CHAPITRE IV - DISPOSITIONS RELATIVES AU TRAITEMENT PÉNAL DES AFFAIRES MILITAIRES

Article 17  (art L. 211-7 du code de justice militaire) - Clarification de la notion de « mort au combat »

L'article 17 met fin au déclenchement automatique de l'enquête pour recherche des causes de la mort (article 74 du code de procédure pénale) en cas de découverte d'un cadavre à l'issue de combats en opérations.

Le droit en vigueur

L'article 17 supprime, à l'article L. 211-7 du code de justice militaire, l'automaticité du déclenchement de l'enquête prévue à l'article 74 du code de procédure pénale en cas de décès dont la cause est inconnue ou suspecte.

Cet article du code de justice militaire avait pour objectif initial de calquer la procédure applicable en opération extérieure sur le droit commun. L'assimilation avait cependant été limitée aux cas de découverte d'un cadavre, et n'avait pas été pas étendue aux cas de découverte d'une personne grièvement blessée : l'extension, par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité de ces dispositions aux cas de découverte d'une personne grièvement blessée n'avait pas, en effet, été incorporée dans le code de justice militaire.

Cette rédaction a parfois conduit à une interprétation extensive suivant laquelle la procédure de recherche des causes de la mort devait être systématique.

Cette interprétation n'est pas en phase avec ce qu'est un théâtre de combat, avec la nature même et la spécificité du métier des armes. Elle peut en outre 62 ( * ) modifier la perception des familles des victimes et introduire un doute dans leur esprit en jetant un voile de suspicion sur les causes de la mort qui peut les pousser à introduire un recours devant le juge.

La modification proposée par le projet de loi

L'objectif du texte proposé par l'article 17 est d'indiquer que la cause d'une mort au combat n'est en principe ni suspecte ni inconnue, et d'éviter ainsi que certains événements, même graves, mais inévitables compte tenu de ce qu'est une opération militaire, ne se voient immédiatement appréhendés sur le terrain judiciaire.

La mort d'un soldat est en effet un risque inhérent à l'action de combat. C'est un risque assumé par les militaires, et rappelé dans l'article L.4111-1 du code de la défense : « L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême ».

L'objectif de la modification proposée est donc d'écarter expressément le risque de systématisation de l'enquête aux fins des recherches des causes de la mort ou des blessures graves survenues en actions de combat.

La position de votre commission

Votre commission est favorable à la modification proposée et considère que la rédaction est satisfaisante.

Plusieurs raisons expliquent cette position :

Tout d'abord, l'article 17 vient en réalité consacrer une pratique qui s'est peu à peu instaurée ces dernières années.

En effet, et d'ailleurs singulièrement depuis la suppression du Tribunal aux armées de Paris, le Parquet est revenu sur la pratique d'une enquête systématique en recherche des causes de la mort. Cette procédure a ainsi été écartée 63 ( * ) pour des militaires morts en Afghanistan, au profit d'un simple « renseignement judiciaire » rédigé par les prévôts (officiers de police judiciaire placés auprès des forces armées déployées en opérations), à partir des informations communiquées par l'autorité militaire.

Cette pratique, développée praeter legem, permet de transmettre des informations à l'autorité judiciaire à toutes fins utiles, sans pour autant déclencher d'enquête préliminaire ou de flagrance, en l'absence d'indices laissant suspecter la commission d'infractions.

Le Parquet de Paris a également désormais pour pratique de limiter l'autopsie judiciaire à des cas particuliers : lorsque le militaire est victime de mouvements terroristes, d'un crime de guerre ou d'un accident hors combat.

Le tableau suivant présente le nombre d'enquêtes parquet ouvertes en recherche des causes de la mort, sur des faits survenus hors du territoire national (forces déployées ou stationnées), de 2007 à 2013. Leur nombre, faible, avait eu tendance à augmenter entre 2009 et 2011, avant de baisser à nouveau.

Enquêtes en recherche des causes de la mort ouvertes entre 2007 et 2013

2007

4

2008

4

2009

6

2010

8

2011

13

2012

0

2013

2

Ensuite, la présomption instaurée est une présomption simple : le parquet de Paris pourra, au cas par cas, décider d'écarter la présomption de mort au combat à la cause connue et non suspecte pour décider l'ouverture d'une enquête aux fins de recherche des causes de la mort.

De manière très concrète, tout élément, quel que soit sa nature, laissant à penser que le décès n'est pas lié aux seules opérations de combat en opération extérieure rendra la cause du décès inconnue ou suspecte et pourra donc donner lieu à application de l'article 74 du code de procédure pénale.

Des constatations matérielles ou médicales (absence d'impacts permettant d'expliquer le décès ou positionnement des impacts par exemple) des circonstances particulières autour du décès (disputes antérieures avec un camarade, menaces...) portées à la connaissance des autorités militaires ou judiciaires pourront ainsi, notamment, amener à suspecter que la mort n'est pas issue des seules opérations de combats.

Il est d'ailleurs souhaitable que les magistrats disposent d'une telle marge d'appréciation : l'article 74 offre, à cet égard, un cadre juridique « pratique » qui leur permet de mener des investigations sans pour autant, à ce stade, qualifier l'infraction. On pourrait ainsi, dans certains cas, éviter la lourdeur d'une enquête classique, voire d'une information judiciaire.

Votre commission a adopté l'article 17 sans modification.

Article 18  (Art. L. 211-11 du code de justice militaire et art. 698-2 du code de procédure pénale) - Monopole du parquet pour la mise en mouvement de l'action publique pour les infractions relatives aux opérations des militaires à l'étranger.

L'article 18 confère au Parquet le monopole de la mise en mouvement de l'action publique pour les infractions commises par des militaires en opération dans l'accomplissement de leur mission.

Le droit en vigueur

Ne sont concernés par l'article 18 que les opérations dites « extérieures » menées en temps de paix par les militaires français en dehors du territoire national. Le projet de loi ne change donc pas le régime juridique applicable au temps de guerre, non plus que celui qui s'applique sur le territoire national. Comme il est brièvement rappelé dans l'encadré ci-après, il faut en effet distinguer trois régimes juridiques distincts : le temps de guerre, le temps de paix sur le territoire national et le temps de paix hors du territoire national (auquel seul s'applique le projet de loi qui nous est soumis).

Les trois régimes juridiques applicables aux militaires

En temps de guerre , le code de justice militaire prévoit la mise en place de trois catégories de juridictions militaires : Tribunaux territoriaux des forces armées, composés de cinq membres dont trois juges militaires ; Haut tribunal des forces armées sur le territoire national, Tribunaux militaires aux armées, comportant quatre juges militaires. La procédure applicable est dérogatoire : le commissaire du Gouvernement (qui exerce les attributions reconnues au Procureur de la République) se borne à donner son avis sur toutes les questions concernant la mise en mouvement de l'action publique, la décision étant prise par le ministre de la défense, qui est investi des pouvoirs judiciaires, ou l'autorité militaire habilitée par lui. La partie lésée ne peut mettre en mouvement l'action publique. En ce qui concerne les débats, le tribunal peut interdire en tout ou partie le compte rendu des débats de l'affaire.

En temps de paix sur le territoire national : les infractions commises par les militaires sur le territoire de la République se voient aujourd'hui traitées dans des conditions très proches de celles du droit commun. Les juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire sont compétentes pour connaître des infractions militaires et des infractions de droit commun commises par des militaires dans l'exercice du service sur le territoire de la République. Il existe un tribunal correctionnel et une cour d'appel spécialisés en matière militaire dans le ressort de chaque Cour d'appel (cf. commentaire des articles 20 et 21 ci-dessous). Le tribunal correctionnel est chargé de l'instruction de toutes les affaires et du jugement des délits, tandis que la cour d'assises juge les crimes. Au total, on compte aujourd'hui 33 juridictions de droit commun spécialisées réparties sur l'ensemble du territoire national.

La procédure applicable devant les juridictions de droit commun spécialisées est désormais très proche des règles du droit commun. Ainsi, aucun militaire ne participe au jugement des affaires portées devant les juridictions de droit commun spécialisées. Les jugements sont susceptibles d'appel.

La spécificité du contentieux militaire est prise en compte par la spécialisation des magistrats de l'ordre judiciaire appelés à connaître des infractions militaires ou des infractions commises par des militaires dans l'exercice du service. Certaines particularités procédurales demeurent : avis du ministre de la défense ; absence de citation directe d'un militaire ; réquisitions préalables adressées à l'autorité militaire pour les investigations au sein d'un établissement militaire ; détention des militaires dans des locaux séparés, absence de contrôle judiciaire et de le régime de semi-liberté pour les militaires.

Les infractions de droit commun commises en dehors de l'exercice du service relèvent, pour leur part, des juridictions de droit commun .

En temps de paix en dehors du territoire national , la formation spécialisée en matière militaire du Tribunal de Grande instance de Paris est compétente pour connaître des infractions commises par ou à l'encontre des militaires. Certaines règles procédurales spécifiques s'appliquent : l'avis du ministre de la défense préalablement à tout acte de poursuite à l'encontre d'un militaire, l'impossibilité pour la victime d'une infraction commise par un militaire de faire citer directement ce militaire devant la juridiction de jugement.

La lecture combinée, dans son arrêt rendu le 10 mai 2012, par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l'affaire d'Uzbin 64 ( * ) , des articles 698-2 du code de procédure pénale et 113-8 du code pénal a conduit à la situation suivante : la mise en mouvement de l'action publique est possible par l'effet de la seule constitution de partie civile pour des délits commis à l'étranger par des militaires, alors que cette mise en mouvement est réservée au Procureur de la République lorsque les délits sont commis à l'étranger par les autres citoyens français.

L'article 113-8 du code pénal réserve au ministère public la poursuite des délits commis par des militaires à l'étranger. Il faut rappeler en effet que ce n'est qu'en 1982 qu'a été reconnu ce pouvoir au Procureur de la République, cette prérogative appartenant auparavant au ministre de la défense. L'impossibilité pour la partie civile de mettre en mouvement l'action publique était justifiée en ces termes 65 ( * ) par notre ancien collègue Robert Badinter, alors Garde des Sceaux : « si l'on reconnaissait à tous ceux qui s'affirment victimes, non seulement le droit de provoquer l'ouverture d'une information, mais - ce qui est beaucoup plus saisissant encore - celui de citer en correctionnelle, à leur gré, tout officier ou tout soldat, on ouvrirait aux fausses victimes, aucunement préoccupées de la sanction de la dénonciation calomnieuse qui n'interviendrait que des mois ou des années plus tard, la possibilité d'entreprises de déstabilisation de l'armée républicaine 65 ( * ) ».

La loi de 1999 portant réforme du code de justice militaire -applicable à partir de 2002- a parallèlement ouvert la possibilité pour les parties civiles de mettre en mouvement l'action publique (art. 698-2 du code de procédure pénale), « dans les conditions déterminées aux articles 85 et suivants » (plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction, à l'exclusion de la citation directe) 65 ( * ) , jugeant que cette évolution correspondait aux attentes des victimes. Les débats n'avaient pas conduit à examiner en détail, à l'époque, les conséquences éventuelles sur le déroulement des actions de combat, non plus que l'articulation avec l'article 113-8 du code pénal.

Dans son arrêt précité de mai 2012, la Cour de Cassation a considéré que l'article 698-2 du code de procédure pénale prévalait sur les dispositions de l'article 113-8 du code pénal, le privant, de fait, de sa portée.

Il en résulte :

- une différence de traitement peu compréhensible entre civils et militaires en matière délictuelle ;

- un risque potentiel, aux yeux de la communauté militaire et du ministère de la défense, d'instrumentalisation de la justice au détriment des militaires et des forces armées, tendant à remettre en cause la politique étrangère et les engagements armés de la France via des actions en justice portant sur les OPEX, par le simple moyen de la constitution de partie civile.

La modification proposée par le projet de loi

L'article 18 du projet de loi de programmation a deux objectifs :

- Modifier l'article L. 211-11 du code de justice militaire, qui définit les règles relatives à la mise en mouvement de l'action publique pour les infractions relevant de la compétence des juridictions de Paris spécialisées en matière militaire (infractions commises hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci) afin de rappeler l'application aux militaires (comme c'est aujourd'hui le cas pour les autres citoyens français) de la règle du monopole du Parquet pour les délits commis à l'étranger ;

- Modifier l'article 698-2 du code de procédure pénale afin d'instaurer un monopole du Parquet pour toutes les infractions, cette fois y compris criminelles , commises par des militaires en opération dans l'accomplissement de leur mission.

Le but est de concilier plusieurs impératifs :

- Celui des victimes et ayants droit, qui doivent, comme tous citoyens, pouvoir accéder à la justice ;

- Celui des opérationnels qui doivent pouvoir mener à bien leur mission sans être inhibés à tout instant par l'épée de Damoclès d'une éventuelle incrimination pénale.

La rédaction proposée vise à atteindre un équilibre entre l'accès au juge pour les victimes et leurs ayants-droits et la nécessité de protéger les conditions d'intervention des forces armées en opération.

En particulier, la rédaction proposée, qui est précisément circonscrite, semble compatible avec les principes de la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle 65 ( * ) et en particulier les principes d'égalité devant la loi, et de droit à un recours juridictionnel effectif.

Au regard, tout d'abord, du principe d'égalité devant la loi, et, plus précisément, en matière d'égalité devant la procédure pénale , le Conseil Constitutionnel a déjà jugé 66 ( * ) qu'il est loisible au législateur « de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense »

Il y a d'ailleurs un précédent en la matière : dans sa décision n° 2010-612 DC du 5 août 2010 relative à la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale , le Conseil constitutionnel n'a pas fait droit au grief tiré de ce que l'article 8 de la loi, qui a inséré un article 689-11 dans le code de procédure pénale, méconnaissait le principe d'égalité devant la justice en confiant au seul ministère public la poursuite des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.

Le texte respecte, ensuite, les critères en matière de droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et formulé en ces termes : « il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction 67 ( * ) ".

Le Conseil Constitutionnel a par exemple estimé 68 ( * ) que les stipulations de l'accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français méconnaissaient le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif dès lors « que les stipulations de l'accord contesté instituent une procédure de raccompagnement d'un mineur isolé à la demande des autorités roumaines ; que l'autorisation de raccompagner le mineur est donnée en France par le parquet des mineurs ou par le juge des enfants s'il a été saisi ; que, lorsque la décision est prise par le ministère public, ni les stipulations contestées, ni aucune disposition de droit interne n'ouvrent, au bénéfice de ce mineur ou de toute personne intéressée, un recours contre cette mesure destinée à ce que le mineur quitte le territoire français pour regagner la Roumanie » .

La condition d'" effectivité " du recours au juge consacré par le Conseil Constitutionnel fait écho à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle l'article 6 de la Convention 69 ( * ) consacre un " droit d'accès effectif à la justice " afin que soit assurée " une protection réelle et efficace " du justiciable.

Pour autant, certaines limitations sont acceptées par le Conseil Constitutionnel. La jurisprudence ouvre clairement la possibilité de réglementer le droit d'accès au juge ainsi consacré, notamment par l'édiction de règles de recevabilité des recours, mais sous réserve que ces règles ne portent pas une atteinte " substantielle " à ce droit.

Ainsi, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 93-327 DC du 19 novembre 1993 relative à la loi organique sur la Cour de justice de la République (considérant 12) a jugé que si l'article 132 de la loi organique « exclut toute constitution de partie civile devant la Cour de justice de la République, il garantit la possibilité d'exercer des actions en réparation de dommages susceptibles de résulter de crimes et délits commis par des membres du Gouvernement devant les juridictions de droit commun ; qu'ainsi il préserve pour les intéressés l'exercice de recours, sans méconnaître les dispositions de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 ; que dès lors il ne contrevient à aucune règle ni aucun principe constitutionnel ».

En l'espèce, on peut estimer que dès lors que projet de loi ne prive pas la partie lésée du droit de saisir le juge compétent pour obtenir réparation du préjudice subi, même si l'action publique n'est pas mise en mouvement par le ministère public, il n'est pas porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.

Le Conseil constitutionnel devrait être amené sous peu à préciser encore sa jurisprudence puisqu'il est actuellement saisi par la Cour de Cassation (QPC n°350 du 26 août 2013) de la constitutionnalité des articles 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, desquels il résulte que la poursuite des délits et contraventions de police commis à l'égard des corps constitués et administrations publiques par voie de presse ne peut être exercée que par le ministère public .

La Cour européenne des droits de l'homme a déjà jugé que l'interdiction de se constituer partie civile par voie d'action ne porte pas atteinte au droit à d'accès à un juge si la victime dispose d'une voie de recours lui permettant d'accéder à un tribunal indépendant et impartial pour obtenir réparation de son préjudice. La Cour de cassation , en assemblée plénière, s'est également prononcée en ce sens dans deux arrêts 70 ( * ) relatifs à l'irrecevabilité des constitutions de partie civile devant la Cour de justice de la République.

La position de votre commission

Un équilibre satisfaisant entre plusieurs impératifs

En matière délictuelle, l'article 18 permet un retour au droit commun de l'article 113-8 du code pénal pour les militaires : le Parquet retrouve ainsi son monopole, écarté par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2012 rendu dans l'affaire Uzbin, pour la mise en mouvement de l'action publique pour les faits commis par un militaire à l'étranger.

Ce point ne soulève guère de discussion et il est généralement ressenti par la majorité des personnes auditionnées par votre commission comme le rétablissement opportun d'une discordance de traitement peu compréhensible entre militaires et civils.

Le monopole du parquet pour l'engagement des poursuites en matière criminelle , dans le cadre d'une opération militaire et dans l'accomplissement de leur mission par les militaires , est un choix qui a pu être discuté 71 ( * ) . Il faut en effet mettre en balance plusieurs principes : celui de l'accès de tout citoyen à la justice, et celui de la nécessaire sécurisation juridique des militaires en opération, priorité, à juste titre, mise en avant par le Président de la République.

Il est vrai de dire que ce contentieux n'est pas, quantitativement, un fait massif, comme le montre le tableau ci-dessous. Il a en revanche un impact très important dans la communauté militaire.

OUVERTURES DOSSIERS D'INSTRUCTION - HORS DU TERRITOIRE - 2001-2013

Source : ministèrede la défense. Le tableau synthétise les chiffres d'ouverture d'informations judiciaires pour des faits commis en dehors du territoire national, impliquant des militaires, entre 2001 et ce jour. Il présente ces chiffres d'une part au regard de la nature des faits (criminels, délictuels ou pour recherche des causes de la mort) et d'autre part au regard de l'origine de l'ouverture (parquet ou plainte avec constitution de partie civile)

Votre commission juge que le point d'équilibre proposé par le texte du Gouvernement est satisfaisant.

Le monopole reconnu au Parquet constituera une protection efficace des militaires contre une judiciarisation excessive de leur action, au coeur de leur métier et des risques qu'ils acceptent d'assumer en s'engageant. Il sera également le gage de l'absence d'instrumentalisation de l'action judiciaire par des acteurs qui auraient intérêt à contester, par ce biais, la politique militaire française.

Pour autant, cette réforme ne prive naturellement pas les victimes ou leurs familles de la possibilité de porter plainte ou de s'associer à l'action publique mise en mouvement par le Parquet, ni des possibilités de réparation civile.

Une indispensable information des familles des victimes

Enfin, votre commission a particulièrement insisté auprès du ministère de la défense, du ministre lui-même et de son cabinet, lors de la préparation de l'examen du présent projet de loi, sur l'importance cruciale qui s'attache à apporter aux familles des militaires tués en opération toute l'information sur les circonstances du drame qui les touche , et ce très rapidement après l'événement.

Votre commission connait le travail remarquable effectué par le ministère de la défense pour accompagner les familles des militaires blessés ou décédés en opérations. Le « Bureau d'assistance aux familles », en liaison avec la direction des affaires juridiques, se charge notamment de faciliter l'ensemble des procédures administratives leur permettant de faire valoir leurs droits et d'accéder aux prestations auxquelles elles sont éligibles. Il y a naturellement un accompagnement humain et moral, au sein même des unités, dont votre commission connait la grande qualité. Par ailleurs, une revue complète des « Droits et accompagnement des familles de militaires décédés en OPEX » a récemment 72 ( * ) été effectué par la Direction des affaires juridiques du ministère de la défense, qui montre notamment que les mesures financières, tant statutaires qu'indemnitaires, dont bénéficie la famille d'un militaire décédé en OPEX compensent « le mieux possible » -et en tous cas, d'après cette étude, dans des conditions plus avantageuses que celles offertes aux ayants-droits de salariés de certaines entreprises privés décédés dans des zones à risque- la terrible perte subie.

Pour autant, il faut être conscient qu'à travers le recours au juge, les familles cherchent aussi à avoir accès à la vérité , soit qu'elles estiment que l'institution militaire ne leur a volontairement pas livré toutes les informations en sa possession, soit qu'elles pensent que le juge pourra accéder à des informations classifiées auxquelles elles n'auraient pas accès sans la procédure judiciaire (alors que le secret défense est opposable au juge, qui doit en demander la levée, la déclassification de certaines informations, portant notamment sur les modes opératoires, n'allant pas de soi car pouvant mettre en danger les militaires encore en opérations).

Cette démarche est parfaitement résumée par le général Bentégeat 73 ( * ) : « Chaque année de jeunes Français sont tués ou blessés dans des guerres qui n'osent dire leur nom (...). Ces guerres lointaines, couteuses et risquées sont mal comprises par nos concitoyens qui les jugent sans lien avec leur sécurité quotidienne (...). Et voici que les familles de militaires qui n'avaient pas signé, elles, pour « l'esprit de sacrifice » gravé dans le code de la défense, se révoltent contre la mort au combat de leurs proches et portent plainte « pour que cela ne se reproduise pas. » ».

Il est donc primordial, tant sur le plan humain que pour prévenir toute judiciarisation inutile, d'apporter aux familles, en temps utile, toute l'information nécessaire. Sur la demande expresse du ministre de la défense, les familles des deux jeunes otages du Niger tués au cours de leur tentative de récupération ont ainsi été reçues notamment par le Cabinet et les services du ministère de la défense, et aussi largement informées que possible sur le déroulement des opérations, extraits vidéos à l'appui 74 ( * ) . Ce genre d'initiatives est à souligner et doit être systématisé dans toute la mesure du possible.

Une rédaction à perfectionner faute de ne pas atteindre l'objectif affiché

Afin que l'article 18 atteigne réellement son objet, votre commission vous propose d'en clarifier et préciser la rédaction.

Faute de quoi, la trop grande marge d'appréciation laissée au juge quant à ce que recouvre la notion « d'opération militaire » pourrait donner lieu à une jurisprudence restrictive, contraire à l'intention du législateur.

Tel qu'il est rédigé, l'article 18 n'est pas assez précis quant à son champ d'application : une « opération militaire » en dehors du territoire national. On relève une pluralité de terminologies : les termes « Opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français » sont par exemple utilisés à l'article L. 4123-12 actuel du code de la défense, alors qu'on retrouve la notion de « mission opérationnelle hors du territoire national » (art L. 4123-2) ou d' « opérations extérieures » (Art L. 4123-4). La notion d' « OPEX » est quant à elle budgétaire et administrative, mais ne donne pas lieu à une définition juridique précise et univoque.

Le souci premier des rédacteurs du texte était de ne pas utiliser le terme « intervention des forces armées à l'étranger » employé à l'article 35 de la Constitution afin de ne pas limiter l'application potentielle du dispositif aux seules opérations faisant l'objet de l'information du Parlement prévue à l'article 35. Le Gouvernement n'a pas non plus souhaité se lancer dans une harmonisation conceptuelle et rédactionnelle des différentes notions existantes, souhaitable, mais qui dépassait le cadre du présent projet de loi.

Pour autant, en ne visant que les termes -sujets à interprétation- d'opération militaire, les rédacteurs du texte ont pris le risque d'une interprétation jurisprudentielle divergente de l'intention du législateur.

Aussi votre commission vous propose-t-elle un amendement tendant à préciser que les faits couverts sont les faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire lors d'une opération :

- « mobilisant des capacités militaires » pour introduire une approche matérielle, non subjective. Il faut noter que le terme de « capacités » est volontairement large : outre les matériels, il inclut également les personnels ;

- se déroulant en dehors « des eaux territoriales » (et non seulement du seul « territoire »), ceci notamment dans le cadre des opérations de police en haute mer,

- et visant « y compris la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer. »

Il serait ainsi parfaitement clair que les opérations du commandement des opérations spéciales (COS), notamment, ou encore celles menées dans le cadre de la lutte contre la piraterie, par exemple, entreront bien dans le champ d'application. Votre commission a adopté l'article 18 ainsi modifié .

Article 19 (art. L. 4123-11 et L.4123-12 du code de la défense).- Spécificité de l'action de combat pour les délits non intentionnels - Clarification de la portée de l'excuse pénale pour usage de la force

L'article 19 permet aussi la prise en compte des spécificités de l'action de combat pour les délits non intentionnels et explicite le champ de l'excuse pénale (« fait justificatif ») pour usage de la force créée par la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires et qui figure aujourd'hui au II de l'article L. 4123-12 du code de la défense.

Le droit en vigueur

Violences non intentionnelles en opérations extérieures (1°) :

En déclinaison de la loi « Fauchon » sur les délits non intentionnels, l'article L. 4123-11 du code de la défense énonce que les militaires ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée comme auteurs directs d'infractions non intentionnelles commises dans l'exercice de leur fonction que s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les « diligences normales » de leur fonction. Ainsi la responsabilité pénale ne peut être retenue qu'au regard d'une faute qualifiée à l'appréciation du juge.

Sont notamment en cause non seulement les blessures ou la mort éventuellement infligés à des militaires français ou agissant en coalition (tirs fratricides) mais le cas échéant les « dommages collatéraux » subis par les populations civiles.

Seront cités à titre d'exemples concrets :

- la tentative de libération des deux otages français au Niger/Mali, se traduisant par le décès des otages ;

- l'assaut contre le voilier le Tanit pour libérer les otages retenus par des pirates somaliens, un otage tué ;

- la tentative de libération de l'otage Michel Germaneau, retenu au Mali et exécuté ;

- la sécurisation de l'aéroport de Bangui, 2 civils tués (indien et népalais).

Champ du « fait justificatif » pour usage de la force en opération extérieure (2°) :

À la suite des travaux de la commission Denoix de Saint Marc 75 ( * ) , la loi portant statut général des militaires de 2005 a créé un « fait justificatif 76 ( * ) » pour usage de la force. Il est apparu en effet à la commission que le cadre juridique d'usage de la force en opération extérieure ne correspondait pas aux réalités du terrain : les forces françaises sont amenées à « faire la guerre » en temps de paix, dans un cadre juridique devenu inadapté.

Le rapport Denoix de Saint Marc de 2003 sur le statut général des militaires

Le cadre juridique de l'emploi de la force en opérations extérieures est devenu mal adapté à la diversité des situations et aux nouvelles tâches auxquelles sont confrontés les militaires qui participent à ces interventions. N'étant pas précédées d'une déclaration de guerre par le Parlement, elles n'entraînent pas nécessairement l'entrée en vigueur du droit des conflits armés, lequel justifierait l'usage de la force. (...) Or, les troupes françaises mènent depuis plusieurs années des opérations extérieures en nombre croissant dans des conditions qui ont peu à voir avec celles du temps de paix.

Les règles relatives à la légitime défense et à l'état de nécessité, conçues pour une défense individuelle, sont inadaptées pour couvrir en toutes circonstances les actions collectives nécessaires pour mener à bien les missions, qu'il s'agisse par exemple de défendre un dépôt de munitions, d'interdire le franchissement d'un point de contrôle ou, a fortiori, de prendre de vive force un objectif. (...)

Les militaires ont le sentiment de se trouver ainsi dans une situation parfois inconfortable au regard de l'emploi de la force. Ils sont engagés dans des situations de crise par essence ambiguës, avec des belligérants fondus dans la population et au comportement souvent imprévisible. Les dispositifs militaires sont fréquemment clairsemés et des exécutants de rang modeste doivent donc faire preuve d'une capacité instantanée de compréhension et d'adaptation. Les militaires engagés dans ces conditions difficiles conçoivent mal de risquer des poursuites pénales alors même qu'ils n'auraient pas commis d'erreur manifeste dans l'application des règles d'engagement et que c'est l'accomplissement de leur mission qui les aurait conduits à recourir à la force au-delà des règles de légitime défense définies par le code pénal. Les mises en cause de militaires en raison de leur engagement opérationnel sont certes exceptionnelles et aucun militaire n'a, à ce jour, été condamné pour une mission légitime accomplie dans le cadre des règles d'engagement. (..) Il n'est pas concevable pour autant d'assurer aux militaires une immunité pénale généralisée qui couvrirait sans condition tous les actes accomplis en opération extérieure. Le principe d'égalité devant la loi s'y oppose et il convient en outre que le militaire demeure soumis au droit en tout temps et en tout lieu. Il paraîtrait en revanche opportun d'édicter des dispositions législatives qui confèrent aux opérations extérieures un cadre juridique en rapport avec les conditions effectives d'emploi des armées.

C'est sur le fondement de ce constat très lucide qu'ont été adoptées -à l'issue d'un vote conforme des deux assemblées- et dans les termes proposés par la Commission de révision du statut général, les dispositions du II de l'article 17 du projet de loi de 2005, figurant aujourd'hui à l'article L. 4123-12 du code de la défense, qui dispose que « n'est pas pénalement responsable le militaire qui, dans le respect des règles du droit international et dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission ».

La modification proposée

- Appréciation des « diligences normales » en opération (1°)

Les infractions involontaires ne sont guère adaptées aux opérations de combat. Visant initialement le respect d'une obligation de résultat en termes de sécurité des travailleurs, ou de sécurisation des activités quotidiennes, cette catégorie se prête mal aux activités « extraordinaires » que sont les actions de combat.

Les décisions intervenant dans le cadre d'opérations militaires sont en effet prises dans un contexte de grande urgence et d'extrême complexité, compte tenu de la difficulté à apprécier les risques liés à l'adversaire.

L'article 19 du projet de loi prévoit donc que la responsabilité pénale des militaires ne peut être engagée pour des faits de violences involontaires qu'après prise en compte par la justice pénale d'un certain nombre de circonstances révélatrices des difficultés propres à l'action militaire. Ainsi, le juge devra tenir compte de l'urgence dans laquelle la mission est exercée, des informations dont disposaient les militaires au moment de l'évènement et des circonstances spécifiques de l'action de combat.

La rédaction du projet de loi permet de marquer, au sein d'une activité militaire qui n'est déjà pas une profession comme une autre lorsqu'elle se déroule en temps de paix, la spécificité irréductible de l'action de combat.

L'intensité des risques liés à l'action de combat sera ainsi intégrée à l'évaluation de la responsabilité pénale des militaires qui y sont engagés, qu'ils la préparent, la commandent ou y participent.

- Précision du champ du « fait justificatif » pour usage de la force en opération extérieure (2°)

Le projet de loi vise à lever toute ambiguïté sur le fait que cette excuse pénale s'applique non seulement pour les « OPEX » (Harmattan en Libye, Serval au Mali etc...) aussi pour des interventions militaires plus ponctuelles de type libération d'otages , évacuation de ressortissants ou police en haute mer , en accolant aux termes « opération militaire » les mots : « quel que soit son objet, sa durée ou son ampleur ».

La position de votre commission

(1°) Appréciation des « diligences normales » en opération

Certains font observer que d'autres professions sont confrontées à des difficultés opérationnelles du fait de la judiciarisation croissante (médecins, forces de l'ordre, enseignants, élus locaux...) et qu'elles n'ont pas pour autant été protégées de toute mise en cause sur le terrain des violences involontaires. Cependant, votre commission soutient le gouvernement lorsqu'il affirme qu'il n'existe pas d'autre profession où la mise en danger de la vie soit à ce point inhérente à l'exercice des missions. C'est là une spécificité qui justifie pleinement les dispositions envisagées.

En complément de la modification législative, bienvenue, opéré par le projet de loi, votre commission ne peut que rappeler la nécessité de faire des efforts pour permettre au monde judiciaire et aux forces armées de mieux connaître leurs contraintes respectives et de mieux appréhender les conditions de leur action.

Ainsi, en matière de formation des magistrats, il va de soi que la spécialisation du contentieux est un gage de bonne prise en compte par les juges des nécessités de l'action, d'autant plus que le plus petit nombre de magistrats potentiellement concernés par ce contentieux permet de mener, le cas échéant, des actions d'immersion ciblée dans les forces armées (comme celles organisées ponctuellement en Afghanistan et à Djibouti), mettant ainsi les magistrats « en situation ». Plus généralement, il existe désormais un module de formation en matière de justice militaire à l'École nationale de la magistrature, afin de sensibiliser les futurs parquetiers et juges d'instruction, au titre de la préparation aux premières fonctions. Au titre de la formation continue des magistrats , sont proposés des stages collectifs « Le militaire et le doit » ou encore « Marine nationale et action de l'État en mer », ayant chacun une douzaine d'inscrits chaque année.

Au 1°, votre commission vous propose un amendement de clarification rédactionnelle (suppression d'un « notamment » au bénéfice d'un « en particulier »).

- Précision du champ du « fait justificatif » pour usage de la force en opération extérieure (2°)

Afin que l'article 19 atteigne réellement son objet, votre commission propose de clarifier et préciser la rédaction. Faute de quoi, la trop grande marge d'appréciation laissée au juge quant aux faits couverts pourrait donner lieu à une jurisprudence restrictive, contraire à l'intention du législateur.

Le texte du II de l'art L 4132-12 du code de la défense deviendrait ainsi (les ajouts proposés apparaissent en italique) : « N'est pas pénalement responsable le militaire qui, dans le respect des règles du droit international et dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires , se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales , quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, lorsque cela est nécessaire à l'exercice de sa mission. »

Votre commission a adopté l'article 19 ainsi modifié.

Article 20 (art L. 211-5 et L. 211-22 du code de justice militaire et art. 698-5 du code de procédure pénale) - Conséquences de la suppression du Tribunal aux Armées de Paris

L'article 20 procède à des corrections techniques de certaines dispositions du code de justice militaire afin de tenir compte de la suppression du Tribunal aux armées de Paris par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles.

Le droit en vigueur

Clemenceau estimait que « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique » ! De fait, par vagues successives, la justice militaire n'a cessé de perdre ses spécificités pour se rapprocher de plus en plus du droit commun.

Cette évolution de fond a été impulsée par plusieurs lois, dont celle du 8 juillet 1965 portant institution du code de justice militaire, mais surtout celle de 1982 77 ( * ) qui a supprimé, pour le temps de paix, les tribunaux permanents des forces armées et a chargé des chambres spécialisées des juridictions de droit commun d'instruire et de juger, en appliquant désormais le code de procédure pénale, les infractions commises sur le territoire national.

La loi de 1999 portant réforme du code de justice militaire et du code de procédure pénale 78 ( * ) , la loi de 2005 portant statut général des militaires et la loi de décembre 2011 79 ( * ) supprimant le tribunal aux armées de Paris n'ont fait que poursuivre ce mouvement de rapprochement du droit pénal militaire et du droit pénal général.

A l'occasion de l'examen du présent projet de loi, votre commission a demandé au gouvernement un bilan d'application de la loi ayant supprimé le Tribunal aux armées de Paris, d'où il ressort un niveau d'activité comparable pour le TGI de Paris ayant repris ses attributions :

Source : ministère de la défense

Les modifications proposées par le projet de loi

L'article 20 du projet de loi a un objet limité : il s'agit de procéder à des corrections purement techniques de certaines dispositions du code de justice militaire afin de tenir compte de la suppression du Tribunal aux armées de Paris par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles.

Le texte consiste à :

- modifier l'article L. 211-5 du code de justice militaire afin de remplacer les termes de « juridictions des forces armées » par « juridictions spécialisées en matière militaire » ;

- modifier l'article L. 211-22 du code de justice militaire afin de remplacer les termes de « tribunal aux armées » par « juridiction de Paris spécialisée en matière militaire » ;

- modifier l'article 698-5 du code de procédure pénale pour ajouter la référence à l'article L. 211-24 du code de justice militaire.

Cette disposition permet de rendre applicable l'article L. 211-24 du code de justice militaire à la procédure suivie par les juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire pour les faits commis sur le territoire national. Cette disposition rappelle qu'en cas de réouverture d'une information pour charges nouvelles, l'avis du ministre de la défense doit être à nouveau sollicité.

La position de votre commission

Votre commission a adopté cet article sans modification.

Article 21  (art. 697 du code de procédure pénale) - Spécialisation des juridictions en charge des affaires pénales concernant les militaires

L'article 21 permet une concentration accrue, sur le territoire national, du contentieux pénal concernant les militaires (hors OPEX) dans les juridictions de droit commun spécialisées.

Le droit en vigueur

Il est question ici des affaires pénales militaires relatives à des faits se déroulant sur le territoire national (le contentieux des OPEX étant, comme cela a été vu, centralisé auprès du TGI de Paris) pour des actes impliquant des militaires dans l'exercice de leurs fonctions (hors exercice de leurs fonctions, les militaires ressortissent des tribunaux de droit commun).

La suppression, en 1982, des tribunaux permanents des forces armées sur le territoire national a conduit au transfert de leur contentieux aux juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire (JDCS) à raison d'une par ressort de cour d'appel.

Le format des armées, les lieux d'implantation des unités et le nombre de dossiers à traiter ont considérablement évolué depuis cette date. Il en résulte une insuffisante spécialisation du traitement des affaires pénales militaires : le nombre trop important de juridictions spécialisées par rapport au nombre d'affaires à traiter a conduit à diluer la spécialisation.

De fait, les 33 juridictions compétentes (cf. carte ci-après) ont des niveaux d'activité très sensiblement différents (cf. graphique ci-après) :

Source : ministère de la défense

Sur 33 JDCS, la moitié a traité en 2012 moins de 50 affaires, (dont 7 moins 20 dossiers ou moins). Seuls Marseille, Metz, Besançon et Nîmes ont traité plus de 200 dossiers.

L'exposé des motifs du projet de loi indique en outre que sur les sept juridictions n'ayant procédé à aucune poursuite en 2010, trois d'entre elles étaient pourtant saisies de 30 affaires environ et deux autres de plus de 50...

Ces chiffres montrent qu'il existe une marge de progression en termes de répartition du contentieux et de spécialisation des magistrats.

Aboutie pour ce qui concerne les opérations se déroulant en dehors du territoire national, dont le contentieux est confié au TGI de Paris, la spécialisation est moindre pour le contentieux des faits commis par les militaires sur le territoire national dans le cadre de leur service, réparti sur l'ensemble des cours d'appel. Cette réorganisation permettra d'accroître la spécialisation des magistrats (et des greffiers militaires qui les assistent) en concentrant l'activité de ceux-ci sur leur coeur de métier, à savoir le droit pénal applicable aux militaires.

Les modifications proposées

Le projet de loi permet d'accroître la spécialisation, en permettant de de concentrer le traitement des affaires pénales au-delà de ce qui est prévu actuellement (passer de une JDCS par ressort de cour d'appel à une JDCS par ressort d'une ou plusieurs cours d'appel).

Cette réforme de la carte judiciaire devrait ainsi donner naissance à des pôles interrégionaux spécialisés en matière militaire.

Il ne s'agit pas de création de nouvelles juridictions mais du transfert de compétences, pour l'instruction et le jugement, du contentieux des affaires pénales militaires vers une juridiction à choisir parmi les actuelles juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire. Sa compétence territoriale serait alors élargie.

Bien que les décisions ne soient pas encore prises, la future carte judiciaire pourrait correspondre au découpage actuel des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) - qui traitent d'autres types de contentieux spécialisés 80 ( * ) -.

Sous réserve du cas de l'outre-mer (encore à l'étude)  les regroupements suivants pourraient être opérés dans l'hexagone :

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de PARIS rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de PARIS, VERSAILLES, ORLEANS, BOURGES ;

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de LILLE rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de LILLE, AMIENS, ROUEN, REIMS ;

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de NANCY rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de NANCY, METZ, STRASBOURG, DIJON, BESANCON ;

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de LYON rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de LYON, CHAMBERY, GRENOBLE, CLERMONT-FERRAND ;

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de MARSEILLE rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de MARSEILLE, NIMES, MONTPELLIER, BASTIA ;

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de BORDEAUX rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de BORDEAUX, PAU, AGEN, TOULOUSE, LIMOGES ;

- un pôle implanté sur la circonscription territoriale de la JIRS de RENNES rassemblant les actuelles juridictions spécialisées des TGI de RENNES, POITIERS, LE MANS, CAEN.

Cette réforme n'emporterait ni création de postes ni création de parquets spécialisés, puisque les juridictions existantes sont simplement redéployées pour mieux correspondre aux lieux d'implantation des armées et garantir une véritable spécialisation du traitement des procédures pénales militaires.

La position de votre commission

Votre commission avait envisagé dès 2011 un regroupement des juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire au sein de quelques pôles « Affaires militaires ». L'idée était alors de constituer deux ou trois pôles spécialisés :

« Ces pôles, dont le nombre serait plus réduit qu'aujourd'hui, de l'ordre de deux ou trois , auraient à connaître des infractions militaires et des crimes et des délits commis par les militaires dans l'exercice du service, soit en fonction d'un critère géographique (par exemple, Paris, Marseille, Brest et éventuellement Metz), soit d'autres critères (les affaires maritimes et concernant la Légion étrangère étant traitées par exemple à Marseille, les autres à Paris). Le pôle du Tribunal de Grande instance de Paris aurait également compétence pour connaître les infractions de toute nature commises par les militaires hors du territoire national. »

Toutefois, à l'époque la réflexion n'était pas totalement aboutie : certains faisaient valoir qu'un tel regroupement poserait la question de la proximité avec le justiciable militaire. Il aurait pour effet de contraindre les militaires devant être jugés à effectuer de longs déplacements, parfois de plusieurs centaines de kilomètres. Cet éloignement du justiciable (qu'il soit auteur ou victime) poserait des difficultés en matière de contacts avec le conseil du militaire, qui s'il est proche de la juridiction sera éloigné de son client et inversement. Cette situation pouvait avoir des conséquences non négligeables sur le fonctionnement de l'institution militaire, faisait-on valoir, en raison de l'indisponibilité d'au moins une journée pour chaque acte que nécessitera le traitement judiciaire d'une affaire.

En 2011, votre commission souhaitait que la réflexion soit poursuivie : elle ne peut que se féliciter aujourd'hui que cela ait été le cas et que le gouvernement envisage aujourd'hui une telle concentration du contentieux.

Votre commission a par ailleurs interrogé le gouvernement sur les conséquences éventuelles de cette réforme sur le corps des greffiers militaires , qui assurent un lien très utile entre les mondes de la justice et de la défense. La réponse obtenue est plutôt rassurante : « s'il est effectivement prévu de diminuer le nombre de greffiers militaires grâce à cette concentration du contentieux, il n'est pas question de supprimer ces corps », indique la réponse écrite. Plus précisément, il serait prévu, d'après les informations communiquées à votre commission, de passer de 35 greffiers militaires affectés au sein des juridictions de droit commun spécialisée en matière militaire 81 ( * ) à 30 greffiers militaires (8 officiers et 22 sous-officiers) dans les futurs pôles interrégionaux.

Entendus en audition, des représentants du ministère de la défense ont confirmé que, certes dans une logique globale de rationalisation et de resserrement, des recrutements seraient toutefois ouverts à l'avenir afin d'assurer le renouvellement du corps.

Enfin, votre commission se réjouit de ce que cette réforme de l'organisation judiciaire s'accompagne, parallèlement, d'une réforme de la prévôté 82 ( * ) (création d'un commandement de la gendarmerie prévôtale spécifique et rattachement des formations prévôtales à ce nouveau commandement, pour mieux répondre aux particularités et à la diversité des contentieux survenant sur les théâtres d'opérations extérieures) .

Votre commission a adopté cet article sans modification.


* 62 Comme le souligne à juste titre l'exposé de motifs du projet de loi, p. 38

* 63 Source : auditions menées par la commission dans le cadre de l'examen du projet de loi

* 64 Sur les conclusions contraires de l'Avocat général près la Cour de Cassation

* 1 Pour des détails sur cette question, voir le rapport pour avis de votre commission n°367, 2011, sur projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles (M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur).

* 2 Journal Officiel Assemblée nationale, 2ème séance du 14 avril 1982, p. 1129.

* 3 http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r0959.asp, rapport de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, voir les commentaires sous l'article 46

* 65 Cour européenne des droits de l'homme

* 66 Décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre, considérant n°8

* 67 Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 sur la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française

* 68 Décision n° 2010-614 DC du 4 novembre 2010, Loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français , cons. 5

* 69 L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit à toute personne le droit à droit ce que sa cause soit entendue par un « tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

* 70 Ass. Plen. 21 juin 1999, 99-81.927 ; Ass. Plen. 12 juillet 2000, 00-83.577 00-83.578

* 71 D'ailleurs au sein même du Conseil supérieur de la fonction militaire, comme le montre son avis lors de la 89 ème session bis de juillet 2013 (avis défavorable sur les dispositions sur le projet concernant la protection des militaires contre une judiciarisation dans l'exercice de leurs missions militaires).

* 72 Avril 2011

* 73 Préface du livre de Christophe Barthélémy précité

* 74 Source : audition du cabinet du ministre de la défense.

* 75 Rapport de la Commission de révision du statut général des militaires, Renaud Denoix de Saint Marc, novembre 2003

* 76 Les faits justificatifs sont des circonstances qui justifient ou légitiment une infraction. L'exemple type est celui de l'ambulancier commettant un excès de vitesse pour conduire un blessé à l'hôpital, ou du pompier faisant une violation de domicile pour éteindre un incendie.

* 77 Loi n° 82-621 du 21 juillet 1982, relative à l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l'État.

* 78 Voir le rapport pour avis de M Serge Vinçon, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, n°226 (98-99)

* 79 Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles - voir le rapport n°367, Sénat, 2011, de M Marcel-Pierre Cléach au nom de la commission des Affaires étrangères et de la défense

* 80 Créées par la loi du 9 mars 2004 et mises en place en octobre 2004, les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) regroupent des magistrats du parquet et de l'instruction possédant une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière dans des affaires présentant une grande complexité. La loi a donné une compétence inter-régionale à 8 juridictions implantées, eu égard à l'importance des contentieux traités et aux aspects liés à la coopération transnationale, à Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort de France

* 81 Certains greffiers militaires sont affectés hors juridictions : état-major, préfecture maritime, prévôté...

* 82 Voir le décret n° 2013-231 du 19 mars 2013 relatif au commandement de la gendarmerie prévôtale et à la brigade de recherches prévôtales

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page