusqu'à mon entrée au Sénat vient de se lancer dans la réforme Peillon. Il a fallu trouver dans notre budget 700 000 euros pour l'appliquer -et l'année n'est pas terminée ! Vous dites que l'on va étudier la façon dont les territoires vont pouvoir absorber des fermetures sèches. Quelles sont les bases de défense qui vont être concernées ? A quel moment allons-nous le savoir ? Des élections municipales, cantonales et régionales doivent avoir lieu, et il serait inadmissible que des élus locaux, de quelque bord que ce soit, découvrent les choses dans un entrefilet après les élections.
En second lieu, j'aimerais qu'on nous communique le chiffre très précis, pour les deux dernières exécutions budgétaires et pour la loi de programmation à venir, un comparatif des contrats de prestation.
On prétend souvent diminuer les effectifs qui s'occupent de la restauration, ou de l'informatique, alors qu'on ouvre la vanne des contrats de prestations, parce qu'il faut réaliser les missions quotidiennes. J'aimerais donc savoir s'il n'existe pas une sorte de vase communicant entre la baisse artificielle de la masse salariale et l'augmentation des prestations externes.
Par ailleurs, va-t-on encore aider les petites et moyennes entreprises (PME) qui travaillent dans les territoires ? Ainsi, à Metz, la base aérienne devait être reconfigurée. A part trois centres commerciaux, il n'existait en réalité aucun projet viable. Le responsable de la Délégation aux restructurations espérait que les collectivités reprennent ce secteur, sans savoir comment, ni pour quoi faire...
Enfin, je suis élu territorial de banlieue. Cela fait bien longtemps que l'armée n'y est plus. Vous espérez vendre à bon prix un certain nombre de locaux que vous possédez dans Paris. Le bon prix va se traduire par l'inflation du mètre carré. Les classes moyenne et populaire pourront de moins en moins se loger dans Paris, et on va les retrouver en banlieue ! Vous participez donc, d'un certain point de vue, à un déséquilibre entre la capitale et les collectivités territoriales de périphérie !
Mme Michelle Demessine. - Après avoir eu la satisfaction de limiter les dégâts dans le Livre blanc, on entre dans le détail. On sent bien que les choses vont être difficiles, et chacun est habité par le doute. Cela ne va pas être simple...
Une question sur l'accompagnement social des restructurations : quelles hypothèses ont permis d'évaluer le plan d'accompagnement à 933 millions d'euros pour la durée de la LPM ?
Est-il possible de distinguer les montants affectés aux personnels militaires et aux personnels civils ? Les syndicats sont très inquiets...
Disposez-vous d'une évaluation du coût des dispositifs qui seront mis en oeuvre, et notamment de ceux prévus dans la partie normative de la LPM ?
Quant à l'accompagnement des restructurations, toutes les collectivités, quelles qu'elles soient, sont en difficulté pour accompagner de nouveaux projets...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Pas toutes ! Je peux en citer certaines...
Mme Michelle Demessine. - J'ai bien noté le problème des bases militaires dans la dernière LPM. Je pense qu'il faudrait, pour la crédibilité du prochain plan, régler le sujet plus efficacement. Sur quelle hypothèse l'enveloppe des 150 millions d'euros affectés à l'accompagnement économique a-t-elle été déterminée ?
En ce qui concerne les ressources exceptionnelles, combien attendez-vous des cessions immobilières ?
Enfin, la mise à disposition des espaces d'entraînement est un élément important du maintien en conditions opérationnelles de nos armées, lequel est devenu un objectif important de la LPM. Ces crédits, comme ceux affectés aux conditions de vie des militaires, ont souvent constitué des variables d'ajustement dans l'exécution des précédentes LPM, notamment lors des arbitrages au sein des programmes d'infrastructures. Qu'est-ce qui garantit la réalisation de ces objectifs pour l'avenir ?
M. Jean-Claude Peyronnet. - Vous avez affirmé qu'il était plus intéressant de vendre que de louer. Est-ce bien sûr ? Cela dépend où on loue. Pour avoir été membre d'une autorité administrative indépendante lorsque j'étais à la commission des lois, je puis vous dire que la location avenue Floquet coûte bien plus cher qu'une location en banlieue ! A-t-on bien analysé ces points ? Lorsqu'il s'agit de bureaux, il peut être intéressant d'avoir des bureaux dans une banlieue bien desservie...
En outre, pourriez-vous faire le point sur l'opération Balard sur trente ans ? Est-ce si intéressant -même si je ne conteste pas l'intérêt fonctionnel de l'opération ?
M. Raymond Couderc. - Avez-vous une idée du rapport coût efficacité en matière de reconversion, à la lumière de ce qui s'est passé au cours des dernières années ?
Pourriez-vous par ailleurs ajouter un mot sur la demande faite aux collectivités territoriales, au cours des dernières années, pour intégrer du personnel ? Quel en a été le résultat ?
M. Jean-Louis Carrère, président. - Notre commission, ainsi que celle de l'Assemblée nationale, vont vraisemblablement demander que les contrôles de l'exécution budgétaire soient plus fréquents. Que pensez-vous de contrôles trimestriels ? Cela présente-t-il un intérêt ? Est-ce farfelu ? Cela a-t-il du sens ou non ?
M. Jean-Paul Bodin. - Le calendrier des restructurations des bases de défense pour 2014 devrait être connu à la fin de ce mois septembre. Les choses ne sont pas totalement calées. Les mesures applicables pour 2015, 2016, jusqu'à la fin de la période, seront annoncées dans un an, en 2014.
A ce stade, je ne puis dire combien de bases de défense pourraient être fermées. Il y a encore des discussions très importantes au sein du ministère à ce sujet. On ne peut donner d'informations précises.
Pour ce qui est des contrats de prestations, il existe un bilan assez précis de l'externalisation dans le domaine de l'alimentation. Je pourrais vous communiquer ces éléments. Je n'ai par contre pas d'indications globales...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Ce serait pourtant intéressant...
M. Gilbert Roger. - Les collectivités territoriales savent le faire. On peut vous y aider !
M. Jean-Paul Bodin. - Je vous ferai parvenir les chiffres dont nous disposons...
La vente des immeubles parisiens risque-t-elle d'entraîner une inflation du prix du mètre carré à Paris ? Une grande partie de ces immeubles va être vendue comme immeubles de bureaux. Il a été fait en sorte que l'objectif de logement social porte sur une partie de l'îlot Saint-Germain. Les immeubles de Bellechasse, de Saint-Thomas d'Aquin ou de rue de La Pépinière seront vendus comme immeubles de bureaux. Je ne sais quelles conséquences cela aura sur le prix du mètre carré des immeubles de bureau...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je ne suis pas sûr que cela en ait beaucoup, compte tenu du peu de gens qui y sont pour l'instant logés...
M. Jean-Paul Bodin. - Concernant l'accompagnement social des restructurations, nous disposons d'un tableau extrêmement précis du coût du plan, année après année, pour les civils comme pour les militaires. Nous allons vous le faire parvenir. Les choses sont détaillées par indemnité, avec indication des volumes de personnels pouvant en bénéficier et du coût.
Quant à l'accompagnement économique, l'enveloppe de 150 millions d'euros a été établie après les discussions avec la DATAR, à partir des dépenses faites dans l'actuelle LPM. On a déterminé un montant moyen par emploi supprimé. On y a affecté un mécanisme de pondération, selon la situation économique des territoires, pour aider les communes les plus impactées, et celles qui ont le plus de difficultés économiques. On pourra là aussi vous communiquer ces éléments.
Vous avez évoqué l'infrastructure opérationnelle et les centres d'entraînement. Tout un travail a été fait pour la mise à niveau des grands camps d'entraînement de l'armée de terre, où l'on a des problèmes d'infrastructures, d'accueil, d'hébergement, mais aussi de dépollution, de centres de tir et autres.
Il y a dans l'enveloppe des crédits d'infrastructures une partie spécifique consacrée à la partie entraînement des armées. On pourra vous en donner le chiffre précis.
Vous m'avez par ailleurs interrogé sur le sujet des locations et de la vente d'immeubles de bureaux. Si l'on réfléchit à la location, ce n'est pas pour s'installer en centre-ville ! Nous possédons encore, dans quelques grandes villes de province, quelques casernes qui abritent uniquement des bureaux. Quand nous nous interrogeons pour savoir si nous les conservons ou non, ce n'est pas pour relouer à prix élevé, en centre-ville !
Sur le bilan financier de l'opération Balard, je vous ferai parvenir un document sur ce sujet, avec une analyse de la répartition des loyers et des économies que l'on doit faire. L'opération Balard est financée par les économies de fonctionnement que nous pensons réaliser grâce au regroupement, mais aussi grâce à la diminution d'emplois, notamment dans les structures de soutien, où l'on transforme des crédits de titre II en crédits de fonctionnement. On pourra vous faire parvenir ces éléments...
Quant au rapport coût efficacité de la reconversion, des analyses ont été réalisées par l'agence de reconversion sur le nombre de personnels que l'on a réussi à aider. On est autour de 74 à 76 % de reclassement. Des analyses des coûts de fonctionnement interne, mais aussi des coûts de prestations, de formations et autres ont été menées. On peut donc vous apporter des éléments sur ce point.
S'agissant du reclassement du personnel militaire au sein des collectivités locales, les résultats sont moins importants que ceux attendus. Cependant, les reclassements en début de période, dans l'ensemble de la fonction publique d'Etat, ont approximativement été ceux que l'on espérait, mais ils commencent à connaître des aléas, les autres ministères ayant eux-mêmes des difficultés de gestion de leurs personnels.
Sur le contrôle de l'exécution budgétaire, Monsieur le Président, vous avez fait allusion aux réunions que nous avons périodiquement avec vous...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On n'a pas défini de fréquence, ni de rythme...
M. Jean-Paul Bodin. - Aujourd'hui, c'est de l'ordre de deux réunions par an.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il est peut-être compliqué pour vous de nous fournir les réponses aux questions que nous vous adressons...
M. Jean-Paul Bodin. - Il faudrait que l'on puisse faire coïncider ces réunions avec celles du comité de gestion interne du ministère, au cours duquel on présente des éléments d'analyse au ministre. On peut alors prendre un certain nombre de décisions de réorientation en matière de gestion. Il faut que l'on essaye de bâtir un calendrier...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je propose que les services du ministère et des deux commissions puissent travailler pour trouver la bonne méthode...
M. Jean-Paul Bodin. - Je vous propose d'aborder cette question avec la direction des affaires financières, qui prépare l'ensemble des dossiers pour les réunions que nous avons avec vous.
Pour ce qui est d'une réunion trimestrielle, nous allons avoir un problème avec le premier trimestre de l'année. Il va falloir étudier comment organiser cela.
Général Bertrand
RACT-MADOUX
Chef d'état-major de l'armée de Terre
Le 18 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président . - Mon général, c'est toujours avec un grand plaisir que nous vous accueillons. Permettez-moi tout d'abord de vous remercier très chaleureusement pour votre accueil aux universités d'été de la défense à Pau, au cours desquelles nous avons pu mesurer l'étendue des savoir-faire de l'armée de Terre ... Et l'étendue de ses besoins en matière de modernisation des équipements.....
Le projet de loi de programmation militaire est désormais soumis à notre examen. Nous souhaitons entendre vos analyses. Aussi, je serai très bref et me bornerai à quelques grandes interrogations :
- Le nouveau contrat opérationnel de l'armée de Terre vous semble-t-il cohérent et soutenable compte tenu des moyens alloués ?
- Quelle part l'armée de Terre prendra-t-elle aux futures déflations d'effectifs, qui porteront pour un tiers sur l'opérationnel ? Vous disiez préférer des fermetures à des réductions saupoudrées, qui anémient les unités : qu'en sera-t-il ?
- Que signifiera concrètement la « différenciation » - n'est-ce pas un cache misère de l'instauration d'une armée à deux vitesses, tant en termes d'entraînement que d'équipement ?
- La préparation opérationnelle et la disponibilité des matériels ne se redresseront au mieux qu'en 2016. La LPM fixe un objectif à 90 jours d'entraînement (plus les OPEX), alors que nous considérions les 105 jours actuels de l'armée de Terre comme insuffisants... Comment l'armée de Terre va-t-elle vivre cette période ?
- Qualité du recrutement, fidélisation et cohésion civils-militaires me semblent trois points de fragilité en matière de ressources humaines. Quelle est votre analyse ?
- Enfin, quel est votre principal point de vigilance : le lancement du programme SCORPION ?
Nous serons collectivement - et peut-être même unanimement ? - attachés à renforcer, dans le projet de loi de programmation, le contrôle parlementaire de son exécution. Je suis aussi très attentif à tout ce qui peut renforcer le lien armée-nation, et ouvert à vos suggestions dans ce domaine. Vous avez la parole.
Général Betrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de Terre - Je vous remercie de m'offrir l'opportunité de m'exprimer devant la représentation nationale. Le Livre blanc, sur lequel vous m'aviez entendu le 12 juin dernier, franchit avec ce projet de loi de programmation militaire 2014-2019 une étape décisive. Les contextes géopolitique et économique nous rappellent avec acuité la portée stratégique de cette loi, mais aussi l'enjeu ambitieux et complexe qu'elle porte.
Ce projet de loi me semble rechercher le meilleur point d'équilibre possible entre l'indispensable redressement des comptes publics et l'absolue nécessité pour la France de conserver une défense forte. Dans ce but, la Nation s'apprête à consentir un effort important en sanctuarisant pendant trois ans le budget de la Défense. Cet effort a pour objectif de maintenir la France au premier rang stratégique. Pour ce faire, le projet de loi de programmation militaire met en avant d'une part le rôle déterminant de la préparation opérationnelle et d'autre part l'importance des équipements pour disposer de forces opérationnelles performantes.
De fait, les objectifs de préparation opérationnelle fixés dans le projet de loi permettent à l'armée de Terre de satisfaire son contrat tandis que le plan d'équipement poursuit le renouvellement des matériels terrestres les plus essentiels. Toutefois, l'atteinte de ces objectifs est subordonnée à la bonne exécution de la programmation telle qu'elle est prévue. Elle nécessitera donc un volontarisme budgétaire dont la précédente LPM n'a pas pu bénéficier compte tenu du contexte économique. Deux défis majeurs attirent toute mon attention : en premier lieu l'effort considérable de réduction d'effectifs car il pourrait avoir des effets sur la cohérence du modèle d'armée ; en second lieu les conditions d'exercice du métier militaire et de vie du personnel car elles conditionnent notre capacité à réussir cette réforme. De ce point de vue, le moral de nos hommes, qui découle directement de leur condition de vie et de travail, constitue à mes yeux un enjeu central d'autant plus qu'il est un des facteurs de leur efficacité opérationnelle. Mes responsabilités dans ces domaines m'imposent donc de disposer des leviers d'action pour pouvoir les exercer en toute plénitude.
Pour commencer, l'effort conséquent marqué dans la loi de programmation militaire sur l'équipement des forces permet de poursuivre le processus de renouvellement des matériels. Il permettra à l'armée de Terre de disposer des capacités essentielles dont elle a besoin. Pour s'adapter au nouveau contrat opérationnel et aux ressources budgétaires, le futur plan d'équipements prévoit malheureusement des reports d'opérations, des réductions de cibles et un étalement des livraisons des matériels. Ceci nécessitera donc de trouver un équilibre entre le prolongement des parcs les plus anciens et un rythme de modernisation progressif. Cet équilibre imparfait fera apparaître des réductions temporaires de capacité. Le volontarisme budgétaire et l'application rigoureuse de la programmation éviteront d'en aggraver les effets et de dégrader ainsi la capacité opérationnelle de l'armée de Terre.
Le lancement dès 2014 de la première étape du programme Scorpion permet d'entamer le renouvellement des équipements médians et de moderniser les capacités des unités de combat à l'horizon 2020. L'inscription dans le projet de loi de programmation militaire de cette opération fondamentale pour l'avenir de l'armée de Terre constitue donc une source de soulagement. Toutefois, ce programme devra faire l'objet d'un suivi et d'un effort prononcé pour garantir le remplacement à temps du véhicule de l'avant blindé -le VAB- de l'AMX 10 RC et de l'ERC 90, sous peine de devoir les employer jusqu'en 2030. L'AMX 10 RC aura alors 50 ans ! Le respect du cadencement et des cibles de livraison des systèmes structurants que sont le véhicule blindé multi-rôle (le VBMR), l'engin blindé de reconnaissance et de combat (l'EBRC) et le système d'information Scorpion (SICS) est donc devenu capital. Ce volontarisme budgétaire est d'autant plus important que la LPM précédente, n'ayant pas réellement respecté la priorité que prévoyait le Livre blanc de 2008 sur la remise à niveau des moyens aéroterrestres, a vu le programme Scorpion reporté d'environ trois ans. Par ailleurs, les réductions de cibles dont il a été l'objet méritent également d'être soulignées car elles nous imposent de prolonger les parcs anciens. Si la précédente LPM prévoyait d'équiper deux régiments en EBRC en 2020 et de livrer près de 1 000 VBMR, la prochaine LPM permettra quant à elle d'équiper un seul peloton EBRC à la même date et de livrer 200 VBMR. Le retard ainsi accumulé ne pourra pas être rattrapé. Tout nouveau report du programme ou toutes nouvelles réductions de cibles entraîneraient de fait une rupture capacitaire sur les moyens de combat médians. Cette situation serait difficilement compréhensible au regard des renoncements qu'a acceptés l'armée de Terre sur d'autres matériels.
Surtout, il ne faut pas écarter les risques que nous ferions prendre à nos hommes en ne leur permettant pas de disposer au bon moment du bon matériel.
Concernant les autres fonctions opérationnelles, les trajectoires envisagées font apparaître de longues réductions temporaires de capacité. La diminution du parc d'hélicoptères de manoeuvre - Puma, Cougar, Caracal et NH90 - d'environ 20% fragilisera la capacité d'héliportage de l'armée de Terre. La fonction logistique est la plus touchée. Les besoins liés au remplacement des camions ne seront couverts qu'à hauteur de 40%. Ces réductions temporaires de capacité ne pourront être atténuées que par un vieillissement prolongé des matériels actuels.
Malgré la baisse programmée du nombre d'équipements, le besoin en entretien augmente sous l'effet conjugué de la coexistence des matériels d'ancienne et de nouvelles générations, de l'allongement du cycle de renouvellement des équipements et des hausses économiques du coût des facteurs. À cela, s'ajoute une pression supplémentaire liée à la remise aux standards « métropole » des matériels fortement sollicités, lors des opérations du Liban, d'Afghanistan, de Libye et du Mali et dont une grande partie nécessite des réparations très lourdes. Cette augmentation du coût de l'entretien programmé des matériels n'est qu'imparfaitement compensée par l'accroissement des crédits correspondants.
La priorité accordée au soutien aux opérations extérieures permet d'atteindre une disponibilité technique très satisfaisante de l'ordre de 92%. Mais cet effort se fait au détriment des unités stationnées en métropole, en particulier les unités d'hélicoptères, portant préjudice à la qualité de leur préparation opérationnelle.
Le maintien de la capacité opérationnelle des forces et de leur dotation en équipements repose donc sur la volonté d'exécuter fidèlement les dispositions du projet de loi de programmation et sur le suivi régulier de cette exécution.
La préparation opérationnelle constitue la seconde priorité du projet de loi de programmation militaire. Les objectifs que celui-ci fixe en matière d'activités permettront à l'armée de Terre de remplir dans la durée son contrat opérationnel. Cependant, le maintien, au moins jusqu'en 2016, d'un niveau d'entraînement d'emblée inférieur aux objectifs pose un défi de taille. L'expérience accumulée au cours des récentes opérations ainsi que les bonnes pratiques mises en oeuvre par l'armée de Terre amortissent les effets négatifs de cette situation. Sans garanties budgétaires, ces bonnes pratiques ne suffiront cependant pas à écarter le risque d'une dégradation progressive de la capacité opérationnelle à plus long terme.
Vous le savez, la préparation opérationnelle est un facteur clef de l'efficacité des forces terrestres. En effet, comme les démonstrations aux universités d'été de la Défense à Pau vous l'ont montré, la diversité et la complexité des missions exigent un niveau d'entraînement adapté à la spécificité de chaque engagement. Nous n'attendons évidemment pas les mêmes réactions de nos hommes selon qu'ils opèrent au service de nos concitoyens en mission de protection du territoire national ou qu'ils se battent sur un théâtre d'opérations extérieures face à un ennemi acharné et déterminé. Pour autant, il s'agit bien des mêmes soldats qui, à quelques mois d'intervalle, devront gérer la complexité propre à chacune de leurs missions et dont nous exigeons qu'ils emportent la décision. Enfin, il n'y a pas d'opérations sans risque. Pour y faire face, nos soldats ont besoin d'être correctement entraînés car leur meilleure protection repose sur la qualité de leur préparation opérationnelle.
La réalisation de l'objectif fixé dans le projet de loi de programmation militaire, de 90 journées de préparation opérationnelle et de 180 heures de vol, hors simulation, permet à l'armée de Terre de remplir dans la durée son contrat opérationnel. Néanmoins, pas plus qu'en 2013, le niveau de ressource inscrit ne permettra d'atteindre ces cibles en 2014 et en 2015. Il ne devrait pas être possible de réaliser plus de 83 journées de préparation opérationnelle et 156 heures de vol. Cette situation perdurant depuis trois ans, l'armée de Terre « vit sur ses acquis ». Les raisons tiennent essentiellement aux mesures d'économies décidées entre 2009 et 2012. Elles ont, entre autres, eu pour effet de réduire les crédits d'activités, ceux dédiés à l'entretien programmé des matériels et aux opérations d'infrastructures associées, produisant par voie de conséquence une dégradation progressive des conditions d'entraînement. L'effort inscrit en LPM au profit de l'activité devrait permettre d'enrayer ce processus en stabilisant le niveau de préparation opérationnelle à terme.
Si les conséquences de cette dégradation ne se font pas sentir en opérations extérieures, où les forces terrestres continuent à se comporter remarquablement, c'est en raison de leur expérience, acquise au fil des projections et des bonnes pratiques adoptées par l'armée de Terre en matière d'entraînement. Pour autant, il faut redouter les effets de cette dégradation à plus long terme si les objectifs du projet de LPM en matière de préparation opérationnelle se révélaient hors d'atteinte.
Le taux élevé d'engagement des forces terrestres contribue encore actuellement à aguerrir nos hommes et à entretenir leurs compétences. De fait, les forces Terrestres ont profité au Mali d'un capital constitué par l'expérience acquise notamment en Côte d'Ivoire et en Afghanistan, mais aussi outre-mer. Or ce capital se réduira s'il n'est pas entretenu. C'est pourquoi, l'armée de Terre privilégie l'armement des forces prépositionnées et des forces de présence par du personnel en mission de courte durée. Outre les économies générées par rapport au personnel permanent outre-mer, cela permet chaque année à plus de 60 unités de combat de remplir des missions contribuant directement à leur préparation. C'est également la raison qui nous conduit à employer nos soldats pour la protection de nos emprises, économisant ainsi des forces dédiées à cette seule mission.
En outre, afin d'optimiser l'emploi de ressources comptées, l'armée de Terre décline de longue date les principes de différenciation de la préparation et le principe de mutualisation des moyens, prescrit par le Livre blanc. Ainsi, la préparation opérationnelle différenciée adapte depuis 2008 la durée et le contenu de la préparation au type d'engagement, permettant d'en contenir les coûts. De même, l'emploi mutualisé et la gestion spécifique des parcs pratiqués depuis 2006, l'utilisation de matériels de substitution et le recours à la simulation optimisent quant à eux l'emploi des engins et réduisent leur coût d'entretien. Cependant, ces politiques innovantes mises en oeuvre pour optimiser les ressources de l'armée de Terre dans une logique de préparation opérationnelle et d'emploi produisent maintenant tous les effets attendus. Il n'existe de ce fait plus beaucoup de marges d'optimisation au sein de l'armée de Terre.
En matière d'infrastructure, telle que les stands de tir et les camps d'entraînement, la poursuite des efforts programmés devrait permettre aux forces terrestres de disposer d'ici 2020 des moyens dont elles ont besoin.
Dans l'hypothèse où l'objectif d'activité fixé dans la LPM à 90 journées de préparation opérationnelle et à 180 heures de vol hors simulation ne serait pas atteint en 2016, cela signifierait une diminution de la capacité opérationnelle et le risque d'une baisse du niveau de qualification du personnel devant être engagé en opération. Il s'agit d'un enjeu important qui mérite une très grande vigilance afin de remonter à temps, au niveau voulu.
La diminution des effectifs prévue dans le projet de loi de programmation militaire représente un effort considérable pour les armées. Elle est de ce fait sans doute perçue comme la mesure la plus difficile à mettre en oeuvre. Une répartition équilibrée de la charge de déflation entre tous les acteurs au sein du ministère me semble centrale car elle conditionnera à la fois la cohérence du modèle d'armée avec le contrat opérationnel et l'acceptation de la réforme.
Le projet de LPM prévoit la suppression de 23 500 postes au sein de la mission Défense dont 9 000 postes au sein des forces opérationnelles et 14 500 postes au sein du soutien, de l'administration et de l'environnement. S'agissant de l'armée de Terre, la stratégie de défense fixe à 66 000 hommes projetables, c'est-à-dire entraînés, aptes et disponibles, le format de la force opérationnelle terrestre, aujourd'hui ce format étant de 71 000 hommes. Cela se traduira par la déflation du volume d'une brigade interarmes, nécessitant par voie de conséquence la fermeture de plusieurs garnisons.
L'objectif de déflation hors forces opérationnelles constitue à mes yeux un défi d'ampleur compte tenu des difficultés qu'il posera pour être atteint. Il me semble d'abord utile de rappeler que les fonctions de soutien, les structures organiques, l'environnement et l'administration ont déjà supporté un effort important de rationalisation et de réorganisation lors de la précédente réforme. L'identification des marges de rationalisation restantes sera donc difficile. Il est par ailleurs indispensable que cette réorganisation ne débouche ni sur une dégradation du soutien aux activités opérationnelles ou à leur sécurité, ni sur des défauts d'administration préjudiciables à la condition du personnel. La volonté du ministre de la Défense de « prendre le temps » nécessaire pour analyser et pour dialoguer est de ce point de vue un gage d'assurance. Surtout, il faut considérer la part de déflation qui sera imputée aux services interarmées et aux directions du ministère, au sein desquels le personnel de l'armée de Terre occupe une place importante. L'expression de la volonté politique de préserver les forces opérationnelles fait porter l'effort le plus important sur les autres secteurs de la mission défense. Elle appelle donc une répartition équilibrée des volumes de déflation et la juste identification des contributions de chaque armée et de chaque service, au risque de voir in fine la charge se reporter sur les forces opérationnelles.
Le second défi concerne les objectifs liés au taux d'encadrement. L'effort de dépyramidage qui vise à porter à 16% le pourcentage d'officiers se traduit par un objectif de diminution au sein du ministère d'environ 5 800 postes de cette catégorie. Concernant l'armée de Terre, il me semble utile de préciser que son taux d'encadrement est actuellement d'environ 12% et qu'il ne représente plus que 8% au sein de la force opérationnelle terrestre, un des taux les plus bas comparé aux armées européennes équivalentes. Ce taux est d'ailleurs stable depuis 2010 puisque l'armée de Terre a diminué le nombre de ses officiers au même rythme que les autres catégories de personnel.
Si la poursuite de cet objectif ministériel devait se traduire par une telle déflation, réduisant encore le taux d'encadrement dans l'armée de Terre, les conséquences en seraient particulièrement déstructurantes. Il me semble donc légitime que cet objectif ambitieux soit équitablement réparti au sein du ministère, entre armées et services, entre personnels civils et personnels militaires, pour que l'armée de Terre n'ait pas, en fin de LPM, un taux d'encadrement en officier et en sous-officier déraisonnablement bas.
Le dernier défi à relever, étroitement conditionné par le précédent, est lié à la maîtrise des dépenses de masse salariale. Son évolution est dictée par le respect des trajectoires de déflation et l'application des arrêtés de contingentement par grade qui touchent trop drastiquement le corps des officiers et celui des sous-officiers. Cette nouvelle règle contraint fortement la manoeuvre de réduction de postes. La difficulté consiste à concilier l'application de ces dispositions sans remettre en cause le nouvel ordre de bataille de l'armée de Terre.
La remarquable capacité d'adaptation et l'abnégation dont notre personnel a fait preuve pour mettre en oeuvre avec un certain succès la précédente réforme, tout en apportant la contribution humaine la plus forte aux engagements opérationnels, justifient l'attention qui lui est due. Ce nouvel effort a bien naturellement des effets sur le moral. Le contexte économique national amplifie d'ailleurs la perception globalement pessimiste que partagent nos concitoyens quant à leur avenir. Tout ceci accentue donc les inquiétudes du personnel et contribue à alimenter un sentiment de lassitude, voire de mécontentement. Vous avez compris que la question des effectifs que je viens d'évoquer constitue le point clé de mon appréciation de situation.
Le réalisme et la sincérité nous obligent à constater qu'avec un niveau de ressource constant jusqu'en 2015, la priorité donnée aux équipements et à la préparation des forces se traduira mécaniquement par des tensions dans plusieurs domaines que je souhaite évoquer devant vous. Contraignant les conditions d'exercice du métier militaire et les conditions de vie, ces tensions pourraient avoir des effets sur la capacité opérationnelle et sur le moral.
Dans le domaine de l'infrastructure, je redoute une dégradation des conditions de vie et de travail dans les régiments. Les renoncements sur la période 2009-2014, d'un volume de 34% des crédits initialement programmés ont conduit à reporter sur la période 2014-2019 et au-delà, la réhabilitation des infrastructures de vie courante. A titre d'exemple, initialement prévue en 2013, la fin du plan d'hébergement des militaires du rang, le plan Vivien, a dû être reporté en 2017, obligeant beaucoup d'entre eux à être logés dans des conditions précaires. Ces reports d'investissement se traduisent donc par d'importants besoins en maintien en condition que la LPM 2009-2014 n'a pas permis de satisfaire. Il en résulte un retard dans les opérations de maintenance qui exigera un effort accru en ressources pour être comblé. Il s'agit d'une préoccupation majeure car touchant les conditions de vie et de travail, ces mesures affectent directement le moral du personnel.
S'agissant du soutien de l'homme, le cadrage budgétaire du projet de loi de programmation militaire pourrait obliger à revoir à la baisse le standard d'équipement du combattant (les tenues de combats, les équipements individuels et les éléments de protection) et à diminuer ses droits à dotation. Cela se traduit aussi par des tensions sur notre capacité à équiper les forces, risquant de créer une situation de pénurie temporaire en cas de déclenchement d'une intervention d'urgence.
Les mesures d'économie sur le fonctionnement touchent également les conditions de vie et d'exercice du métier dans le domaine de l'alimentation et de la formation. J'ai ainsi été amené en 2013 à réduire, pour l'armée de Terre, le coût des denrées par repas à 3,20 euros. S'agissant de la formation, une mesure envisagée de suppression du stage de nos jeunes officiers au centre d'aguerrissement du désert de Djibouti et au centre d'aguerrissement en forêt équatoriale de Guyane les priverait d'évidence d'une expérience opérationnelle pourtant indispensable.
Au bilan, il faut éviter que la dégradation des conditions de vie et de travail et que l'enchaînement des réformes n'affectent la motivation et la satisfaction que leur engagement procure à nos soldats.
Enfin je souhaiterais aborder le sujet de la modernisation de la gouvernance du ministère. L'objectif consistant à clarifier les responsabilités est capital pour conduire efficacement cette réforme et en garantir l'acceptation. Il me semble donc crucial que les chefs d'état-major d'armée puissent conserver les leviers leur permettant de garantir la cohérence de l'armée dont ils ont la charge. Nous avons expérimenté, avec la défaillance de l'écosystème de solde, les limites d'une approche trop fonctionnelle. Pour renforcer la nouvelle gouvernance du ministère et dans la logique de la priorité à l'opérationnel, il est indispensable de mettre en place des mécanismes de coordination et de subsidiarité permettant aux chefs d'état-major d'armée d'être d'une part les responsables, mais surtout les chefs d'orchestre de la préparation de leur force et d'assurer la cohérence des moyens mis à leur disposition.
En conclusion, la loi de programmation 2009-2014 s'est révélée inatteignable en raison d'hypothèses budgétaires volontaristes qui n'ont finalement pas pu être tenues. L'armée de Terre n'a pas pu bénéficier de tout l'effort prévu pour renouveler ses équipements. De même, les mesures d'économies dont elle a fait l'objet ont hypothéqué l'atteinte de ses objectifs d'activités. Le projet de LPM 2014-2019 me semble quant à lui se présenter aujourd'hui convenablement, à la manoeuvre de déflation des effectifs près, qui restera délicate à conduire.
Permettez-moi pour finir, de vous remercier chaleureusement du soutien apporté par votre commission aux hommes et femmes de l'armée de Terre, que ce soit sur les théâtres d'opérations, au côté de nos familles et de nos soldats dans les moments difficiles et plus récemment à l'occasion des travaux du Livre blanc et des universités d'été de la Défense.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Sans préjuger des décisions de la commission, je pense que nous aurons à coeur de renforcer les clauses de sauvegarde financière, en particulier concernant les recettes exceptionnelles, d'instaurer une clause de « retour à meilleure fortune » permettant d'envisager une augmentation ultérieure des crédits consacrés à la défense, en fonction de la croissance. Le « plancher » de dépenses actuel n'est pas notre objectif ultime, qui reste, je l'ai dit maintes fois, celui de 2% du PIB en norme OTAN. Le renforcement du contrôle parlementaire de l'exécution pourrait prendre deux formes : des réunions plus fréquentes qu'actuellement avec le Gouvernement, je l'ai déjà proposé au ministre, voire un rapport et un débat annuels au Parlement sur l'exécution de la loi de programmation militaire. Notre volonté est de s'assurer que, cette fois-ci, la programmation sera bien respectée.
Les objectifs de déflation d'effectifs sont en effet importants et je reçois votre argumentation sur la nécessité d'une harmonieuse répartition des déflations entre armées et services. J'observe toutefois que la suppression de 20 000 emplois lors de la précédente loi de programmation ne s'est pas traduite par une diminution de la masse salariale à la hauteur de nos attentes....
Je partage votre analyse en matière de préparation opérationnelle, et aussi, je le dis, de maintien en condition opérationnelle, dont le coût ne cesse de croître. Nous serons vigilants sur le respect des engagements du gouvernement.
S'agissant du moral, avec des objectifs clairs et précis, nous pouvons mobiliser les personnels. Je m'inquiète toutefois du fossé qui se creuse entre l'armée et la Nation.
Général Betrand Ract Madoux - Concernant le lien Armée - Nation, je crois que l'armée de Terre l'incarne admirablement. Notre ancrage territorial et la diversité de notre recrutement nous rapprochent naturellement de nos concitoyens qui, de leur côté, perçoivent le rôle de l'armée de Terre comme celui le plus important pour leur défense.
L'absence de réduction de la masse salariale et l'augmentation des taux d'encadrement constituent des raisons volontiers invoquées pour dépyramider et pour civilianniser. Ces prétextes suscitent d'autant plus d'incompréhension dans les rangs qu'ils reposent sur un argumentaire discutable. Ainsi, il faut rappeler que la réforme précédente prévoyait de revaloriser la condition militaire en y consacrant la moitié des économies réalisées. En la matière, nous n'avons fait qu'appliquer la loi, la Défense étant d'ailleurs loin de l'évolution connue dans certains autres ministères. Le Livre blanc de 2008, quant à lui, a décidé d'orientations stratégiques nécessitant du personnel expérimenté et hautement qualifié : la réintégration de la France dans l'OTAN et le renforcement de la fonction connaissance-anticipation. Enfin, l'armée de Terre a également dû généraliser le statut officier à 490 sous-officiers pilotes d'hélicoptères pour s'aligner sur les autres armées. Je souligne que le taux d'encadrement de l'armée de Terre est malgré tout resté stable. S'agissant de la civilianisation, nous sommes naturellement très attachés au personnel civil. Toutefois, la comparaison de la rentabilité entre ce dernier et le personnel militaire, mesurée par les coûts et le temps de travail, me semble contestable dans les chiffres et inopportune dans son approche. Ce type d'analyse, rarement bien perçue par ceux qui en font l'objet, présente le risque de fragiliser la cohésion entre le personnel militaire et le personnel civil, par ailleurs très solide dans l'armée de Terre.
M. Jacques Gautier . - Je voulais tout d'abord souligner la qualité des démonstrations de l'armée de Terre lors des Universités d'été de la défense à Pau, qui ont montré une grande maîtrise de savoir-faire de haut niveau. Rencontrez-vous toujours les problèmes de recrutement connus par le passé, avec 1,3 candidat pour un poste à pouvoir ? Pour les équipements, nous connaissons les étalements et les réductions de cibles s'appliquant à l'armée de Terre : s'il n'y avait qu'un seul programme à soutenir, lequel serait-ce ? Qu'en est-il du VBAE (Véhicule Blindé d'Aide à l'Engagement) que nous avons vu apparaitre, puis disparaitre... La réduction des cibles est importante pour les hélicoptères, qu'il s'agisse des hélicoptères de manoeuvre ou de combat. Envisageriez-vous de rénover une quinzaine de Gazelle pour prolonger leur service de 10 ans ? Nous connaissons les difficultés rencontrées en matière de pièces de rechange -aujourd'hui l'ALAT ne peut faire voler qu'un hélicoptère sur deux !-. Pourquoi avoir choisi de mettre en concurrence une société portugaise, pour le maintien en condition opérationnelle, avec le service industriel de l'aéronautique (SIAé) ?
M. Daniel Reiner . - Je partage ces questions et comme nous nous voyons prochainement de façon plus approfondie, mon Général, je me bornerai ici à une seule interrogation : quelle est la méthode retenue pour ventiler les déflations d'effectifs entre les trois armées ?
M. Joël Guerriau . - Quelles seront les unités concernées par des fermetures -on parle du 3 ème RPIMA de Carcassonne, unité prestigieuse- ? Prendre le temps du dialogue est une bonne chose, mais les inquiétudes montent.
Général Bertrand Ract Madoux - Le VBAE est repoussé au-delà de l'horizon de la loi de programmation militaire, nous prolongerons donc le véhicule blindé léger (VBL) qui a fait merveille au Mali. Vous avez raison, les réductions de cibles sont drastiques pour les hélicoptères mais les programmes sont cependant consolidés. La cible du Tigre passe de 80 à 60 appareils mais dans la version appui-destruction (HAD) c'est à dire la plus puissante. S'agissant du NH90, même si nous nous réjouissons de la commande de 34 appareils passée en mai dernier, la cible passe de 133 à 68 hélicoptères. Nous devrons donc « tenir » grâce au prolongement des Gazelle et des Cougar. Comme vous le savez, l'armée de Terre a dû supprimer 3 900 postes de mécaniciens depuis 2008. Le recours à des marchés d'externalisation pour assurer la maintenance des matériels est donc inévitable. Le cas que vous citez concerne un appel d'offre émis pour assurer le soutien du Puma. Une société portugaise, effectuant ce type de prestation depuis 2003, a effectivement répondu à l'appel d'offre.
Concernant le recrutement, nous avons désormais trois candidats pour un engagé volontaire. Les problèmes de recrutement sont donc derrière nous, en raison notamment d'une meilleure fidélisation. L'armée de Terre récolte ainsi les fruits de la politique volontariste entamée depuis plusieurs années de ce domaine.
Vous le savez, nous allons perdre l'équivalent d'une brigade interarmes, soit un état-major de brigade, qui est choisi et qui sera désigné fin 2014 ; 2 régiments d'infanterie, l'un est choisi et sera désigné à la fin du mois, l'autre sera choisi parmi plusieurs propositions. Le 3 ème RPIMA, parmi d'autres régiments, fait partie des hypothèses de travail. Un régiment de cavalerie sera également dissout, il sera désigné à fin du mois et un régiment de cavalerie sera déplacé. J'espère ne pas avoir à dissoudre plus de 4 - voire 5 - régiments. En complément, des ajustements capacitaires seront effectués, en particulier dans le génie et les transmissions.
Il me semble que la problématique des restructurations territoriales ne soit pas le marquant de cette loi de programmation. La difficulté principale se posera dans l'environnement des forces. Le défi consistera à identifier les postes à supprimer dans des fonctions déjà rationnalisées depuis des années. Nous savons bien qu'il n'y a pas beaucoup de marge : ce sera donc très difficile.
M. André Vallini . - Quelle est votre appréciation sur les dispositions tendant à lutter contre la judiciarisation inutile de l'action des militaires en opérations ?
M. Jean-Marie Bockel . - Que répondez-vous à ceux qui prédisent un décrochage de notre outil militaire, l'opération Serval étant en quelque sorte le « chant du cygne » de l'armée française ?
M. Jacques Berthou . - S'agissant du moral des militaires, comment réagissent-ils face à la technicité croissante de leurs équipements ? Les sous-officiers ont aujourd'hui des qualifications comparables à celle des ingénieurs du civil, et sont confrontés à des carrières aux perspectives limitées. Quelle incidence cela a-t-il ?
M. André Trillard . - Louvois a été une catastrophe pour le personnel et en termes d'images pour l'armée. Les problèmes de paiement de la solde sont-ils résolus ? Les arriérés ont-ils été réglés et les trop-perçus ont-ils été récupérés ?
Général Bertrand Ract Madoux - S'agissant des dispositions permettant de protéger les militaires contre une judiciarisation excessive, elles me semblent satisfaisantes et reçoivent donc mon soutien. Je fais naturellement confiance à la sagesse des magistrats, mais il me semble difficile d'apprécier a posteriori toute la complexité d'une action de combat. Je crois donc que les évolutions prévues dans le projet de LPM vont dans le bon sens.
Serval ne sera heureusement pas le « chant du cygne » de l'armée française et la loi de programmation n'organise pas le décrochage de l'outil militaire. Je n'aurais jamais avalisé le nouveau contrat opérationnel si j'avais eu des doutes sur notre capacité à reconduire une opération comme celle du Mali.
Vous avez raison de souligner que l'environnement dans lequel évoluent nos soldats est devenu particulièrement technique. Cette technicité est parfaitement bien perçue par le personnel car elle leur confère un niveau de responsabilité qui les valorise et les motive. Il existe en outre des fonctions qui requièrent de moindres qualifications. La question des perspectives limitées de carrière est plus liée à l'impact qu'aura la réforme sur l'avancement que sur le niveau de technicité de nos emplois.
Nous avons encore des incidents sur la paie qui perdureront tant que le calculateur ne sera pas soit stabilisé soit remplacé, cette décision n'étant pas encore prise. Le drame de Louvois réside dans l'enchaînement de décisions imprudentes ayant abouti à mettre en service un calculateur défaillant, dans un contexte de réforme précipitée par la fermeture simultanée des centres payeurs, les CTAC.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Mon Général, je vous remercie pour cet échange particulièrement franc et instructif.
Amiral Bernard ROGEL
Chef
d'état-major de la Marine
Le 19 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président. - Amiral, c'est avec un plaisir toujours renouvelé que nous vous accueillons à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Il n'y a pas très longtemps, vous avez été auditionné par notre commission. C'était en juin dernier. Vous nous aviez donné à l'époque un bon éclairage sur le Livre blanc et le format des armées qui en découle.
Pour nos trois armées nous ne pouvons qu'être frappés par la difficulté de contrôler des espaces aussi vastes avec de moins en moins de moyens. Mais, cela est particulièrement valable pour la marine dont l'espace de déploiement couvre tous les océans et en particulier les 11 millions de km 2 de zone économique exclusive.
Aujourd'hui, votre audition, après celle du CEMA et avec celle des autres chefs d'état-major, s'inscrit dans la perspective de la loi de programmation militaire.
Ma question est simple, je l'ai posée à vos collègues de l'armée de terre et de l'air : considérez-vous que la LPM traduit fidèlement le Livre blanc et, si oui, que le nouveau format de la marine sera cohérent avec les missions, les contrats opérationnels qui lui sont assignés ?
En un mot amiral, est-ce que nous devons voter ce texte ?
Avant de vous laisser répondre à cette question, je peux vous dire que l'ensemble de la commission soutient l'effort de défense et la démarche engagée collectivement à travers le Livre blanc. Je crois pouvoir dire que grâce à la mobilisation de l'ensemble des membres de la commission, indépendamment des couleurs politiques, nous avons contribué, je crois, à éviter le pire. Nous allons étudier ce texte avec vigilance en particulier s'agissant des garanties sur les ressources exceptionnelles et des modalités de contrôle de l'exécution de la LPM.
J'ai par ailleurs trois questions ponctuelles : quels sont les bâtiments français actuellement engagés dans l'opération Atalanta ? Où en est le bâtiment Aquitaine ? Avez-vous des projets en matière de mutualisation qui pourraient être évoqués lors du sommet de décembre ?
Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux de revenir devant vous en cette rentrée pour débattre du projet de loi de programmation militaire. Vous avez bien voulu m'entendre en juin pour vous parler du Livre blanc. Nous voici à nouveau ensemble presque 3 mois jour pour jour après cette rencontre et il est prévu que nous nous revoyions à nouveau le mois prochain pour parler du projet de loi de finance 2014.
Je vous sais gré de cet intérêt, tant il me semble effectivement que les décisions qui sont susceptibles d'être prises engagent la nation et la marine pour longtemps. Car, comme vous le savez, la marine s'inscrit dans le temps long. En matière d'équipements navals, nous raisonnons en décennie. Ce que nous mettons en place aujourd'hui servira donc les générations suivantes.
Mon propos complètera ceux du ministre de la défense et du chef d'état-major des armées. Je vais m'attacher à détailler la partie qui concerne la marine.
Tout d'abord, à l'heure où nous parlons, nos forces navales sont toujours engagées. Elles réalisent des opérations tous les jours : nos moyens aéromaritimes sont déployés en ce moment en Méditerranée orientale dans le cadre de la fonction connaissance anticipation.
J'insiste sur le caractère fondamental de cette mission qui complète les informations obtenues par les moyens satellitaires. Elle prend une acuité tout à fait particulière aujourd'hui, mais, en réalité, cela fait des années que nous les réalisons ; nous ne sommes pas les seuls ! Les marines russes et américaines sont également présentes devant les côtes syriennes.
Nos commandos et nos Atlantique II poursuivent leur participation à l'opération Serval au Mali.
Le patrouilleur l'Adroit a appareillé il y a quelques jours pour participer dans le cadre du dispositif FRONTEX à une mission de surveillance de l'immigration illicite.
Pas plus tard que la semaine dernière, un de nos avisos et un remorqueur ont, avec l'appui de la Douane française, intercepté un bâtiment transportant une importante cargaison de drogue, le LUNA.S. L'opération s'est révélée d'ampleur après que l'équipage a mis le feu au bâtiment pour échapper au contrôle et détruire la marchandise. Nous estimons à 22 tonnes de drogue cette prise.
La semaine dernière également, la frégate de surveillance Nivôse, basée à La Réunion, en mission de souveraineté et de police des pêches, a appréhendé un bâtiment de recherche pétrolière en train de mener des activités illégales de recherche scientifiques dans notre ZEE dans le canal du Mozambique.
Ou encore nos multiples participations à l'action de l'Etat en mer : 121 opérations pour les seuls mois de juillet et août.
Au demeurant, si on revient quelques années en arrière sur la période de la LPM précédente, je constate que les opérations extérieures ont été nombreuses : mission de lutte contre la piraterie en Somalie en dans le Golfe de Guinée, mission de soutien en Côte d'Ivoire, intervention en Libye, intervention en Somalie. Or, la situation internationale n'est pas moins instable qu'il y a cinq ans, loin s'en faut. Voilà qui confirme, tant est que cela soit encore nécessaire, toute la pertinence des orientations proposées par le Livre blanc et ce projet de loi pour les années qui viennent.
Ces tendances, vous les aviez clairement analysées, ne serait-ce que par les enjeux maritimes, dont vous aviez détecté l'importance, et la croissance rapide de la présence en mer. Les faits vous donnent bien raison. Mais il faut continuer cette information car, vous le savez, beaucoup encore refusent obstinément de tourner leurs yeux vers la mer.
Nous avons, au bilan, une marine opérationnelle à la crédibilité internationale reconnue et à la réactivité exceptionnelle. Et je veux devant vous une nouvelle fois rendre hommage aux marins qui la servent.
Je constate que les marins mettent au quotidien toute leur énergie pour parvenir à ces résultats, en dépit des difficultés qu'ils rencontrent parfois. Ils témoignent d'un attachement fort à l'institution et leur enthousiasme est intact. C'est important de le noter.
J'en viens maintenant plus spécifiquement au projet de loi de programmation militaire.
En premier lieu, je voudrais revenir sur la cohérence. Ce texte me paraît cohérent à double titre :
- cohérent, tout d'abord, avec les orientations du Livre blanc et les principes énoncés. Il traduit, en particulier, concrètement, pour la marine, ce compromis recherché entre autonomie stratégique et effort budgétaire ;
- cohérent, également, avec la loi de programmation précédente, laquelle avait repoussé au-delà de 2014 le renouvellement des équipements aéromaritimes. Je me réjouis dans une situation budgétaire difficile que la logique initiée alors se poursuive dans ce projet de loi.
Notre pays s'apprête ainsi à acquérir de nouvelles capacités qui s'avèreront déterminantes pour ses futures missions :
- je pense au missile de croisière naval, qui nous permettra d'effectuer des frappes à grande distance à partir des frégates FREMM ou des sous-marins Barracuda ;
- je pense au tandem composé de la frégate multi-missions et de l'hélicoptère NH90 ou « Caïman Marine », qui nous redonnera des capacités anti-sous-marines performantes ;
- je pense à la livraison du premier sous-marin Barracuda en fin de LPM pour remplacer notre SNA de plus de trente ans d'âge, le Rubis.
A l'horizon 2025, une aurons une marine resserrée mais cohérente.
La cohérence, c'est aussi celle de la priorisation des dépenses, en particulier l'effort fait sur le maintien en condition opérationnelle, c'est-à-dire l'activité. Il est essentiel que cette priorité soit tenue, faute de quoi nous mettrions en péril nos capacités d'action, et ce à double titre :
Tout d'abord, parce que, comme je le disais à l'instant, nous réalisons des opérations permanentes qui constituent un socle d'activités incompressible.
Mais également parce que la force de la marine réside dans le savoir-faire et le professionnalisme de ses équipages, qui mettent en oeuvre des systèmes complexes à haute valeur ajoutée qui vont, faut-il le rappeler, du catapultage d'avions de chasse à la mise en oeuvre de centrales nucléaires, en passant par le lancement de missiles balistiques ou le suivi de données de situation sous-marines. Ce sont des savoir-faire qui se perdent facilement. Ces savoir-faire ne peuvent être gardés à leur meilleur niveau qu'au prix d'un entraînement soutenu, c'est-à-dire d'un volume suffisant d'activité à la mer ou en plongée et d'heures de vol.
La construction de nos nouveaux outils y contribuera, car elle s'inscrit dans une logique de maîtrise des coûts de mise en condition opérationnelle. Celui-ci est en effet contractualisé dès la conception. C'est le cas notamment pour les FREMM et les BARRACUDA.
La cohérence, enfin, c'est la réaffirmation pour la marine des principes de différenciation et de mutualisation pour conserver le spectre des missions dans un volume plus restreint. Ces principes, la marine les mettait déjà en oeuvre.
Nous différencions déjà :
- entre aviation de surveillance maritime pour l'action de l'Etat en mer et aviation de patrouille maritime pour les missions de haute intensité.
- ou encore entre les patrouilleurs et frégates de surveillance d'un côté et les frégates lourdes de l'autre.
Au large de la Syrie, nous avions au début une frégate légère furtive dès que la tension est montée, nous avons envoyé la frégate Chevalier Paul. Les deux niveaux sont utiles et se succèdent.
Nous mutualisions déjà nos moyens entre les différentes missions mais aussi entre les différentes nations :
- au plus fort d'Harmattan, nous avons dû désarmer temporairement à la fois notre présence dans le Golfe de Guinée, notre contribution à ATALANTA et une partie de nos missions permanentes assurées par nos sous-marins nucléaires d'attaque. Nous avons aussi parfaitement opéré avec la Royal Navy, ce qui a été à n'en pas douter le point de départ du Combined joint expeditionary force (force projetable interarmées multinationale) ;
- pendant le Mali, nous avons dû retarder la formation des équipages ab-initio des avions Atlantique II ;
- depuis la montée des tensions en Méditerranée orientale, nous avons allégé le dispositif en ATALANTA, puisque plus aucune de nos frégates ne participe aujourd'hui à cette mission.
Mais leur inscription dans le projet de loi permet de fixer un cap clair quant à l'emploi de nos moyens.
Ce projet de LPM est cohérent et réaliste, donc. Mais tout l'enjeu sera de faire en sorte que la feuille de route soit respectée comme elle est prévue, sans accroc ni à-coup dans son exécution afin de garantir l'efficacité de nos capacités d'action. Car le compromis décidé par le Livre blanc et le projet de LPM a été calculé au plus juste.
En juin dernier, je vous avais parlé des fragilités potentielles pour la marine. Je vous propose de les évoquer à nouveau à la lumière du texte du projet de loi pour illustrer ce qui devient désormais des points de vigilance, vigilance que, j'en suis certain, vous ferez vôtre.
Premier point de vigilance : la tension sur les effectifs. La principale difficulté, pour la marine, sera celle de la déflation des officiers. Il est prévu une déflation des officiers de l'ensemble des armées afin de maîtriser la masse salariale; c'est ce que l'on appelle le dépyramidage. Pour réussir cela il va falloir réussir à jouer sur les deux robinets qui régulent le flux : celui des recrutements et celui des départs : j'ai déjà fait prendre des mesures pour resserrer le recrutement ; par ailleurs, les mesures d'incitation au départ permettront sans doute d'affiner le haut de la pyramide. L'adoption de ces mesures est vitale sinon nous ne réussirons pas cette manoeuvre. Mais je vous l'ai dit à plusieurs reprises, il conviendra d'être particulièrement vigilant. C'est d'ailleurs, je ne vous le cache pas, mon principal sujet de préoccupation. La marine est une armée hautement technique : on parle ici de cadres qui doivent être capables de maîtriser des systèmes très complexes, des installations nucléaires, certes, mais ce ne sont pas les seules : centres de défense aérienne ou sous-marine, conduite de bâtiments complexes.
Avec les FREMM, nous passerons d'un équipage de 300 à un équipage de 100 marins mais cela est dû à l'automatisation poussée de tous les équipements. Vous pensez bien que ce que l'on cherche à préserver ce sont nos officiers et officiers mariniers de haut niveau. Cela devra être pris en compte lorsque les arbitrages seront pris.
Autre sérieux point de vigilance, celui du maintien des compétences. La gestion en micro-flux va s'accroître du fait de la coexistence d'outils de générations très différentes liée à l'étalement des programmes. Pour vous donner un exemple : le calculateur du système de combat central de nos frégates anti-sous-marines - aujourd'hui prévues d'être maintenues jusqu'en 2025 - date des années 70. Songez seulement à ce que représente un ordinateur de l'époque : ce qui tient aujourd'hui dans une micro-puce dans les téléphones que vous avez dans la poche occupe sur certains de nos bateaux la taille d'une armoire normande pleine de fils soudés. A la vitesse des évolutions technologiques, il y a un monde entre ces technologies.
Ces frégates restent néanmoins efficaces. Mais vous comprendrez que le maintien de compétences pour de tels équipements nécessite des formations très spécifiques qu'on ne trouve plus sur le marché. Ces spécialistes devront être sélectionnés parmi des viviers qui vont se restreindre au fil des déflations d'effectifs.
Il me faudra donc être très prudent sur cette gestion des flux de recrutement et de départ. La sensibilité aux à-coups pourrait s'accroître. Mais nous sommes condamnés à réussir cette manoeuvre, qui n'a rien d'évident.
Deuxième point de vigilance : une réduction des effectifs « hors forces » au-delà de 2014 qui doit être faite par une analyse fonctionnelle soignée. Je veux parler ici de la réduction de ce que l'on appelle le « hors forces » c'est-à-dire les 14 400 postes qu'il reste à identifier. Cette réduction d'effectifs porte en germes de nouvelles tensions. Et je pense naturellement aux organismes de soutien. La tension sur les bases de défense a un impact direct sur le fonctionnement des unités opérationnelles, je vous le disais en juin dernier.
Cette réduction ne doit pas être aveugle ni homothétique et nécessitera une étude approfondie par chaîne fonctionnelle afin de ne pas briser un soutien déjà fragile Cette analyse fonctionnelle, le ministre l'a décidée et réaffirmée, et je m'en réjouis car je l'ai personnellement appelée de mes voeux.
Cette analyse, qui permettra d'identifier les marges de manoeuvre sur l'ensemble du ministère, est indispensable. Et, une fois ces décisions prises, il faudra s'y tenir sur l'ensemble de la période sans coups de rabots supplémentaires imprévus.
Troisième point de vigilance: l'activité des forces ! Je vous disais à l'instant toute l'importance de la priorité qu'il faut accorder aux crédits qui lui sont consacrés. Car le taux d'activité consacre non seulement l'aptitude aux missions des équipages, mais aussi leur moral. Il est difficile de circonscrire à un périmètre restreint les crédits d'activité. S'il est évident que les crédits d'EPM et de MCO en font partie, les crédits d'achat de munitions, d'équipements embarqués, de fonctionnement y contribuent également. C'est pour cela que l'équilibre interne des budgets est essentiel. Or, je voudrais revenir sur les crédits de fonctionnement dans leur globalité. Ceux de la marine sont essentiellement dévolus à des dépenses incompressibles : l'affrètement (remorqueur, BSAD), les plastrons au profit de l'entraînement, les munitions, les achats, au profit de l'entretien des navires et de la vie quotidienne des ports.
La conclusion, c'est que la cohérence organique de la marine, je l'affirme une nouvelle fois, est celle d'une armée réduite qui a, de longue date, optimisé son fonctionnement et son organisation.
Quatrième point de vigilance : le respect du calendrier des livraisons. L'analyse conduite par le Livre blanc a abouti à la construction d'un nouveau contrat opérationnel pour les armées, qui se traduit par un resserrement du format et un aménagement du calendrier de livraison des programmes majeurs : décalages de livraisons, ralentissement de cadence ou réduction de cibles.
Le maintien du spectre de nos missions en dépit de la contrainte financière induit un étalement de certains programmes, ce qui a une double conséquence assumée :
- la première conséquence est le prolongement d'équipements anciens, nous l'avons vu. Je vous parlais en juin des risques d'arrêt brutaux de parcs hors d'âge, tels que ceux que nous avons connus pour le Nord 262 ou le Super Frelon. Le risque se porte désormais, à mon sens, sur des équipements tels que l'Alouette III - qui date des années 60, tout de même ! - mais aussi sur nos pétroliers ravitailleurs. Le projet de loi prévoit de ne les remplacer qu'au-delà de 2020. Leur état devra requérir la plus grande attention de notre part afin de les faire durer le temps nécessaire.
Je pense également aux petits bâtiments de soutien, aujourd'hui de 40 ans d'âge et dont le remplacement par les BSAH est prévu au plus tôt en fin de période.
- la deuxième conséquence est l'acceptation de réductions dites « temporaires » de capacités. Elles me préoccupent pour la flotte des petits bâtiments armés, en particulier outre-mer. Certains bâtiments ne pourront être remplacés avant l'arrivée des nouveaux bâtiments de surveillance et d'intervention maritime, les BATSIMAR. Certains seront remplacés à minima par des bâtiments civils militarisés pour la circonstance, les « bâtiments multi-missions » ou B2M. Ces remplacements doivent être garantis, faute de quoi nous n'aurons vraiment plus grand-chose pour assurer la souveraineté de notre zone économique outre-mer.
En conclusion, je dirais que, si cette loi me paraît cohérente avec les objectifs du Livre blanc, son application méritera la plus grande attention dans le respect de son cadencement et dans la garantie de conserver un cap constant. Lorsque l'on navigue par gros temps, on réduit la voilure - nous l'avons fait en adaptant le format - on définit un cap - le projet de LPM le fixe - puis on fait en sorte de barrer, c'est-à-dire de suivre ce cap, de la façon la plus stable possible. Car tout écart de cap ou tout mouvement brusque sur la barre se paye immédiatement par des pertes importantes sur la route suivie ou des dommages irréparables sur le navire. C'est ce qui me paraît essentiel.
Outre l'efficacité de notre outil, l'ensemble de ces mesures porte également le risque de toucher à ce que nous avons de plus précieux, à savoir le moral des marins. Car le combat est affaire de volonté, et on n'emmène pas des marins pendant plusieurs mois en mer, loin de leurs proches et dans des conditions parfois spartiates, sans entretenir un moral fort. Les marins, je l'ai dit, sont attachés à l'institution. Je pars dans un tour des ports pour expliquer aux marins les tenants et les aboutissants de cette loi.
Une fois que la loi sera votée, ils mettront toute leur énergie à réussir sa mise en oeuvre, comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Ils réussiront car ils ont l'habitude de naviguer dans le gros temps. Mais en contrepartie, il faut être en mesure de leur montrer que les efforts qui leur sont demandés sont réalisés sur la base de données fiables, jusque dans les détails et selon le calendrier prévu.
Monsieur le président, cette LPM peut nous conduire dans une zone d'eaux plus calmes vers 2025, en préservant la cohérence de la Marine, dans un format resserré. C'est ce que nous avons prévu et accepté dans le Livre blanc. C'est ce que nous assumerons, conscients de l'effort de la nation, dans une situation budgétaire difficile, pour sanctuariser le budget de la défense à son niveau actuel. Mais ce ne sera pas facile. C'est une manoeuvre délicate qui s'engage, mais je suis confiant dans notre capacité à la réussir, sous réserve que ce soit un jeu collectif.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous attendons de vous, comme vous nous l'avez dit à plusieurs reprises, la plus extrême vigilance pour aider le ministère de la défense à réussir cette manoeuvre.
Ces efforts sont assumés mais il faut impérativement que la programmation budgétaire soit tenue à la lettre car, si ce n'était pas le cas, ce serait tout l'édifice qui serait mis en grave péril.
Enfin, je voudrais conclure sur la nécessité de voter cette loi. Si ce n'était pas le cas, nous perdrions notre cap à long terme et serions soumis pendant une longue durée à des bourrasques fortes qui rendraient le navire incontrôlable. Nous devons maintenant arrêter de discuter, cela a été fait dans le Livre blanc, et sans tarder nous mettre à l'oeuvre.
M. Yves Pozzo di Borgo . - On observe que les producteurs de drogue d'Amérique latine passent aujourd'hui par le golfe de Guinée. Est-ce que ce phénomène est en voie de développement ou de régression ? Pouvez-vous nous donner votre évaluation de la situation en mer de Chine où les tensions s'exacerbent ?
M. André Trillard . - Pouvez-vous nous faire un point sur l'impact des dysfonctionnements du logiciel Louvois dans la Marine ? Pouvez-vous nous indiquer combien d'officiers dans la Marine sont affectés à l'OTAN ? Nous avons une des plus grandes zones économiques exclusives du monde dont 80 % se situe dans le Pacifique dans une zone qui fait presque deux fois l'Union européenne. Quels moyens consacrez-vous à la surveillance maritime de nos intérêts dans cette zone ? Et enfin quelles sont les perspectives concernant l'Adroit ?
M. Joël Guerriau . - Quelles sont les perspectives en matière de mutualisation européenne dans le domaine maritime ? Je suis étonné de constater qu'il y a encore de très nombreux progrès à faire ne serait-ce que dans le domaine de la surveillance maritime des côtes européennes.
M. Jeanny Lorgeoux . - On évoque un étalement des livraisons des FREMM et éventuellement une réduction de leur nombre. Quand on réduit le nombre de commandes, DCNS se voit contraint d'en augmenter le prix unitaire, est-ce que vous pouvez nous indiquer les ordres de grandeur des gains financiers attendus ?
Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine - Aucun bâtiment français ne participe actuellement à Atalanta. Les bâtiments des différentes marines européennes engagées dans Atalanta se relaient. C'est une application de la mutualisation et actuellement nous ne faisons pas partie de l'opération. La situation s'améliore au large de la corne de l'Afrique, c'est le signe de l'efficacité de la mission. En revanche, la situation me paraît de plus en plus inquiétante dans le Golfe de Guinée.
L'Aquitaine est à Brest et poursuit ses essais en vue de son admission au service actif.
S'agissant des projets européens, nous travaillons actuellement sur des domaines comme l'amphibie ou le porte-avions notamment avec les Britanniques. Du point de vue opérationnel, nous réalisons l'opération Atalanta, qui est un succès. Le vrai problème de la mutualisation n'est pas militaire, ni technique, il est avant tout politique. Il s'agit de définir nos intérêts communs et de partager in fine une partie de ce qui est aujourd'hui un pouvoir souverain de chaque État. Mais à notre niveau, nous avançons entre militaires sur des projets de mutualisation. Vous avez raison de souligner que dans le domaine de la sûreté maritime, nous ne sommes pas en ordre de bataille notamment en raison des différences d'organisation entre les pays. De ce point de vue, une initiative politique européenne qui puisse inciter chacun à avoir un point de contact unique permettrait de faire avancer les choses dans un secteur où nous avons un intérêt commun évident à sécuriser les voies maritimes d'approvisionnement du continent européen.
Vous avez raison, il existe manifestement une voie de la drogue entre les Caraïbes et le golfe de Guinée et entre le Sud et le Nord de la Méditerranée. Nous avons saisi dans ces zones 35 tonnes de drogue en deux ans. Il faut rester vigilant, il n'y a pas de raison que ce trafic diminue. La Marine participe activement à cette lutte contre les trafics illicites.
En ce qui concerne la mer de Chine, les tensions concernent avant tout la captation des ressources naturelles sous-marines. Ces contentieux ne nous concernent pas encore. Dans la zone, nous avons une collaboration fructueuse avec le Japon et la Malaisie. En revanche, dans le canal de Mozambique, il y a des tensions qui nous concernent puisque comme je vous l'ai dit, nous avons intercepté des bâtiments d'exploration pétrolière dans notre zone économique exclusive. Ces tensions sur les ressources en hydrocarbures ou en minéraux vont devenir de plus en plus fréquentes, elles ne concernent pas seulement la mer de Chine. En Méditerranée, les découvertes au large de Chypre de réserves gazières suscitent des convoitises et pourraient provoquer demain de graves tensions.
S'agissant de Louvois, nous avons limité les effets des dysfonctionnements grâce à la mise en place à Toulon d'une task-force d'une quarantaine de personnes qui sont particulièrement sollicitées. Mais le logiciel est instable est cela me préoccupe.
En ce qui concerne l'OTAN, nous avons 170 marins.
L'Adroit est un concept particulièrement intéressant pour la surveillance maritime. L'accord avec DCNS est une première puisqu'il a été mis à disposition de la marine, ce qui nous permet de préparer le programme BATISMAR. Il nous permet également d'expérimenter l'emploi du drone Schiebel, dont les résultats sont très intéressants. Ca ne remplace pas un hélicoptère mais c'est un vrai démultiplicateur d'effets à coût réduit.
Dans le Pacifique, nous disposons de deux patrouilleurs et deux frégates de surveillance qui j'espère à terme seront renforcées par les B2M en attendant la livraison du programme BATISMAR. Il faut savoir que les patrouilleurs P400 sont particulièrement anciens et l'allongement de leur durée de vie présente des risques que nous sommes contraints d'assumer. S'agissant des FREMM vous avez raison de dire que la diminution des commandes augmente le coût unitaire. L'ordre de grandeur est qu'en passant de 17 à 11, nous renchérissons le coût de la commande d'environ deux FREMM. Le format prévu par le Livre blanc devrait nous conduire à 11 FREMM avec une commande ferme de 8 et une option pour trois bâtiments supplémentaires. Nous devrions donc pouvoir aligner 15 frégates de premier rang en 2025.
M. Jean-Louis Carrère, président . - Madame Aïchi qui est excusée souhaiterait savoir dans quelle mesure la dimension environnementale est prise en compte dans la destruction de vos navires ?
Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine - Le démantèlement des bâtiments se fait selon des normes européennes. Il nous faut obtenir un passeport vert qui garantisse le respect de ces normes. Nous y consacrons plus de 10 millions d'euros par an. La marine est d'autant plus respectueuse de l'environnement marin qu'à travers la surveillance maritime, elle est un acteur majeur de la protection des côtes et de la lutte contre la pollution.
Général
Denis MERCIER
Chef d'état-major de l'armée de
l'Air
Le 19 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président - Mon général, Il n'y a pas très longtemps, vous avez été auditionné par notre commission. C'était le 11 juin dernier. Vous nous aviez donné à l'époque un bon éclairage sur le Livre blanc et le format des armées qui en découle. Depuis, beaucoup de choses se sont passées, notamment en Syrie. Peut-être aurez-vous l'occasion de nous en dire quelques mots. Aujourd'hui, votre audition, après celle du CEMA et avec celle des autres chefs d'état-major, s'inscrit dans la perspective de la loi de programmation militaire. Je vous cède la parole.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, c'est toujours avec fierté et plaisir que je m'exprime devant vous en tant que chef d'état-major de l'armée de l'air.
Après une année passée à la tête de l'armée de l'air, j'ai pu mesurer avec beaucoup de satisfaction combien les hommes et les femmes de l'air savaient être au rendez-vous lorsque notre pays fait appel à eux quand les circonstances l'exigent. Ce fut le cas en début d'année au Mali où la totalité de nos capacités ont été mobilisées avec une extrême réactivité et une grande efficacité. C'est le cas aussi, et il ne faut pas l'oublier, au quotidien lorsque nous assurons nos missions de dissuasion et de protection sur le territoire national. Partout où ils sont engagés, les aviateurs forcent mon admiration par leur motivation et leur niveau opérationnel fondé sur une formation et un entrainement de haut niveau mais aussi et surtout sur leur aptitude à toujours innover, à travailler ensemble et avec leurs partenaires des autres armées ou d'armées de l'air alliées et à s'adapter à toutes les situations. Ils sont la première capacité de l'armée de l'air et ce sont eux qui nous ont permis les nombreux succès que nous avons connus dans l'exécution de nos missions permanentes ou extérieures.
Dans le cadre des travaux de rédaction du dernier Livre blanc auxquels j'ai eu l'honneur de contribuer, j'ai toujours défendu l'idée que, au-delà des formats, le maintien de la cohérence entre les capacités est essentiel. Les choix que nous avons proposés et qui ont été repris dans la loi de programmation militaire 2014-2019 permettent à l'armée de l'air de maintenir cette cohérence.
Même si d'importants efforts nous sont demandés, la poursuite de la modernisation de nos équipements et le maintien d'une activité opérationnelle suffisante sont les leviers qui préservent cette cohérence. Ces leviers devront s'accompagner d'une diminution des effectifs que le contexte budgétaire rend nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans la LPM. Ces trois points sont pour moi essentiels : ils concernent directement les aviateurs à travers leur aptitude à assurer leurs missions, la garantie de leurs conditions de vie et de travail et la valorisation de leurs compétences. Ce sont les domaines que je souhaiterais aborder devant vous avant de répondre à vos questions.
Depuis le début des années 1960, l'armée de l'air s'est structurée autour de deux missions permanentes : la protection de notre espace aérien national et la mission de dissuasion avec la mise en oeuvre de la composante aéroportée. Deux missions dont l'importance est confirmée dans le Livre blanc de 2013.
Ces deux missions exécutées vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, nécessitent un système d'alerte performant, la mise en réseau de nos bases aériennes avec des centres de commandement et de conduite armés en permanence, une capacité d'appréciation juste et précise des situations, des équipements, des systèmes d'armes et un personnel très entrainé en raison de la complexité et de la grande réactivité des missions qui leurs sont confiées.
La mission de sûreté aérienne est une mission permanente qui garantit la souveraineté de notre espace aérien national. Grâce à la couverture radar de cet espace aérien et la mise en oeuvre de capacités d'intervention immédiates, nous sommes en mesure de faire face à l'ensemble des situations qui peuvent se présenter comme l'interception d'un aéronef hostile ou l'assistance à des appareils en difficulté. La loi de programmation 2008-2013 a décalé de plusieurs années la rénovation de nos radars. La quatrième étape du système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) a été scindée en deux phases dans la précédente LPM, avec un décalage de trois ans a minima de la livraison de nouveaux radars de surveillance et de défense aérienne. Nous ne pouvons plus décaler les livraisons de ces radars car les obsolescences profondes du parc actuel, aux coûts de maintenance élevés, fragilisent la protection du territoire national.
La LPM 2014-2019 a pris en compte ce besoin avec l'inscription de la poursuite du programme SCCOA qui amènera les centres français de détection et de contrôle au standard OTAN en 2015 et débutera le renouvellement indispensable des radars de défense aérienne.
Deuxième de nos missions permanentes : la mise en oeuvre de la composante aéroportée de la dissuasion. C'est une mission dont nous célèbrerons le cinquantième anniversaire l'année prochaine. Depuis 1964 l'armée de l'air contribue à la préservation de nos intérêts vitaux. C'est une composante, dont le coût actuel ne représente que 7% du budget global alloué à la dissuasion et qui a été réduite d'un tiers lors de la précédente LPM puisque nous sommes passés de trois à deux escadrons de chasse. La modernisation de cette composante a été prise en compte dans la prochaine LPM avec la rénovation à mi vie du missile ASMP-A et les premiers travaux pour la définition de son successeur, la transformation du second escadron actuellement équipé de Mirage 2000N sur Rafale, la rénovation de systèmes de transmissions nucléaires et l'arrivée tant attendue des deux premiers avions ravitailleurs de type MRTT. Je souligne que les avions des forces aériennes stratégiques, les FAS, ne sont pas dédiés exclusivement à la mission nucléaire, ils sont capables d'agir sur tout le spectre des missions conventionnelles. Ce fut le cas lors des opérations en Libye et au Mali où des avions et des équipages des FAS ont été engagés avec succès. La préparation et l'exécution des raids lointains de Rafale armés de missiles de croisière SCALP présentent de nombreuses similitudes avec les missions exécutées dans le cadre de la dissuasion.
Je tiens à le préciser car nos deux missions structurantes de défense aérienne et de dissuasion nous ont permis de construire, autour d'une permanence forte centrée sur la réactivité, nos capacités de planification et de conduite des opérations aériennes, notre aptitude à recueillir et à fusionner tous les types de renseignement, à travailler en réseau, à basculer instantanément du temps de paix au temps de crise et à conduire des missions longues et complexes depuis le territoire national. Agrégées ensemble, ces capacités nous permettent d'être capables d'intervenir en toute autonomie dans une vraie cohérence d'ensemble. Si une de ces capacités venait à manquer, c'est l'efficacité globale du dispositif qui serait menacée.
Aujourd'hui, l'armée de l'air dispose d'une véritable capacité d'intervention dans un large spectre de crises. Parce que nous disposons d'avions ravitailleurs, nous sommes en mesure d'agir, à partir de nos bases aériennes, avec une très forte réactivité pour atteindre n'importe quel point dans la zone géographique d'intérêt définie par le Livre blanc. C'est ce que nous avons pu démontrer en Libye en 2011 et au Mali cette année. Capable de monter en puissance de façon très discrète au sein de nos bases aériennes, ou au contraire de façon visible, l'armée de l'air a démontré qu'elle pouvait offrir au décideur politique une large variété de modes opératoires, réversibles et dont la force peut être adaptée au contexte particulier de chaque crise.
La loi de programmation militaire 2014-2019 nous garantit le maintien de cette cohérence parce que, justement, elle préserve ces capacités socles en les modernisant, sans en privilégier une par rapport à une autre. Une modernisation qui se fera à un rythme moins rapide que nous l'avions souhaité initialement, une modernisation qui se fera sur des formats plus réduits, mais une modernisation qui privilégiera la cohérence de notre capacité opérationnelle globale.
L'opération Serval au Mali a démontré le potentiel et le niveau d'expertise acquis par l'armée de l'air qui, pour la première fois depuis très longtemps, a mené une opération multinationale en assumant sous l'autorité du CEMA le commandement de la composante aérienne. Nous avons pu planifier et conduire des opérations aériennes complexes à partir de la métropole, comme le 13 janvier lorsque nous avons conduit le raid aérien le plus long de l'histoire de l'armée de l'air et comme le 27 janvier avec l'opération aéroportée sur Tombouctou, la plus importante depuis Kolwezi en 1978. Cette capacité de commandement et de contrôle sera modernisée dans la LPM avec l'évolution de nos centres d'opérations et de nos centres de contrôle vers le système ACCS de l'OTAN, un système otanien mis en oeuvre par les Européens et développé avec l'industrie européenne. L'interopérabilité avec nos partenaires de l'Alliance atlantique constitue un axe majeur de la modernisation de ces moyens. La poursuite de la rénovation de nos centres de contrôle locaux et de nos avions AWACS contribuera à améliorer encore cette capacité de commandement et de contrôle.
Ces avions AWACS participent également à notre capacité à recueillir du renseignement. Au coeur de la fonction connaissance anticipation, l'armée de l'air possède une aptitude naturelle à recueillir du renseignement parce qu'elle agit dans tout le spectre de la troisième dimension. Sur la période 2014-2019, cette capacité bénéficiera de l'acquisition de nombreux équipements comme en atteste la commande prévue de quatre systèmes de drones MALE représentant 12 vecteurs. Afin de répondre au besoin opérationnel immédiat, deux Reapers ont été commandés pour être déployés au Niger et compléter l'action de nos Harfang très sollicités sur ce théâtre puisqu'ils viennent récemment de franchir la barre des deux mille heures de vol depuis leur engagement le 17 janvier dernier.
Des avions légers de surveillance et de renseignement, dont l'emploi sera mutualisé avec les services de renseignement, permettront de compléter le dispositif d'évaluation et de suivi des crises. Les capacités d'écoute électronique du Transall Gabriel, appareil indispensable présent sur tous les théâtres d'opérations, seront remplacées, à l'horizon de l'arrêt de la flotte Transall, avec l'entrée en service de la charge universelle de guerre électronique CUGE, qui sera mise en oeuvre sur un vecteur à déterminer. Enfin, le domaine spatial bénéficiera de la consolidation de moyens existants de surveillance de l'espace extra-atmosphérique ainsi que de la mise sur orbite de deux nouveaux satellites d'observation MUSIS et du développement du programme CERES.
Comme vous pouvez le constater, la LPM nous permet d'accroitre de façon importante notre capacité à recueillir du renseignement. C'est pourquoi nous travaillons actuellement sur l'organisation destinée à tirer le meilleur parti de tous ces capteurs afin d'être capables de traiter la considérable quantité d'informations qu'ils permettront d'obtenir, en temps différé ou en temps réel selon la situation.
Nos capacités d'intervention vont se moderniser avec la poursuite de la montée en puissance de la flotte Rafale dont la livraison s'effectuera à un rythme différent de celui qui était prévu : 26 Rafale rejoindront l'armée de l'air et la marine nationale sur la période. En parallèle de ces livraisons, les capacités des Rafale en service vont évoluer puisque la LPM prévoit l'intégration sur cet appareil du missile air-air longue portée METEOR et du pod de désignation de dernière génération. Le ralentissement des livraisons de Rafale sera compensé par la rénovation des Mirage 2000D et l'utilisation prolongée de flottes plus anciennes comme celle des Mirage 2000-5, ce qui nous permettra de préserver la cohérence de notre aviation de chasse en suivant le principe de différenciation des forces défini par le Livre blanc. La répartition Rafale-Mirage 2000 évoluera dans le temps en fonction des besoins de remplacement de la flotte Mirage 2000 après 2020 et nous travaillons à un schéma directeur de l'aviation de combat qui éclairera l'avenir afin d'y intégrer les réflexions sur les futures évolutions du Rafale et l'arrivée des futurs systèmes de combat aériens.
Je rappelle que le format de notre aviation de chasse aura été diminué deux fois d'un tiers en deux lois de programmation. La première diminution en 2008 a été compensée par la polyvalence du Rafale. Celle à venir le sera grâce aux efforts portés sur le MCO et à la différenciation de l'entraînement mise en place au travers du projet Cognac 2016. Cette dernière évolution est la dernière marche pour que notre aviation de chasse reste encore une capacité de combat majeure capable d'être engagée sur tous les théâtres d'opérations extérieures et sur le territoire national.
La cohérence passe nécessairement par la détention de capacités de projection qui sont essentielles à l'ensemble de nos missions.
Les avions ravitailleurs sont la clé de voute de toutes nos opérations aériennes. Sans eux, nous ne pouvons disposer de la réactivité, de l'allonge et de l'endurance nécessaire pour assurer nos missions de dissuasion et d'intervention. Sans eux, l'emploi de notre aviation de chasse serait peu ou prou limité au territoire national. Sans eux, il n'y aurait pas de composante aéroportée de la dissuasion. Le raid du 13 janvier vers le Mali a nécessité cinq ravitaillements en vol impliquant 3 C135. L'âge avancé de ces 14 appareils, bientôt cinquante ans, fait peser un risque de rupture capacitaire constant et leur utilisation impose de nombreuses heures de maintenance. Leur remplacement constitue pour moi une priorité essentielle. Le Livre blanc prévoit leur renouvellement par 12 avions de type MRTT dont deux seront livrés sur la période de la LPM. Il s'agit d'une avancée importante mais qui nous impose une vigilance accrue sur nos C135 que nous allons conserver de nombreuses années encore en raison du calendrier de livraison. Si nous devions connaître une embellie budgétaire dans les années à venir, je recommande que la priorité soit donnée à l'accélération des livraisons des MRTT, projet par ailleurs porteur de belles coopérations européennes.
Dans le domaine du transport tactique, nous disposerons en fin de LPM de 15 A400M. L'opération Serval a démontré combien cette composante était indispensable à la manoeuvre aéroterrestre pour se poser au coeur des zones de combat sur des terrains sommaires. L'A400M va donner une nouvelle dimension à notre aviation de transport et la faire entrer dans une nouvelle ère. Le premier appareil a été livré début août et je serai heureux de vous accueillir, aux côtés de monsieur le ministre de la Défense, sur la base d'Orléans, le 30 septembre pour la cérémonie officielle marquant ce moment important de la vie de l'armée de l'air.
Le décalage du calendrier de livraisons de ces appareils nous oblige à maintenir en service 14 C160 afin de préserver les compétences tactiques de nos équipages et notre capacité opérationnelle. C'est le même principe qui a prévalu pour l'aviation de chasse : maintenir des flottes plus anciennes pour pallier l'étalement des livraisons et préserver la cohérence d'ensemble. C'est une nécessité mais aussi un défi. Je suis également très satisfait de la rénovation des 14 C130, utilisés notamment par les forces spéciales, indispensables pour l'exécution de leurs missions dans l'avenir.
Enfin la modernisation de nos équipements prévue dans la LPM prend également en compte nos capacités d'entraînement qui sont essentielles pour que nous disposions d'équipages prêts à intervenir sans délais. Pour cela la refonte de l'entraînement et de la formation des pilotes de chasse dans le cadre du projet Cognac 2016 est fondamentale. Ce projet s'appuie sur l'acquisition d'avions d'entrainement turbopropulsés de dernière génération. Ils nous permettront de mieux entrainer nos jeunes pilotes et de mettre en oeuvre le principe d'un entrainement différencié qui garantira notre aptitude à assurer les missions les plus exigeantes et à soutenir les opérations dans la durée, malgré la diminution de nos formats. C'est une approche innovante, dont je constate qu'elle intéresse de nombreuses armées de l'air, qui permet de nous adapter de façon réaliste au contexte budgétaire tout en modernisant nos capacités de formation. C'est un projet structurant pour l'armée de l'air, tant au plan budgétaire qu'au plan opérationnel.
La modernisation de nos équipements constitue donc ma priorité pour préserver la cohérence de l'armée de l'air. Elle est indissociable du maintien d'une activité aérienne suffisante qui représente aussi une priorité. Une priorité essentielle parce que toutes les opérations récentes ont démontré que, pour réaliser les missions les plus difficiles, notamment l'entrée en premier sur un théâtre d'opérations, qui se joue toujours en quelques heures après la décision du Président de la République, il est indispensable de disposer d'équipages entrainés au meilleur niveau.
Notre capacité opérationnelle repose sur le maintien en conditions de nos matériels aéronautiques qui nécessite un pilotage au plus près des forces et de leur activité réelle et une dotation suffisante en entretien programmé du matériel, l'EPM.
Le MCO aéronautique est le coeur du domaine d'expertise de la SIMMAD et de l'armée de l'air. Nous avons réorganisé nos structures et mobilisé tous les acteurs du MCO, les forces bien sûr mais aussi l'industrie étatique et privée. La SIMMAD, aux côtés des unités de soutien aéronautique et en lien avec les industriels et la DGA, a ainsi fait évoluer les marchés d'une logique de disponibilité vers une logique d'activité, en préservant la flexibilité exigée par les surprises opérationnelles et avec un souci constant de maitrise et de réduction des coûts. Le plus important est de disposer du nombre suffisant d'aéronefs disponibles lorsque nous en avons vraiment besoin. La mise en place de plateaux techniques dans la dynamique du pôle de MCO aéronautique bordelais a très rapidement porté ses fruits. L'identification des difficultés technico-logistiques et la définition en commun de solutions appropriées ont permis d'aboutir à des résultats significatifs. A Saint-Dizier par exemple, la qualité de l'activité des Rafale a été considérablement augmentée alors que la disponibilité en OPEX reste exceptionnelle. Ces résultats démontrent la pertinence et la cohérence des choix qui ont été faits dans le domaine de la gouvernance du MCO, tant au niveau de la SIMMAD qu'à celui du soutien opérationnel sur les bases aériennes. Ces succès nous encouragent à poursuivre dans cette voie, mais il ne s'agit que d'une première étape, de nombreux efforts restent à faire.
Le MCO aéronautique nécessite également de disposer d'une dotation suffisante en entretien programmé du matériel, l'EPM. Cela n'a pas été le cas lors de la précédente LPM puisque la sous dotation de l'EPM a conduit à un déficit, sur la période 2009-2014, de plus de 1 milliard d'euros de crédits d'activité par rapport au besoin. En 2013, l'armée de l'air a dû limiter l'activité des équipages et prendre des mesures affectant le niveau de formation et d'entraînement telles que l'annulation de notre participation à des exercices majeurs, comme Red Flag aux Etats-Unis par exemple et à retirer de façon anticipée des équipages des unités de combat.
Les perspectives 2014-2015 conduisent à maintenir le niveau d'activité de 2013, grâce à l'effort financier important consenti sur l'EPM par la LPM, mais cette activité restera insuffisante (environ -20% par rapport aux normes d'entraînement). Elle ne pourrait être maintenue à ce niveau dans le temps sans dégradation considérable du niveau opérationnel. C'est pour moi une préoccupation majeure car le maintien de certaines compétences est dès à présent fragilisé. La rejointe du nouveau modèle, la mise en place de l'entrainement différencié et un plan d'optimisation du MCO élaboré par la SIMMAD en associant bien sûr la DGA nous permettront de remonter l'activité aérienne au niveau requis après 2016.
Enfin, la dernière priorité, la plus importante, que je souhaiterais aborder devant vous, concerne les hommes et les femmes de l'armée de l'air. Au cours de la dernière loi de programmation, ils ont su faire face avec beaucoup d'abnégation aux différentes réformes qui les ont directement touchés. Je rappelle que suite aux réformes annoncées en 2008, nous avons dû procéder à la fermeture de 12 bases aériennes et à la dissolution d'une quinzaine d'unités majeures ainsi qu'à la diminution de nos effectifs de 15 900 personnes sur la période de la LPM précédente, ce qui correspond à une baisse du quart de nos effectifs.
De nouveaux efforts importants seront demandés aux aviateurs. Les cibles en effectifs définies dans la LPM prévoient une réduction de 34 000 postes au sein du ministère sur la période 2014-2020.
Pour l'armée de l'air, qui vient de mener une réforme importante depuis 2008, il n'y a quasiment plus de réduction d'effectifs possibles par des réorganisations fonctionnelles. Nous les avons faites lors de la précédente LPM. Réduire les effectifs nécessite donc la mise en place d'un nouveau plan de restructurations. Pour parler franchement, j'appelle ce plan de mes voeux car en densifiant certaines de nos emprises, nous offrirons à notre personnel de meilleures conditions de vie et de travail grâce à une meilleure concentration des budgets d'infrastructure. Certains rapprochements permettront aussi de mieux fonctionner, pour une armée de l'air resserrée mais dont la réussite opérationnelle est conditionnée par son aptitude à engager toutes ses capacités dans une manoeuvre d'ensemble.
Ces restructurations ne peuvent être conduites isolément. Elles prennent en considération les bases de défense, dont j'aime souligner qu'elles participent aux missions opérationnelles de l'armée de l'air qui opère au quotidien à partir de ses implantations, que ce soit pour les missions permanentes ou pour les missions d'intervention. Elles intègrent aussi les services et directions interarmées dans lesquels travaillent 22% des aviateurs.
Nous conduisons une vaste réflexion sur le modèle RH futur de l'armée de l'air prenant en compte notamment l'aspect « échantillonaire » de certaines spécialités, le recrutement, l'avancement dans le contexte de limites d'âge allongées, la mobilité, etc. C'est un chantier important qui prend en compte les aspirations de notre personnel et vise avant tout à le valoriser car comme je le soulignais au début de cette intervention, il constitue notre première capacité opérationnelle. Ce travail s'accompagne d'une réflexion sur l'identité de l'aviateur dans le contexte interarmées que nous connaissons.
Pour conclure, je souhaiterais vous indiquer que les aviateurs sont conscients de l'effort que la Nation réalise à travers cette loi de programmation pour préserver leur capacité à exécuter leurs missions. Ils sont aussi conscients des efforts qui leur seront demandés pour que les objectifs de cette loi de programmation soient atteints.
Avec eux j'ai souhaité mettre en place un projet « Unis pour Faire Face » afin de ne pas subir notre destin mais de le prendre en main. C'est un projet qui s'inscrit dans les priorités du Livre blanc et de la loi de programmation que nous venons d'évoquer : modernisation de nos capacités, activité aérienne, simplification de nos structures, ouverture vers l'extérieur, valorisation des aviateurs, sont autant d'axes d'effort portés par ce projet. Ce dernier donne à l'armée de l'air une direction cohérente avec les moyens qui nous sont alloués. Cette modernisation est lancée, elle nous permettra de nous ouvrir toujours plus vers l'extérieur car les projets qu'elle porte sont des viviers de coopération formidables, notamment au niveau européen.
L'A400M, porté par sept pays européens, va donner une dynamique encore plus forte au commandement du transport aérien européen qui est engagé sur une voie d'ouverture et de standardisation des normes européennes. S'agissant des ravitailleurs MRTT, nous travaillons à la mutualisation de leur emploi avec six autres nations européennes dans des domaines ciblés comme la formation et la maintenance. L'acquisition de drones Reaper ouvre la voie à la création d'un groupe d'utilisateurs européens, l'évolution du SCCOA vers le système ACCS va renforcer les coopérations, la mise en oeuvre de normes européennes communes est un chantier prometteur. Ces quelques exemples montrent que la future LPM ouvre de nombreuses opportunités dans le domaine aéronautique que nous devons absolument saisir pour avancer de façon réaliste et pragmatique vers une défense plus européenne sans abandonner notre autonomie d'action et de décision.
Cette ouverture concerne aussi directement nos bases aériennes. Elles évoluent, je les souhaite ouvertes vers la société civile car elles présentent pour cela des atouts remarquables pour notre Nation et son développement. Le tutorat de jeunes lycéens par nos élèves officiers est un projet superbement réussi qui profite à tous et que je souhaite voir étendu à l'ensemble de nos bases aériennes. Ces dernières peuvent être le creuset de rapprochement entre les mondes de l'enseignement, de l'industrie, de la recherche ainsi qu'avec les collectivités.
Vous le constatez, notre projet est résolument tourné vers l'avenir et vers l'extérieur. Un avenir qui nous est ouvert par les perspectives de la loi de programmation. De sa réalisation, plus tendue que les précédentes mais je l'espère plus vertueuse, dépendra notre cohérence et notre capacité à assurer nos missions. L'exercice est difficile mais je peux vous assurer que notre pays pourra compter sur les capacités d'adaptation et d'innovation des aviateurs pour parvenir aux objectifs fixés.
M. André Trillard . - Est-ce que tous les avions ravitailleurs du programme MRTT seront identiques ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - C'est mon objectif.
M. Daniel Reiner. - Pourriez-vous préciser le nombre exact de ravitailleurs MRTT et le nombre des avions qu'ils remplaceront. L'annexe de la loi de programmation n'est pas très claire de ce point de vue.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Les douze MRTT remplaceront 14 avions ravitailleurs C-135 et KC-135, mais aussi 3 avions de transport stratégique A 310. En revanche, nous prolongerons les 2 A340 que nous avons. Ils nous servent au transport de troupes sur de longues distances.
M. Jean-Marie Bockel . - Quelles sont les perspectives de réaliser le contrat Rafale en Inde ? Je suis persuadé que la réalisation de ce contrat va débloquer d'autres contrats exports dans d'autres pays.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Je suis confiant quant à la signature de ce contrat. Mais le transfert technologique est d'une telle ampleur qu'il est normal que cela prenne du temps pour être finalisé.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Et au Brésil ? Où en sommes-nous ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - La vraie question qui se pose est celle de la façon dont les Brésiliens voient leur aviation de combat future et à quelles échéances. Nous avons en outre d'excellents rapports avec l'armée de l'air brésilienne.
M. Gilbert Roger . - J'étais au Brésil du temps de Lula et leurs conseillers nous expliquaient déjà pourquoi ils n'achèteraient jamais les avions français. Cette décision s'explique par l'hostilité de l'entourage des ministres et également des chefs militaires vis-à-vis de la France.
M. Jean-Marie Bockel . - Je confirme cette analyse. Du reste, le pont entre le Brésil et la Guyane n'est toujours pas ouvert.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Je ne peux pas vous parler des relations politiques, mais je vous confirme qu'il existe une amitié profonde entre l'armée de l'air brésilienne et l'armée de l'air française. Bon nombre de leurs pilotes ont été formés chez nous et ils s'en souviennent parfaitement. Il y a d'ailleurs une journée spéciale organisée par les anciens, les « Dijon Boys » comme ils les appellent - qui ont été formés sur Mirage III - et au cours de laquelle ils rendent honneur aux traditions françaises. C'est aussi le cas en Inde.
M. Robert del Picchia. - Pouvez-vous nous parler de la coopération indo-russe sur les avions de cinquième génération ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Oui effectivement, ils coopèrent sur le projet de chasseur russe T 50 ; mais je ne suis pas sûr que les Russes leur consentent autant de transferts technologiques que nous. Ils ont une double source d'approvisionnement et essaient de bénéficier de transferts de technologie. Compte tenu de la dimension de leur flotte de combat, très supérieure à la nôtre, cela me semble normal.
M. Jean-Louis Carrère, président - Ma première question est simple : considérez-vous que le projet de loi de programmation traduit fidèlement le Livre blanc et si oui, que le nouveau format de l'armée de l'air sera cohérent avec les missions et les contrats opérationnels qui lui sont assignés ? Pouvez-vous nous parler de la Syrie, et de la façon dont les opérations se dérouleraient si le Président décidait une action ? Pouvez-vous nous reparler du plan « unis pour faire face » ? Quelles propositions concrètes feriez-vous pour le sommet de Bruxelles ? Est-ce que vous pourriez refaire le Mali avec le nouveau format ? Faut-il voter cette LPM ? Enfin les prochaines Universités d'été de la défense mettront à l'honneur l'armée de l'air. Avez-vous déjà réfléchi à leur localisation ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Concernant votre première question, la réponse est oui. Au demeurant le Livre blanc avait été très précis sur le format, ce qui amène toujours la question de savoir jusqu'à quel niveau descendre ? Le niveau de détail du Livre blanc nous a permis d'aller vite dans la rédaction de la LPM. La concordance entre les deux documents est donc très forte. La difficulté tient dans l'étalement de l'arrivée des nouveaux équipements, qui nous impose de maintenir en service des flottes anciennes sur lesquelles nous devons demeurer vigilants. La LPM doit être sincère. Etre sincère c'est se caler sur la situation économique au moment de l'élaboration. Si la situation évoluait favorablement, il faudrait certainement se pencher à nouveau sur le calendrier de certaines livraisons.
Le plan « unis pour faire face » a été élaboré pour que les aviateurs s'y reconnaissent et afin de placer l'humain au coeur du système. Depuis plusieurs années différentes réformes complexes se sont télescopées et ont conduit à des organisations auxquelles nous devons apporter plus de cohérence et de simplicité. Un de nos axes d'effort consistera notamment à rapprocher certaines structures et remettre des échelons de commandement clairs là où ils sont nécessaires.
Sur la Syrie, je demande la confidentialité des débats.
M. Jean-Louis Carrère, président - Elle vous est accordée.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Sur le sommet européen de décembre, c'est un sommet porteur d'avenir. Il faut effectivement des avancées concrètes, mais ce n'est pas à moi d'en décider.
Est-ce que nous serions capables de refaire le Mali dans le nouveau format ? La réponse est oui, et nous serions même capables de faire mieux, parce que nous aurons l'A400M, les drones Reaper et les premiers ravitailleurs MRTT.
Faut-il voter la LPM ? Ce n'est pas à moi d'en juger, mais si je pouvais le faire je voterai oui sans hésitation. Le problème sera celui de son exécution. Le tropisme général est de prendre des marges de manoeuvre, « d'en garder sous le pied » comme on dit. Or cette fois nous n'avons rien gardé sous le pied. Nous avons joué le jeu ce qui nécessite une application sincère, dont je constate qu'elle fait l'objet d'un engagement fort du Président de la République.
M. Jean-Louis Carrère, président - ... et du Parlement.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Pour ce qui concerne la prochaine université d'été de la défense, nous étudions plusieurs sites. Mais si je puis me permettre de faire une suggestion : il faudra faire parler davantage les hommes et les femmes du terrain qui ont beaucoup de choses à vous raconter.
M. Jacques Gautier . - Je souhaiterais tout d'abord vous féliciter pour votre approche qui traduit une vision globale et qui est empreinte en même temps d'une grande humanité. Plutôt que de subir vous positivez. Et vous avez raison. C'est comme cela que l'on fait avancer les choses. Ma question concerne l'école de pilotage de Cognac. Où en êtes-vous dans vos réflexions ? Pouvez-vous nous faire part de votre vision concernant le soutien ? L'A400M : arriverons-nous à mettre en place un fonds commun de pièces de rechanges entre les nations membres ? Le drone Reaper : quels liens de dépendance induit-il avec les forces américaines ? Nous ouvrent-ils des portes ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Aujourd'hui, pour exécuter leurs missions, nos unités de première ligne doivent disposer d'équipages très entraînés. Afin de garantir cet entraînement, nous avons diminué le format de notre aviation de chasse. Mais dans le même temps nous devons maintenir notre capacité à durer. C'est ce que permet le nouveau principe de l'entrainement différencié qui se traduit par la mise en place de deux cercles d'équipages. Un premier cercle qui doit s'entraîner sur tout le spectre des opérations et un deuxième cercle utilisé pour durer. Les équipages du deuxième cercle seront issus du premier cercle et voleront comme instructeurs sur des avions de complément. Après une phase de remontée en puissance sur avions d'armes, ils pourront assurer la relève en opérations des équipages du premier cercle, pour des missions moins exigeantes que celles du premier jour. Ces avions de compléments, qui coûteront beaucoup moins cher à l'heure de vol, pourront être configurés comme des avions de combat. Ce sont les principes du projet Cognac 2016. Deux options se présentent à nous. La première consisterait à réaliser ce projet intégralement sous la forme d'un partenariat public-privé. La seconde porterait sur une acquisition patrimoniale des aéronefs avec une externalisation de la maintenance, des simulateurs et de l'infrastructure. Un comité ministériel d'investissement en novembre doit examiner ces deux options. Il ne faut pas oublier que l'école des pilotes de chasse est une école franco-belge. Un partenariat public privé, de mon point de vue, compliquerait considérablement ce partenariat mais les deux options sont encore à l'étude. Pour ce qui est du soutien, j'ai demandé au nouveau commandant de la SIMMAD, le général de corps aérien Guy Girier, de développer un plan d'optimisation du MCO que nous présenterons au ministre. Ce plan doit associer la DGA et permettre de tirer le soutien au plus près de notre activité.
Concernant l'A400M, nous avons signé un premier contrat de soutien pour une durée de dix-huit mois et prévoyons ensuite une coopération avec les Britanniques. Les Allemands, pour l'instant, ont choisi pour des raisons industrielles une autre voie. Nous avons d'autres partenaires, avec lesquels nous discutons et nous avons signé à plusieurs un engagement d'interopérabilité au sein du Groupe aérien européen. Je suis certain qu'à la fin nous arriverons à faire du soutien en commun de façon plus large.
M. Daniel Reiner. - Je m'associe à l'appréciation de Jacques Gautier. Du reste, je visite souvent les bases aériennes et le personnel apprécie beaucoup cette attitude positive. C'est fait intelligemment. Je voudrais avoir des explications plus claires concernant le format de l'aviation de combat, la rénovation des Mirage 2000 et enfin les drones de troisième génération. Les industriels ont manifesté leur intention de coopérer. Mais avez-vous eu des contacts avec vos homologues européens pour définir le besoin opérationnel ? Est-ce que l'on pourra avancer sur cette question au sommet de Bruxelles ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Les premiers drones Reaper qui nous seront livrés le seront au standard block 1. Ils seront ensuite rétrofités. Le partage de renseignement nécessite une vraie confiance mutuelle. C'est notamment le cas aujourd'hui avec nos alliés américains au Niger. Si les drones britanniques Reaper revenaient en Europe, il pourrait être intéressant d'élargir la coopération avec eux sur la surveillance de la bande du Sahel. Le fait d'avoir les mêmes drones va nous aider énormément. D'ailleurs au plan européen, l'idée d'un « club Reaper » fait son chemin.
S'agissant du drone MALE de troisième génération, je l'appelle de mes voeux. Mais ce ne sera pas avant 2020. Je suis de ceux qui pensent qu'il y a là un véritable marché prometteur. Cet avis est contesté - je le sais - mais il faut penser à l'export vers tous les grands pays qui ont de vastes frontières à surveiller. Faire voler un drone MALE nécessite une véritable expertise dans la gestion des réseaux utilisant les liaisons satellitaires. Après cela, viendront les UCAS ( Unmanned combat air system ), les drones de combat. Nous y réfléchissons intensément dans le cadre de l'élaboration d'un schéma directeur de l'aviation de combat, pour le futur.
Concernant la rénovation des Mirage 2000, elle se fera à un périmètre très réduit par rapport à ce qui était initialement envisagé. C'est aujourd'hui une capacité qu'il faut faire durer pour conserver la cohérence de notre aviation de combat. Tout ou partie de ces appareils seront par la suite remplacés par des Rafale. C'est tout l'objet du schéma directeur sur l'aviation de combat.
M. André Trillard. - Quelle est, d'une façon générale, notre degré d'indépendance par rapport aux forces américaines ? Le recrutement des mécaniciens aéronautiques est-il satisfaisant ? Combien de personnels avez-vous à l'OTAN ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Nous avons toute notre indépendance par rapport aux Etats-Unis. Et nous l'avons démontré dans la planification de nombreuses opérations. Nous l'avons aussi démontré dans notre capacité à recueillir du renseignement et à effectuer une appréciation autonome des situations, ce qui est essentiel. Pour ce qui est des techniciens aéronautiques, nous avons un bon recrutement direct à l'école de sous-officiers de Rochefort et une filière d'excellence avec le lycée de Saintes et le cours de l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air. Cette voie nous permet d'alimenter l'école de formation des sous-officiers et de recruter des spécialistes en maintenance aéronautique, qui disposent de véritables compétences. Le problème consiste plutôt à les fidéliser. L'armée de l'air participe depuis longtemps aux structures de l'Alliance atlantique, actuellement nous avons 217 aviateurs à l'OTAN, dont 120 officiers.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Est-ce bien le génie de l'air qui a reconstruit la piste de Douchambé ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - C'est bien lui. C'est une unité, comme toutes nos unités d'infrastructure opérationnelles, qui effectue un travail remarquable.
Mme Leila Aïchi. - Je suis responsable au sein de mon groupe politique des questions de défense. Nous nous efforçons d'élaborer un Livre vert de la défense. Je souhaiterais savoir comment vous intégrez la baisse de la consommation des énergies fossiles dans l'armée de l'air ? Qu'en est-il des normes européennes pour le démantèlement des équipements ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - La réduction de la consommation et la question des énergies futures est un problème sur lequel nous avons, je crois, insuffisamment réfléchi. En revanche, nous nous sommes totalement inscrits pour nos infrastructures dans une démarche écologique. C'est par exemple le cas sur la base aérienne d'Orléans qui fait l'objet d'une priorité dans ce domaine. S'agissant du démantèlement, il n'y a pas de démarche européenne, mais nous travaillons sur un projet autour de partenariats innovants avec des entreprises.
M. Robert del Picchia. - Je vous félicite à mon tour pour votre vision de l'avenir. Vous avez pris une position courageuse concernant la manoeuvre des ressources humaines. Vous incitez le départ des officiers. Mais est-ce que ceux qui partent ne vous manquent pas trop ?
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air - Je ne souhaite pas que les officiers restent dans l'armée de l'air, uniquement par confort. Nous ne pourrons offrir l'accès aux plus hautes responsabilités à tous. Je souhaite donc développer une démarche nouvelle qui permette à nos officiers de construire de façon positive et réfléchie le choix qu'ils devront faire entre une deuxième partie de carrière permettant d'occuper des postes de haut niveau dans la Défense ou une deuxième carrière dans le secteur civil. Il nous faut pour cela réfléchir à un nouveau modèle de gestion des ressources humaines qui prenne en compte cette nouvelle approche. Mais c'est vrai pour toutes les catégories de populations.
M. Laurent
COLLET-BILLON
Délégué général
pour l'armement
Le 1 er octobre 2013
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement.- Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me recevoir aujourd'hui pour vous présenter ma perception du projet de loi de programmation militaire (LPM) actuellement en cours d'instruction.
J'ai bien noté vos interrogations qui devraient trouver directement des réponses dans le corps de mon exposé. Je les compléterai ultérieurement si vous souhaitez les approfondir naturellement.
Laissez-moi toutefois revenir immédiatement sur votre interrogation sur la cohérence globale du modèle et à notre capacité à parer aux menaces de demain.
Je ne m'aventurerai pas sur le terrain de l'analyse prospective des menaces et préfère revenir à des horizons plus certains. L'expérience nous a montré toute la difficulté qu'il y avait à prévoir les grands bouleversements géostratégiques à l'avance.
Par contre, cette LPM traduit clairement le maintien de nos ambitions stratégiques, en cohérence avec les orientations du Livre blanc, sur les trois missions fondamentales :
- de dissuasion, dans ses deux composantes complémentaires,
- de protection du territoire et des populations,
- d'intervention sur les théâtres extérieurs.
Malgré un contexte budgétaire contraint, marqué par l'impératif de redressement des finances publiques, le Président de la République a ainsi personnellement choisi de maintenir un effort de défense significatif, afin de donner à la France les moyens de mettre en oeuvre un modèle d'armées ambitieux à l'horizon 2025.
Cela a été un exercice difficile. Un exercice difficile qui a visé à conjuguer souveraineté stratégique et souveraineté budgétaire, dans la situation économique d'aujourd'hui, a été demandé à la mission Défense.
Un autre paramètre aura pris une place majeure, celle de la préservation de notre outil industriel. C'était un « impératif » pour le Président et le ministre de la défense qui a pesé lourd dans les débats, à laquelle toute leur attention et autorité ont été portées.
Il a fallu ainsi trouver un équilibre financier sous fortes contraintes alors que :
- la trajectoire de besoin financier pour les équipements conventionnels prévoyait auparavant une forte croissance sur la période 2015-2020, en raison de la poursuite du renouvellement des capacités engagé avec la LPM précédente, de nombreux grands programmes étant en cours de réalisation ;
- les besoins financiers de la dissuasion, qui sont nécessaires pour des échéances de 2030 qui peuvent paraître lointaines mais qui sont en réalité très proches pour les techniciens, mais également ceux de la préparation opérationnelle, en particulier de l'entretien programmé des matériels, sont en croissance, mettant sous pression les ressources disponibles pour le reste.
La DGA a insisté pour chaque secteur industriel, de manière à trouver le juste équilibre entre développements et production, de façon à concilier les impératifs de viabilité de l'activité industrielle (bureaux d'études et supply chain ), avec les contraintes calendaires d'équipement nécessaire aux capacités militaires.
Il s'agit en quelque sorte d'un équilibre entre le court terme et le moyen-long terme, un équilibre délicat et donc sensible. J'y reviendrai.
Pour le programme P146 « équipements des forces », qui est le principal programme suivi par la DGA, les ressources prévues pour les opérations d'armement (programmes à effet majeur [PEM] plus les autres opérations d'armement [AOA] plus la dissuasion) s'élèvent à environ 10 milliards d'euros annuels, soit 59,5 milliards sur la période, se répartissant en 34 milliards d'euros pour les PEM, 7,1 milliards pour les AOA, qui sont les opérations qui ne sont pas suivies en programme mais nécessaires à la cohérence du dispositif, et 18,4 milliards d'euros pour la dissuasion.
C'est en retrait sensible (-30%) par rapport à la programmation précédente, devenue intenable budgétairement, qui prévoyait une augmentation des ressources de 1 milliard d'euros par an en moyenne ; ce retrait est très sensible sur les PEM (-41%), mais également pour la dissuasion (-11%) et les AOA (-18%), ce qui est extrêmement fort mais a été décidé en concertation avec les états-majors.
Une part significative de ces ressources (5,5 milliards d'euros courants soit 9%) sont attendues de ressources exceptionnelles, principalement concentrées en début de période en 2014 (1,5 milliard d'euros) et 2015 (1,6 milliard d'euros).
Sous l'hypothèse des ressources prévues, j'y reviendrai, le report de charges du P146 sera stabilisé durant la nouvelle LPM à son niveau de fin 2013, prévu à environ 2 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien en regard des environ 10 milliards d'euros de dépenses annuelles, les ressources prévues ne permettant pas de le résorber. Il n'y a donc pas de marges pour gérer des aléas sur les ressources.
Le P146 est souvent été mis à contribution dans le passé pour abonder les ressources nécessaires aux dépassements de titre II, aux surcoûts des opérations extérieures (OPEX), aux besoins d'infrastructures. Ce ne sera plus possible à l'avenir, sauf à ce que l'exécution de la LPM devienne particulièrement difficile.
Les études amont font l'objet d'un effort particulier avec un flux moyen de 0,73 milliard d'euros courants par an sur 2014-2019, à comparer aux 685 millions d'euros en moyenne de la période précédente.
Cet effort significatif sur la recherche est certainement l'un des « marqueurs » de cette LPM pour l'armement. Elle a été une priorité pour le ministre de la Défense, personnellement, dès le début des travaux d'élaboration de la LPM sur laquelle il n'a jamais varié de position.
Ce maintien de notre investissement en R&T est absolument critique pour le maintien de la compétitivité de nos entreprises et leur capacité à répondre aux besoins futurs de nos armées.
Ces crédits bénéficieront par exemple :
- à la poursuite de la préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion ;
- à la montée en puissance de la coopération franco-britannique dans le domaine de l'aéronautique de combat (FCAS DP qui est le drone de combat armé) et des missiles (préparation du futur missile de croisière) ;
- à l'augmentation de l'effort sur l'innovation, et notamment au soutien des PME-PMI. Le dispositif RAPID (régime d'appui aux PME pour l'innovation duale) sera pérennisé et renforcé, en rejoignant progressivement 50 millions d'euros par an, ainsi que le dispositif ASTRID pour les projets de recherche portés par des laboratoires académiques et les PME ;
- à la montée en puissance des travaux sur la cyberdéfense ;
- au maintien de l'excellence des compétences industrielles dans les autres domaines même s'il est possible que toutes les compétences ne puissent être maintenues durablement à leur niveau actuel.
Je l'ai dit en introduction, l'impact économique et social de notre industrie, fournisseur d'emplois hautement qualifiés et non délocalisables, aura été reconnu tout au long des débats.
Les modèles de rupture qui auraient pu sacrifier un secteur ont été ainsi écartés.
Les 10 milliards d'euros par an que la DGA injectera globalement dans l'industrie de défense devront permettre de maintenir à terme les compétences critiques à notre autonomie stratégique.
La LPM préserve globalement les neuf grands secteurs industriels :
- dans le domaine du renseignement et de la surveillance, c'est près de 4,9 milliards d'euros sur la période qui sont prévus, avec un effort particulier sur l'Espace 2,4 milliards ;
- dans le domaine de l'aéronautique de combat, 4,6 milliards d'euros avec la poursuite de l'amélioration du RAFALE et de ses livraisons ;
- dans le domaine des sous-marins, avec 4,6 milliards d'euros et la poursuite du programme BARRACUDA et du futur moyen océanique de dissuasion (FMOD),
- dans le domaine des navires armés de surface, avec 4,2 milliards d'euros la poursuite des livraisons des FREMM ;
- dans le domaine de l'aéronautique de transport et de ravitaillement, avec 3,9 milliards d'euros et la poursuite des livraisons des avions A400M et la commande des avions MRTT l'année prochaine ;
- dans le domaine des hélicoptères, avec 3,7 milliards d'euros et la poursuite des livraisons des programmes TIGRE et NH90, qui sont d'ailleurs d'excellentes machines ;
- dans le domaine des communications et des réseaux, la poursuite d'un effort significatif, avec 3,2 milliards d'euros et la poursuite de CONTACT (successeur du PR4G) et le lancement de COMSAT NG ;
- dans le domaine des missiles, avec 2,7 milliards d'euros et le maintien de la filière avec une trame de programmes nouveaux comme le missile moyenne portée MMP (successeur du MILAN) ou le missile antinavire léger (ANL), en coopération avec les Britanniques,
- dans le domaine terrestre, que nous avons sauvé, avec 2,5 milliards d'euros et le lancement de SCORPION en fin d'année prochaine.
Si l'exécution de la programmation est conforme, il ne devrait y avoir aucune catastrophe majeure, mais bien sûr il y aura des ajustements.
L'impact sera ainsi limité sur les investissements du P146, et minimisé par rapport à ce qu'il aurait pu être dans le contexte budgétaire difficile que l'on traverse actuellement.
Les industriels responsables l'ont bien compris.
Il faudra redoubler d'efforts pour conquérir de nouveaux marchés à l'export afin de trouver des ressources extérieures pour assurer des plans de charge plus confortables.
Afin de dégager des marges de manoeuvre pour lancer de nouveaux programmes et répondre aux besoins capacitaires, les calendriers des livraisons des nouveaux matériels - exemple avion de transport A400M, hélicoptères NH90 et TIGRE, avion de combat RAFALE, frégates FREMM, sous-marin nucléaire d'attaque BARRACUDA, système FELIN, missile d'interception à domaine élargi (MIDE) - seront aménagés tout en permettant la poursuite du renouvellement des capacités initié sur la loi de programmation précédente.
Les conditions de réalisation de certains programmes ont déjà fait l'objet d'un accord avec l'industrie.
Ainsi concernant le programme BARRACUDA, le calendrier de livraison des sous-marins a été étiré au maximum, tout en préservant Cherbourg.
Je souhaite d'ailleurs que DCNS ait des succès à l'export, sur le Scorpène, afin d'améliorer le plan de charge de Cherbourg. Le ministre de la Défense s'y attache avec détermination et dynamisme.
Un sous-marin sera livré tous les deux ans et demi en moyenne.
Quant au NH90 un engagement industriel sur l'étalement, conformément à nos capacités de paiement, a été obtenu au moment de la contractualisation des 34 TTH, portant le nombre de TTH commandés à 68 au total, plus 27 NFH.
Pour les autres, l'ajustement des calendriers de production est en cours de discussion avec les industriels afin de garantir la viabilité de l'activité industrielle sans obérer la tenue des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc.
Ce sera difficile sur certains programmes mais nous visons de les rendre conformes avec la LPM qui sera votée, avec les capacités de paiement qu'elle nous octroiera.
Le projet de LPM prévoit la livraison de 26 avions Rafale sur la période, avec l'hypothèse de contrats export permettant de maintenir le rythme de production industriel.
Par ailleurs, les 10 RAFALE Marine livrés entre 1999 et 2001 seront rénovés au dernier standard fonctionnel.
Le projet prévoit également que l'intégration de nouvelles capacités [missiles air-air longue distance MIDE/METEOR et systèmes de pod de désignation laser de nouvelle génération (PDL-NG)], sera réalisée dans le cadre du développement d'un nouveau standard (F3R) et appliquée sur l'ensemble de la flotte Rafale air et marine déjà livrée. Il pourrait être notifié avant la fin de l'année, en fonction de l'exécution du budget de fin 2013.
Pour mémoire, le Livre blanc a fixé la cible à terme à 225 avions de combat tout compris.
Le premier A400M a été livré en août dernier à l'armée de l'air. Le projet de LPM prévoit la livraison de 15A400M d'ici 2019. Ces livraisons permettront de poursuivre le retrait déjà engagé de la flotte C160. À terme, le Livre blanc a fixé la cible globale à 50 avions de transport tactique. Pour ce programme, un aménagement du rythme de production est envisagé et l'export sera nécessaire pour maintenir des flux de production corrects.
Le projet de LPM prévoit un étalement du rythme de livraison des FREMM. Six FREMM en version anti sous-marine seront livrées d'ici à 2019, les deux suivantes ayant en plus une capacité de défense aérienne.
Une décision devra être prise en 2016 sur les modalités de rejointe du format du LBDSN de quinze frégates de premier rang.
Cette décision portera sur la réalisation des trois dernières frégates du programme FREMM, le programme de rénovation des FLF et un nouveau programme de frégate de taille intermédiaire (FTI) en intégrant l'actualisation du besoin militaire et la situation de l'industrie sur le marché export des frégates de premier rang.
Une telle décision est aujourd'hui prématurée.
La période de LPM sera marquée par la fin des livraisons des 630 VBCI en 2015, dont 95 disposeront d'un niveau de protection adapté aux théâtres d'opérations les plus exigeants.
Cette adaptation conduit à une augmentation de la masse, qui s'élèvera à 32 tonnes pour ces véhicules extrêmement protégés, et dont l'A400M assurera, grâce à ses capacités, le transport.
Concernant les nouveaux programmes, je rappelle que leur lancement a été retardé dans l'attente du Livre blanc de 2013 et de cette nouvelle LPM, afin de ne pas en préempter les choix.
Une vingtaine de programmes nouveaux seront lancés sur la période de cette LPM. Je ne citerai que les exemples les plus emblématiques.
Dans le domaine de l'aviation de combat, il est prévu le lancement pour le RAFALE d'un nouveau standard F3R, dont j'ai déjà parlé. Il contribuera au maintien de l'activité des bureaux d'études, en lien avec les négociations sur l'étalement de la production des avions de la quatrième tranche de production.
Dans le domaine terrestre, le lancement du programme SCORPION, essentiel au maintien des compétences de l'industrie terrestre, est prévu en fin d'année prochaine. C'est le programme majeur pour la modernisation des matériels de l'armée de terre.
Le programme d'avions ravitailleurs MRTT sera lancé pour préparer le remplacement de C135 vieillissants. C'est un programme essentiel en particulier pour la dissuasion.
Dans le domaine du renseignement, plusieurs programmes nouveaux seront lancés. Je citerai les drones MALE, dont une première acquisition est en cours, le système de renseignement d'origine électromagnétique spatial CERES, la Charge utile de guerre électronique (CUGE) ainsi que les drones tactiques SDT.
Le domaine spatial, outre CERES déjà cité, connaîtra le lancement du programme COMSAT NG, successeur du système de télécommunications militaires par satellites SYRACUSE 3. Pour le domaine naval, les principaux nouveaux programmes prévus sur la période de la LPM sont le Bâtiment de soutien et d'assistance hauturier (BSAH), la rénovation des frégates de type La Fayette, le système de lutte anti sous-marine (SLAMF), qui viendra compenser le vieillissement de nos chasseurs de mines tripartites, et les navires logistiques (FLOTLOG).
Enfin, le domaine des missiles verra aussi plusieurs lancements de programmes : l'ANL prévu dès cette année, comme le MMP, et plus tard sur la période, la rénovation des missiles de croisière SCALP et le successeur du missile MICA. Ces programmes sont indispensables au maintien des compétences de la filière missile.
Un certain nombre de ces nouveaux programmes sont prévus en coopération européenne, en particulier avec notre partenaire britannique : c'est le cas de SLAMF et de l'ANL.
Au-delà de ces programmes nouveaux, les programmes conduits en coopération européenne sont tous maintenus : MUSIS, FREMM, A400M, METEOR, ou encore TIGRE, NH90 et ASTER... Pour ces programmes, les ajustements seront menés en coordination avec nos partenaires étrangers, en particulier l'Allemagne et l'Italie.
On pourrait également citer comme programme européen les avions ravitailleurs MRTT, dont le premier exemplaire devrait être livré en 2018.
La coopération doit permettre, au travers des mutualisations ou des partages capacitaires développés dans le cadre de l'Union européenne, de favoriser l'émergence ou la consolidation de solutions européennes dans des domaines tels que ceux du renseignement et des communications d'origine satellitaire, du déploiement et l'exploitation des drones de surveillance, du transport stratégique ou du ravitaillement en vol.
C'est un sacerdoce mais nous y travaillons avec beaucoup de détermination.
La DGA prendra naturellement part à l'effort de déflation du ministère mais j'ai beaucoup insisté pour que la DGA soit la moins atteinte possible.
En effet, cette LPM n'induit aucun abandon de capacité technique, technologique ou industrielle, et donc aucun abandon de capacité pour la DGA.
Le maintien de l'ensemble des programmes en cours, les nouveaux programmes à lancer et les négociations requises avec l'industrie pour adapter les échéanciers de livraison, nécessitent que les unités de management, les centres techniques et le service de la qualité puissent assurer la charge correspondante.
Par ailleurs, le développement de la politique de soutien aux exportations conforte la DGA dans cette mission.
J'estime qu'il n'est pas souhaitable que l'Etat économise là-dessus. C'est d'autant plus vrai que le projet de LPM appelle même au renforcement de certains domaines comme la cyberdéfense.
Dans ce domaine, nous réussissons à recruter très facilement des candidats de très bon niveau, qui sont ravis de se mettre au service de l'Etat. Cela est un objectif que la DGA reste attractive pour les nouveaux ingénieurs, afin de régénérer sa compétence technique.
D'ailleurs, je ne me retrouve pas dans les questions de dépyramidage des officiers, il faut relever que les cadres de la DGA ne constituent pas une pyramide d'encadrement au sens militaire, mais bien un ensemble de compétences techniques et managériales adapté aux missions confiées aujourd'hui à la DGA.
Un ingénieur en chef est d'abord un ingénieur, avant d'être un militaire à cinq barrettes.
Le dépyramidage pour la DGA n'a pas de réalité et serait contraire à l'objectif poursuivi de maintenir un haut niveau de compétences techniques et managériales, de plus en plus reconnu au sein du ministère, l'important étant la qualité du recrutement.
La DGA a effectué depuis 2008 un effort sans précédent de restructuration et de rationalisation :
Elle a effectué des regroupements de centres passant de quinze centres sur vingt-et-un sites à neuf centres sur quinze sites impliquant des fermetures et des transferts.
Elle a externalisé massivement son soutien auprès d'autres opérateurs ministériels même si le fonctionnement de ce récent dispositif de soutien reste à rôder sous nombre d'aspects.
Je rappelle à ce titre les conclusions du CGA Weber sur les centres techniques de la DGA : « il est impossible de poursuivre les rationalisations sans remettre en cause l'existence de un ou deux centres ou sans les adosser à un industriel du secteur. »
La DGA est actuellement dans un format resserré par rapport à ses missions et elle n'a quasiment plus aucune fonction de soutien en son sein.
Mais nous contribuerons naturellement à l'effort budgétaire demandé. Sur la période 2013-2019, la baisse des ressources allouées à la DGA est de :
- 10,1% sur le périmètre fonctionnement P144et P146 ;
- 7% sur le périmètre total fonctionnement et investissement (P144et P146), mais en absorbant dans cette enveloppe les 50 millions d'euros d'investissements liés à la cyberdéfense.
Je souhaite continuer à investir dans les moyens d'essais des centres, en particulier dans le domaine des essais de missiles, pour qu'ils conservent leur place d'excellence européenne.
Ces baisses de ressources sont en milliards d'euros courants, la diminution du pouvoir d'achat sera encore accentuée par l'inflation.
Je souhaite revenir sur quelques hypothèses fortes qui conditionnent la réalisation de cette LPM. Cela reste des points d'attention particuliers pour le ministère.
Le premier d'entre eux est naturellement la disponibilité des ressources exceptionnelles pour le P146.
Les 1,5 milliard d'euros de ressources prévues pour le P146 pour 2014 sont d'ores et déjà identifiées : il s'agit du programme d'investissements d'avenir. Ces crédits sont présentés au titre du PLF 2014. Les modalités pour leur consommation sont en cours de consolidation.
Dans les grandes lignes, la quasi-totalité sera consacrée au CEA, sur des volets de développement et de recherche qui restent dans l'esprit d'investissement du PIA, et au CNES sur MUSIS dans une moindre mesure.
Au-delà de 2014, l'identification précise des REX est en cours.
Elles pourront provenir du produit de la cession des fréquences entre 694 MHz et 790 MHz [fréquences de la TNT].
La question qui se pose est : quand ces fréquences seront-elles cédées et quand les produits de cession seront-ils utilisables sur le P146 ?
En complément, on pourrait avoir recours à la cession de participations de l'Etat, sous la forme par exemple d'une société, qui recueillerait les produits de cession de participation des entreprises publiques, et dont les dépenses d'investissement seraient orientées vers des matériels militaires répondant aux besoins des armées suivant des modalités à définir.
La deuxième hypothèse forte est plus spécifiquement liée au programme RAFALE, pour lequel le projet de LPM table sur un démarrage effectif de l'exportation dès le début de la période.
Cette hypothèse est crédible au regard de l'avancement d'un certain nombre de perspectives, que je ne détaillerai pas, et des qualités exceptionnelles de cet appareil.
A ces hypothèses s'ajoutent les conditions d'entrée en gestion de la LPM qui sont essentielles.
Actuellement, un peu plus de 700 millions d'euros de crédits 2013 sont encore gelés (surgel et réserve de précaution initiale). Si ces crédits ne sont pas débloqués, ou s'il faut financer les surcoûts OPEX, cela déstabiliserait fortement ce point d'entrée, compte tenu des montants en jeu et de l'absence de marges de manoeuvre sur le report de charges.
Le report de charges du P146 prévu aujourd'hui pour fin 2013 est d'environ 2 milliards d'euros. Une augmentation nous mènerait à des conditions d'exécution du budget 2014 qui seraient pénibles.
En tout état de cause, la LPM prévoit une clause de revoyure fin 2015 qui permettra de vérifier la bonne adéquation entre les prévisions et la réalisation.
Elle paraît d'autant plus nécessaire que la réalisation des trois grandes hypothèses que j'ai citées porte sur le court voire très court terme et conditionne l'équilibre financier de la LPM dès le début de période.
Pour conclure, ce projet de LPM marque le maintien d'un effort de Défense significatif malgré un contexte budgétaire contraint.
L'industrie de défense et la préparation de l'avenir sont en particulier au coeur de ce projet de loi de programmation militaire qui tient compte de l'impératif industriel.
Il est vain pour certains industriels de continuer d'essayer de ramener dans leur domaine des ressources de la LPM prévues pour d'autres.
Cela se ferait au détriment des autres domaines et mettrait en péril tout l'équilibre de ce projet.
Ceci clôt mon propos. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, merci pour votre attention.
Vous avez posé une question sur le programme TIGRE. Il était prévu au début la mise sous cocon de vingt TIGRE HAP ; c'est pourquoi les lots de rechange de ces vingt TIGRE HAP n'ont jamais été achetés et ce en accord avec l'armée de terre. Le nouveau projet revoit le concept d'emploi des TIGRE ; ce nouveau concept est fondé désormais sur une cible de soixante appareils avec une homogénéisation et une transformation des HAP en HAD ; les nouveaux lots de rechange seront bien évidemment dimensionnés pour soixante HAD.
M. Jean-Louis Carrère, président - Puisque nous sommes dans un échange d'une grande sincérité, je tenais à vous dire que nous adopterons vraisemblablement en commission des amendements afin d'insérer une clause de garantie des ressources exceptionnelles. La question que je me pose est de savoir si le programme d'investissement d'avenir sera abondé par des crédits budgétaires, des cessions de participations ou les deux ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Ce sont des cessions de participations. C'est le début d'un exercice qui consiste à céder des participations que l'Etat détient dans des grandes entreprises. Il ne vous a pas échappé par exemple que l'Etat a déjà cédé 3% de sa participation dans SAFRAN, passant de 30 à 27%. La question que l'on doit se poser est de savoir quelle est la doctrine de la participation de l'Etat dans les entreprises qui ont des activités dans des domaines aussi variables que dans les domaines de l'énergie, des transports ou de la défense.
M. Jean-Louis Carrère, président - Nous préférerions que ce programme soit abondé par des crédits budgétaires.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - David Azema, commissaire aux participations de l'Etat, et moi-même, sommes convaincus qu'il y a des sociétés dans lesquelles l'avenir stratégique n'est pas arrêté et là il n'est pas question de lâcher quoi que ce soit du contrôle de ces sociétés. A l'inverse, il y a des sociétés relativement indépendantes de la Défense. C'est du cas par cas, avec une analyse à mener sur l'intérêt stratégique industriel et pour l'Etat.
M. Jean-Louis Carrère, président - Sur le RAFALE et l'export nous avons parfaitement compris que c'était un problème de chaîne de production. Mais cela veut dire que si d'aventure nous étions obligés de prendre en compte cette préoccupation, il faudra que l'on dise collectivement comment l'on fait.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Pour le RAFALE, il y a plusieurs prospects, avec des définitions différentes dans les différents cas et il est sera donc important de savoir quel prospect débouche en premier. Pour l'Inde, le RAFALE s'inscrit dans une flotte aéronautique indienne qui dispose déjà d'équipements propres, ce qui nécessite des adaptations de l'avion. Pour le Qatar par contre, la définition est très proche de celle de la France, ce qui donne plus de souplesse pour la gestion de la production. Je suis confiant sur le fait que le RAFALE s'exporte, la seule question est de savoir quand.
M. Jacques Gautier . - Je remercie le délégué général pour sa présentation toujours aussi transparente, claire, précise et qu'il est le seul à pouvoir nous effectuer de cette façon. Une question générale, d'ordre financier : il semble qu'avant l'été les services de la DGA aient demandé à un certain nombre d'industriels de revoir les modalités de paiement des contrats. Je m'explique : il s'agirait de reporter les paiements en fin de contrat et non pas tout au long de son exécution, comme c'est le cas habituellement. Ce qui aurait pour inconvénient de reporter sur ces entreprises le portage financier de ces contrats. L'Etat pourrait ainsi s'endetter sans que cela ne se voie dans l'endettement public. Cela rendrait totalement irréaliste l'exécution de la loi de programmation. Par ailleurs, qu'en est-il du standard F3R du RAFALE avec le pod de désignation laser nouvelle génération - qu'en est-il des ATL2 et de la rénovation, mais je n'ose plus employer le mot tellement le périmètre a rétréci, des MIRAGE 2000 ? Vous avez évoqué DCNS, la marine et les FREMM ; nous avons remarqué et nous ne sommes pas les seuls, qu'il faudrait effectivement développer un navire moins important pour l'export - les frégates de taille intermédiaire - nous avons également noté les possibilités de développer de nouveaux radars plus performants que ceux actuels. Est-ce que vous envisagez de donner les technologies de 2015 aux frégates qui sortiront en 2022 ou bien les laisserez-vous avec les technologies radar du début des années 2000 ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Est-ce que nous avons demandé aux entreprises de les payer à la fin des contrats ? La réponse est non. Cela fait partie des choses que l'on pourrait envisager dans le cadre des grands contrats que nous sommes en train de renégocier et ne poserait pas de problèmes à certaines entreprises. Je vais en citer deux : Dassault, qui a une trésorerie tout à fait significative et qui a déjà pratiqué ce genre d'exercice par le passé avec l'Etat, et DCNS, qui a une trésorerie de deux milliards d'euros. Cela fait partie des choses que l'on pourrait demander s'il y a des choses qui ne convergent pas comme il faudrait. Mais pour l'instant nous ne l'avons pas fait. D'abord parce que ce n'est pas de bonne politique d'une façon générale. Et puis parce que cela nous prive d'un moyen d'action vers les industriels en cours d'exécution des contrats et donc je n'y suis pas favorable.
Le standard F3R aura bien évidemment le pod de désignation laser de nouvelle génération.
Pour la rénovation ATL2 : rendez-vous à Brest vendredi.
Le contrat pour les MIRAGE 2000 sera commandé en 2015 avec un contenu technique qui reste à affiner.
Sur les FREMM, nous sommes bien conscients des problèmes d'obsolescence qui affectent les radars HERAKLES ; mais comment anticiper le passage à la mature intégrée ? Nous allons étudier cela et c'est pour cela qu'il y aura une décision à prendre en 2016. Exporter des bâtiments de surface est indispensable. Les FREMM supposent que l'Etat acquéreur ait une marine de haut niveau pour qu'elles puissent être manoeuvrées par des équipages très réduits en nombre.
M. Daniel Reiner . - Sur les reports des charges - c'est irritant. On nous avait parlé de trois milliards, maintenant c'est deux, c'est mieux.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Trois milliards c'est pour l'ensemble du ministère - deux milliards c'est uniquement pour le P146...
M. Daniel Reiner . - C'est mieux, mais j'aimerais savoir exactement de quoi il s'agit ? Ce sont des commandes pour lesquelles il n'y avait pas de trésorerie ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Ce sont des annulations de crédit en cours d'années, des transferts de crédits vers d'autres programmes LOLF au fil de l'eau, et puis ça s'accumule, ça grossit - le cumul est là. Cela a un effet important sur les PME ; on a toujours pris les mesures nécessaires pour garder un peu d'argent en fin d'exercice afin de pouvoir quand même payer les PME. On peut le faire quand on a une visibilité précise sur la gestion de fin d'année et pas quand on est devant des choses qui s'arrêtent au mois de septembre.
M. Daniel Reiner . - C'est un système qui n'est pas satisfaisant. Je pose une seule question : le ministère a mis en place un pacte défense PME ; nous avons rencontré des PME et des grands groupes également. Il y a une demande forte d'un observatoire de mise en place de ce pacte. Il y a un besoin de mettre un peu d'huile dans les rouages de ce point de vue-là.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Il y a un délégué ministériel pour l'application de ces mesures aux PME et il est hébergé à la DGA ; comme vous le savez, nous avons largement contribué à l'élaboration de ce pacte. Les grands industriels ont quand même accepté des mesures beaucoup plus contraignantes que le droit contractuel normal. Alors dans quelle mesure faut-il mettre en place un observatoire, je ne sais pas. Il s'agit d'un pacte de bonne conduite et non pas d'un pacte réglementaire. On peut discuter de cela avec le comité Richelieu si c'est lui qui a eu l'idée, mais de grâce ne multiplions pas les observatoires, même si celui-ci pourrait être justifié. On a essayé quand même de simplifier beaucoup les choses et en particulier les délais de paiement de l'Etat. Mais effectivement cela ne sert à rien de réduire les délais vers les grands groupes si ceux-ci ne répercutent pas vers les PME...
M. Xavier Pintat . - Les drones tactiques - on a beaucoup parlé du Watchkeeper - où en êtes-vous de leur acquisition ? La défense antimissiles balistiques - la France s'est engagée à soutenir l'initiative de Lisbonne, or aucun élément ne semble apparaître dans la LPM, pouvez-vous nous en dire plus ? La simulation en matière nucléaire - où en sommes-nous des grands projets, le laser mégajoule, le programme TEUTATES, EPURE, pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Nous avons expérimenté le drone Watchkepper pendant plusieurs mois dans les établissements de la DGA ; la maturité du produit pourrait être meilleure. Pour que nous acceptions de le considérer il faudra nous démontrer que sa maturité est supérieure à celle que nous avons constatée. Un appel d'offres pourquoi pas, mais pour le Watchkeeper il y avait quelque chose-là qui était très séduisant qui allait au-delà de la simple acquisition et s'intégrait dans une coopération opérationnelle.
Concernant la DAMB, nous avons proposé d'apporter des modifications à l'Aster block 1NT - nous avons eu des discussions avec les Italiens et les Britanniques. On va voir comment tout cela évolue, mais notre contribution à la DAMB de l'OTAN va être modeste. Ce qui nous importe c'est la protection de corps d'armées projetés sur des théâtres extérieurs. C'est donc l'ASTER block 1NT. Pour aller au-delà, il faut également développer des radars de beaucoup plus grande portée ce qui nécessite des efforts financiers que nous n'envisageons pas dans cette LPM.
Enfin, la simulation continue. Des moyens d'évaluation sont mis en place avec les Britanniques. Les premières expériences sur le LMJ auront lieu l'an prochain, indépendamment des Britanniques pour la première. La mise en service de TEUTATES et d'Airix évolue.
M. André Trillard . - Quelles sont les capacités de nos industriels à changer les cadences de production en cas de conflits sérieux. Nous avons subi trois conflits en série qui n'ont pas été très coûteux en matière d'équipements - la Côte d'Ivoire, la Libye, le Mali. Mais ce qui a failli se produire en Syrie eût été beaucoup plus dispendieux en termes de consommation de moyens de frappe dans la profondeur. Il faut des industriels qui arrivent à gagner leur vie sur ces séries limitées, mais qu'ils soient également capables de recompléter en cas de conflits. Est-ce que c'est un sujet sur lequel vous réfléchissez.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - Oui évidemment. En matière d'aviation de combat nous sommes dans des délais de l'ordre de trois ans. On ne pourrait pas recompléter très facilement. On peut accélérer la fabrication des munitions, mais par exemple en matière de moteurs d'avions, pour lesquels certaines pièces comme les aubes de turbine ont été produites par « batch », c'est compliqué.
Mme Michelle Demessine. - Je tiens à affirmer l'attachement des membres de mon groupe à la préservation de l'outil industriel de défense. Or la situation est difficile. Nous avons visité le chantier de DCNS à Lorient. Les efforts sont importants. Il y a une vraie bataille pour la préservation de l'emploi industriel. Je souhaiterais vous entendre sur ce sujet. Quel va être le résultat de ce que vous allez négocier ?
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement - C'est vrai que la situation est difficile, mais elle est difficile partout, pas uniquement à Lorient. Cette LPM est un équilibre entre les neuf grands agrégats industriels et nous avons dit qu'il n'était pas question pour nous de procéder à des échanges entre les sous-marins, les avions de combat, les avions de transport, les missiles, les moyens d'observation, l'industrie d'armement terrestre etc... Les impacts industriels sont difficiles à mesurer. Il faut absolument aller à l'export. La LPM prévoit une stabilisation en euros courants sur les PEM, c'est-à-dire une diminution en euros constants. On ne va pas se le cacher. Il faut rappeler toutefois que globalement sur l'ensemble de l'agrégat équipement, le montant est en augmentation.
M. Christian
MONS
Président du Conseil des industries de
défense
Le 2 octobre 2013
M. Jacques Gautier, président. - Monsieur le Président, mes chers collègues, le Président Carrère est actuellement à Matignon ; il va nous rejoindre d'un instant à l'autre.
Nous ne pouvons vous faire attendre plus longtemps ; il m'incombe donc de présider cette ouverture. Je vous souhaite la bienvenue et irai droit au but avec quatre questions...
Tout d'abord, quel est l'impact de la Loi de programmation militaire (LPM) sur notre base industrielle et technologique de défense ?
En second lieu, comment voyez-vous la question de la consolidation de la base industrielle de défense européenne, et en particulier dans le secteur que vous connaissez bien des industries d'armement terrestre ?
Troisièmement, comment voyez-vous le marché de l'armement à l'exportation, qui est essentiel à l'équilibre de la LPM, notamment sur les pays émergents ? Cela pourra-t-il suffire à compenser les diminutions de crédits nationaux ? Certains industriels qui, sans exportations, ont de plus en plus de mal à s'en sortir, envisagent même des cessations d'activités ou des suppressions de postes...
Enfin, pensez-vous qu'il faille améliorer la démarche stratégique française, en faisant en sorte, par exemple, que l'Etat publie sa stratégie d'acquisition, ce qui orienterait la recherche et technologie (R et T) et la recherche et développement (R et D) ?
La LPM a prévu de maintenir 730 millions d'euros par an. Chacun s'en félicite, mais il faut concentrer cette somme sur ce qui apparaît comme utile et indispensable en matière d'armement futur, en évitant de faire de la recherche pour la recherche, ce qui est hors de notre portée financière.
Il pourrait donc être intéressant que l'Etat, souvent client unique de certains industriels, fasse savoir longtemps à l'avance ce sur quoi il a besoin que les industriels travaillent, dans leur intérêt même, afin que ceux-ci n'explorent pas de voies sans garantie de marchés. Qu'en pensez-vous ? Vous parlez ici pour un certain nombre d'industries, vos fonctions de président vous amenant à assurer cette responsabilité...
M. Christian Mons, président du CIDEF. - Je tiens d'abord à vous remercier, au nom du CIDEF, pour votre mobilisation, au printemps, lorsque les pires scénarii ont circulé.
Le niveau budgétaire de la LPM n'est certes pas satisfaisant, mais on doit néanmoins reconnaître que vous vous êtes fortement impliqués pour essayer de diminuer l'impact que cette LPM pourrait avoir sur nos industries.
Celle-ci n'est pas parfaite ; beaucoup de mes collègues l'ont déjà exprimé devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale et, je le pense, également devant cette instance. Elle devrait toutefois, sous réserve d'être exécutée dans sa totalité -ce qui n'est arrivé à aucune LPM- continuer à assurer une continuité d'activités au sein de nos bureaux d'études et de nos lignes de production, principalement parce qu'aucun programme n'est pour l'instant annulé.
Notre industrie pèse 17 milliards d'euros, exporte 35 % de sa production, dégage un solde commercial très positif, emploie 175 000 personnes à forte valeur ajoutée, peu voire pas délocalisables. Elle est organisée autour de quelques grands systémiers, mais regroupe 4 000 petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), très largement réparties sur les territoires, qui ont un poids économique très structurant pour de nombreux bassins d'emploi -Bourges, Brest, Cherbourg, Cholet, Fougères, Lorient, Roanne, Bordeaux, Toulon...
Elles se caractérisent par un effet d'endettement technologique important, du fait de la grande technicité de nos produits, du caractère dual de certaines de nos techniques, et du lien qui existe entre les donneurs d'ordre et les entreprises sous-traitantes.
J'ai coutume de dire que l'industrie de défense demeure aujourd'hui l'un des rares secteurs qui, tout en assurant sa mission première de participation à la souveraineté, génère un volume élevé de production sur le territoire national. Je dirais même que c'est une industrie à caractère keynésien : tout investissement dans les équipements de défense a, sur l'emploi et sur les compétences, un effet d'entraînement éminent. Selon nos calculs, en France, tout euro investi dans l'industrie de défense, au titre d'achats d'équipements ou d'études, rapporte 1,30 euro à l'Etat, et 1,6 euro en Angleterre.
L'exportation a, en la matière, un effet important : quand on exporte, on crée de la richesse, on paie des charges sociales, des impôts. Chaque emploi créé génère par ailleurs des emplois induits.
Cette industrie joue également un rôle politique éminent dans la défense des intérêts de la France dans le monde.
La LPM, telle qu'elle nous a été présentée, aura indéniablement des conséquences en matière de suppressions d'emplois. On peut estimer celles-ci, de façon très grossière, à une vingtaine de milliers sur la période concernée. Ceci peut toutefois être atténué si l'on retarde les engagements. Mais un certain nombre de nos industriels doivent être en sous-charge dès le début de 2014, certaines s'y trouvant déjà.
Ce chiffre de 20 000 emplois est certainement contestable. Toutes choses égales par ailleurs, il nous manque un milliard d'euros par an. A raison d'environ 100 000 euros par emploi, cela représente à peu près 20 000 emplois, 10 000 directs et 10 000 indirects.
L'impact pourrait être pire ! Le budget comporte des frais de personnel très élevés. S'ils ne se réduisent pas, ce sont les achats d'équipement qui constitueront la variable d'ajustement du ministère de la défense. Les frais de fonctionnement et de personnel s'imposent. L'état-major ne sait pas encore très bien à quel rythme il va pouvoir faire baisser ses effectifs...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Et si la loi n'est pas votée ?
M. Christian Mons. - C'est un autre sujet...
Quels sont les points de fragilité du dispositif ? Les ressources exceptionnelles et les conditions de renégociation des contrats déjà signés nous semblent constituer un point de difficulté. Le ministère de la défense, tout comme nous, devra suivre au plus près ces vulnérabilités. Nous avons identifié trois points clés...
En premier lieu, il ne faut pas relâcher l'effort sur la R et T. Vous avez cité le chiffre de 730 millions d'euros : c'est la condition du maintien de nos bureaux d'études. Certes, il nous faudrait au moins un milliard, mais il faudrait aussi que l'industrie d'armement terrestre reçoive plus que les 50 millions d'euros qui y sont affectés, les 730 millions étant pour moitié captés par le nucléaire stratégique et par la Direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA DAM).
Le nucléaire représente environ 200 millions sur 730. Il est toujours difficile de définir précisément le nucléaire stratégique, dont font partie le Rafale, les missiles, le porte-avions et son escadre...
M. Jean-Pierre Chevènement. - On ne peut avoir une définition aussi englobante ! Le porte-avions, le Rafale, etc., sont multi-rôles...
M. Christian Mons. - Le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT) ne reçoit que 50 millions d'euros de R et T sur les 730, ce qui est très peu pour une industrie importante, et pour une armée qui est engagée très régulièrement dans les opérations extérieures...
M. Jean-Pierre Chevènement. - On ne peut réduire cela à un petit agrégat !
M. Jeanny Lorgeoux . - Vous voulez dire que l'armée de terre est moins bien lotie que les autres...
M. Christian Mons. - Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. - L'industrie d'armement terrestre est beaucoup moins puissante que des groupes comme EADS, ou Thales...
M. Christian Mons. - Thales fait partie de l'armement terrestre. EADS également...
Thales vient d'être attributaire du contrat « Contact », qui constitue un élément de Scorpion, et qui concerne les communications numériques modernes. Les activités de recherches terrestres obtiennent moins de subsides.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Les blindés n'ont plus guère de progrès à faire...
M. Christian Mons. - Ils continuent à en faire ! Les blindés de la précédente génération ne résistent pas aux menaces actuelles. On va être obligé de les surprotéger...
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) constitue un point dur, qui peut déstabiliser toute la programmation. On doit trouver ensemble les moyens de contrôler les coûts et de mieux planifier, afin d'éviter les surprises. La solution passe selon nous par une redéfinition de la relation entre l'Etat et l'industrie, dans la gestion et la mise en oeuvre du MCO. L'industrie est prête à prendre plus de travail en matière de soutien, sans pour autant aller jusqu'à une externalisation complète, qu'il serait difficile d'opérer.
L'exportation reste un point clé : la LPM rend obligatoire l'obtention de contrats à l'exportation très significatifs, afin d'éviter les conséquences sociales de l'étalement des principaux programmes d'armement. Il faut être réaliste : je ne suis pas certain que les perspectives actuelles permettront de compenser les futures baisses du marché national !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Pensez-vous que Dassault ne puisse pas vendre ses Rafale ?
M. Christian Mons. - J'espère qu'il n'en sera rien ! Si tel n'était pas le cas, ce serait pire : nous serions obligés d'en acheter une partie...
M. Jeanny Lorgeoux. - Supposons qu'il les vende...
M. Christian Mons. - Cela aura une conséquence positive sur une bonne partie de l'industrie.
M. Jeanny Lorgeoux. - Poursuivez votre raisonnement...
M. Christian Mons. - Nos ventes à l'exportation sont plates. Depuis quelques années, elles n'augmentent plus.
M. Jeanny Lorgeoux. - Pour quelles raisons ?
M. Christian Mons. - A cause de la concurrence ! Les budgets de défense augmentent essentiellement en Asie, en Asie centrale et en Russie...
M. Jeanny Lorgeoux. - Nos produits sont-ils mauvais ? Les vend-on mal ?
M. Christian Mons. - Nos produits sont excellents et au niveau de compétitivité souhaité. Les produits de très haute technologie -aéronautique et missiles- n'ont que peu de concurrence étrangère. Les Chinois viennent toutefois de vendre des missiles de défense aérienne aux Turcs. On l'a annoncé il y a deux jours... Cela doit faire réfléchir ! C'est très inquiétant.
Nous avons, dans le domaine des plates-formes terrestres, par rapport à des pays émergents comme la Turquie, la Corée du Sud, l'Afrique du Sud, le Brésil ou Israël, des produits certes excellents et compétitifs, sûrement meilleurs que les leurs, mais qui ne font pas la différence compte tenu de l'écart de prix ! A tonnage équivalent, à puissance moteur équivalente, à niveau de protection équivalent, ils sont deux fois moins chers que les nôtres !
M. Jean-Louis Carrère, président. - On vient de perdre le marché turc, qui a préféré les missiles chinois...
M. Daniel Reiner. - Ce n'est pas signé !
M. Christian Mons. - Cela a été annoncé ! On a indéniablement un problème de compétitivité : nos coûts horaires sont élevés.
Quand on vend de l'aéronautique, la barrière d'entrée est très élevée. Les concurrents sont donc moins durs, mais sur des produits où la technologie est plus facile à acquérir, on a face à nous des pays très compétitifs et dangereux, qui freinent nos exportations. C'est un constat que l'on est obligé de faire.
M. Gilbert Roger. - Il faut donc vous assurer des commandes minimales, ne pas exiger trop à l'export parce qu'on est moins bons que les autres et, en outre, que le niveau de rémunération soit le plus bas possible !
Je suis fondamentalement en désaccord avec vous ! Vous vous trompez ! Plus la masse salariale est basse, avec des gens peu formés, moins vous serez compétitifs et performants !
M. Christian Mons. - Nos personnels sont très bien formés, et ont de très bons salaires...
M. Gilbert Roger. - Vous nous expliquez depuis un quart d'heure qu'il ne faudrait pas que ce soit le cas : c'est insupportable !
M. Christian Mons. - Non ! J'ai expliqué que d'autres n'avaient malheureusement ni ces salaires, ni ces conditions de travail, mais que, dans certains cas, leur productivité pouvait être comparable.
L'exportation est vitale pour nos industries et la préservation de notre savoir-faire. Nous demandons que la réforme de la gouvernance du ministère de la défense, dans son volet consacré aux relations internationales, ne désorganise pas ce mécanisme. Les grands contrats font l'objet d'une mobilisation forte du Gouvernement, du ministère de la défense et de la représentation nationale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
L'effort doit être maintenu, car tous les systémiers sont concernés par les étalements de programmes, avec un impact direct sur leurs fournisseurs.
Je tiens à saluer à nouveau ici l'investissement des parlementaires, au travers des missions conduites dans des pays disposant d'un Parlement, qui participent à l'effort national au service des exportations de la défense. La poursuite de cette mobilisation personnelle des plus hauts représentants de l'Etat et du Parlement est vitale, face à une concurrence acharnée, dont les tenants se mobilisent très largement auprès des autorités étatiques et politiques.
Je voudrais plaider également pour un effort particulier en faveur des PME, ainsi que des contrats de taille moyenne. Les très grands contrats bénéficient du soutien des instances gouvernementales, mais le degré de mobilisation n'est pas aussi important pour les contrats de taille moyenne.
La mesure n° 15 du pacte de défense des PME, présenté il y a près d'un an par le ministre de la défense, va dans ce sens, puisqu'elle crée un label « DGA testé » permettant aux PME de garantir qu'un de leurs produits a été testé selon les processus en vigueur à la Direction générale de l'armement (DGA). Ce label est destiné à permettre à nos PME et ETI de gagner de nouveaux marchés. Le premier label a été délivré en juin dernier. J'espère qu'il y en aura d'autres, car cela correspond aux besoins de nos PME.
La mesure n° 16 du pacte annonce que le réseau international du ministère sera mobilisé pour accompagner les PME à l'exportation, faciliter leur positionnement et leurs contacts. Afin de rendre cette mesure pleinement opérante, il conviendrait que le dispositif soit renforcé, notamment à l'échelle des postes d'attachés d'armement, qui sont peu nombreux...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Faites-vous allusions aux ambassades ?
M. Christian Mons. - Oui.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Tout cela représente des impôts supplémentaires ! Le ministre des affaires étrangères, que nous avons entendu ce matin, nous disait qu'il comprimait des postes et les mutualisait...
M. Christian Mons. - Il nous faut des exportations !
D'autre part, l'une des spécificités de la défense réside dans le fait que les étrangers ne veulent pas être le client de lancement d'un produit. Ils n'achètent que ce qui est déjà utilisé par le client national. C'est pourquoi le rôle de soutien des armées à nos actions à l'exportation est fondamental. Nous apprécions tout particulièrement les prêts de matériels pour des démonstrations à l'étranger, ainsi que la participation à des missions à l'étranger, sous réserve que les coûts laissés à la charge des industriels soient raisonnables, notamment pour les PME.
Les deux derniers documents de l'EMA-RI devraient apporter une meilleure cohérence des procédures et réglementations de mise à disposition des moyens des armées aux industries de défense, mais il ne faudrait pas que l'application à la lettre de ces réglementations génère une rigidité excessive du dispositif, nuisible aux industriels, notamment les PME de la défense. Il faut en fait comprendre que les prix de ces interventions vont considérablement augmenter.
D'autre part, le CIDEF recommande et appelle de ses voeux depuis assez longtemps la création, au sein des armées, d'une cellule apte à assurer la présentation des équipements utilisés en opération, comme le font les Britanniques. On s'est rendu compte, à l'usage, qu'un certain nombre de présentations de matériel, surtout dans le domaine terrestre, étaient ratées, dont des présentations importantes à la presse, l'état-major n'ayant pas mis les meilleures compétences en ligne pour assurer la démonstration. Lors de l'Eurosatory, l'année dernière, Caesar a fait trois fois long feu, les militaires l'utilisant étant équipés d'AuF1 et ne connaissant pas ce matériel. Devant la presse étrangère, c'est du meilleur effet !
Les Britanniques sont très efficaces dans ce domaine : c'est une brigade spécialisée qui réalise les démonstrations ; elle s'entraîne dans cette optique, et soutient les industriels régulièrement. Si on le fait artisanalement, on manque d'efficacité.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Par qui sont-ils payés ?
M. Christian Mons. - Je pense qu'ils sont payés par les impôts et, en partie, par les industriels. Les industriels veulent bien payer des prestations, à condition qu'elles soient de qualité. Dans le domaine aéronautique, cela se passe très bien. L'armée de l'air est très efficace, et les essais en vol très performants.
L'attribution de subventions via les groupements professionnels est un élément très important pour les PME. Les exposants du pavillon France aident beaucoup les entreprises à exposer à l'étranger, de façon qu'elles puissent promouvoir leurs produits. Les subventions que l'on reçoit sont donc essentielles pour accompagner les PME sur les salons de défense internationaux, et je souhaite que l'on protège ces dépenses, qui ont un rôle important d'entraînement et de multiplication.
En matière de contrôle, nous nous félicitons de la mise en oeuvre prochaine des nouveaux outils et procédures de contrôle, prévus avant la fin de l'année ; ceci devrait permettre de remédier à un certain nombre de difficultés que nous rencontrons encore trop souvent, et accélérer les procédures de contrôle pour les entreprises. Cette mise en oeuvre devra faire néanmoins l'objet d'une vigilance toute particulière, afin de prévenir tout dysfonctionnement d'un système qui a pour objectif de permettre aux industriels d'exporter dans de meilleures conditions, tout en garantissant le strict respect des principes fondamentaux de contrôle des exportations de la France.
Nous allons changer de système informatique : il ne faudrait pas qu'un blocage intervienne à cette occasion. Je ne reviens pas sur les problèmes de Chorus, ou de Louvois. Cela peut induire des délais néfastes pour nos exportations. Nos autorisations d'exportation sont toujours sur le fil du rasoir. On est souvent obligé de demander des dérogations et une accélération de la procédure. Il faut rester très vigilant...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Avez-vous été associés à la définition du système ?
M. Christian Mons. - Absolument. Nous réalisons en ce moment des tests à blanc, mais je rappelle qu'il existe 600 à 700 commissions interministérielles pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMMG) par mois. Un système administratif se grippe assez vite lorsqu'il est soumis à de tels chiffres. Une CIEMMG est une instance assez complexe, qui implique beaucoup de ministères et de fonctionnaires...
M. Jean-Louis Carrère, président. - La parole est aux commissaires...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Pouvez-vous nous parler du Giat ?
M. Christian Mons. - C'est l'une des questions que M. Jacques Gautier m'a posée.
Nos industries n'ont pas toutes besoin d'être consolidées de la même manière. Dans le domaine aéronautique, elles ont à présent la taille critique ; le domaine naval est un sujet complexe, où les choses restent sûrement en partie à réaliser, mais DCNS a indéniablement une taille européenne, voire mondiale. Elle dispose de beaucoup de produits, dont certains très performants. L'urgence est donc moindre par rapport au domaine terrestre, où rien n'a été fait -ou pas grand-chose, en dehors de ce qu'ont réalisé les industriels privés, comme Renault Trucks, en consolidant ACMAT et Panhard, et quelques autres.
La question de Giat et de Nexter est ouverte, mais nécessite une décision politique. Tant que celle-ci ne sera pas prise, rien ne se passera. Cela fait plusieurs années qu'on en parle. La décision politique ne venant pas, le dispositif est bloqué.
Une opportunité se dessine avec le lancement de Scorpion, pour ce qui concerne les plates-formes terrestres, certaines parties étant déjà lancées, comme la communication, ou les systèmes d'information. On a devant nous deux très gros lancements, celui du véhicule blindé multi-rôles (VBMR) et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC). C'est sur la base de ces projets qu'il faudrait assurer une consolidation industrielle.
Malheureusement, il n'existe jusqu'à présent aucune industrie de défense européenne, ni de politique européenne de défense des industries d'armement. En effet, on n'a pas été capable d'harmoniser les demandes des différents états-majors, de façon à pouvoir faire converger les consolidations industrielles sur des programmes multilatéraux. Il existe actuellement en Europe onze programmes de 8 x 8...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Qu'est-ce que le 8 x 8 ?
M. Christian Mons. - Il s'agit du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI). Aux Etats-Unis, il n'y a qu'un seul programme. Au total, il devrait y avoir en Europe environ 4 000 8 x 8. Cela en fait très peu par programme : 600 VBCI pour la France...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le Giat avait été doté de statuts qui lui permettaient d'évoluer, il y a de cela une douzaine d'années. Il n'a pas su prendre le tournant qui a accompagné la fin de la guerre froide, et s'est retrouvé avec le char Leclerc sur les bras, une réduction de cible, etc.
Du point de vue de l'artillerie, un certain nombre de matériels ont bien sûr évolué, comme l'AuF1, ou le Caesar. Qu'est-ce qui explique l'atrophie de l'industrie française d'armement terrestre par rapport à l'industrie allemande ?
La taille de l'armée allemande n'est pas tellement supérieure à la nôtre. La force des groupes allemands, comme Krauss-Maffei et Rheinmetall, vient des liens qu'ils entretiennent entre eux, et d'une volonté politique de les maintenir. Je suis surpris que notre industrie d'armement terrestre s'étiole au fil des ans. Giat Nexter est toujours en activité, mais les groupes allemands prospèrent, et il en va de même dans l'industrie navale allemande. Il y a là quelque chose qui m'échappe...
M. Christian Mons. - L'industrie navale allemande ne va pas aussi bien que cela. La situation de ThyssenKrupp n'est pas si bonne...
Pour ce qui est de Krauss-Maffei Wegmann et de Rheinmetall, ce que vous dites est juste. Ce sont des entreprises prospères. Krauss-Maffei est un « single player » de l'armement terrestre, alors que Rheinmetall est un « dual player ». Son activité civile automobile lui permet de jongler élégamment avec les contracycliques.
Ces industries sont fortement soutenues par leur Gouvernement, en particulier à l'exportation ; elles ont réussi à vendre le Leopard à quatorze pays. Krauss-Maffei, qui est une entreprise légèrement plus grosse que Nexter, qui représente environ un milliard d'euros de chiffre d'affaires, a plus de 4 milliards d'euros de carnets de commande, ce qui lui assure plusieurs années de plan de charge...
M. Gilbert Roger. - Le problème de Chorus et de Louvois vient du fait qu'ils ont été conçus par des sociétés privées qui n'étaient pas des entreprises de premier plan. Nous avons appris hier qu'on allait lancer un appel international. Il semble qu'il n'existe que deux entreprises étrangères capables de livrer un nouveau logiciel d'ici à deux ou trois ans. L'Etat n'est donc pas toujours le seul à se tromper. Il arrive parfois que ce soit le cas des entreprises privées !
Un certain nombre de représentants de l'industrie, persuadés que leurs produits sont bons, semblent faire preuve de suffisance, et ne se posent pas les bonnes questions. Les exemples du char Leclerc ou du Rafale montrent une certaine limite de nos compétences !
Par ailleurs, comment les entreprises de grande taille pourraient-elles aider les PME à l'exportation ? Les choses sont tellement compliquées qu'on a le sentiment que ces dernières ne savent pas comment faire. Comment améliorer la situation ?
M. Christian Mons. - Les grandes entreprises exportatrices emmènent très souvent les PME et leurs sous-traitants sur leurs marchés à l'exportation, notamment ceux qui demandent des compensations locales.
Parmi les 4 000 PME et ETI du secteur de la défense, il existe des compétences originales. Celles-ci sont, dans une certaine mesure, protégées, les grands groupes en ayant besoin. Ce sont les entreprises qui fournissent des ressources qui sont les plus menacées. Lorsqu'on réduit la taille du gâteau, les grandes entreprises, assez naturellement, ont tendance à charger leur propre personnel et à moins sous-traiter. On ne peut le leur reprocher.
Les grandes entreprises prennent soin de leurs partenaires qui ont des compétences critiques, mais une bonne moitié peut servir de variable d'ajustement en période de crise. C'est humain, et l'on peut difficilement aller contre.
M. Jean-Louis Carrère, président. - J'étais avec le Premier ministre pour essayer de faire accélérer la procédure d'instruction de la LPM, car je pense que plus on la diffère, plus on risque de pénaliser ce secteur. Je ne suis pas sûr d'avoir obtenu gain de cause, mais j'espère y être parvenu...
Tous les bancs partagent ici la même analyse, et nous avons évité de faire preuve de sectarisme. Quelle est la ligne de conduite d'une commission comme la nôtre pour essayer d'aller vers la moins mauvaise solution budgétaire ? Nous nous sommes battus, dans une période objectivement complexe, pour essayer d'imposer, par le biais des arbitrages du chef des armées, un budget qui ne condamne pas la défense de notre pays, ni ses industries. Nous avons considéré le format des armées, l'état des risques, la nécessité de mettre en chantier des matériels qui assurent à notre armée une plus grande performante. Nous avons pris en compte les 160 000 et quelques emplois de l'industrie de la défense. Nous nous sommes battus sur tous les fronts, avec une convergence absolue.
Nous sommes arrivés à un arbitrage -je vous le dis sans détour- qui ne nous agrée pas, mais que nous considérons comme le moins mauvais possible...
M. Christian Mons. - Je vous en ai d'ailleurs rendu hommage dans mon introduction...
M. Jean-Louis Carrère, président. - On est maintenant à la croisée des chemins. La LPM est ce qu'elle est, mais c'est la moins mauvaise déclinaison possible du Livre blanc. Nous nous sommes, dès lors, attelés à son instruction.
On peut, considérant que cette loi comporte trop d'insuffisances, la refuser. On a aussi la possibilité, sachant que l'on peut difficilement infléchir son volume, de la sécuriser au maximum, de travailler sur les ressources exceptionnelles, les OPEX et le contrôle, afin qu'il y ait le moins possible de lissage et de prélèvements momentanés.
J'ai écouté avec grand intérêt toutes les personnes que nous avons auditionnées. On peut se demander si on ne se trompe pas en voulant sécuriser cette LPM. C'est la question que je pose -et que je vous adresse...
M. Christian Mons. - Je ne sais pas y répondre. Vous avez choisi de préserver l'ensemble des programmes ; c'est très bien d'une certaine façon, mais cela présente un risque de sous-criticité de l'ensemble. A force de délayer, on finit par n'avoir que des programmes déliquescents. Les coûts unitaires montent, et la compétitivité globale en pâtit. C'est le choix du père de famille qui préserve tous ses enfants. Ce n'est pas toujours le choix économiquement le plus viable...
M. Jeanny Lorgeoux. - S'il avait fallu faire le choix de la criticité, quels programmes auriez-vous supprimés ?
M. Christian Mons. - Je ne sais pas. Il y a en ce moment beaucoup de débats autour de la composante aérienne nucléaire, etc. C'est une décision politique...
Le choix que vous avez fait s'inscrit dans la continuité ; il essaye de préserver l'ensemble des programmes et l'équipement de l'ensemble des forces.
Le véhicule de l'avant blindé (VAB) a plus de quarante ans de service, et va encore être en service durant une dizaine d'années. Il aura alors un demi-siècle. Pour un camion blindé, c'est très long ! Nos industriels gardent leurs camions trois ans !
M. Jean-Louis Carrère, président. - Il était quasiment indispensable de tout maintenir. Si on n'avait pas agi ainsi, qu'est-ce qui prouve qu'on n'aurait pas pioché plus encore dans l'armée de terre ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Cela dépend aussi de la capacité de ceux qui ont la charge de la mettre en oeuvre de le faire !
M. Christian Mons. - Oui, mais la DGA est très performante en matière d'organisation des programmes, tout comme nos états-majors le sont en matière de définition de besoins.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Un général avec qui j'ai récemment discuté dans les Landes, qui n'est plus en exercice, mais qui a commandé une base stratégique importante, m'a posé la question : pourquoi ne réduit-on pas ou n'abandonne-t-on pas notre effort en matière de dissuasion nucléaire, quitte à avoir un format d'armée de nature différente ?
M. Jeanny Lorgeoux. - J'y faisais allusion !
M. Xavier Pintat. - Il s'agit d'une fausse économie, qui représente 300 millions sur 3 milliards. La composante nucléaire a été refaite à neuf. Elle est composée d'avions multi-rôles. J'ai cru comprendre que certains missiles embarqués dans les sous-marins ne fonctionnaient pas toujours. Il est donc utile d'avoir deux composantes crédibles modulables. En outre, ces économies ne s'appliqueront qu'en 2025 ou 2030... Cela ne solutionne donc pas immédiatement nos problèmes.
Vous avez souligné l'effort particulier en faveur des PME. Je crois qu'il est bon de les aider à se diversifier, même les moins fragiles. Certes, cela concerne la LPM, mais pas seulement. Peut-être y a-t-il des actions à mener à l'échelon européen et régional. Comment les choses se passent-elles ailleurs ?
M. Christian Mons. - En Allemagne, la structure industrielle est différente de celle que l'on trouve en France. Il existe moins de grandes croupes et plus d'ETI. D'autre part, la structuration des grandes industries est assez différente de la structuration française. Elle s'appuie sur les Länder, avec l'aide des Konzern. Les grandes entreprises allemandes vivent avec un tissu de PME qui leur sont attachées, qui font partie de leur territoire et de leur famille. Ces PME ont pour caractéristique de ne pratiquement travailler que pour les groupes auxquels elles sont attachées.
La structuration anglaise est plus proche de la nôtre. Les PME anglaises ont une caractéristique que n'ont pas nos sociétés, le marché américain leur étant pratiquement ouvert. Les entreprises françaises ont beaucoup plus de difficultés à le pénétrer.
M. Daniel Reiner. - Vous représentez les industries de la défense. Nous avons rencontré les représentants et quelques patrons de PME de la défense à l'occasion de cette LPM. Tous se félicitent de ce pacte européen de défense, mais souhaitent que les choses soient mises en oeuvre. Ils souhaitent toutefois savoir comment contrôler ce sujet. Votre organisme a-t-il mis en place un observatoire de la bonne application de cette charte ?
M. Christian Mons. - Non, mais cela fait partie des suggestions à étudier. On a beaucoup de mal à suivre les PME. Nos organisations professionnelles comptent des spécialistes. Je suis président du GICAT, où des permanents s'occupent spécifiquement de suivre les PME. 220 sont adhérentes, ainsi qu'une quinzaine de grands groupes et d'ETI.
Il est très difficile de suivre 200 PME. L'un de mes collaborateurs est chargé d'avoir un contact par an avec chacune d'elles, soit un par jour ouvrable, pour connaître leur état d'esprit, en tirer une synthèse, et être à l'affût des difficultés qu'elles peuvent rencontrer, afin de les aider. On essaie de faire remonter ces informations ; parfois, on réussit à faire en sorte que certaines sociétés soient reprises, fusionnent ou soient absorbées par d'autres. On évite ainsi qu'elles ne disparaissent. Une PME peut disparaître très vite, sans que personne ne s'en émeuve, mis à part le député ou le sénateur.
Les 20 000 emplois dont je parlais se trouvent en grande partie dans les PME. Les grands groupes ont bien souvent des activités duales, qui leur permettent d'équilibrer les charges entre le civil et le militaire, et bénéficient de variables d'ajustement. Les PME, qui sont en bout de chaîne, sont très vulnérables, réparties sur vos territoires, et peuvent disparaître sans qu'on s'en rende compte.
M. Daniel Reiner. - Ma question allait au-delà des emplois. Elle était liée à la relation entre la PME et la grande entreprise. Il y a une relation de sujétion entre l'une et l'autre, qui comporte parfois des excès et, en même temps, l'incapacité pour les PME d'exprimer réellement les choses, craignant en permanence de se voir exclues du système. Nous suggérons donc la mise en place d'une sorte d'observatoire, afin qu'il existe un lieu permettant d'éviter le face-à-face.
M. Christian Mons. - Nous allons suggérer à la DGA ou au ministère de la défense de créer une structure qui permette de suivre ce sujet et de dresser un bilan réel de l'efficacité de l'action.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Votons-nous cette LPM ?
M. Christian Mons. - Je pense que c'est la moins mauvaise que l'on pouvait espérer. Malheureusement, je crois que vous êtes obligés de la voter à peu près en l'état.
M. Jean-Louis Carrère, président. - On va essayer de la sécuriser...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Comment voyez-vous la suite du FAMAS ?
M. Christian Mons. - Cela pourra être une production française, mais probablement sous licence industrielle européenne. On n'a plus de petits calibres en France. Tout a été arrêté, même la fabrication de munitions, depuis que l'usine de Tulle a été fermée. On n'a plus de produits...
M. Jean-Pierre Chevènement. - N'est-ce pas l'occasion de remuscler la production ?
M. Christian Mons. - Je pense qu'il n'y en a pas assez...
M. Jean-Pierre Chevènement. - C'est un choix important, sans qu'on en soit vraiment conscient.
M. Christian Mons. - C'est un choix qui a été arrêté en son temps, en concertation entre l'état-major, la DGA et l'industrie.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Monsieur le président, je vous remercie et vous promets que nous essaierons de prendre en considération l'essentiel de vos observations. Nous en tiendrons compte au moment de notre débat, et lors du vote de la LPM.
Représentants des
syndicats
des personnels civils de la défense
Le 17 septembre 2013
M. Jean-Louis Carrère, président.- Je vous remercie d'avoir bien voulu accepter de venir devant notre commission pour échanger sur le projet de loi de programmation militaire. Je tenais à avoir le point de vue des représentants des syndicats des personnels civils de la défense :
- MM. Gilles Goulm et Yves Peyffer, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés ;
- MM. Christophe Henri et Gildas Peron de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat ;
- MM. Alain Le Cornec et Flavien Labille, de la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT ;
- Mme Véronique Denancé et M. Laurent Tintignac, de l'UNSA Défense ;
- MM. Henri-Philippe Bailly et Roland Denis, de la Fédération CGC-Défense ;
- MM. Yves Naudin et Erick Archat, de la Fédération CFTC du personnel du ministère de la défense et des établissements et structures connexes.
J'ai souhaité en effet que les syndicats des personnels civils de la défense puissent nous apporter leur éclairage sur ce projet de loi. Cette réforme met largement à contribution les personnels civils aussi bien dans la diminution des effectifs que dans les restructurations ou la mise en place des bases de défense. Sans plus attendre, je vous laisse la parole.
M. Gilles Goulm, pour la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés. - Pour Force Ouvrière, le projet de loi de programmation militaire (LPM) pose plus de questions qu'il ne donne de réponse. Nous ne nous exprimerons pas sur la politique de défense de la France, qui n'est pas de notre responsabilité, mais sur trois points.
Tout d'abord, la question budgétaire se présente comme constante sur les prochaines années, néanmoins elle pose des questions tout comme la précédente. En particulier, nous émettons des réserves sur les recettes exceptionnelles, comme c'était déjà le cas lors de la dernière LPM. Celles-ci ont servi, dès le projet de loi de finances 2009, à équilibrer le budget de la défense, mais n'ont jamais été réalisées à hauteur de ce qui était envisagé, expliquant en partie le manque de 3 milliards d'euros pour finaliser la précédent loi.
Le Ministre de la défense, cette année, insiste sur le fait que c'est un engagement du Président de la République et donc sera réalisé. Néanmoins nous souhaitons que la représentation nationale vérifie que ces recettes exceptionnelles sont bien au rendez-vous.
Ensuite, concernant les effectifs, la LPM supprime 24 000 emplois ! C'est encore le personnel qui fait l'effort. Nous rappelons que la RGPP au Ministère de la défense s'est poursuivie et qu'il reste, à ce titre, 10 000 suppressions d'emplois à effectuer. Ce n'est pas acceptable ! Nous sommes aux limites de l'exercice concernant les fonctions de soutien ! La réforme territoriale de 2008 a aggravé la situation, et le soutien n'est pas à hauteur de ce qu'il devrait être ! Cela influe sur les conditions de vie, d'hygiène, de sécurité ou encore les conditions de travail.
Les personnels civils, qui étaient de 145 000 il y a quinze ans et moins de 64 000 aujourd'hui, devront supporter encore 7 400 suppressions d'emplois, dont la moitié concernera les ouvriers d'État. Cela va à l'encontre de la civilianisation des effectifs sur les fonctions de soutien ! La proportion de civils par rapport aux militaires est globalement restée la même en début et en fin de RGPP. Nous demandons le rééquilibrage des effectifs militaires et civils sur les fonctions de soutien.
Concernant la réserve opérationnelle, nous demandons que des études soient menées quant à l'utilisation de cette réserve. Nous avons le sentiment qu'une vision idyllique prévaut, et qui se traduit par un budget, maintenu, de 70 millions d'euros. Certes, c'est un point important, néanmoins leur utilisation est trop souvent dévoyée, trop de réservistes sont employés pour combler les baisses d'effectifs des personnels civils sur des tâches administratives et de soutien.
Enfin, s'agissant des équipements, nous insistons sur le maintien en condition opérationnelle (MCO). Il y a pour nous une incohérence quand on parle du SIAé (service industriel de l'aéronautique) et des suppressions d'emplois : comment peut-on dire dans le projet de LPM que les suppressions d'emplois porteront exclusivement sur les dépenses de personnel du ministère de la défense titre II, et dans le rapport annexé indiquer que certaines porteront sur le service industriel de l'aéronautique, qui ne rémunère pas ses personnels sur le titre II ?
M. Jean-Louis Carrère, président.- Sur les recettes exceptionnelles, nous travaillons actuellement pour qu'elles soient intégrées dans la partie normative et non annexée. Nos préoccupations sont les mêmes que les vôtres, et nous emploierons les mêmes termes que ceux employés récemment par le Président de la République : qu'il y ait plusieurs séquences de prise en compte des recettes exceptionnelles ne nous désole pas, mais à la fin, si elles ne sont pas réalisées, que ce soit des crédits budgétaires.
Concernant les effectifs, notre modèle d'armée est différent du modèle précédent. Ce modèle, plutôt préconisé par le Livre blanc, ne projette pas le même nombre d'hommes, mais 30 000, nous avons donc fatalement une vision réduite. Le budget actuel de l'Etat ne permet pas de faire face aux effectifs que vous souhaiteriez, mais nous souhaitons introduire dans la loi les termes de notre volonté politique à tous : le niveau plancher auquel nous aspirons, comme étant le moins mauvais, doit évoluer jusqu'à atteindre 2 points de PIB norme OTAN en cas de retour à bonne fortune économique.
Enfin, s'agissant du MCO, nous tenons à tout ce qui englobe la préparation des forces, et maintien en condition opérationnelle. On veut un parc qui corresponde à nos besoins et qui soit maintenu en condition opérationnelle.
M. Christophe Henri, pour la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat.- La CFDT avait remis un document retraçant ses analyses et propositions pour la défense de demain et a saisi le chef des armées sur les risques d'une trop grande réduction de la part consacrée au budget de la défense. Nous préconisons la tenue d'États Généraux de la défense, rassemblant tous les acteurs concernés, afin de débattre des choix visant à préparer la défense de demain.
Le projet de LPM suit les principes posés par le Livre blanc, évitant un scénario catastrophe, tout en ajoutant 24 000 suppressions d'emplois au plan social en cours.
Nous avons été reçus par le Ministre de la défense et fait part de nos inquiétudes sur plusieurs sujets. Déjà, nous demandons à être associés aux travaux de la civilianisation, dont la feuille de route a été confiée à la direction des ressources humaines du ministère.
Les services du ministère de la défense sont en sous-effectifs et en surcharge de travail, nous contestons donc toute nouvelle coupe, prévue d'ici à 2019, qui ne pourra qu'ajouter de la souffrance au travail et des risques à la qualité du soutien aux armées.
La DGA, qui compte environ 10 000 agents, s'oriente vers un renforcement de sa capacité d'ingénierie. Elle a réduit ses implantations géographiques et subi de fortes réorganisations en termes de soutien. Ainsi, le transfert du soutien de l'infrastructure des centres d'essais vers le SID ne donne pas aujourd'hui satisfaction ! Les relations entre agents soutenants et soutenus sont dégradées, les procédures cloisonnées et inadaptées à la réactivité attendue de la DGA. En matière de cyberdéfense, pour être à même de faire face aux enjeux, la DGA doit maintenir ses effectifs et son soutien logistique. La réorganisation, depuis 2008, a eu des répercussions sur le moral des personnels. Or, l'efficacité de la DGA est déterminante !
Concernant les secteurs industriels sous tutelle, les salariés de DCNS et NEXTER ont démontré qu'une entreprise publique pouvait être performante et se développer. L'Etat actionnaire doit désormais leur donner les moyens de construire leur avenir.
Pour DCNS, les programmes FREMM et BARRACUDA sont maintenus dans leur intégralité mais avec un calendrier de livraison modifié. Pour le FREMM, cela aura des conséquences sur le plan de charge des établissements. DCNS se positionne également dans le secteur de l'énergie et a besoin de ces développements adjacents pour maintenir et développer les emplois industriels.
Pour NEXTER, c'est l'attente d'une vente de VBCI à l'export. Quant aux VBMR et EBRC, nous attendons que la notification de ces programmes coïncide avec la fin des programmes en cours pour lisser les plans de charge.
L'heure est au soutien de l'innovation, des études amont et aux recrutements nécessaires, ainsi qu'au développement d'activités duales. Le contexte de crise ne doit pas inciter à baisser la garde, au contraire ! La CFDT attend de l'Etat actionnaire un autre comportement face aux dividendes issus des résultats des entreprises et de l'implication de leurs salariés.
Enfin, nous sommes favorables à une Europe de la défense, synonyme de progrès, cohésion, au service des Etats membres, mais sans oublier les enjeux d'emploi et le progrès social.
M. Alain Le Cornec, pour la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT.- Nous notons 3 éléments depuis 2012 : le sommet de Chicago, qui a réaffirmé la place de la France au sein du commandement intégré de l'OTAN ; l'arrêté de suppression de 7 200 emplois au sein du ministère de la défense pour l'année 2013 ; et enfin le blocage des revalorisations des traitements et salaires des personnels civils.
A cela il faut ajouter la parution du nouveau Livre blanc dont découle la LPM. Celui-ci consacre son analyse à la structuration d'une armée de corps expéditionnaire prête à de multiples interventions extérieures, à la cybercriminalité, à l'Europe de la défense, aux éventuelles restructurations et disparitions d'emplois et d'entreprises et à la consolidation de l'OTAN pour s'occuper de la défense de l'Europe. Tout ceci dans un climat social et économique tendu.
Concernant la LPM, comment expliquer que la loi de finances va être présentée avant que les débats de la LPM n'aient eu lieu ? Quid du travail des Parlementaires sur cette LPM ? Le budget prévisionnel est de 190 milliards d'euros.
Concernant les recettes exceptionnelles, elles s'élèvent à 6,12 milliards d'euros, après la vente des fréquences et de biens immobiliers. Néanmoins, nous émettons de forts doutes quant à la possibilité de faire rentrer entièrement ces recettes. Un manque éventuel pourrait être pallié par la vente de parts de l'Etat dans les secteurs industriels de défense et autres, mais pour nous, rien ne peut justifier un tel bradage de notre industrie !
Concernant le budget, il est prévu des rentrées financières en fonction des multiples exportations d'armement. Nous estimons néanmoins que la France doit mener une réflexion sur sa politique d'exportation, car les armes ne sont pas des marchandises comme les autres. Nous notons également la signature du traité sur le commerce des armes.
Autre point, la consécration de 3 milliards par an à la force de dissuasion nucléaire pour les deux composantes océanique et aérienne. La CGT prône une défense suffisante et non agressive et s'oppose au maintien de cette arme de destruction massive.
Enfin, dernier point, nous souhaitons le respect des montants et de l'exécution budgétaire de la LPM.
Il doit y avoir des effectifs suffisants pour faire le travail, or nous constatons une déflation des effectifs de 34 000 postes, dont 7 400 postes de personnels civils, parmi lesquels 6 000 seront des personnels d'exécution. La mise en place d'environ 1 milliard d'euros pour encourager au départ est un gâchis financier, cette somme aurait été mieux employée à la revalorisation salariale de l'ensemble des personnels civils du ministère. La LPM marque un plan d'extinction des personnels d'exécution, nous ne devons pas transférer aux industriels nos savoir-faire. Ainsi la SIMMAD vient de donner le marché de MCO des hélicoptères PUMA à une entreprise espagnole pour la maintenance en métropole et à une entreprise portugaise pour celle hors métropole. La SIMMAD considère que nous ne pouvons satisfaire les commandes, mais comment le faire sans le personnel nécessaire en nombre et en qualification ?
Le corollaire à la suppression de 34 000 emplois est la fermeture de bases, de régiments et établissements. La liste connue des futures bases impactées ne cesse de croître, tant dans l'armée de l'air que l'armée de terre, particulièrement dans l'est de la France.
Pour les équipements, le projet de LPM prévoit la réduction approximative de 1 300 équipements. Cela ne tient pas compte de l'approvisionnement Félin, mais des avions, chars, camions, bateaux ... De nouveaux équipements devraient également être mis en place, d'autres mis à l'étude.
Néanmoins, la réduction du parc d'engins va poser la question du MCO. En effet, l'entretien se fait le plus souvent par des personnels de niveau 3, or le projet de loi préconise la suppression de 6 000 emplois d'exécution. Pour la CGT, il n'est nul besoin de prévoir 1 milliard pour faire partir les personnels, mais il faut des ressources financières pour un plan d'embauche à la hauteur de notre indépendance. Toute externalisation du MCO vers des entreprises privées a un coût financier, humain, ainsi qu'en termes d'aménagement du territoire. Nous encourageons les parlementaires que vous êtes à prévoir les amendements nécessaires pour le maintien des compétences au sein du ministère de la défense.
Concernant DCNS, les salariés et sous-traitants sont dans une situation incertaine. Outre l'incertitude du nombre de FREMM pour la France, entre 8 et 11, certains discours lors des dernières universités d'été annoncent la suppression de 2 000 postes à DCNS si l'Etat ne prend pas de position ferme quant au respect de la LPM.
Les PDG des industries majeures de défense ont écrit au Président de la République à propos de l'avenir de leurs entreprises. Nous n'accepterons pas la destruction des droits statutaires des agents pour les seuls intérêts financiers des grands groupes.
Nous notons aussi, dans ce projet de LPM, un manque d'ambition concernant la mise en place et le financement de filières de déconstruction de navires et d'aéronefs, porteurs d'emplois industriels.
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence la question de la mise en place d'une Europe de la défense et d'une industrie de défense européenne, chère à ce gouvernement. Puisque la France a consolidé sa place au sein du commandement intégré de l'OTAN, l'idée de défense européenne est nulle et non avenue ! Nous ne pouvons soutenir les deux doctrines financièrement. Le secteur industriel insiste pour que soit mise en place une industrie de défense européenne. Deux axes peuvent émerger : la coopération, sur laquelle la CGT ne s'oppose pas car cela permet à chaque pays de garder son autonomie de défense, ou la mutualisation, à laquelle nous nous opposons car elle provoquerait de facto la fermeture de sites.
La CGT prône une industrie souveraine et indépendante, structurée autour d'une doctrine de défense suffisante, dénucléarisée et non agressive.
M. Henri-Philippe Bailly, pour la Fédération CGC-Défense et l'UNSA Défense. - Merci de recevoir les organisations syndicales dans le cadre du débat sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019. Cette loi sur laquelle vous allez avoir à vous prononcer engagera la nation sur une durée bien plus longue que les six années à venir.
En préambule, UNSA Défense et Défense CGC veulent exprimer leur attachement à préserver une capacité de défense et de sécurité nationale assurant la souveraineté de la France. Elles sont néanmoins conscientes de la nécessité de préserver les finances publiques. Trouver un équilibre entre ces deux enjeux pour la nation nécessite la mise en place de modèles de gestion modernisés et efficients. Des enjeux qui nécessitent de la représentation nationale, comme de toutes les parties prenantes, une réelle volonté de changement traduite par des décisions courageuses, des actions volontaristes validées dans leur opportunité et leur faisabilité, un accompagnement à visage humain et une évaluation objective.
UNSA Défense et Défense CGC veulent aussi affirmer l'intérêt qu'elles portent à un dialogue responsable, innovant, toujours constructif mais sans faiblesse. Dialogue qui cherchera toujours à concilier développement économique, service public, progrès social et développement durable. Sans parti pris et sans corporatisme.
Fidèles à leurs engagements, nos organisations, dans le cadre de l'élaboration du Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale et de la loi de programmation militaire 2014-2019, ont porté à tous les niveaux de décision leur analyse de la situation et leurs contributions positives principalement articulées autour de quatre axes :
- la Défense a déjà payé un lourd tribut aux restructurations perdant une grande partie de sa capacité industrielle et réduisant à un seuil critique son niveau de compétence technique. Dans le même temps, de nombreuses emprises et établissements ont été fermés ou restructurés, engendrant localement des situations sociales difficiles, très difficiles même. Dans les choix à venir, la compétence technique doit être préservée, les efforts devant porter principalement sur la réduction des coûts de structures.
L'armée française doit être dimensionnée, entraînée et dotée d'équipements et d'un soutien logistique opérationnel performants, adaptés à ses missions de défense et de sécurité nationale. Elle doit être respectée et reconnue dans son rôle ;
- les emplois à caractère non opérationnel (ceux qui ne nécessitent pas l'emploi des armes) doivent être civilianisés et valorisés au travers de parcours professionnels attractifs. Ces derniers, par le biais d'une gestion unique des ressources humaines, devront assurer une complémentarité entre personnels militaires et civils. La civilianisation sera porteuse de gains significatifs sur la masse salariale du ministère que nos organisations estiment de l'ordre de 3 Md€ par an au terme de la démarche de rééquilibrage, hors gains induits sur les autres dépenses (habillement, restauration, logement, mobilité, formation, équipement des forces,...) ;
- le dialogue social doit être réellement modernisé et s'ouvrir sans tabou à l'organisation et au fonctionnement des services conformément à la loi sur la modernisation du dialogue social. Les comités techniques doivent avoir compétences pour traiter de ces aspects. Pour cela, il conviendra d'abandonner la dérogation propre à la Défense interdisant le dialogue à ce niveau (loi 84-16 - article 15).
UNSA Défense et Défense CGC ont retrouvé dans le Livre blanc et dans le projet de LPM des lignes d'actions qu'elles ont défendues. Elles sont néanmoins conscientes, compte tenu des forts enjeux de modernisation du ministère dans sa culture, son organisation et son fonctionnement, du manque d'ambition de certaines et des risques d'affaiblissement, voire de dénaturation d'autres.
Parmi les mesures qui manquent d'ambition, citons :
- la cible 2019 en matière d'effectifs qui, au-delà d'un simple repyramidage, ne consacre en rien une civilianisation des emplois, tout juste une stagnation du ratio entre personnels militaires et personnels civils (3 militaires pour 1 civil). Une cible qui n'optimise donc pas les gains sur la masse salariale ;
- des dispositions en faveur des départs volontaires (IDV) des personnels civils fonctionnaires qui restent insuffisantes et surtout continuent de marquer une iniquité de traitement avec les personnels militaires et civils à statut ouvrier. Comme pour ces derniers, l'IDV des fonctionnaires doit être défiscalisée ;
- des dispositions très insuffisantes en matière d'encouragement et d'accompagnement de la mobilité des personnels civils. Ces dispositions sont essentielles pour mettre en oeuvre une politique dynamique de parcours et d'évolutions professionnels.
Parmi les mesures qui présentent des risques d'affaiblissement, voire de dénaturation, figurent les ressources exceptionnelles (6,1 Md€ pour la période 2014-2019), certes détaillées dans le projet de LPM mais qui demeurent incertaines, voire hypothétiques ou basées sur l'abandon par l'Etat de certaines de ses participations industrielles. Le budget n'est pas encore voté, mais c'est malheureusement déjà une quasi-certitude : il ne sera pas tenu. Or l'expérience du passé démontre que les personnels sont les premières victimes des dépassements. Pour nos organisations, c'est totalement inenvisageable tant la contribution des personnels avec 34 000 suppressions de poste est hors norme. La LPM doit sanctuariser le fait que ces ressources exceptionnelles seront obligatoirement compensées chaque année par un abondement équivalent des crédits budgétaires si elles venaient à ne pas être réalisées en totalité ou en partie.
De la même façon, il nous paraît important d'évoquer ici la conduite des opérations industrielles, souvent envisagées sous l'angle du « faire faire » plutôt que du « faire ». Ainsi, nombre de mesures d'externalisations semblent conduites de façon dogmatique, occultant les compétences internes et privilégiant des économies à court terme. Les opérations de maintien en conditions opérationnelles (MCO) des matériels, pour ne citer qu'elles, sont de celles-ci. Les établissements du ministère qui concourent à ce dernier doivent être au contraire soutenus et avoir la confiance des armées. De trop nombreux exemples récents démontrent que, parfois, tout semble fait pour éviter de recourir aux prestations internes au bénéfice de l'externalisation.
Ceci n'est pas acceptable pour nos organisations et nous sommes prêts à débattre de façon particulière sur ce thème à la lumière d'exemples concrets.
L'analyse fonctionnelle des emplois du ministère demandée par le ministre au directeur des ressources humaines : ce mandat ministériel qui ne fait l'objet que de quelques lignes laconiques dans le rapport annexé du projet de LPM (page 41) doit dresser l'état des postes opérationnels (ceux qui nécessitent l'emploi des armes) et non opérationnels. Pour ce faire, il est absolument nécessaire que le projet de LPM chiffre et planifie le rééquilibrage entre personnels militaires et personnels civils. Nos organisations estiment l'équilibre à 120 000 militaires et 120 000 civils dont une partie pourra être composée des anciens militaires poursuivant leur carrière en tant que civils (donc réservistes potentiels) ou des militaires dans un emploi dit « de respiration » (donc non projetables durant cette période sauf absolue nécessité). Cette mission, essentielle pour la réforme de l'organisation et de la gouvernance du ministère, devra rouvrir la porte aux recrutements externes pour pouvoir faire face au renouvellement des compétences et au rajeunissement de la communauté des personnels civils. Elle doit donc être mieux décrite en termes d'organisation, de calendrier, d'objectifs, ainsi que d'engagement à donner suite dans les domaines tels que la caractérisation de parcours professionnels, l'accompagnement de la mobilité, les évolutions statutaires et règles de gestion associées. Une mission hautement sensible où il n'est pas question de « jouer aux apprentis sorciers » comme de la laisser dénaturer par corporatisme, d'un côté comme de l'autre.
UNSA Défense et Défense CGC concluront sur une contribution qui n'a pas formellement trouvé échos dans le projet de LPM malgré l'écoute qu'elle a reçue du ministre de la défense : un dialogue social qui se doit d'être ouvert sur les questions d'organisation et de fonctionnement du ministère. La lourdeur de la modification du Code de la défense a été évoquée. A la lecture du projet de LPM force est de constater le nombre important d'articles de ce dernier qui vont faire l'objet de modifications. Le frein est donc ailleurs. Pour répondre aux enjeux de la modernisation du ministère et se mettre aussi dans l'esprit de la loi sur la modernisation du dialogue social, les questions d'organisation et de fonctionnement du ministère doivent pouvoir être librement débattues avec les organisations syndicales du ministère afin de leur permettre de tenir leur rôle.
M. Yves Naudin, pour la Fédération CFTC du personnel du ministère de la défense et des établissements et structures connexes . - Le calendrier parlementaire proposé par le gouvernement fait que le projet de LPM passe en 1 ère lecture devant vous avant l'Assemblée nationale, et pour la 1 ère fois, de manière très singulière, avant que le ministre de la Défense nous l'ait présenté lui-même en tant que membre de l'exécutif ! Nous vous l'avons dit. Devant cet exercice nouveau, nous vous demandons d'excuser par avance la nature de certaines de nos remarques ou de nos questions pour lesquelles l'éclairage du ministre prévu lors de la réunion du 4 septembre mais reportée par lui à cause de la Syrie aurait été nécessaire !
La LPM contient des choses positives comme le maintien en euros constants de l'effort budgétaire Défense ou le lissage de programmes d'armement au lieu d'une simple suppression..., ce qui amoindrit les craintes que nous avions d'entendre, pendant les campagnes électorales, certaines composantes de la nouvelle majorité de remettre en cause profondément les choix militaires de la France ! « Trouver le bon équilibre entre les contraintes budgétaires de l'État tout en préservant un outil de défense performant ; vérité et ambition, c'est cette double volonté qui apparaît déjà dans le livre blanc et que je compte mettre en exergue dans la préparation de la loi de programmation militaire », comme le disait M. Le Drian lors de la présentation du Livre blanc, nous voulons bien le croire mais son projet comprend beaucoup de flou dans les questions relatives aux personnels.
Donc de manière très scolaire qui n'est pas pour vous déplaire, nous avons feuilleté ce projet de loi, la partie normative (avec une version à 36 articles répartis en 7 chapitres) et la partie annexée de 43 pages.
A l'article 3 : 190 milliards de CP euros courants, hors pensions, de 2014 à 2019 complétés par 6,1 milliards de ressources exceptionnelles ! Faut-il croire ces prévisions de ressources ?
A l'article 34, qui autorise le gouvernement à procéder par ordonnances dans 8 domaines différents, concernant 29 sous-rubriques, sorte de panier à la Prévert, de l'accessoire au plus sérieux, le 5° paragraphe s'intitulant « modifier les dispositions statutaires relatives aux militaires et aux fonctionnaires civils » a particulièrement retenu notre attention : « e) modifier les dispositions organisant l'accès à la fonction publique afin notamment de modifier les titres II, III et IV du statut général des fonctionnaires, afin de permettre aux militaires de se porter candidat aux concours internes des 3 FP ». Quelle est la nécessité d'une telle mesure, et quelles sont les modalités d'application d'un article L.4139-1 qui existe déjà ?
Nous demandons une ordonnance pour l'harmonisation fiscale des primes de restructuration des fonctionnaires sur celles des OE et des PM.
L'Europe de la Défense est en panne. Nous sommes d'accord avec M. Reiner, auteur du rapport du 3 juillet 2013 « Pour en finir avec L'Europe de la défense- vers une défense européenne » ! Oui c'est une nécessité que de la relancer toujours et encore. Il est écrit dans le rapport annexé (page 7) qu'en raison des menaces et des risques auxquels les Européens sont pareillement exposés, une impulsion - nous rajoutons très forte - provienne du Conseil européen : opérations conjointes de prévention, sur les opérations extérieures et sur des programmes d'armements les plus onéreux ! On peut regretter qu'il n'y ait aucune perspective de coopération pour remplacer le Charles de Gaulle...
Au moment où la France s'apprête à consacrer 190 milliards d'euros courants sur la période à raison de 31 milliards par an, elle continue à s'obliger de respecter les fameux 3% d'endettement de son PIB, tout comme le Luxembourg ou les autres pays aux budgets de la Défense si ridiculement bas ! Nous continuons à vous pousser de demander à déroger à ce critère dit de Maastricht, qui s'applique de la même façon à tous les partenaires européens, quel que soit le pourcentage budgétaire consacré à leur défense et rapporté à leur PIB !
A la page 32 du rapport annexé : Coopération industrielle : « La dispersion et la fragmentation actuelles de l'industrie de défense en Europe sont une source de duplications inutiles et coûteuses, un facteur de faiblesse sur le plan de la compétitivité économique comme sur le plan politique par les divisions qu'elles entraînent ». Ce n'est pas la 1 ère LPM qui dresse ce constat ; on en est toujours au même point ! Quelle initiative la nouvelle majorité peut-elle prendre pour que dans 6 ans on ne ré-écrive pas encore la même chose ?
Nous notons, non sans perplexité, que nous continuerons à consacrer près de 4 milliards d'euros par an pour le maintien en condition de notre force nucléaire à deux composantes. Certains parlementaires s'en étonnent aussi en disant qu'on aurait dû réviser la force de dissuasion. Peut-on encore s'offrir deux composantes, au moment où nous avons trop de trous capacitaires ? Le chef des armées en a décidé ainsi.
A la page 14, cyberdéfense : « les ressources humaines seront accrues grâce à un plan de renforcement concernant notamment plusieurs centaines de spécialistes ». De quelle nature est le statut du recrutement ?
A la page 20 : « 26 nouveaux Rafale -seulement- seront livrés sur la période à l'armée de l'air et à la marine, livraisons à l'exportation de Rafale comprises, hypothétiques, bien sûr, à moins que vous ayez des éléments plus concrets.
A la page 21 : « ce nouveau format d'armée induit de nouvelles restructurations ... », que pouvez-vous nous dire sur l'impact de ces nouvelles restructurations sur le soutien central et déconcentré et l'impact sur le personnel civil ?
« Le SSA engagera une reconfiguration obéissant à un double principe de concentration sur ses missions majeures et d'ouverture dynamique sur la santé publique » : des rumeurs fortes circulaient lors de la préparation du Livre blanc sur la possible fermeture de deux HIA. Qu'en est-il ? Surtout qu'en page 41, il est écrit : « il est nécessaire de mener une rénovation lourde des hôpitaux des armées ». Avec quelle enveloppe et suivant quelles priorités ?
A la page 28 : « la préparation opérationnelle Terre » passe de 150 jours annuels à 90 jours !
A la page 29 : « politique industrielle : l'État mettra en oeuvre une politique d'actionnaire dynamique, d'association des salariés, privilégiant l'accompagnement des entreprises dans leurs choix stratégiques, le contrôle des activités de souveraineté etc. » Nous demandons des précisions et notamment quelles seront les conséquences pour NEXTER, DCNS, etc.
A la page 34 : « le financement des opérations extérieures : 450 millions d'euros seulement sont prévus annuellement au lieu de 630 millions auparavant ». Pourquoi diminuer alors que les interventions conventionnelles pourraient se multiplier ? Quel fut le coût pour l'opération au Mali ? Des États européens pourraient-ils cofinancer au moins de telles opérations dans l'avenir s'ils ne peuvent engager des troupes ?
A la page 35 : « Politique de RH et évolution des effectifs », on peut lire : « ce sont 82 000 suppressions de postes, hors externalisation, qui auront été réalisées au ministère de la défense en 12 ans, entre 2008 et 2019 ». Ce sont des chiffres édifiants d'une même politique qui perdure quel que soit le gouvernement !
Comment mieux maîtriser la masse salariale qu'en redéployant du personnel civil sur les postes qui leur reviennent naturellement ? On ne cesse de vous le dire depuis 2008 : oui nous apprécierons à sa juste mesure, le moment venu, le « triple principe de prévisibilité, d'équité et de transparence », pour ce qui concernera les réductions d'effectifs, davantage de réductions d'officiers et de sous-officiers que de personnels civils notamment dans le soutien non opérationnel, par exemple. Nous ne résistons pas au plaisir de vous faire part d'une citation du rapport que viennent de rendre les députés Gosselin-Fleury et Meslot dans le cadre de leur mission sur le suivi de la réorganisation du ministère de la défense : « on assiste à un curieux paradoxe : moins le ministère a d'effectifs, plus il a de dépenses de personnel ! »
La recherche de l'équité entre des personnels relevant des différents statuts, mais appartenant tous à la même communauté de la défense nous semble une idée importante à défendre.
A la page 40, sur « la déconcentration en province des services dont le maintien en région parisienne n'est pas indispensable », nous demanderons au ministre sa liste définitivement détaillée.
« Des restructurations seront coordonnées afin d'optimiser le plan de stationnement du ministère de la défense, dans un souci de mutualisation des soutiens, de densification des emprises etc. Un accompagnement immobilier en découlera ». Nous n'avons aucune information sur ces questions immobilières concernant la convention SEVELOR SNI pour les agents contraints de revendre leurs logements, ou concernant le devenir des friches Défense pour lesquelles ces mêmes agents ont contribué à leur entretien, ou sur tous les schémas directeurs immobiliers des nouvelles BDD.
Au chapitre 6 : « Politique de Ressources humaines et évolutions des effectifs », le Livre blanc de 2008 préconisait un nouvel équilibre, au sein du ministère de la défense, entre personnel militaire et personnel civil, en appelant à un recentrage des militaires sur les fonctions opérationnelles et une spécialisation des civils sur les fonctions administratives et de soutien. La mise en oeuvre de la déflation de 40 000 postes entre 2008 et 2012, sur les 54 900 prévus par le Livre blanc de 2008 pour la période 2009-2015, n'a pas permis d'amorcer suffisamment ce rééquilibrage, qui doit être poursuivi de façon volontariste. Il s'agit d'orienter chacune des catégories, civiles et militaires, vers son coeur de métier. Autre citation du rapport des députés Gosselin-Fleury et Meslot dans le cadre de leur mission sur le suivi de la réorganisation du ministère: « c'est l'une des marges de manoeuvre dont dispose le ministre ; on pourrait dégager des marges de manoeuvre en augmentant la proportion de civils. »
Dans le cadre de la modernisation, de la simplification et de l'optimisation de l'organisation territoriale des soutiens, il est prévu que les groupements de soutien de base de défense (GSBDD) seront intégrés dans le service du commissariat. Voilà la belle affaire ! Le bruit courait depuis juin. Pourquoi une telle décision technique ? Quelle sera la mission résiduelle du Centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS) et des États-majors de soutien Défense (EMSD) ?
Nous sommes enfin dans l'attente d'une communication du ministre sur l'employabilité de la réserve opérationnelle sur des postes extrêmement éloignés de l'opérationnel. Des postes d'administration générale et de soutien commun (AGSC).sont ainsi « cannibalisés par des réservistes.
« Le Président de la République a souhaité aussi, que la France tire le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein d'alliances, en particulier l'Alliance atlantique ». C'est la quatrième orientation du Livre Blanc, qui devra trouver un point d'orgue lors du prochain Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement qui se réunira à la fin décembre et qui aura cette grande question à l'ordre du jour.
M. André Dulait. - Quelle est votre appréciation sur la reconversion des personnels après restructuration ? Disposez-vous d'éléments statistiques sur les personnels reconvertis ?
M. Gilles Goulm. - Nous ne disposons pas de chiffres précis. Les éléments qui ressortent des comités de suivi concernent les versements d'indemnités de départ volontaire ou les reclassements. Il faut également prendre en considération, chez les personnels reclassés, les conséquences indirectes, notamment celles des mobilités éloignées. Quant aux reclassements dans les autres fonctions publiques, sauf exception, les résultats ont été décevants. Ce n'est d'ailleurs pas anormal car l'ensemble des administrations d'État, locales et hospitalières connaissent des restructurations et des déflations d'effectifs.
M. Alain Le Cornec - Nous n'avons pas de chiffres. Il faut aussi insister sur les conséquences familiales : les cas de divorces ou de pertes d'emploi des conjoints. Nous avons demandé des études, mais en vain, au ministère de la défense.
M. Erick Archat, pour la Fédération CFTC du personnel du ministère de la défense et des établissements et structures connexes. - Lors de la dernière commission de suivi des restructurations, il a été indiqué que 13 500 personnes avaient bénéficié d'une indemnisation sur la durée de la loi de programmation, cela inclut les déménagements après reclassement fonctionnel à plus de 20 km du lieu de travail précédent.
M. Christophe Henri - Le ministère de la défense a joué le jeu lorsque d'autres administrations ont connu des restructurations, mais les autres ministères n'ont pas joué le jeu vis-à-vis de la Défense, ni les collectivités territoriales, et notamment pour les ouvriers de l'Etat malgré le dispositif de mise à disposition compensée.
M. Daniel Reiner. - Nous partageons certains de vos commentaires sur le montant maintenu de l'enveloppe financière, sur le niveau des ressources exceptionnelles et sur les effectifs qui sont la conséquence du format défini par le Livre blanc.
Sur les équipements, il y a des programmes qui sont décalés dans le temps. Observons que 8 programmes majeurs consomment plus de 80% des crédits. Les décalages touchent l'ensemble des programmes y compris certains programmes majeurs comme le Rafale. Le pari est fait que les exportations viendront compenser pour l'industriel, cet étalement. A défaut, compte tenu des obligations contractuelles, il y aura une clause de revoyure, car on ne va pas laisser s'effondrer la filière de construction des avions de chasse.
La défense ne peut pas vivre sans les exportations d'armements. C'est une nécessité absolue pour maintenir l'effort de recherche et de développement pour l'ensemble des produits. Certains demandent un contrôle parlementaire comme dans certains pays européens, mais cela peut conduire à des difficultés à exporter un certain nombre de produits dès lors qu'il y a une multiplication des intervenants.
Nous sommes condamnés à trouver des solutions aussi intelligentes que possible pour réaliser des économies. Nous avons des exemples de mutualisations réussies et efficaces comme celle l'EATC (European Air transport Command). Si on trouve des formules de ce type, on ne peut qu'y être favorable. On ne peut être dogmatique sur ce sujet.
Les groupes de travail au sein de la commission du Livre blanc ont abordé la question de la répartition entre industriels et service de l'Etat pour l'entretien programmé du matériel. Ce qui doit nous guider, c'est la recherche de la solution la plus efficace, ce qui conduit à un partage. Il faut aussi aller raisonnablement, dans certains cas, au moindre coût, quitte à recourir à des marchés publics. Les coûts du maintien en conditions opérationnelles (MCO) augmentent de plus en plus et il est nécessaire de rechercher des solutions plus économes.
De la même façon, il n'y a pas de théologies sur le sujet des externalisations. Elles sont intéressantes, dans certains cas, mais l'objectif n'est pas d'élargir le périmètre de l'externalisation au-delà de ce qui est raisonnable. Nous sommes aussi conscients que pour maintenir le caractère opérationnel, il faut recourir à des forces propres.
Nous allons regarder de près le contenu de l'article 34. Le Parlement est toujours réticent lorsqu'il s'agit de confier au gouvernement le soin de légiférer par ordonnance.
M. Laurent Tintignac, pour l'UNSA Défense.- S'agissant des reconversions, il faut souligner la spécificité de certains métiers de la défense que l'on ne retrouve pas dans d'autres collectivités ou administrations et sur l'insuffisance de la formation au sein de la défense qui ne permet pas des reconversions avec des parcours professionnels adaptés.
Nous devons aussi faire part de notre inquiétude, si les projets d'exportation du Rafale ne se concrétisaient pas et sur les conséquences que cela impliquerait sur le budget de la défense.
Il faut souligner que la coopération européenne ou internationale sur certains programmes d'armement peut induire des demandes particulières, qui, comme ce fut le cas pour l'A400M, peuvent conduire à renchérir le coût du programme.
S'agissant des externalisations, nous nous sommes souvent heurtés à une attitude dogmatique du ministère qui préfère souvent le « faire faire » au « faire ». On l'a vu dans le cas de du parc de véhicules de la gamme commerciale. Pour l'habillement, il semble que l'on s'oriente vers une régie rationalisée en interne, ce qui est plutôt positif. Mais nous avons un exemple tout récent où l'armée de l'air, qui est pourtant adossée à un service industriel interne pour réparer ses propres matériels, et qui vient de confier l'entretien de certains hélicoptères à une entreprise portugaise. Dans ce cas, au-delà de la question de l'externalisation, se pose la question du maintien des emplois en France. Il est choquant que le ministère de la défense confie son entretien à une entreprise étrangère.
M. Gilles Goulm - Nous nous interrogeons sur la volonté de l'armée de l'air de conforter le SIAé (service industriel de l'aéronautique), qui pourtant lui appartient. Lorsque l'on relit les débats du comité de surveillance du SIAé, nous trouvons l'armée de l'air très frileuse s'agissant de l'entretien de l'A400M ou du MRTT : comment s'effectuera la répartition de l'entretien entre les escadrons, avec des personnels militaires, le SIAé, et les entreprises privées sous forme de prestations externalisées ? Il serait souhaitable que l'armée de l'air clarifie sa position.
On ne peut pas demander au SIAé de se comporter en industriel en lui mettant des boulets aux pieds. On ne lui demande pas aujourd'hui d'adapter ses effectifs à sa charge, mais d'adapter sa charge à ses effectifs. Il se retrouve alors en situation de refuser de la charge parce qu'il ne peut pas renouveler ses effectifs. On nous explique alors que l'externalisation est indispensable et qu'on ne peut pas faire autrement.
On doit s'interroger sur les 10% d'hypertechnologies qu'on a dans les programmes. Correspondent-ils toujours aux besoins des armées. Il y a souvent un décalage entre les besoins des armées et les « délires » d'ingénieurs qui se font ainsi financer de la recherche et développement sur les programmes d'armement.
M. Jacques Gautier. - Le défi du programme A400M est plus l'accord entre les Britanniques et les Allemands que l'accord franco-français !
M. Flavien Labille, pour la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT.- La politique menée de suppressions d'emplois conduira nécessairement à l'externalisation ! En 1980, il y avait 85 000 ouvriers d'Etat, l'an dernier ils n'étaient plus que 21 000. Et on en supprime encore 3 700 ! A force, nous n'avons plus les personnels pour faire l'entretien.
M. Alain Le Cornec - On tourne en rond ! Si on n'a pas les effectifs qualifiés pour faire le travail, alors nécessairement le travail ne sera pas fait. Or, c'est une décision politique que celle du recrutement.
Autre point, il faut différencier industrie de défense européenne et défense européenne. Or, les deux sont parfois confondues. De plus, il va falloir choisir entre défense européenne et OTAN, car on ne peut pas financer les deux doctrines ! Nous prônons la conservation de notre indépendance et de notre industrie de défense.
Sur le MCO, la question va aussi se poser pour les armements terrestres.
Enfin, s'agissant des exportations, il convient d'être vigilant sur les destinataires de celles-ci !
M. Erick Archat - Le dossier Louvois a été un véritable traumatisme. Or, actuellement, un problème latent à la sous-direction des pensions laisse présager un Louvois II ! 45 000 dossiers sont en souffrance. On envisage une nouvelle méthode de travail à la sous-direction, avec un sous-effectif chronique, ce n'est pas opportun dans ce contexte !
M. Jean-Louis Carrère, président - La Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées va recevoir les chefs d'État-major, nous porterons vos interrogations dans la mesure où elles relèvent de notre compétence.
M. Jacques Gautier. - Vous avez évoqué l'article 28, celui-ci exclut de l'assiette de l'impôt sur le revenu le pécule versé.
M. Alain Le Cornec - La CGT s'inquiète que les drones achetés sur étagère aux États-Unis soient testés au Niger par des personnels civils.
M. Henri-Philippe Bailly.- Pour nous, deux points sont essentiels : la démarche RH et ses enjeux pour moderniser le ministère, et l'ouverture nécessaire du dialogue social, avec des points de rendez-vous réguliers.
Enfin, nous considérons qu'il ne faut pas continuer à saupoudrer la réduction des effectifs mais regarder la valeur ajoutée dans les différentes structures !
M. Jean-Louis Carrère, président - Les législateurs doivent rester dans leur domaine de compétence ! Nous pouvons porter auprès des états-majors vos revendications sur lesquelles notre avis est légitime : le MCO, les équipements, la réserve opérationnelle, l'entrainement ... Mais ne revenez pas auprès de nous sur certaines problématiques, comme le nucléaire. Le Président de la République est le chef des armées et il a réaffirmé la conservation de la dissuasion nucléaire avec ses deux vecteurs !
Pour nous, la clause de revoyure à fin 2016 est très importante. Si d'aventure, il n'y avait pas de vente de Rafales sur la période, nous ne laisserons pas les capacités de production péricliter. Nous mettrons donc cette clause à profit pour chercher des solutions si jamais la mauvaise fortune empêchait les débouchés à l'international.
Nous insistons sur le codicille des 2 points de PIB norme OTAN pour pouvoir faire des ajustements en fonction de l'avenir économique ! Notre combat sera d'avoir une capacité d'expertise quasi-permanente sur l'exécution budgétaire annuelle, afin de conserver nos moyens, année après année.
Notre démarche au sein de la commission n'est pas d'éroder les différences, mais, sur les aspects de défense et de diplomatie, nous savons que l'accord, en interne, nous rend plus fort face à l'exécutif. Face à des tentations fortes d'entrainer le budget de la défense dans une spirale négative, nous avons tenu bon collectivement pour maintenir à un niveau le moins mauvais possible. Nous aspirons, aujourd'hui, à aller vers le meilleur. Nous serons attentifs à l'exécution budgétaire et au retour à bonne fortune économique.
Nous interpellerons les chefs d'état-major sur les remarques que vous avez portées auprès de nous aujourd'hui.